évolution des politiques publiques européennes en matière d’asile et d’immigration.

« Les gouvernements ne défendent plus le droit d’asile, qu’ils regardent comme une voie détournée de l’immigration »

Thierry Le Roy est arrivé au terme de son second mandat à la présidence de France terre d’asile, où lui succède l’ancienne ministre de l’éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem. Au moment de quitter cette fonction, il évoque ici à titre personnel, dans une tribune au « Monde », l’évolution des politiques publiques européennes en matière d’asile et d’immigration.

Publié le 07 juillet, dans Le Monde 2022

Les réfugiés d’Afghanistan et ceux d’Ukraine ont rencontré en Europe des mouvements de solidarité qui permettent de penser que l’asile et la protection des réfugiés restent des valeurs dans l’esprit des Européens. L’asile reste aussi reconnu comme un droit par les Etats parties à la convention de Genève, et revendiqué en Europe par les bénéficiaires de la protection internationale.

Le sommet européen de Tampere (1999), en Finlande, a posé les bases de l’exercice des compétences transférées aux Etats par le traité d’Amsterdam en matière d’asile et d’immigration. La tendance commune des dirigeants européens était de traiter à part les questions d’asile, réglées par le droit, et de les distinguer de l’immigration de séjour et de travail, regardée comme un aspect du marché intérieur. L’immigration de provenance extra-européenne (alors plus ou moins stoppée pour des pays comme la France) était regardée comme une affaire d’opportunité et de souveraineté nationales.

Pourtant, depuis la convention de Genève (1951) relative au statut des réfugiés, le paysage a changé. D’abord, les gouvernements ne défendent plus le droit d’asile qu’ils sont tenus d’appliquer. Ils regardent souvent l’asile comme une voie détournée de l’immigration provenant de pays tiers en crise, indistinctement économique et politique.

Des tensions sur le droit d’asile

De fait, les motifs des migrants demandeurs d’asile paraissent souvent mixtes, et nécessitent, pour la reconnaissance du statut de réfugié, une procédure longue et délicate, qui requiert en France des centaines d’agents et de juges, assortie d’un droit de recours qui doit être effectif, et au terme desquels les retours de ceux qui sont déboutés sont difficiles.

Cette situation crée, à elle seule, des tensions sur le droit d’asile. Les gouvernements en Europe se soucient presque tous de réduire la durée des procédures et, plus encore, l’accès même à la procédure sur leur territoire. Ils cherchent à arrêter les flux en amont des frontières, comme a fait l’Union européenne (UE) avec la Turquie en 2016, ou à convaincre les pays tiers de transit de les retenir. Parfois, les demandeurs d’asile sont refoulés.

Le Royaume-Uni vient même de voter une loi qui retire aux migrants arrivés irrégulièrement sur son territoire le droit d’y demander l’asile. La convention de Genève n’est plus seulement ignorée, mais bravée. Il y a désormais des politiques de l’asile (et de l’immigration), il n’y a pas de politique du droit d’asile comme l’avait imaginée en 1999 le sommet européen de Tampere.

Des difficultés à maîtriser les flux et contrôler les entrées

Dans le même temps, s’est développé face à cela le thème de l’impuissance des politiques publiques, désormais omniprésent : celle des Etats séparément, ou ensemble au sein de l’UE. Il y a encore une dizaine d’années, les institutions de l’UE travaillaient avec acharnement à un « paquet asile » de textes qui devaient à la fois harmoniser et mieux garantir l’exercice du droit d’asile dans les Etats membres, et organiser des politiques solidaires d’accueil des demandeurs d’asile.

Aujourd’hui, des observateurs pensent pouvoir affirmer que « les migrations (tous migrants confondus) ne dépendent pas des politiques migratoires des pays de destination ». En effet, les gouvernements peinent à maîtriser les flux, contrôler les entrées et renvoyer les migrants en situation irrégulière (déboutés ou « dublinés ») et s’en plaignent.

Cela alimente, du coup, l’argumentation des «no borders», qui plaident pour l’abolition des frontières, et des partisans du droit à la mobilité. On soupçonne même les ministres de l’intérieur de ne pas organiser pour les demandeurs d’asile un accueil digne et à la hauteur des flux par crainte des « appels d’air », question qui reste mal documentée.

Une issue qui n’est pas fatale

Une variante de ce thème de l’impuissance se retrouve dans les études statistiques des démographes, qui révèlent que, quoi qu’on fasse, les chiffres de l’immigration varient peu en longue période. Le sentiment d’impuissance rend timide.

Aujourd’hui encore, la présidence française de l’UE se contente, comme bilan, de mesures de consolidation des contrôles aux frontières extérieures et intérieures de l’UE. Le droit d’asile serait donc menacé par la paralysie des politiques publiques ? Cette issue n’est pourtant pas fatale. L’observation des politiques récentes des Etats européens, et de leur diversité, vient contredire ce premier regard.

Ecartons l’examen des pays européens en bloc, forcément trompeur car un grand nombre de ces pays, et non les plus peuplés, ont peu d’expérience historique de l’immigration venue d’autres continents. On peut citer à ce titre aussi bien la Suède (qui a fourni, en quelques années, des réponses très contrastées) que les pays de l’Est européen, encore peu ouverts (sauf pour les Ukrainiens de souche, et encore).

Des évolutions différentes

Mais il est intéressant de regarder l’évolution des grands Etats de l’Europe de l’Ouest, qui présentent des réponses politiques si différentes et si changeantes :

– l’Italie, pays d’entrée et de transit, devient pays d’immigration. Elle accueille une immigration de travail (à travers des quotas, qu’elle va augmenter) mais pas d’asile tant que le règlement Dublin ne sera pas réformé ;

– le Royaume-Uni, qui était autrefois l’image même de l’asile, persiste depuis le Brexit à mener une politique très dure contre toutes les formes d’immigration irrégulière, en y englobant les migrants qui demandent l’asile à sa frontière (à Calais). Mais peut-on regarder comme durable une politique qui se durcit tandis que le gouvernement qui la mène s’affaiblit ? Il existe donc une hypothèse de changement de politique à la prochaine alternance, à laquelle le gouvernement français devrait se préparer.

– l’Allemagne, premier pays européen d’asile et d’immigration, a beaucoup varié, à partir de 2016 avec les réfugiés syriens, et à nouveau en 2021 avec un nouveau gouvernement dont le « contrat de coalition » affiche une grande ouverture, notamment à l’immigration de travail ;

– la France, dont la situation en matière d’asile est comparable à celle de l’Allemagne, n’a pas suivi la même évolution. Alors que ces deux pays sont ceux qui accueillent en Europe, de loin, le plus de réfugiés, de demandeurs d’asile et d’exclus du système, la présidence française de l’UE n’a pas tenté de proposer une réponse politique commune à ces questions.

C’est peut-être le changement le plus voyant de ces dernières années pour les associations qui accompagnent les migrants et les demandeurs d’asile : la politique de la migration et de l’asile, thème du pacte sur la migration et l’asile proposé en 2020 par la Commission européenne, se joue désormais sur cette gestion des frontières, et non sur l’ensemble des dispositifs d’accueil et d’intégration (guichets saturés, hébergements et logements engorgés, accès limité à la langue, aux formations, au travail).

Même l’ouverture qui se dessine, ici ou là, de voies légales à l’immigration de travail, pour des raisons démographiques et économiques bien perçues, n’est pas intégrée comme un élément de résolution de la question de l’asile aujourd’hui sous pression. La souveraineté européenne doit-elle être réduite à la maîtrise de ses frontières ?

Thierry Le Royhaut fonctionnaire, ancien élève de l’Ecole nationale d’administration (promotion Simone Weil, 1974), était, depuis juin 2016, président de France terre d’asile. Membre du Parti socialiste, il a précédemment occupé de nombreux postes dans l’appareil d’Etat, notamment auprès de Nicole Questiaux, ministre de la solidarité nationale en 1981, comme directeur du cabinet de François Autain, secrétaire d’Etat chargé des immigrés, et directeur de cabinet du ministre de la culture Jack Lang, en 1984. Il a également travaillé de 1997 à 2000 auprès de Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’intérieur, comme responsable des affaires internationales

« Le Royaume-Uni se défausse de ses responsabilités en matière d’asile »

Brigitte Espuche :

Le Royaume-Uni a franchi le pas de la sous-traitance de l’asile en signant un accord avec le Rwanda, en avril dernier, afin d’y envoyer ses demandeurs d’asile. Mais la Cour européenne des droits de l’homme en a décidé autrement, clouant le premier avion au sol mi-juin. Co-coordinatrice du réseau Migreurop, Brigitte Espuche explique comment le Royaume-Uni et l’Europe en sont arrivés là.

Médiapart, Nejma Brahim, 26 juillet 2022

Le mois de juillet sera décisif pour les demandeurs d’asile du Royaume-Uni. En juin dernier, les premiers exilés qui devaient être « relocalisés » au Rwanda, qui a accepté de gérer leurs demandes d’asile sur son sol pour le compte du Royaume-Uni, ne sont finalement pas partis. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rendu une décision défavorable, empêchant l’avion de décoller in extremis.

L’annonce du départ programmé de Boris Johnson du poste de premier ministre ne devrait pas changer les plans. Pour lui succéder en septembre, la ministre des affaires étrangères Liz Truss affronte l’ancien chancelier de l’Échiquier, Rishi Sunak. Lors du débat qui les a opposés lundi soir, tous deux se sont prononcés en faveur de la poursuite du projet controversé.

Brigitte Espuche, co-coordinatrice du réseau Migreurop depuis 2015, décrypte l’avancée de la sous-traitance de l’asile, dont les conséquences sont souvent graves, et qui a déjà démontré ses limites en Australie. Elle pointe aussi les intérêts d’un État tiers non membre de l’Union européenne, comme le Rwanda, à accepter ce type d’accord. « Les exilés deviennent alors une monnaie d’échange : le marchandage se fait sur leur dos, en violation de leurs droits », relève la spécialiste des questions liées au contrôle des frontières et à l’externalisation.

Mediapart : En quoi consiste l’accord entre le Royaume-Uni et le Rwanda ?

Brigitte Espuche : C’est un partenariat de migration et de développement économique conclu en avril 2022, dont l’objectif est de sous-traiter au Rwanda, pays non membre de l’UE, les demandes de protection jugées irrecevables par le Royaume-Uni. En somme, il s’agit d’envoyer au Rwanda les personnes qui seraient arrivées sur le territoire britannique de manière dite « irrégulière », pour que le Rwanda gère leur demande de protection. Il est important de souligner que cet « accord » n’est pas un traité international. C’est un protocole d’entente, un arrangement qui relève du droit informel.

 

Le Royaume-Uni se défausse de ses responsabilités en matière d’asile. Les dirigeants cherchent aussi à faire de la communication politique sur la « maîtrise des flux migratoires » : l’une des promesses du Brexit était de diminuer les traversées dites « irrégulières » dans la Manche, or la mobilité à cette frontière ne freine pas, au contraire. Avec cet accord avec le Rwanda, le Royaume-Uni veut externaliser l’asile, et cela n’a rien de nouveau.

Le Royaume-Uni avait proposé dès 2003, avec Tony Blair, des centres « de transit » hors Europe pour y envoyer les demandeurs d’asile. Cette velléité d’externaliser l’asile est donc très ancienne. Mais à l’époque, les autres membres de l’UE considèrent que c’est un cap infranchissable du fait du principe de non-refoulement. Vingt ans plus tard, cette digue est rompue sans problème, aussi parce que le Royaume-Uni ne fait plus partie de l’UE.

Le Brexit a-t-il contribué à en arriver là ?

