Les personnels de la CNDA, chargés d’examiner en appel les demandes d’asile, réclament l’amélioration de leurs conditions de travail et s’opposent à la loi asile-immigration qui sera présentée en conseil des ministres le 21 février.
Dans la salle 1, un Soudanais regarde la pointe de ses baskets en écoutant son avocat résumer son emprisonnement par l’armée. Face à lui, trois juges, un rapporteur et un secrétaire le scrutent. Le jeune homme est inquiet. Il joue là son statut, mais semble intimidé, empêtré dans son histoire. Pourtant, le moment est pour lui d’une extrême importance : reconnu réfugié, il aura un titre de séjour en France valable dix ans. Si les juges lui proposent la protection subsidiaire, il aura un titre d’un an. Sinon, c’est la clandestinité…
Mardi 13 février, c’était la seule audience à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), à Montreuil (Seine-Saint-Denis), où sont examinés les appels des demandeurs d’asile, après un rejet par l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra). A côté, les autres salles sont vides. Certaines sont même fermées à clé. Seule la pièce 6 est occupée. Au fond, dans un coin, un assesseur travaille ses dossiers en silence. Pas prévenu du mouvement de grève, il est venu ce matin. Comme Taris, un Bangladais qui traîne dans les couloirs, en quête de l’audience d’un autre Bangladais. « Je voudrais voir à quoi ça ressemble. On m’a dit qu’il fallait se préparer », explique-t-il.
Travailler les dossiers en amont est une préoccupation partagée par les demandeurs d’asile et par ceux qui instruisent leur dossier : les rapporteurs. Ces derniers craignent que la pression du chiffre ne les contraigne à lire un peu trop vite les récits des demandeurs d’asile. C’est là un des motifs centraux de la grève, reconductible, à laquelle ont appelé l’ensemble des syndicats de la cour (SIPCE, FO et CGT), à compter de mardi à la CNDA.
Les rapporteurs estiment en effet que si le projet de loi asile-immigration, qui sera présenté mercredi 21 février en conseil des ministres, est adopté tel qu’il est rédigé aujourd’hui, ils n’auront plus le temps de faire correctement leur travail en amont des audiences.
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« On a déjà 325 dossiers à traiter chaque année. Comme le projet de loi veut raccourcir la durée de la procédure de la demande d’asile, il va falloir qu’on en traite plus alors qu’on est déjà à plus d’un dossier par jour ouvrable », observe Nadia, 29 ans, rapporteuse depuis deux ans à la CNDA.
Elle connaît son travail et l’aime : « J’ai un master de droit public. Je pourrais sans doute gagner ailleurs plus que les 1 790 euros que je touche ici, mais je trouve que ma mission a un sens très fort et je veux continuer à pouvoir l’assurer correctement. » Déjà, elle dit « passer un temps fou » sur certains dossiers compliqués, car « des vies sont en jeu et la CNDA est la dernière chance du demandeur d’asile avant un potentiel renvoi ».
47 814 décisions rendues en 2017
A une semaine de la présentation du texte, la tension monte au siège de la CNDA. Une bonne partie des 434 agents s’oppose à la « logique comptable de l’asile qui fait primer le raccourcissement des délais de jugement sur la qualité de l’instruction des demandes et des décisions rendues », comme le résument les trois syndicats.
Eux comme les avocats qui travaillent sur cette juridiction disent non à la « réduction des délais de procédures à tous niveaux, l’élargissement du recours à la vidéo-audience sans le consentement des demandeurs, la levée du caractère suspensif de certains recours devant la cour qui va conduire à renvoyer des demandeurs d’asile avant que leur dossier soit jugé ici », insiste Virginie Dusen, une avocate du barreau de Paris qui défend depuis dix ans des exilés en quête d’un statut de réfugié. Les avocats de cette juridiction se sont eux aussi mis en grève, à l’unisson des rapporteurs et d’une partie du personnel de la Cour.
Avec 47 814 décisions rendues en 2017 dans un délai moyen de cinq mois et six jours, la CNDA a déjà considérablement réduit ses délais ces dernières années, mais reste en deçà des objectifs fixés par le gouvernement dans la loi à venir. Le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, souhaite que la procédure d’asile tienne intégralement dans un délai de six mois en partant de son enregistrement à l’Ofpra et jusqu’au rendu de la décision de la CNDA. Son but étant autant de pouvoir renvoyer les déboutés avant qu’ils ne fassent leur vie en France, et de mieux intégrer ceux qui obtiendront le statut.
Gagner quelques jours de procédure
En mettant la pression sur l’Ofpra et la CNDA, le ministre de l’intérieur oublie que ce n’est pas là que se trouve le vrai temps mort. Qu’il soit à Paris, Lyon, Toulouse ou ailleurs, un migrant passe quelques mois dans la rue à attendre de pouvoir entrer dans une plate-forme d’accueil des demandeurs d’asile, qui lui permettra d’avoir ensuite un rendez-vous devant un guichet unique où sa demande sera enregistrée… Ce délai pourrait être résorbée par le ministère de l’intérieur qui n’y parviendra pourtant pas avec les 150 postes affectés par le budget 2018 dans les préfectures.
Pour de nombreux interlocuteurs, la pression sur l’Ofpra et la CNDA a donc un autre but que de gagner quelques jours de procédure. Il s’agit surtout de faire fondre le nombre de demandeurs en limitant les temps de recours, certes, mais aussi en changeant le mode de traitement des dossiers. En clair, l’idée de ce projet de loi serait de dissuader de venir en France…
Les grévistes de la CNDA partagent cette analyse et regrettent déjà les évolutions récentes de leur travail.
« La proportion de dossiers traités par ordonnances, c’est-à-dire rejetés sans audience, a quasiment doublé en trois ans, passant de 17 % en 2014 à près de 30 % en 2017. Parmi ces dossiers, une proportion importante aurait nécessité d’être appelée en audience. Mais nombre de demandes d’asile jouent dès lors le rôle de variable d’ajustement, permettant d’atteindre les objectifs chiffrés de la cour », déplore l’intersyndicale dans un communiqué.
Ce mouvement n’est pas une première et les conditions de travail des agents de la CNDA sont dénoncées depuis plusieurs années. Entre 2010 et 2015, quatre mouvements sociaux autour de la charge de travail et de la rémunération des agents ont déjà secoué la juridiction qui n’a pas connu la même mue que l’Ofpra. Pas de commentaire du côté de la direction, qui n’a pas donné suite à nos appels et demandes écrites.