Sans doute en partie. Mais ce n’est pas la seule raison. Quand on est membre de l’UE, on est partie aux règlements européens, et en l’occurrence au règlement Dublin, qui impute la responsabilité de l’examen de la demande d’asile au premier pays européen foulé, où les empreintes sont prises. Une personne qui serait allée d’un pays A vers un pays B au sein de l’UE pour y demander l’asile, peut être renvoyée dans le pays A par le pays B au titre de Dublin. N’étant plus membre de l’UE, le Royaume-Uni ne peut plus faire cela. Il tente donc d’établir des accords bilatéraux avec certains États, d’abord européens – qui refusent –, puis avec un pays tiers, le Rwanda, qui a un intérêt financier et diplomatique à conclure ce genre d’accord informel. Cela pose problème, car ce protocole n’est pas juridiquement contraignant, et ne confère donc pas de droits ou d’obligations. Si le gouvernement n’a pas soumis cet arrangement au Parlement pour un vote ou un examen formel, la justice britannique devra se prononcer sur la légalité de ce protocole en septembre.

Le Royaume-Uni n’en est pas à sa première tentative pour se défausser de ses responsabilités en matière d’asile…

Le Royaume-Uni a en effet eu beaucoup d’idées pour externaliser l’asile. Au départ, il cherche à s’appuyer sur la « solution du Pacifique », mise en œuvre en 2000 par l’Australie, qui interdit l’accès à son territoire aux demandeurs d’asile placés en détention « offshore », sur deux îles au large de la Papouasie-Nouvelle Guinée (Manus et Nauru), pour que soit traitée leur demande d’asile. S’appuyant sur ce précédent, décrié partout, le Royaume-Uni propose en septembre 2020 de créer des camps externalisés, sur les îles de l’Ascension et de Sainte-Hélène (au milieu de l’Atlantique), voire dans des pays étrangers ou sur des ferries inutilisés, pour y maintenir les demandeurs d’asile le temps d’examiner leur requête. Cela ne fonctionne pas. Il propose ensuite, en septembre 2021, de légaliser les refoulements dans la Manche, mais se heurte à des contestations internes. Le ministère de l’intérieur français dit aussi que c’est contraire au droit international (bien que la France elle-même refoule à ses frontières) et qu’il ne l’acceptera pas. Le Royaume-Uni a finalement trouvé un allié auprès du Rwanda, qui a accepté le deal mais impose de pouvoir accepter chaque personne que le Royaume-Uni lui envoie.

Sur quels critères le Rwanda peut-il refuser une personne ?

Par exemple, il a déjà souligné qu’il n’accepterait pas les mineurs. Le Rwanda peut aussi décider de ne pas traiter une demande de protection, et donc ne pas accepter une personne que le Royaume-Uni veut lui envoyer. Mais il peut aussi l’accepter et la débouter de sa demande d’asile, ce qui impliquerait d’expulser cette personne de son territoire ensuite. Selon la législation internationale, il faudrait un accord entre le Rwanda et le pays d’origine du requérant. Mais on sait qu’en Afrique comme en Europe, des refoulements sauvages existent sans accords de réadmission.

Cet accord viole-t-il le droit international et la convention relative aux réfugiés ?

Oui, c’est une violation de l’esprit et de la lettre de la convention de Genève que de prévoir la possibilité pour deux partenaires d’externaliser l’asile hors du territoire européen. Mais le plus préoccupant reste les critères extrêmement larges sur lesquels s’appuie le Royaume-Uni pour envoyer au Rwanda les personnes dont la demande d’asile n’est pas jugée « recevable ». Car les critères d’irrecevabilité sont extrêmement larges : toute demande peut être irrecevable si le requérant est passé par des postes-frontières non habilités, a effectué un voyage dangereux en small boat ou par camion, ou est passé par un pays tiers sûr qui aurait pu lui octroyer l’asile.

De plus, le Rwanda n’a rien à voir avec le parcours migratoire de ces exilés. L’un des arguments utilisés pour justifier l’externalisation de l’asile consiste à dire que les personnes doivent être protégées au plus près de leur région d’origine. Parmi les nationalités qui étaient dans l’avion, il y avait un Albanais, deux Kurdes irakiens, trois Iraniens, un Vietnamien. Le Rwanda est bien loin de ces pays. Il faudrait s’intéresser au choix des personnes, qui vont d’abord vers un pays où il y a une communauté qui peut les soutenir, des opportunités économiques et une langue commune. Ces critères-là ne sont pas du tout pris en compte dans cet accord avec le Rwanda. Seul l’intérêt du Royaume-Uni prime.

Du côté du Rwanda, les intérêts sont-ils purement financiers ?

Des lieux d’hébergement ont été aménagés, appelés « centres d’accueil », et financés grâce à ce protocole d’entente à hauteur de 120 millions de livres, soit 145 millions d’euros. Autant d’argent qui n’est pas utilisé pour l’accueil mais pour l’externalisation, c’est énorme. Ses intérêts sont aussi diplomatiques. En faisant du Rwanda un partenaire légitime, on le réhabilite au niveau international et il redevient un interlocuteur fiable et respectable. Cela permet de faire fi des voix qui s’élèvent en dehors ou à l’intérieur du pays pour dénoncer les restrictions à la liberté d’expression ou aux droits des personnes LGBTI.

D’ailleurs, il est intéressant de pointer que le Rwanda peut décider d’examiner la demande d’asile des personnes qu’on lui envoie en vertu des critères de la convention de Genève, et donc des personnes LGBTI. Quand on sait les critiques faites au Rwanda sur ce sujet, on se pose des questions sur la manière dont seront traitées ces demandes. Les demandeurs d’asile au Rwanda auront-ils accès à des procédures équitables et efficaces ? C’est l’une des questions posées par la CEDH dans sa décision mi-juin.

Sur quoi s’est justement basée la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui a stoppé in extremis le décollage de l’avion qui devait acheminer les premiers migrants au Rwanda, le 14 juin dernier ?

Son argument est de dire qu’on ne peut procéder à ces expulsions tant que la justice britannique ne s’est pas prononcée sur la légalité du deal, et que le Royaume-Uni ne s’est pas assuré que le Rwanda est un pays sûr. La Cour dit aussi qu’il existe un risque de violation de la convention européenne des droits de l’homme, à laquelle le Rwanda n’est pas partie. Rien ne garantit que cet accord informel sera respecté par le Rwanda, et aucun mécanisme obligatoire ne permet aux demandeurs déjà au Rwanda de revenir en Angleterre si cette expulsion est jugée illégale par les tribunaux nationaux. La Cour estime qu’il y a un risque de dommage irréparable à partir du moment où l’on ne sait pas s’ils le pourront.

Le Rwanda se considère quant à lui comme un pays sûr, soulignant que depuis 2019, il accueille dans le cadre du mécanisme de transit d’urgence les personnes évacuées de Libye. Pour lui, cela gage du respect des droits humains au Rwanda. Sauf que les opposants et la société civile pointent les restrictions des libertés, qui pourraient s’appliquer aux étrangers.

La décision de la CEDH est-elle assez significative pour dire que cet accord bafoue les droits des exilés ?

Oui. En tout cas, elle vient sauver ce qui reste du principe de non-refoulement. Et elle vient surtout rappeler au Royaume-Uni qu’il est toujours membre du Conseil de l’Europe et toujours partie à la convention européenne des droits de l’homme et à la convention de Genève, qui l’obligent. En gros, ce n’est pas parce que le pays n’est plus membre de l’UE qu’il n’a plus d’obligations en vertu du droit international et du droit d’asile.

La réponse de Boris Johnson a d’ailleurs été de dire que le Royaume-Uni pourrait se retirer de la convention européenne des droits de l’homme. Et il en a la possibilité. Une nouvelle déclaration des droits est en cours d’examen pour remplacer la loi sur les droits de l’homme actuelle. Les opposants estiment que ce projet de loi va créer une catégorie acceptable de violations des droits.

L’externalisation a déjà été mise en œuvre ailleurs dans le monde par le passé. A-t-elle montré ses limites ?

Il y a des modèles précédents. Guantánamo était un centre pour demandeurs d’asile avant d’être une prison militaire. Comme dit plus haut, l’Australie a mis en place l’externalisation dès les années 2000. Plus récemment, ce qui s’est joué entre l’Italie et la Libye, ou entre la Turquie et la Grèce, est aussi un vrai précédent.

Mais collaborer avec un État tiers a des conséquences. Ce dernier va souvent utiliser le marchandage, intrinsèque à l’externalisation, pour se retourner contre l’UE. Cela a été le cas pour la Turquie avec la Grèce en mars 2020, le Maroc avec l’Espagne en mai 2021 et la Biélorussie avec la Pologne dès août 2021. Les exilés deviennent alors une monnaie d’échange : le marchandage se fait sur leur dos, en violation de leurs droits. C’est l’effet boomerang de l’externalisation. Il y a aussi un effet boule de neige, qui permet à d’autres États tiers de négocier l’argent de l’UE, comme le Kenya a pu le faire en menaçant de fermer le plus grand camp de réfugiés au monde, Dadaab. C’est terriblement cynique.

Quelles conséquences sur la vie des exilés ?

Une violation absolument totale de leurs droits. Les Nations unies ont largement critiqué la « solution du Pacifique », tandis que l’Australie ne s’est jamais cachée du fait qu’elle ne respectait pas le droit international.

Sur les îles de Manus et de Nauru, leurs conditions de vie sont terribles. Au Rwanda, même si les autorités affirment que tout serait mis en œuvre et que les demandeurs d’asile seraient bien traités, avec des dépenses journalières à hauteur de 67 euros par jour et par personne, on ne sait pas ce qu’il en sera. Des risques subsistent. Et les personnes n’ont de toute façon pas fait le choix de demander une protection au Rwanda ou de s’y établir.

Comment expliquer que la sous-traitance des migrations et de l’asile soit autant dans l’ère du temps ?

C’est une tendance qui vient de loin. Les premières velléités datent de 1986 avec le Danemark (qui a d’ailleurs également conclu en avril 2021 un protocole d’entente avec le Rwanda, et adopté en juin 2021 une loi lui permettant d’externaliser l’asile). Et c’est parce qu’elles sont profondes qu’elles se donnent à voir aujourd’hui. Entre-temps, des digues se sont rompues. Depuis 2015 en particulier, la protection des frontières prime sur la protection des personnes. Les États européens ne veulent plus accueillir. Le seul consensus qui existe au sein de l’UE est de tarir à la source les mouvements migratoires ou de renvoyer les personnes considérées comme indésirables au plus vite. Le précédent entre la Turquie et la Grèce en 2016 a permis de franchir un seuil sur la base d’une « déclaration », des exilés déjà arrivés sur le territoire grec ont été renvoyés vers la Turquie, considérée par la Grèce comme un pays sûr. On est dans l’externalisation de l’asile pure.

L’argument fallacieux utilisé pour justifier cela est souvent de sauver des vies, d’éviter aux exilés de prendre des risques durant le parcours migratoire. Mais en réalité, on « relocalise » des gens qui sont déjà sur le territoire européen. Pourquoi on sous-traite dans des pays non européens ? parce qu’ils ne sont pas soumis aux mêmes standards de protection. On a donc des États soumis à des réglementations qu’ils ne souhaitent pas respecter, qui passent par un pays tiers qui n’y est pas soumis, pour qu’il mette en œuvre la politique que les premiers ont choisie, en échange de contreparties. L’externalisation, c’est la délocalisation de la gestion des migrations et de l’asile mais aussi la déresponsabilisation des États qui sous-traitent.

Pour y parvenir, tous les coups juridiques et politiques sont permis. On a franchi des lignes rouges, et il sera difficile de revenir en arrière. Le fait de sous-traiter, loin de nos frontières, est une façon de ne pas s’exposer aux critiques et d’invisibiliser les conséquences. C’est contourner le droit européen. Ces évolutions caractérisent la remise en cause du cœur du projet européen et du droit international, en évitant la supervision démocratique. C’est le plus préoccupant pour l’avenir.

Au lieu d’externaliser, que faudrait-il faire ?

Pour Migreurop, la réponse est simple. Respecter le droit international : accueillir, protéger, et garantir le droit à la mobilité. A minima, il faudrait accueillir les demandeurs d’asile qui se présentent à nous et étudier leur demande sur le sol européen. Donner à chacun la liberté de choisir librement le pays d’accueil dans lequel il souhaite demander une protection et s’établir. Et en définitive défendre la liberté de circulation de toutes et tous au nom du principe d’égalité.

Immigration : la cour des comptes étrille les lourdeurs administratives

 

Le Monde,par Julia Pascual Publié le 05 mai 2020 à 10h00 – Mis à jour le 06 mai 2020 à 19h12

Simplifier le droit au séjour. Après des années de politiques migratoires échafaudées dans un objectif de « maîtrise » des flux, les procédures de l’immigration régulière sont devenues « inutilement longues et complexes ». Dans un rapport qui devait être rendu public mardi 5 mai sur « l’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères », la Cour des comptes étrille les lourdeurs administratives qui entourent le droit au séjour.

La France se situe « parmi les grands pays les plus restrictifs », constate le rapport. Près de 280 000 premiers titres de séjour ont été délivrés en 2019. Si cela représente une hausse de 30 % en dix ans, à l’arrivée, la France n’a délivré que 3,72 titres pour 1 000 habitants, soit beaucoup moins que son voisin allemand (12,18 titres), que la Suède (14,53 titres) ou encore que l’Espagne (7,65 titres). « Seuls les Etats-Unis délivrent moins de titres que notre pays (3,67 titres) », souligne le document.

Corollaire de cette approche limitative, les procédures se distinguent par leur lourdeur. Aujourd’hui, une personne passe en moyenne 3,7 fois en préfecture et attend entre quatorze et deux cents jours pour obtenir un titre de séjour qui, le plus souvent, est de courte durée. Ainsi, l’administration n’accorde quasiment pas de cartes de séjour permanent (43 en 2018) et les naturalisations – instruites selon des délais « anormalement longs » − ont baissé de 28 % en dix ans. A contrario, 76 % des premiers titres délivrés le sont pour moins d’un an, de même que les deux tiers des titres renouvelés.

« Plus grande restrictivité »

Cette réalité alimente de multiples tensions :

« Files d’attente importantes le matin et saturation des guichets dès leur ouverture, réception du public limitée à quelques demi-journées par semaine, obligation de se présenter en personne sans certitude d’être reçu, et, épisodiquement dans les préfectures les plus engorgées, fermeture des services de plusieurs jours à plusieurs mois le temps de résorber une partie des stocks de dossiers. »

« Les conditions de gestion des titres de séjour par les préfectures sont dégradées et pénibles, tant pour les personnes concernées que pour les agents de l’Etat », soulignent les magistrats de la Rue Cambon.

Cette situation a en outre eu tendance à s’accentuer, notamment sous l’effet d’une montée en charge des demandes d’asile. « La priorité donnée à l’asile en termes d’attention et de moyens a eu pour contre-effet de ralentir la modernisation des procédures de l’immigration régulière », souligne la Cour des comptes, qui, pour plus d’efficacité, recommande d’alléger les formalités de procédures et d’allonger la durée des titres, notamment en automatisant le renouvellement de ceux qui s’y prêtent.

Outre qu’elle a asphyxié par endroits les services de l’Etat, la volonté de maîtrise de l’immigration affichée par les gouvernements a été source de nombreuses réformes : pas moins d’une dizaine de textes législatifs et réglementaires ont vu le jour ces quinze dernières années, « dans le sens d’une plus grande restrictivité ». A cette occasion, le ministère de l’intérieur a progressivement ramené à lui « l’essentiel des compétences en matière d’immigration », qu’il s’agisse de naturalisations, d’accueil, de visas et, bientôt, d’immigration professionnelle.

Politique obsolète et déconnectée des besoins

Toutefois, observe la Cour, ce « durcissement des conditions de séjour en France » n’a qu’une portée relative, le régime des entrées sur le territoire ne relevant que pour partie d’un pouvoir discrétionnaire de l’administration. « Seule la moitié des premiers titres accordés en 2018 procède d’une décision entièrement maîtrisée par les autorités publiques, rappelle le rapport. L’autre moitié étant la contrepartie de droits individuels protégés par la Constitution et l’ordre juridique international, que l’Etat ne peut ni prévoir ni restreindre. »

Ainsi en est-il de l’immigration familiale − plutôt stable – et humanitaire – qui augmente indépendamment des efforts menés pour durcir les conditions matérielles d’accueil et réduire les délais d’instruction des demandes d’asile « en partie conçus comme des signaux supposés décourager les demandes infondées ».

Restent l’accueil d’étudiants et l’immigration professionnelle. Si le premier a augmenté de 40 % en dix ans pour dépasser les 90 000 titres en 2019, la seconde est « tombée à un niveau d’étiage tout au long de la dernière décennie », notent les auteurs. Moins de 40 000 titres ont été délivrés pour motif économique en 2019, soit 14 % du total des admissions au séjour. Reprenant un constat largement documenté, la Cour des comptes regrette une politique obsolète et déconnectée des besoins. « La tentative de recentrage des arrivées sur les talentsn’est pas encore probante, les flux concernés, hors échanges académiques, apparaissant faibles, relève-t-elle. En sens inverse, les tensions constatées sur le marché du travail portent sur des métiers peu qualifiés, qui sont presque totalement fermés à l’immigration. »

Les velléités de réforme affichées par le gouvernement fin 2019, à travers notamment l’instauration de « quotas » – et ajournées dans le contexte de crise sanitaire actuelle –, convainquent peu les auteurs du rapport. « Plutôt qu’un système étendu de quotas qui n’a guère de vraisemblance, écrivent-ils, le contexte de concurrence internationale accrue vis-à-vis des travailleurs qualifiés et les tensions que rencontrent plusieurs secteurs d’activité en matière de recrutement pourraient justifier une modernisation ambitieuse des voies d’immigration professionnelle fondée sur des cibles quantitatives pluriannuelles et un système de sélection par vivier. »

 

 

HCR // Le nombre de personnes déracinées à travers le monde dépasse 70 millions

https://www.unhcr.org/statistics/unhcrstats/5d08d7ee7/unhcr-global-trends-2018.html

Le nombre de personnes déracinées à travers le monde dépasse 70 millions ; le chef du HCR appelle à davantage de solidarité

Le nombre de personnes fuyant la guerre, les persécutions ou les conflits a dépassé 70 millions en 2018. Il s’agit d’un niveau sans précédent, jamais atteint en bientôt 70 années d’existence du HCR.

Selon les statistiques collectées dans le cadre du rapport annuel du HCR Tendances mondiales, près de 70,8 millions de personnes dans le monde sont aujourd’hui déracinées. Pour situer les choses dans leur contexte, cela représente le double du nombre de personnes déracinées il y a 20 ans, 2,3 millions de personnes supplémentaires par rapport à l’an dernier. Ce chiffre représente une population qui se situerait entre celle de la Thaïlande et de la Turquie.

En outre, ce nombre de 70,8 millions reste une estimation prudente, notamment car il ne reflète que partiellement la crise au Venezuela. Au total, quelque 4 millions de Vénézuéliens, selon les statistiques fournies par les gouvernements des pays qui les accueillent, ont quitté leur pays, ce qui en fait l’une des plus importantes crises de déplacement de population au monde. Bien que la plupart de ces personnes doivent pouvoir bénéficier du système de protection internationale des réfugiés, à peine un demi-million d’entre elles ont introduit officiellement, à ce jour, une demande d’asile.

« Ces chiffres confirment à nouveau la hausse sur le long terme du nombre de personnes ayant besoin d’être protégées à cause des guerres, des conflits et des persécutions. Bien que la rhétorique au sujet des réfugiés et des migrants soit souvent toxique, nous assistons également à une vague de générosité et de solidarité, en particulier de la part des communautés qui accueillent déjà un grand nombre de réfugiés. Nous constatons également une implication sans précédent de la part de nouveaux acteurs, notamment dans les secteurs du développement, des entreprises privées et des particuliers, ce qui reflète non seulement la mise en œuvre du Pacte mondial sur les réfugiés, mais aussi son esprit », a souligné le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Filippo Grandi. « Nous devons nous appuyer sur ces exemples positifs et renforcer notre solidarité envers des milliers de personnes innocentes qui, chaque jour, sont contraintes de fuir leur foyer. »

Parmi les 70,8 millions de personnes dont il est question dans le rapport statistique Tendances mondiales, on peut distinguer trois principaux groupes. Le premier groupe est celui des réfugiés, c’est-à-dire des personnes contraintes de fuir leur pays à cause d’un conflit, d’une guerre ou de persécutions. En 2018, le nombre de réfugiés à travers le monde était de 25,9 millions de personnes, soit 500 000 de plus qu’en 2017. Ce total inclut 5,5 millions de réfugiés de Palestine, relevant de la responsabilité de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient

Le second groupe est constitué des demandeurs d’asile – c’est-à-dire des personnes qui se trouvent en dehors de leur pays d’origine et qui bénéficient d’une protection internationale, mais demeurent dans l’attente d’une réponse à leur demande d’obtention du statut de réfugié. A la fin 2018, on dénombrait 3,5 millions de demandeurs d’asile dans le monde.

Le troisième groupe, qui est aussi le plus important – avec 41,3 millions de personnes dans cette situation –, comprend les individus déplacés vers d’autres régions au sein de leur propre pays, une catégorie souvent appelée les déplacés internes.

La hausse globale du nombre de personnes déracinées continue de dépasser le rythme auquel des solutions durables peuvent leur être trouvées. La meilleure option pour tout réfugié est de pouvoir rentrer chez lui de manière volontaire, dans la sécurité et la dignité. D’autres solutions incluent l’intégration dans la communauté d’accueil ou la réinstallation dans un pays tiers. Cependant, seulement 92 400 réfugiés ont été réinstallés en 2018, soit moins de 7% des personnes en attente d’une réinstallation. Environ 593 800 réfugiés ont pu rentrer chez eux et 62 600 autres ont été naturalisés.

« Quelle que soit la situation des personnes réfugiées – l’endroit où elles se trouvent ou le temps écoulé, il faut mettre l’accent sur la recherche de solutions et éliminer les obstacles qui empêchent ces personnes de rentrer chez elles », a ajouté Filippo Grandi. « Il s’agit d’une tâche complexe à laquelle le HCR dévoue toutes ses compétences, mais elle exige également que tous les pays unissent leurs efforts afin d’œuvrer pour le bien commun. Il s’agit de l’un des plus grands défis de notre époque. »

Tendances mondiales 2018 : 8 faits marquants

 

  • ENFANTS : En 2018, un réfugié sur deux était un enfant. Parmi ces enfants, nombreux sont ceux qui sont seuls et sans leur famille (111 000).
  • JEUNES ENFANTS : L’Ouganda, par exemple, a enregistré 2800 enfants réfugiés âgés de cinq ans ou moins, seuls ou séparés de leur famille.
  • MILIEU URBAIN : Davantage de réfugiés vivent dans une ville (61%) plutôt que dans une zone rurale ou un camp de réfugiés.
  • PAYS RICHES ET PAUVRES : Les pays à revenu élevé accueillent en moyenne 2,7 réfugiés pour 1000 habitants ; les pays à faible ou moyen revenu hébergent en moyenne 5,8 réfugiés pour 1000 habitants ; les pays les plus pauvres accueillent un tiers des personnes réfugiées à travers le monde.
  • LOCALISATION : Environ 80% des réfugiés vivent dans des pays voisins de leur pays d’origine.
  • DURÉE : Près de 4 personnes réfugiées sur 5 sont dans des situations de déplacements qui durent depuis au moins cinq ans. Une personne réfugiée sur cinq est dans une situation de déplacement qui dure depuis 20 ans voire davantage.
  • NOUVEAUX DEMANDEURS D’ASILE : En 2018, le plus grand nombre de dépôts de nouvelles demandes d’asile provenait de Vénézuéliens (341 800).
  • PROBABILITÉ : La proportion d’individus dans le monde qui sont réfugiés, demandeurs d’asile ou déplacés internes est passée à 1 sur 108 en 2018. Il y a dix ans, cette proportion était de 1 sur 160.

Ce communiqué de presse est disponible ici

 

Les jours // La doctrine, le secret le mieux gardé de l’OFPRA

Grâce à un agent refusant l’omerta, « Les Jours » ont eu accès à la feuille de route ultrasecrète des entretiens avec les demandeurs d’asile russes.

20 mars 2019 Épisode n° 7

Serge sort de son sac à dos un document. C’est un imprimé qui ne paie pas de mine. Une trentaine de pages tout au plus, recto verso. Son nom officiel : « Note d’appui à l’instruction ». C’est pourtant l’un des secrets les mieux gardés de l’Ofpra, l’Office français des réfugiés et apatrides. Cette note – celle que nous a apportée l’officier de protection (OP) concerne la Russie – est un des éléments qui forment la « doctrine », comme on l’appelle dans le jargon de l’Ofpra, c’est-à-dire l’ensemble des textes qui détaillent, pays par pays, les profils typiques des demandeurs d’asile et la position de l’Office face à leurs dossiers.

« Globalement, il y a tout. 90 % de la demande est là-dedans », explique Serge en tapotant du doigt le document. En langage décodé : 90 % des cas de figure que pourra rencontrer un officier de protection face à un demandeur d’asile venu de Russie s’y trouve. L’élaboration de cette doctrine est confiée aux référents géographiques de chaque zone, des gens « qui traitent la demande d’un pays depuis longtemps et qui le connaissent assez bien », précise Serge. Dans la forme, les notes se suivent et se ressemblent : une présentation très sourcée de la situation du pays, suivie des questions que doit absolument poser l’OP pour ne pas rater son entretien. Et puis, juste derrière, la position de l’Ofpra sur tel ou tel profil de demandeur, enrichie de propositions de décisions positives ou négatives, motivées par des arguments. « On reprend des argumentaires qui sont prouvés. C’est dû au caractère répétitif, à une similarité des profils des demandeurs », justifie Serge.

Le travail de l’officier est d’établir que le demandeur est bien témoin de Jéhovah, mais aussi qu’il craint pour sa vie en Russie du fait de sa religion. C’est là où la doctrine entre en jeu

Si le demandeur est témoin de Jéhovah, par exemple, l’officier pourra lire dans la doctrine qu’un jugement de la Cour suprême russe datant d’avril 2017 interdit la pratique de cette religion. Mais, souligne Serge, « ce n’est pas parce qu’il y a eu cette décision que tous les témoins de Jéhovah vont être persécutés ». Toute la subtilité du travail de l’OP est donc d’établir que le demandeur non seulement est bien témoin de Jéhovah, mais aussi qu’il craint pour sa vie en Russie du fait de sa religion. C’est là où la doctrine entre en jeu : « Ce document nous explique comment on va devoir mener l’entretien, en lui posant des questions sur sa pratique religieuse, sur ce que la personne a vécu, comment elle a pu être prise pour cible par les autorités russes, éventuellement. » Parmi les questions soufflées à l’agent : « Des membres de votre communauté ont-ils effectivement fait l’objet de poursuites depuis l’interdiction de la Cour suprême ? À quelle peine ont-ils été condamnés ? » En fonction de la réalité de la persécution (ou d’une crainte avérée), l’OP rédigera un accord ou un rejet, qu’il pourra en partie copier sur les modèles proposés par la doctrine.

 

Autre exemple. Si le demandeur est homosexuel, le document propose également une réponse. Enfin… un début de réponse, car les choses sont, là encore, complexes. Rappelons-le, pour qu’une personne soit éligible à l’asile en France, il faut qu’elle entre dans les cases de la Convention de Genève (lire l’épisode 6, « “Il y a des gens qui craquent. Et ils ne font pas semblant de craquer” ») et donc qu’elle craigne « avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ». Mais où donc classer l’homosexualité là-dedans ? Depuis un arrêt du 7 novembre 2013 de la quatrième chambre de la Cour de justice de l’Union européenne, les personnes homosexuelles peuvent être protégées du fait de leur « appartenance à un groupe social ». Mais il y a une complication : selon la doctrine de l’Ofpra, les homosexuels ne constituent pas un « groupe social » dans tous les pays. Mais en Russie, si. « Car ils partagent des caractéristiques, un vécu commun. La doctrine dit clairement qu’être gay ou lesbienne en Russie, c’est pas cool », résume Serge dans son style bien à lui. Très concrètement, c’est ainsi que la doctrine propose de rédiger la décision : « Le climat général de harcèlement à l’égard des militants LGBT et l’homophobie cautionnés ou tolérés par l’État décrit par la DIDR (la Division de l’information, de la documentation et des recherches, qui a pour mission de fournir la documentation nécessaire à la prise de décision des OP, ndlr) qui précise que les autorités russes chargées de l’application des lois refusent régulièrement de diligenter des enquêtes pénales sur les agressions ciblant les personnes LGBT et, lorsqu’elles y consentent, ne reconnaissent pas ni ne prennent dûment en compte les circonstances aggravantes qui accompagnent ces faits, permettent de considérer au vu des déclarations personnalisés étayées de l’intéressé relatives à son propre vécu que celui-ci craint d’être exposé à des persécutions du fait de son appartenance au groupe social des homosexuels de Russie. »

Au bout d’un moment, tu te dis que les demandeurs ne peuvent pas tous te raconter des craques à ce point-là !

Serge, officier de protection, refuse parfois de suivre la « doctrine »

Sauf que, pour arriver à cette conclusion, l’officier doit d’abord remplir une mission épineuse : établir que le demandeur est bel et bien gay, comme il l’affirme. Or, là, la doctrine ne donne pas beaucoup de billes à ses agents : « Il n’y a pas de questions-types. Surtout pas », précise Serge. L’OP pourra aller bûcher un autre document de l’Ofpra, les « lignes directrices pour l’instruction de la demande d’asile fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre ». Long de 40 pages, il donne aux agents « un cadre », tous pays confondus, indique le magazine Têtu, qui a pu le consulter : les définitions des termes « homosexualité », « bisexualité » et « transidentité », les « questions à éviter » ou encore « les bonnes pratiques ». Serge nous explique qu’il est ainsi recommandé aux officiers d’éviter de demander aux demandeurs comment ils ont découvert leur homosexualité ou de rentrer dans les détails de leurs pratiques sexuelles. Pour le reste, Serge et ses collègues ne disposent que de leur bon sens : « On marche vraiment sur des œufs », confie-t-il, avouant qu’il est rarement sorti d’entretien en étant persuadé à 100 % que le demandeur était vraiment homosexuel.

Comme tous les agents de l’Ofpra, Serge fonde a priori ses décisions sur cette fameuse doctrine, même s’il s’autorise une marge de manœuvre : « C’est pas un truc monolithique, c’est une appréciation. C’est pas parce que la doctrine le dit que je vais nécessairement l’appliquer de manière robotique. » Pour certains pays – l’Albanie, la Géorgie, par exemple –, il est en désaccord avec la doctrine. Après de très nombreux entretiens avec des ressortissants de ces pays, il estime que l’Ofpra a une appréciation beaucoup trop angélique de la situation là-bas, ce qui fausse les évaluations. « Au bout d’un moment, tu te dis que les demandeurs ne peuvent pas tous te raconter des craques à ce point-là ! » À l’inverse, il estime que l’Ofpra se montre parfois trop protectrice. « Dans certains pays, je considère qu’il n’y a pas de raison de faire du “1A2” (faire rentrer ces demandes dans les critères de l’article premier A2 de la Convention de Genève, ndlr) pour les personnes LGBT », explique-t-il, car leur situation ne cadre pas, d’après lui, avec la définition de ce qu’est un groupe social.

Les notes, très sensibles, sur la Syrie, l’Afghanistan ou l’Irak ne sont accessibles qu’aux officiers qui s’occupent de la nationalité en question. Interdit de les imprimer

Certaines notes – comme celles, très sensibles, sur la Syrie, l’Afghanistan ou l’Irak – ne sont accessibles qu’aux officiers qui s’occupent de la nationalité en question. Il leur est même formellement interdit de les imprimer. Ce culte du secret n’est pas partagé par nos voisins. Le site du Home Office, le bureau de l’Intérieur anglais, met ainsi à disposition une cinquantaine de documents détaillant chaque thématique liée à l’asile – ce qui n’empêche pas de très discutables arrangements avec les autorités de certains pays, comme l’Érythrée, ainsi que l’a révélé The Guardian, en janvier 2017.

Alors, pourquoi la France est-elle si attachée au secret de sa doctrine ? « L’institution cherche à se protéger elle-même. Quand tu fais de l’asile, tu fais de la politique aussi. L’appréciation que tu donnes sur un pays est proprement politique », avance Serge, qui regrette cette situation. Il y a aussi la volonté d’éviter de recevoir des demandes biaisées. Il s’agit d’empêcher que les passeurs sachent ce qui est considéré comme « crédible » par l’Office et revendent des récits ad hoc. Ou que les migrants s’appuient sur ces documents pour remplir artificiellement les critères. Interrogée sur le mystère qui entoure la doctrine, l’Ofpra se montre assez laconique : « La variété des informations qui sont contenues [dans la note d’appui à l’instruction], et donc leur vocation variable à être publiques, ne permettent pas une diffusion en l’état », nous explique par mail Sophie Pegliasco, la directrice de cabinet de l’Office. Elle ajoute néanmoins une précision qui nous intéresse davantage : « Les agents de l’Office sont soumis aux obligations qui relèvent du statut général de la fonction publique, au nombre desquelles l’obligation de réserve. »

Tout ce qu’on apprend à l’Ofpra, tout ce qu’on va apprendre dans notre formation, tout ce qu’on voit, on l’emporte avec nous dans notre tombe.

Claire, ex-officière de protection à l’Ofpra

En effet, à l’Ofpra, le secret dépasse le seul cas de la doctrine. Présent partout, il est clairement affiché dès qu’un agent met le pied à l’Office. Serge s’en souvient : « Le premier ou le deuxième jour où je suis arrivé à l’Ofpra, on m’a dit qu’il était hors de question de parler aux journalistes. Chape de plomb, clairement. » Même témoignage de la part de Claire, ex-OP, partie de l’Office aujourd’hui. Lors de sa première formation, le directeur général de l’époque, Pascal Brice, lui avait expliqué ainsi qu’à tous les nouveaux qu’ils avaient un devoir de réserve : « Tout ce qu’on apprend à l’Ofpra, tout ce qu’on va apprendre dans notre formation, tout ce qu’on voit, on l’emporte avec nous dans notre tombe. » Alors, évidemment, les témoignages d’OP ont été difficiles à recueillir pour cette obsession. Si Serge a choisi de s’exprimer, c’est justement parce qu’il refuse l’omerta imposée par l’Ofpra : « Putain, c’est quand même payé par les impôts des gens, quoi ! On peut gueuler sur l’usage des impôts quand il s’agit d’autres choses mais pas quand il s’agit d’une administration ? »

Au-delà de la question fiscale, l’Ofpra est aussi le représentant de la « tradition de l’asile de la France » : accueillir et gérer les flux – massifs ces dernières années – de migrants, de réfugiés et d’apatrides qui arrivent sur notre territoire. Une mission généreuse que la France brandit régulièrement comme un symbole. Loin, très loin des calculs et des décisions qui se jouent en secret.

La Cimade // Ce qui entre en vigueur le 1er janvier 2019 en matière d’asile

https://www.lacimade.org/ce-qui-entre-en-vigueur-le-1er-janvier-2019-en-matiere-dasile/

Trois décrets ont été pris pour l’application de la loi du 10 septembre 2018 . Le plus important est celui du 14 décembre 2018 

FRONTIÈRE ET DEMANDE D’ASILE

La police aux frontières peut notifier un refus d’entrée à une personne interpellée à dix kilomètres d’un poste frontière lorsque le contrôle aux frontières intérieures de l’Espace Schengen est rétabli. Exemple, une personne qui est interpellée dans un train à Roquebrune Cap-Martin (soit à dix kilomètres de Menton) peut être refoulée en Italie.  Depuis septembre, ce refoulement peut se faire sans que la personne puisse demander à bénéficier d’un jour franc (y compris lorsqu’elle est mineure alors qu’elle ne peut contester cette décision sans un représentant légal).

Asile à la frontière

Possibilité pour l’OFPRA de faire des entretiens par téléphone à la frontière (pratique courante encore mais sans base légale). Sinon l’entretien doit avoir lieu de vive-voix à Roissy et par visio-conférence (carte des lieux concernés) .

ENREGISTREMENT DANS LES GUICHETS UNIQUES DES DEMANDEURS D’ASILE (GUDA)

Après s’être rendue dans une structure de premier accueil (SPADA) (voir carte) ou être hébergée dans un centre d’accueil et d’étude de situation (CAES), la personne étrangère fait enregistrer sa demande d’asile auprès du guichet unique de demandes d’asile (GUDA).  A cette occasion, il lui est demandé de choisir une langue dans une liste établie par l’OFPRA. Ce choix lui sera opposable pendant toute la procédure. Si un interprète n’est pas disponible, il peut être décidé de prendre un interprète dans une langue dont il est raisonnable de penser qu’elle la comprend.

Si la personne relève de la procédure Dublin, elle est orientée vers le pôle régional Dublin (voir article).

Si la personne demande l’asile plus de 90 jours après son entrée irrégulière, elle est placée en procédure accélérée par constat du préfet. Ce délai est réduit à 60 jours en Guyane.

ORIENTATION DIRECTIVE

Lors du passage au GUDA, l’OFII fait l’offre de prise en charge. En fonction d’une clé de répartition qui sera fixé par le schéma national d’accueil, s’il considère que les capacités d’accueil de la région sont dépassées, l’OFII oriente la personne dans une autre région soit en proposant un hébergement disponible, soit en lui indiquant l’adresse de la structure de premier accueil (SPADA). Elle doit s’y rendre dans un délai de cinq jours, sous peine de se voir irrévocablement couper l’allocation de demandeur d’asile. Elle ne peut quitter la région désignée par l’OFII sans autorisation de ce dernier (sauf si elle se rend aux entretiens  OFPRA  ou aux audiences CNDA). Si elle ne respecte pas ce cantonnement, les conditions d’accueil sont immédiatement et irrévocablement interrompues.

A l’exception des personnes disposant d’un titre pour fixer un domicile (actes de propriété,contrat de location ou de commodat), les personnes  ont l’obligation d’être domiciliées dans les SPADA ou dans les lieux d’hébergement.

EXAMEN DE LA DEMANDE D’ASILE À L’OFPRA

Dépôt de la demande d’asile (introduction) : la personne dispose d’un délai de vingt et un jours pour envoyer le formulaire OFPRA. Ce délai peut être augmenté de huit  jours si la demande envoyée est incomplète. L’OFPRA est tenu de clore l’instruction si le délai n’est pas respecté. La personne peut rouvrir le dossier en se rendant de nouveau au GUDA et dispose d’un délai de huit jours pour renvoyer le formulaire augmenté de quatre si la demande est incomplète.

Convocation à un entretien : En même temps que la lettre d’introduction de la demande, l’OFPRA convoque le demandeur à un entretien dans un délai d’un mois. Cet entretien peut se dérouler lors de missions foraines permanentes (à Lyon ou à Metz) ou occasionnelles (à Nantes par exemple) ou encore par visio-conférence si la personne est retenue dans un centre de rétention administrative (CRA) ou détenue dans un établissement pénitentiaire (voir carte des lieux concernés).

A plus ou moins long terme, la convocation sera transmise via un portail électronique auquel la personne accédera via un mode de passe personnel et dont elle sera informée des modalités dans une langue qu’elle comprend.  La décision de l’OFPRA sera transmise selon les mêmes modalités. Elle sera réputée notifiée dès la première consultation ou quinze jours après sa mise en ligne si la personne ne consulte pas le portail.

En Guyane, la décision est notifiée en mains-propres dans un délai de quinze jours après l’introduction depuis le mois de septembre 2018.

Fin de protection : l’OFPRA est tenu d’exclure du statut de réfugié ou de mettre fin à une protection accordée (article L.711-6 du CESEDA)  si la personne relève des dispositions de l’article 1er F) de la convention de Genève, si elle représente une atteinte à la sûreté de l’Etat ou si elle a été condamnée pour terrorisme dans les 32 Etats appliquant le règlement Dublin (UE 28 +Norvège, Islande, Suisse et Liechtenstein). Si le préfet le décide, la procédure peut être accélérée (trouble grave à l’ordre public).

CNDA

Recours à la CNDA : le délai de recours est toujours d’un mois. Cependant l’aide juridictionnelle ne peut être demandée que dans un délai de quinze jours après la notification. Cette demande suspend le délai au lieu de l’interrompre. Exemple si une personne demande l’aide juridictionnelle le quinzième jour , l’avocat qui est désigné ne dispose que de quinze jours pour formuler un recours.

Le préfet peut notifier une obligation de quitter le territoire “s’il est manifeste que la personne n’a pas formulé de recours dans le délai.

Lorsque la CNDA convoque la personne pour une audience, elle peut l’informer qu’elle aura lieu par vidéo.

La CNDA envisage de tenir les premières audiences de ce type pour les recours déposés  après le 1er janvier 2019 par des personnes domiciliées dans le ressort du TA de Lyon (soit Ain, Ardèche, Loire, Rhône et métropole de Lyon) à la Cour administrative d’appel de Lyon et par celles résidant dans  le ressort des TA de Nancy et de Strasbourg (Meurthe-et-Moselle, Meuse, Moselle, Bas-Rhin, Haut-Rhin et Vosges) à la CAA de Nancy.

Depuis le 1er décembre 2018, la lecture publique de sa décision (l’affichage des résultats à la CNDA,  une ou trois semaines après l’audience ou la notification en cas d’ordonnance) suffit pour que le préfet en cas de rejet prenne une décision d’obligation de quitter le territoire.

DROIT DE RESTER PENDANT LA PROCÉDURE D’ASILE

Les personnes ont le droit de rester jusqu’à la lecture publique de la décision CNDA en procédure normale et en procédure accélérée, à l’exception des personnes ressortissantes d’un pays considéré comme sûr (liste); les personnes qui font l’objet d’une décision sur une demande de réexamen (qu’elle soit une décision d’irrecevabilité ou un rejet), celles qui font l’objet d’une décision d’irrecevabilité en raison d’une protection effective dans un autre Etat, celles qui font l’objet d’une demande d’extradition ou d’un mandat européen et celles qui représentent une menace grave à l’ordre public.

Dans ces cas, le préfet peut décider de mettre fin  au droit de rester et notifier une décision d’expulsion qui peut faire l’objet d’un recours dans un délai de quinze jours ou de quarante-huit heures si la personne est assignée à résidence ou placée en rétention. Dans ce recours, elle peut demander au juge de suspendre la décision d’obligation de quitter le territoire , le temps que la CNDA statue sur le recours déjà formulé ou sur le point de l’être. Le juge du tribunal administratif fait  droit à la demande lorsque la personne présente des “éléments sérieux au titre de la demande d’asile ” de nature à justifier son maintien sur le territoire. En cas de suspension, la personne assignée ou retenue n’est plus soumise aux mesures coercitives mais n’est pas pour autant admise à rester avec une attestation de demande d’asile.

Si une décision d’expulsion est déjà prise et a été confirmée, un recours pour un sursis à exécution de la mesure est possible dans un délai de quarante-huit heures, le juge statuant en 96 heures. La suspension entraîne la main levée des mesures coercitives sauf si la personne fait l’objet d’une mesure d’expulsion. Dans ce cas, elle peut être retenue ou assignée pendant l’examen du recours par la CNDA.

Le recours ainsi créé est difficilement compréhensible et n’est pas conforme au droit européen. En outre, il demande au juge du TA de se prononcer sur le bien-fondé de la demande d’asile alors que cela relève de la compétence de la CNDA.

CONDITIONS MATÉRIELLES D’ACCUEIL

Domiciliation 

Les personnes sans domicile stable sont obligées d’être domiciliées soit dans un lieu d’hébergement dédié, soit dans une structure de premier accueil (SPADA) . Celles qui disposent d’un domicile doivent déclarer leur changement d’adresse auprès de l’OFII et de l’OFPRA. Un domicile stable est un lieu où la personne est hébergée en ayant un titre (acte de propriété, contrat de location ou de prêt à usage gratuit).

Lieux d’hébergement asile : les missions des lieux sont fixées par arrêtés (à venir). elles comprennent : ;

– la domiciliation

-l’information sur les missions et le fonctionnement du lieu d’hébergement

-l’information sur la procédure d’asile et l’accompagnement dans les démarches administratives à l’OFPRA et à la CNDA (rien n’est prévu pour les personnes Dublinées);

– l’information sur les soins de santé et la facilitation d’accès aux services de santé afin d’assurer un suivi de santé adapté aux besoins;

– l’accompagnement dans les démarches d’ouverture des différents droits sociaux;

– l’accompagnement pour la scolarisation des enfants mineurs hébergés;

– la mise en place d’activités sociales, bénévoles et récréatives, en partenariat, le cas échéant, avec les collectivités locales et le tissu associatif de proximité;  (c’a d. cours de français toujours bénévole)

– la préparation et l’organisation de la sortie du lieu d’hébergement, en lien avec l’Office français de l’immigration et de l’intégration, à la suite de la décision définitive sur la demande d’asile et l’accompagnement à l’accès au logement pérenne social ou privé pour les bénéficiaires de la protection internationale.

Le dispositif d’accueil va être divisé en deux pôles : les CADA qui accueilleront par priorité les personnes en procédure normale (taux d’encadrement 1 ETP pour 15 à 20 personnes, prix de journée 19.50€ par personne) et les autres lieux d’hébergement (taux d’encadrement 1 ETP pour  20 à 25 personnes, prix de journée 17%). Il sera fixé un taux d’occupation (97%) et de présence indue (3% pour les personnes réfugiées, 4% pour les déboutées).

Les responsables de centres doivent signaler à l’OFII toute absence, sans autorisation, de plus d’une semaine, qui entraîne  l’interruption immédiate des conditions d’accueil par l’OFII. Ils doivent également notifier les décisions de sortie et saisir le juge administratif d’une requête en référé mesures utiles pour ordonner l’évacuation d’une place “occupée indûment”.

Refus ou retrait des conditions d’accueil

Les conditions d’accueil peuvent être refusées ou retirées de plein droit par l’OFII  et sans procédure préalable  si :

  • la personne refuse  de se rendre dans un lieu d’hébergement ou le quitte. Lorsque le schéma national d’accueil sera publié, cela s’appliquera également aux personnes qui refusent l’orientation directive même sans hébergement proposé.
  • la personne ne se rend pas à une convocation des autorités (préfet, OFII, OFPRA). C’est notamment le cas des personnes Dublinées qui ne se rendent pas à une convocation.

Cette disposition a été appliquée illégalement et de façon anticipée depuis septembre  2018 à des personnes “Dublinées ” dont la demande est requalifiée après l’expiration du délai de transfert prolongé en raison d’une fuite.

Cette disposition est contraire au droit européen qui prévoit le rétablissement partiel ou total des conditions d’accueil si la personne est retrouvée ou si elle se présente de nouveau aux autorités;

Le décret du 28 décembre 2018 prévoit que la décision de refus ou de retrait entre en vigueur à compter de sa signature. Elle peut être contestée devant les juridictions administratives à condition qu’un recours administratif préalable obligatoire soit formulé, dans le délai de deux mois,  auprès du directeur général de l’OFII qui a deux mois pour statuer, l’absence de réponse valant rejet. Cette nouvelle modalité vise à limiter ou à retarder les saisines des juridictions.

Elles peuvent être refusées ou retirées, après procédure contradictoire :

si la personne a dissimulé ses ressources financières, a fourni des informations mensongères relatives à sa situation familiale ou a présenté plusieurs demandes d’asile sous des identités différentes, ou en cas de comportement violent ou de manquement grave au règlement du lieu d’hébergement ;

Le décret du 28 décembre prévoit que la personne doit rembourser les sommes indûment perçues.

si elle présente une demande de réexamen de sa demande d’asile ou si elle  n’a pas sollicité l’asile, sans motif légitime, dans le délai prévu au 3° du III de l’article L. 723-2. (délai de 90 jours)

Aménagement des conditions d’accueil si la personne fait l’objet d’une décision de refus du droit de rester

La personne peut être assignée (dans le lieu d’hébergement) pendant une période de quarante cinq jours et bénéficie du maintien des conditions d’accueil pendant l’examen du recours sur le droit de rester (soit pendant 6 jours).

Si le juge fait droit à la demande, elle bénéficie des conditions d’accueil jusqu’à la lecture publique de la décision de la CNDA

si le juge rejette, elle perd ses droit au terme du mois de notification de la décision du TA

Un décret (à venir) va prévoir une adaptation de l’allocation pour demandeur d’asile ou son remplacement par une aide matérielle.

RECOURS CONTRE L’OBLIGATION DE QUITTER LE TERRITOIRE  DES DÉBOUTÉS OU LA DÉCISION DE TRANSFERT DUBLIN

Le recours s’effectue dans un délai de quinze jours selon les modalités prévues par le décret du 12 décembre 2018. Il est réduit à quarante huit heures si la personne est assignée à résidence ou placée en rétention. Le recours peut être sommaire.  Le juge unique du TA statue dans un délai de six semaines pour les OQT, quinze jours pour les décisions de transfert et 96 heures si assignation ou rétention.

RÉTENTION À 60 JOURS VOIRE À 90 JOURS

Une personne est placée en rétention pour une période initiale de 48 heures. Le juge de  la libertés et de la détention statue sur une demande de prolongation de vingt-huit jours puis de trente. Si  un laissez passer consulaire est sur le point d’être délivré oui si la personne fait obstruction à l’exécution de la mesure, demande l’asile ou sollicite un avis médical pour ne pas être renvoyée dans son pays, la rétention peut être prolongée exceptionnellement de quinze jours qui peut être prorogée de quinze jours supplémentaires si une de ces circonstances  apparaît pendant cette prolongation exceptionnelle.

Au total la durée de rétention pourrait être de 90 jours.

Circulaire du 31 décembre 2018

En complément de cette excellente synthèse, voir aussi (https://www.gisti.org/spip.php?rubrique39) :

Droit des étrangers en France : ce que change la loi du 10 septembre 2018

Co-édition Acat / ADDE / Anafé / Ardhis / Elena / Fasti / Gisti / Mom / ODSE / Saf / SM

Les chiffres de l’asile à l’OFPRA

https://www.ofpra.gouv.fr/fr/l-ofpra/actualites/les-donnees-de-l-asile-a-l-ofpra-en

Pour l’ensemble de l’année 20181la demande d’asile globale introduite à l’Ofpra atteint les 122 7432, en hausse de près de 22 % par rapport à 20173.

Les principaux pays d’origine de la demande d’asile4 sont l’Afghanistan (10 221), l’Albanie (8 261 demandes), la Géorgie (6 717), la Guinée (6 621) et la Côte d’Ivoire (5 256).

On note une tendance à la baisse des demandes albanaises (- 28 % par rapport à 2017) et haïtiennes (- 59 %), tandis que la demande géorgienne a progressé (+ 256 %). Si la demande afghane a augmenté par rapport à l’année passée (+ 55 %), elle a toutefois connu un net recul au second semestre. Quant à la demande d’asile des pays de l’Afrique de l’Ouest, elle a poursuivi sa progression (Guinée et Côte d’Ivoire, soit + 61 % et + 45 %).

En 2018, plus de 46 700 personnes (mineurs inclus) ont été placées sous la protection de l’Ofpra aux titres du statut de réfugié et de la protection subsidiaire, en hausse de 9 % par rapport à 2017.

Comme en 2017, le taux de protection demeure à 27 % à l’Ofpra, et à 36 % en prenant en compte les décisions de la CNDA.

L’Ofpra a poursuivi sa mobilisation particulière auprès des femmes victimes de violences, des personnes persécutées en raison de leur orientation sexuelle, des victimes de la traite des êtres humains, des mineurs isolés et des victimes de la torture. S’agissant de la protection des mineures risquant une mutilation sexuelle, l’Ofpra a signé le 8 novembre 2018, avec l’Assistance publique des Hôpitaux de Paris (Hôtel-Dieu), une convention organisant les conditions de réalisation et de financement des examens médicaux dans l’intérêt supérieur de l’enfant. À l’issue de l’année 2018, ce sont 7 550 enfants qui sont placées sous la protection de l’Ofpra en raison du risque de mutilations sexuelles féminines qu’elles encourent en cas de retour dans leur pays d’origine.

L’Ofpra a pris en 2018 près de 122 000 décisions, en hausse de près de 6 % par rapport à 2017, ce qui constitue un nouveau seuil historique depuis que la quasi-totalité des demandeurs d’asile a droit à un entretien à l’Ofpra. S’y ajoutent plus de 2 600 personnes parmi celles entendues par l’Ofpra lors de ses missions à l’étranger et qui recevront une décision de protection de l’Office dès leur arrivée sur le territoire français.

Le délai de traitement a poursuivi sa réduction et s’établit à 112 jours sur l’année contre 142 jours en 20175.

Depuis plusieurs années, l’Office est engagé dans une démarche qualitative de protection couplée avec la réduction des délais d’examen des demandes d’asile. Pour tendre plus encore vers l’objectif de deux mois de traitement fixé par le Président de la République, l’Office a engagé une nouvelle et profonde réorganisation structurelle pour réduire les délais de convocation à l’entretien personnel entre le demandeur d’asile et l’officier de protection. Mise en œuvre depuis la fin 2018 pour 90 % de la demande, cette réorganisation, qui s’appuie sur une programmation anticipée des prestations d’interprétariat au regard du niveau et de la nature de la demande d’asile enregistrée en guichet unique, réduira le délai de convocation après passage en guichet unique et préservera le temps absolument nécessaire à un examen de qualité de la demande d’asile, ainsi que les droits des demandeurs d’asile.

Enfin, les actions de protection de l’Ofpra hors-les-murs de Fontenay-sous-Bois se sont poursuivies (48 en 2018 : 23 en France / 25 à l’étranger) : présence récurrente chaque mois à Lyon et à Metz ; missions ponctuelles à Bordeaux, Nantes, Strasbourg et Mayotte ; mission de relocalisation en Italie ; missions de réinstallation au Sahel (Tchad et Niger) et au Proche et Moyen-Orient (Liban, Turquie, Jordanie). Également, dès l’été 2018, l’Office a effectué des missions de solidarité européenne avec l’Espagne, l’Italie et Malte qui ont accueilli des navires transportant des personnes secourues en mer ; enfin, pour la première fois, l’Office s’est rendu en Irak dans le cadre d’une mission humanitaire pour accueillir des femmes yézides victimes de l’organisation État islamique, pour mettre en œuvre l’engagement du Président de la République à l’égard de la prix Nobel de la Paix 2018.

——

[1] Ces données sont provisoires et seront consolidées dans le cadre du rapport annuel de l’Ofpra au cours du premier semestre 2019.

[2] Soit 113 322 premières demandes (dont 21 457 mineurs accompagnants) + 9 129 réexamens + 292 réouvertures.

[3] Il s’agit des demandes introduites à l’Ofpra, intégrant en conséquence des demandeurs qui ont pu auparavant être placés en procédure Dublin par les préfectures avant de pouvoir finalement saisir l’Office, mais à l’exclusion des personnes encore placées en procédure Dublin au 31 décembre 2018.

[4] Premières demandes d’asile, mineurs accompagnants inclus.

[5] En période de stock et de forte réduction du nombre des dossiers en attente de longue durée (part des dossiers de plus d’un an passée de 22 % fin 2014, à plus de 8 % du total au cours de l’été 2017, pour finir à 3,1 % à l’issue de l’année 2018), le délai moyen étant par construction sans lien avec la performance réelle de l’Office, celle-ci est mesurée par le délai médian.

Date de mise à jour: 15/01/2019

Voix du Nord // Le vrai du faux sur L’accueil des réfugié.e.s de l’Aquarius à lille

http://www.lavoixdunord.fr/434077/article/2018-08-18/le-vrai-du-faux-sur-l-accueil-des-refugies-soudanais

Le vrai du faux sur l’accueil des réfugiés soudanais

L’accueil des réfugiés soudanais est financé par l’État grâce à des fonds européens. PHOTO: Thomas LO PRESTI

L’accueil des réfugiés soudanais est financé par l’État grâce à des fonds européens. PHOTO: Thomas LO PRESTI

Martine Aubry a proposé d’accueillir une partie des réfugiés de l’Aquarius : VRAI

Le 19 juin, au lendemain de l’arrivée en Espagne des 630 migrants sauvés au large de la Libye, le maire de Lille a proposé son soutien à l’Ofpra. Répondant à l’engagement du gouvernement français d’accueillir, au titre du droit d’asile, 78 naufragés. La ville de Lille et la Préfecture du Nord ont accueilli 42 migrants âgés de 18 à 30 ans. Le reste du groupe a été pris en charge à Marseille et Avignon.

C’est la ville de Lille qui paye tout : FAUX

Le droit d’asile relève de l’État qui a mandaté l’association La Sauvegarde pour accompagner les 42 réfugiés soudanais. L’État finance cet accueil grâce à des fonds européens. La mairie met à disposition, gratuitement, les anciens locaux de la maison de retraite C. Corot. Propriété du CCAS, ce dernier prend en charge les factures d’eau et d’électricité (1 500 € par mois en 2015 pour l’accueil des réfugiés syriens). Budget total du CCAS : 19,8 M € pour 15 000 foyers bénéficiaires.

Lille a déjà accueilli des réfugiés : VRAI

Septembre 2015. L’image du corps sans vie du petit Aylan, un enfant syrien échoué sur une plage turque, bouleverse le monde entier. Immense élan de solidarité populaire et politique. Lille est l’une des premières villes à accueillir des réfugiés syriens. Quelque 200 Lillois proposent d’accueillir des réfugiés chez eux. Une cinquantaine de familles sont logées dans l’ancien Ehpad Corot pendant 18 mois. Une vingtaine d’enfants sont scolarisés. Fin 2016, quinze adultes avaient trouvé un emploi.

Les familles syriennes avaient été logées dans l’ancien Ehpad Camille Corot.
Les familles syriennes avaient été logées dans l’ancien Ehpad Camille Corot. – VDN

La ville a fermé une maison de retraite pour accueillir des migrants : FAUX

Elle a fermé ses portes en 2013 car les locaux n’étaient plus adaptés. L’établissement hospitalier comptait 35 lits qui n’ont pas été compensés. Le CCAS gère six Ehpad (155 lits) en attendant la création annoncée d’un pôle gériatrique , en lien avec le CHU. La résidence C. Corot est mise à disposition des publics vulnérables. Cet hiver, des femmes fragilisées ont pu y trouver refuge.

L’Ehpad a fermé ses portes en 2013. Il n’était plus adapté aux besoins des personnes âgées. PHOTO THIERRY THOREL
L’Ehpad a fermé ses portes en 2013. Il n’était plus adapté aux besoins des personnes âgées. PHOTO THIERRY THOREL – VDNPQR
L’Ehpad a fermé ses portes en 2013. Il n’était plus adapté aux besoins des personnes âgées. PHOTO THIERRY THOREL
L’Ehpad a fermé ses portes en 2013. Il n’était plus adapté aux besoins des personnes âgées. PHOTO THIERRY THOREL – VDNPQR

Lille prend en charge 70 % des sans abri de la métropole : VRAI

Chaque hiver, partout en France, les besoins en hébergement se concentrent sur les villes centre. Dans la métropole, près de 70 % des publics qui ont besoin d’un abri sont pris en charge à Lille via le Samu social et les associations. En 2017, la ville a versé 300 000 € de subventions aux ONG, dont 80 000 pour les maraudes qui fonctionnent hiver comme été. Montant des subventions aux associations : 26,5 M €.

Le nombre de titre de réfugiés délivrés à Lille a explosé : FAUX

Les Roms sont souvent perçus comme relevant de l’immigration clandestine. Or, ils sont citoyens européens depuis l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’UE en 2007. Ils ont le droit de séjourner en France et d’y travailler. À ne pas confondre avec les demandeurs d’asile et le statut de réfugié qui les protège mais qui n’est pas systématique. En 2017, la Préfecture du Nord a délivré 408 titres de séjour au titre de la protection subsidiaire ou du statut de réfugié sur un total de 29 198 cartes de séjour attribuées (372 pour 28 688 en 2016).

L’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) est placé sous la tutelle du Ministère de l’Intérieur. Il existe plus de cinquante directions territoriales, dont celle de Lille installée au 2, rue Tenremonde.
L’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) est placé sous la tutelle du Ministère de l’Intérieur. Il existe plus de cinquante directions territoriales, dont celle de Lille installée au 2, rue Tenremonde.

La métropole lilloise attire les étudiants étrangers : VRAI

Parmi ces titres, on relève que le nombre des cartes de séjour délivrées aux étudiants étrangers, et spécialement dans la métropole lilloise, progresse de manière continue de 3 à 4 % chaque année. Ils étaient 5 200 l’an dernier. Une autre catégorie se distingue : les passeports talents (4 ans). Ils concernent des jeunes diplômés, des investisseurs, des artistes, des sportifs…

Les migrants ont un impact négatif sur l’économie : FAUX

Alors que l’Europe se déchire sur l’accueil des migrants, une étude du CNRS, publiée en juin, démontre qu’ils sont un atout pour l’économie. Hausse du PIB et baisse du chômage. Les chercheurs ont analysé les données relatives aux migrations de quinze pays européens depuis 1985. Les hôteliers et les restaurateurs viennent de demander au gouvernement des facilités pour embaucher des étrangers faute de candidats chez les demandeurs d’emploi. Une réalité souvent évoquée dans la métropole lilloise.

Réfugiés et Roms: une solidarité à deux vitesses?

Sous pression, le camp de Roms de la rue de Bavay a été évacué le 27 juillet dernier. PHOTO BAZIZ CHIBANE LA VOIX DU NORD

La presse abandonne les Roms à leur sort : FAUX

Les déclarations de Martine Aubry et du Préfet, Michel Lalande, lors de la cérémonie ont suscité de nombreuses réactions et indigné ce lecteur qui dénonce une conscience humanitaire à deux poids deux mesures dans l’accueil des réfugiés et des Roms. Ce militant nous reproche au passage «  un silence coupable et complice  » sur le sort réservé aux populations des bidonvilles. Nous relatons ces évacuations comme nous avons relayé l’appel du père Arthur à Emmanuel Macron après le démantèlement brutal du campement de la rue de Bavay le 27 juillet. Nous avons fait écho de la condamnation de la ville et de l’Etat pour avoir expulsé, illégalement, le 3  novembre 2017, les familles roms installées le long de l’Esplanade.

Fin 2007, les autorités ont évacué le bidonville du Pont Royal en pleine trêve hivernale. Le tribunal a par la suite condamné la ville et la Préfecture. PHOTO EDOUARD BRIDE LA VOIX DU NORD

Il y aura d’autres évacuations dans la métropole : VRAI

On sait que les services de l’État procéderont à de nouvelles évacuations dans les prochaines semaines, probablement au carrefour Pasteur ce lundi. Elles interviennent dans le cadre de la circulaire gouvernementale du 25 janvier 2018 qui vise à «  résorber durablement les campements illicites et les bidonvilles. » Dix-neuf campements, dans lesquels vivraient 460 personnes, seraient identifiés comme étant à risques dans l’agglomération lilloise (incendie, proximité de grands axes, de voies ferrées…)

Sous pression, le camp de Roms de la rue de Bavay a été évacué le 27 juillet dernier. PHOTO BAZIZ CHIBANE LA VOIX DU NORD

En théorie, ces évacuations doivent faire l’objet de propositions de relogement. L’adhésion des familles, éprouvées par le nomadisme et attachées à la vie en communauté, est un travail de longue haleine et de confiance pour les associations.

Il n’existe aucun dispositif pour les Roms à Lille : FAUX

Dès 2009, la ville a mis en place un village d’insertion dans le quartier de Fives en partenariat avec l’association Afeji. Ce terrain permet d’accueillir cinq familles pour des séjours qui durent en moyenne trente mois. Le temps nécessaire pour intégrer ces familles, trouver un emploi et un logement durable. Hellemmes accueille le même dispositif. Lille dispose également d’un sas d’insertion à La Citadelle, au pied du pont Léon-Jouhaux. Il est géré par l’État.

Depuis 2009, à Fives, un village d’insertion permet de loger des familles roms dans des conditions décentes tout en favorisant leur intégration. Photo C.Lefebvre La Voix du Nord.

La scolarisation des enfants, trop souvent trimballés au gré de l’hospitalité des villes, est essentielle dans la réussite des politiques d’intégration. Cette année, 93 enfants issus de la communauté rom et des gens du voyage ont été scolarisés à Lille. Un millier de personnes, soit 240 familles, vivent dans des campements ou des squats informels dans la métropole.

Communiqué EGM sur la loi asile et immigration

https://eg-migrations.org/Contre-une-loi-liberticide-une-autre-politique-migratoire-est-possible

Contre une loi liberticide, une autre politique migratoire est possible

(Paris, le 2 août 2018) Le projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie a été adopté par le parlement le 1er août 2018. En dépit de quelques évolutions depuis sa présentation en février, il reste un texte régressif dont l’esprit est dans la droite lignée des politiques qui échouent depuis plusieurs décennies. Des solutions alternatives existent pourtant comme le démontre le manifeste des Etats généraux des migrations.


Malgré la volonté déclarée du gouvernement et de sa majorité législative d’en faire un texte alliant « humanité » et « fermeté », l’examen du contenu de ce projet de loi permet rapidement de se rendre compte que c’est la seconde qui a pris le pas sur la première. Entre les nombreux durcissements (restriction des conditions d’attribution de la nationalité française à Mayotte, durée de rétention administrative allongée, recours non suspensifs pour certaines personnes…) et les multiples rendez-vous manqués (absence d’interdiction de l’enfermement pour les mineur·e·s ou encore maintien du « délit de solidarité »), ce projet de loi va encore précariser les personnes migrantes.

Le texte, préparé sans concertation avec les organisations présentes sur le terrain, est dénoncé par des acteur·trice·s aussi varié·e·s que les salarié·e·s de la Cour nationale de droit d’asile et de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides mais aussi le Défenseur des droits, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme ou le commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe.

Face à un gouvernement qui travaille seul, les membres des Etats généraux des migrations se sont lancés dans un processus citoyen pour défendre une politique migratoire alternative respectueuse des droits fondamentaux et de la dignité des personnes.

Depuis plus de 10 mois, nous sommes plus de 10 000, issus de 1650 associations et collectifs, à nous être concertés pour réfléchir collectivement à des propositions concrètes basées sur l’expérience de terrain. Fin mai 2018, nous avons adopté le « Manifeste des assemblées locales réunies pour la 1ère session plénière des Etats généraux des migrations ». Plutôt que d’essayer de résoudre une « crise migratoire » qui n’existe pas, nous défendons un certain nombre de principes indispensables à une politique migratoire de long terme : accès aux droits fondamentaux pour les personnes migrantes ; respect du droit d’asile effectif ; liberté d’entrée, de circulation et d’installation dans l’espace européen ; égalité des droits entre français·e·s et personnes étrangères.

L’adoption d’une énième loi fondée sur la fermeture et le rejet ne change rien à la détermination des membres des Etats généraux des migrations : parce que l’humanité de demain se construit avec l’accueil d’aujourd’hui et contre les dérives issues des politiques migratoires actuelles, nous continuerons à plaider pour une politique d’ouverture qui place le respect des droits au centre des préoccupations.

Contact presse :
Henri Lefebvre : 07 50 39 14 66, h.lefebvre@crid.asso.fr

Médiapart // Moussa, rescapé en méditerranée mais naufragé du système d’asile européen

 

 

Par

Une fois débarqué en Italie, Moussa, Soudanais de 26 ans, a erré dans les limbes du système d’asile européen pendant plus d’un an, ballotté entre Paris et Rome. Le Conseil d’État vient d’imposer à la France l’examen de son dossier. Mediapart a reconstitué son parcours, symbole de l’absurdité des politiques migratoires, alors qu’un mini-sommet de crise se tient dimanche à Bruxelles.

Tarbes (Hautes-Pyrénées), de notre envoyée spéciale.-  Moussa est bien incapable de donner le nom du « grand bateau » qui l’a sauvé en Méditerranée. La couleur ? Aucune idée. La taille ? Pas plus. « Avec le choc », sa mémoire a effacé les détails. Ce qui lui reste d’images tient en une phrase : « Au lever du soleil, on a d’abord vu le grand bateau. Puis en avançant, d’autres petits bateaux gonflables comme le nôtre, renversés. Et autour, des corps noirs qui flottaient. »

Avec la vingtaine de passagers de son canot pneumatique parti de Libye, Moussa J. a été hissé à bord du navire, où l’attendaient « des médecins habillés en blanc » –probablement le bâtiment d’une ONG. C’était en février 2017. À peine accosté en Italie, ce jeune Soudanais de 26 ans est entré dans le circuit du droit d’asile européen. Le moins dur a commencé, pas le moins humiliant ni le moins kafkaïen.

Parce que les Soudanais sont la nationalité la plus représentée parmi les 630 passagers de l’Aquarius débarqués en Espagne, parce qu’il faut examiner de près ce que l’Europe fait à ses rescapés, Mediapart a choisi de raconter le parcours de Moussa, tout à la fois banal et rare, représentatif jusqu’à l’absurde de la manière dont l’Italie et la France se renvoient la balle, singulier en même temps par son dénouement.

 
Moussa, né en 1992 à Tandi, dans la région du Darfour (Soudan). © MM Moussa, né en 1992 à Tandi, dans la région du Darfour (Soudan). © MM
 

Une fois un pied en Italie, Moussa s’est retrouvé, 15 mois durant, à errer dans les limbes du système dit « de Dublin », qui régit la « répartition » des demandeurs d’asile dans l’Union européenne (ou plutôt leur non-répartition, faute de solidarité entre États membres) et auquel les prochains passagers de l’Aquarius seront confrontés.

Que dit ce règlement remontant à 2003 ? Que le pays d’entrée des migrants, souvent la Grèce ou l’Italie, en tout cas le premier pays à enregistrer leurs empreintes, reste chargé de leurs demandes d’asile. Les pays de « rebond » comme la France ou l’Allemagne ont le droit grosso modo de renvoyer les exilés où ils ont accosté. Moussa n’y a pas échappé.

Mais surprise. Dans son dossier, le Conseil d’État vient de rendre une décision exceptionnelle, sinon inédite, cinglante à l’égard des services du ministère de l’intérieur français : « Dublin » ou pas « Dublin », la plus haute juridiction administrative du pays a ordonné que la demande d’asile de Moussa soit examinée en France et que cesse ce jeu de ping-pong entre Paris et Rome, « une atteinte grave » au droit de Moussa de solliciter le statut de réfugié.

C’est donc ce survivant-là que Mediapart a voulu rencontrer, à la fois rescapé de la guerre civile au Darfour, de l’exploitation en Libye, d’une traversée de la Méditerranée et du naufrage du « système de Dublin ». Installé dans les locaux de la Cimade, association qui lui offre conseils juridiques et cours de français à Tarbes (Hautes-Pyrénées), Moussa pose ses mains épaisses sur la table. Il a l’air baraqué, un bouc taillé de près, aucune cicatrice apparente. Et pourtant.

1. Le Darfour

Vers 10 ans, il a vu son village détruit par des hordes janjawid, ces milices armées par le gouvernement central du Soudan pour mater des régions non arabes et rebelles, en particulier le Darfour, à l’ouest du pays. « Ils ont mis le feu, raconte le jeune homme né dans la tribu des Masalit, des bergers. Il ne restait pas un arbre, pas un dromadaire. C’est difficile de raconter à une dame… Ils ont séparé les femmes, on les entendait crier. Ils nous ont laissé juste quelques bourricots. »

Démarré en 2003, le conflit au Darfour a fait plus de 300 000 morts et 2,5 millions de déplacés, au point que le président du Soudan, Omar el-Béchir, est aujourd’hui visé par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) pour « génocide » et « crimes contre l’humanité ». Traduction en France ? Les Soudanais qui réussissent à faire examiner leur dossier par l’Ofpra (l’office chargé d’accorder ou non le statut de réfugié) obtiennent une protection dans 75 % des cas. Encore faut-il que leur dossier soit examiné.

« Pendant des années, j’ai vécu avec ma famille dans un camp à la frontière avec le Tchad, poursuit Moussa. En grandissant, je risquais d’être tué ou enlevé, incorporé de force dans l’armée. Mes parents avaient quatre filles, un seul garçon. C’est une réunion de famille qui a décidé : il fallait que je parte. » Pour sauver sa vie, certainement pas gagner l’Europe. Jamais Moussa n’a songé à quitter l’Afrique. D’abord, il est passé au Tchad, puis « des chameliers qui emmenaient un convoi en Libye ont proposé de me faire travailler, je les ai suivis. Ils ne m’ont jamais payé. »

2. La Libye

Au début, là non plus, Moussa n’a pas gagné un dinar. « Les Libyens qui me faisaient travailler promettaient de me payer le mois d’après, puis le mois d’après, etc. Au bout de quatre mois, toujours rien. » Alors il décampe. Puis un certain Ali, qui tient des commerces et loge une vingtaine de migrants, lui propose de laver des voitures du matin au soir pour 5 euros par jour. Non seulement Moussa reçoit des coups quand les clients se font trop rares, mais il doit payer un loyer. « On mangeait une fois par jour les restes de sa maison. »

La nuit, surtout, les migrants hébergés par Ali subissent des attaques d’« hommes enturbannés », qui « fouillent, volent, frappent », avec la « complicité » du patron, soupçonne Moussa. Selon lui, le racisme est criant chez « les Libyens arabes », chez « les Libyens noirs », partout. « Pour éviter de mourir gratuitement », le jeune exilé ne sort « jamais » de cet endroit, pendant six mois.

Et puis Ali a suggéré de partir en Italie. Tarif ? 1 000 dinars libyens, soit à peine 700 euros, somme ridicule au regard des milliers d’euros déboursés par certains migrants tombés aux mains de milices et dont les familles restées au pays sont soumises au chantage. Le jeune homme résume ainsi sa situation à lui : « Tout ce que mon employeur m’a donné, il me l’a repris. » Va pour l’Italie.

« Je ne savais pas nager, je ne savais rien sur l’Europe, précise Moussa. Mais au Soudan, c’était la mort assurée. À l’embarquement, ils nous ont encore frappés, traités d’animaux, d’esclaves. J’ai fait toutes mes prières au bon Dieu, j’étais prêt à mourir. »

3. L’Italie

Une fois parvenu dans les Pouilles, Moussa n’a plus rien : « Mon corps et mes habits. » Pris en charge dans un camp, où il peut enfin manger et se doucher, le Soudanais confie ses empreintes aux policiers sans hésiter, sans mesurer l’enjeu. À l’entendre, surtout, les fonctionnaires lui demandent de partir sans expliquer la procédure d’asile, sans adresse ni consigne. Ou alors Moussa n’a pas compris.

Avec un compagnon de route, ils grimpent dans un train pour Milan, sont nourris par « une vieille dame », poursuivent jusqu’à Vintimille (la dernière ville italienne avant la France), où ils dorment sous un pont. Parce qu’on lui ressasse qu’il n’y a « rien » pour lui en Italie, Moussa tente alors de traverser la frontière, à pied d’abord. Raté. La seconde tentative, par le train, sera la bonne. « Arrivé à Nice, un homme nous a aidés, emmenés chez lui, puis ramenés à une gare », direction la capitale.

4. La France

Arrivé à Paris, c’est le soulagement. En quelques jours, après qu’il a fait connaître son désir d’obtenir le statut de réfugié, Moussa est envoyé au centre d’accueil et d’orientation (CAO) de Tarbes, parce que les autorités tentent de répartir les migrants sur l’ensemble du territoire. Sa demande d’asile est ainsi enregistrée à la préfecture des Hautes-Pyrénées. Mais là, immanquablement, ses empreintes font tilt dans le fichier Eurodac. Le voilà « dubliné », selon le jargon administratif : la France peut demander son renvoi en l’Italie. Après que celle-ci a donné son accord tacite, le préfet signe un arrêté dit « de transfert » le 20 septembre 2017. Sans surprise, le recours de Moussa devant le tribunal administratif restera un échec. Dans la foulée, il reçoit son « routing » : une feuille de route et des titres de transport pour Rome.

« On me répétait que ça, c’était la loi, qu’on ne pouvait rien faire pour moi », se souvient Moussa. Alors qu’il pourrait fuir ou tenter l’Angleterre, le jeune Soudanais prie et suit les consignes. Le trajet, pourtant, n’est pas une mince affaire. Arrivé à Bordeaux, il faut trouver le train pour Paris, puis s’y retrouver dans les méandres de l’aéroport. Un traducteur proche de la Cimade doit le guider par téléphone, en arabe. À un moment, perdu, Moussa lui passe même une personne chargée du ménage, histoire de trouver le bon étage. C’est finalement la police aux frontières (PAF) qui le conduit jusqu’à l’avion, le premier de sa vie.

5. L’Italie (bis)

« À l’aéroport de Rome, les Italiens m’ont demandé pourquoi je revenais, raconte Moussa. Je leur ai dit : “C’est vous qui demandez !” Ils ont répondu qu’ils n’avaient rien demandé du tout. » Un couperet tombe, incompréhensible : loin d’être reconnu comme demandeur d’asile, Moussa écope d’un « arrêté d’expulsion » qui lui « ordonne de quitter le territoire national dans les sept jours », sous peine « d’une amende de 10 000 à 20 000 euros ». En prime, si l’on en croit le jeune homme, les policiers déchirent certains de ses documents. Cette fois, pas question d’obéir. Supposé rentrer au Soudan, Moussa prend plutôt la route pour Vintimille. Refoulé par la PAF de Menton une première fois, il réussit à regagner Paris, puis les Pyrénées.

6. La France (bis)

Et là, rebelote. Cette fois, le rendez-vous en préfecture n’a pas lieu à Tarbes mais dans le département d’à côté, en Haute-Garonne – pourquoi faire simple ? Évidemment, ses empreintes matchent. Malgré les explications sur son traitement en Italie, sur son impossibilité d’y obtenir l’asile, Moussa est « dubliné » une seconde fois, avant de se voir refuser l’allocation prévue pour les demandeurs d’asile – il est considéré comme « fraudeur » désormais.

Nous sommes alors en mars 2018 et la machine administrative ne s’arrête plus : le 5 avril, une nouvelle demande de transfert est adressée à l’Italie. Avec l’aide d’une avocate, Me Selvinah Pather, Moussa saisit bien sûr le tribunal administratif en référé, c’est-à-dire en urgence, arguant que son droit à demander l’asile en Europe n’est pas respecté. Mais sans succès.

Il faut se battre jusqu’au Conseil d’État pour qu’enfin, le 29 mai dernier, le juge des référés du Palais-Royal rende une ordonnance exemplaire et toutes ses chances à Moussa. « Le refus d’enregistrer la demande de Monsieur J. [en France] doit être regardée comme portant une atteinte grave et manifestement illégale à son droit, constitutionnellement garanti, de solliciter le statut de réfugié », peut-on lire dans la décision qui retient que le ministère de l’intérieur français n’a « pas contesté l’existence de [l’arrêté] d’expulsion » signé par les autorités italiennes, pas plus qu’il n’a apporté la preuve que Moussa aurait « renoncé à demander l’asile » en Italie.

Alors, face à un voisin transalpin défaillant, la France est rappelée à ses obligations, fixées par la Convention de Genève. « Il est enjoint au préfet des Hautes-Pyrénées », là où vit Moussa, d’enregistrer sa demande d’asile en procédure normale et de lui « délivrer l’attestation afférente dans un délai de 15 jours ». Le voilà sorti du « système Dublin ». Une première victoire.

Demain, le jeune Soudanais va devoir convaincre l’Ofpra, auquel il vient juste d’envoyer son dossier d’asile avec le détail des persécutions subies et des risques qu’il encourt au Soudan, de lui accorder la protection de la France.

Surtout, Moussa attend la place en centre d’hébergement et le versement de l’allocation de demandeur d’asile à laquelle il a droit dans l’intervalle. À ce jour, en effet, il ne touche toujours pas un centime et dort ici ou là, « parfois à la gare routière », lavant son linge chez des amis.

Sollicitée par Mediapart, l’institution chargée de fournir l’aide matérielle aux demandeurs d’asile, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) fait savoir, par la voix de son directeur, que Moussa devrait commencer à toucher son allocation à partir de « mi-juillet », une fois qu’il aura « signé son offre de prise en charge en direction territoriale et présenté son attestation en cours de validité ».

Questionné sur le rattrapage des mensualités perdues, l’OFII répond que c’est impossible, « du fait de la réglementation ». Quant à l’hébergement, il « dépendra des places vacantes et donc pourrait ne pas être immédiat ». Tellement « moins inquiet » qu’auparavant, Moussa veut positiver : « Je ne peux que remercier Dieu. »

Les dirigeants européens, eux, sont censés discuter les 28 et 29 juin prochain d’une réforme du « règlement de Dublin », en réalité condamnée avant même d’avoir été esquissée faute d’une volonté partagée de faire preuve de solidarité à 28, avec la Grèce et l’Italie (qui a tout de même vu 700 000 migrants débarquer sur ses côtes depuis 2013).

Quand on lui demande, pour terminer, s’il veut ajouter quelque chose d’important à son récit, Moussa choisit d’évoquer un pan de sa vie dont il n’a jamais parlé à personne jusqu’ici. Sans doute était-ce moins important que tout le reste, tabou aussi. Désormais, il aimerait voir un docteur, un homme, pour soigner des douleurs dont il souffre depuis qu’il a été frappé, sinon torturé, au plus intime de lui-même. Plus d’un an après avoir croisé son premier médecin européen, il se l’autorise enfin.

Prolonger

Boite Noire

Les propos de Moussa J., rencontré le 19 juin 2018, ont été traduits de l’arabe par un interprète.