En chantier. Un nouveau site pour la PSM, c'est pour très bientôt !

Des interprètes érythréens accusés de travailler pour Asmara

Censés être indépendants, certains interprètes erythréens sont pourtant accusés de collaborer avec les autorités de leur pays d’origine (image d’illustration).
© GABRIEL BOUYS / AFP

Par Michel Arseneault Publié le 01-03-2018 Modifié le 01-03-2018 à 19:04

Des dissidents érythréens s’interrogent sur les interprètes auxquels leurs concitoyens font appel lorsque ces derniers demandent l’asile en Italie. Plusieurs d’entre eux seraient en relation avec l’ambassade de l’Érythrée à Rome. Des chercheurs vont plus loin en affirmant que, dans certains cas, ces interprètes ne sont pas de simples traducteurs mais des informateurs au service du parti au pouvoir à Asmara.

« Traduire c’est trahir », selon un proverbe italien. Pour des milliers d’Érythréens fraîchement débarqués en Italie, ce n’est pas qu’une figure de style : plusieurs se demandent s’ils peuvent faire confiance à leurs concitoyens installés de longue date en Italie et qui leur servent d’interprètes. Ces derniers, censés être indépendants, sont régulièrement accusés de collaborer avec les autorités de leur pays d’origine.

Selon le père Mussie Zerai, prêtre catholique et candidat au prix Nobel de la paix pour son rôle auprès des migrants érythréens en Europe, « au moins la moitié » serait en relation avec le parti au pouvoir à Asmara (PFDJ, le Front populaire pour la démocratie et la justice) et plus particulièrement la jeunesse du parti. « Certains interprètes sont membres du parti, explique le père Zerai. Ils y jouent même un rôle actif. »

Dans la péninsule, des interprètes italien-tigrinya sont à pied d’œuvre dans les centres où sont accueillis les Érythréens qui débarquent en Italie (plus de 27 000 au cours des deux dernières années, selon l’Organisation internationale des migrations) ou dans les « commissions » qui détermineront s’ils obtiendront l’asile politique en Italie.

Des « médiateurs culturels »

Dans ce processus, où les migrants sont invités à s’exprimer en toute confiance et sous le sceau de la confidentialité, les « médiateurs culturels » (comme on les appelle parfois) jouent même un rôle déterminant. « Un médiateur culturel peut nous aider à contrôler la véracité d’une déclaration, explique Anis Cassar, un porte-parole du Bureau d’appui en matière d’asile, une agence européenne qui soutient l’Italie dans de domaine. Son rôle n’est pas simplement de traduire des propos mot-à-mot mais de contrôler s’ils sont fondés. »

Plusieurs de ces interprètes semblent pourtant ignorer l’importance d’être indépendants. « Ils ne se cachent même pas ! constate Slid Negash, porte-parole de la Coordination Érythrée démocratique à Rome. Ils mettent leurs photos sur Facebook. Ils parlent de leur rôle dans les rangs du parti au pouvoir. »

Certains médiateurs culturels vont parfois plus loin en conseillant à des demandeurs d’asile de déclarer aux autorités italiennes qu’ils fuient la Corne de l’Afrique pour des raisons économiques et non politiques (la meilleure façon de ne pas obtenir le statut de réfugié). C’est, du moins, ce que certains Érythréens ont répété au père Zerai.

Code de bonne conduite

Leur rôle est d’une telle importance que les interprètes qui travaillent dans les commissioni doivent adhérer à un code de bonne conduite, qui précise qu’ils ne doivent pas avoir de relations avec les autorités de leur pays d’origine. C’est notamment le cas de la trentaine d’interprètes italien-tigrinya qui travaille pour la Cooperativa ITC, un cabinet de traducteurs et d’interprètes, à Rome.

« On fait tous les efforts pour faire comprendre à nos traducteurs et à nos interprètes qu’ils ne doivent absolument pas avoir de rapports avec les États et les gouvernements d’origine », explique Mariana De Maio, présidente du conseil d’administration de Cooperativa ITC. On pourrait croire que le message a été entendu : cette entreprise n’a jamais licencié personne pour non-respect du code de bonne conduite.

« Je ne suis pas en mesure de savoir ce qu’un interprète fait en dehors de ses heures de travail ou s’il utilise les informations qu’il obtient dans le cadre de son travail à d’autres fins, soutient Mariana De Maio. Je ne suis pas la police ! »

La Cooperative ITC soumet toutefois les noms des candidats au poste d’interprète – il s’agit en règle générale de candidatures spontanées – à la police italienne. Cette dernière, ajoute Mariana De Maio, retoque parfois des candidatures, sans révéler toutefois les raisons motivent ce désaveu.

Réseau de renseignement

Des « médiateurs culturels » peu scrupuleux réussissent, malgré cela, à passer à travers les mailles du filet, selon les défenseurs des migrants. Il ne faut guère s’en étonner car les interprètes sont au cœur du renseignement érythréen en Europe, estime Marjam van Reisen, une chercheuse néerlandaise.

« Les cabinets d’interprètes n’ont aucune façon de savoir ce qui se passe, explique-t-elle. Comment le pourraient-ils ? C’est un problème qui existe au Pays-Bas et, très certainement, en Italie. »

En 2015, cette professeure aux universités de Leiden et de Tilburg a constaté que deux interprètes installés de longue date aux Pays-Bas étaient le frère et la sœur d’un homme qui était, d’une part, le responsable local des jeunes du PFJD, et d’autre part, un agent du renseignement érythréen.

Après que l’homme mis en cause (lui aussi interprète) a porté plainte pour diffamation, l’affaire s’est retrouvée dans les tribunaux néerlandais. En 2017, un juge lui a donné raison, déclarant que la jeunesse du PFDJ était « une composante du réseau d’informateurs du gouvernement de l’Érythrée ».

Vu les tentatives d’infiltration des organisations qui viennent en aide aux migrants, notamment des églises, sur le continent européen et en Scandinavie, la chercheuse Marjam van Reisen ne voit pas pourquoi l’Italie ferait exception à la règle.

Le mauvais réflexe

La France, l’Allemagne et la Suisse n’y échappent pas non plus, selon le père Zerai. Cela teindrait parfois à des considérations pratiques : lorsque des Européens sont à la recherche de traducteurs ou d’interprètes, leur réflexe est de contacter l’ambassade, y compris dans le cas de l’Érythrée. « Quand on lui demande un interprète, c’est évident que l’ambassade enverra un des siens », soutient Don Mussie.

L’Office français de protection des réfugiés et apatrides se dit sensible au problème. « Nous sommes très attentifs à ça, explique le directeur général de l’Ofpra, Pascal Brice. Dès qu’il y a des faits avérés, nous en tirons les conséquences. » Il refuse toutefois de préciser si des interprètes français-tigrinya ont déjà été remerciés pour avoir été en relation avec les autorités érythréennes.

Les renseignements obtenus dans la diaspora permettraient, notamment, à Asmara de percevoir un impôt de 2% sur le revenu de ses ressortissants établis à l’étranger. Les opposants assimilent cette pratique à une forme de racket. Le régime dément prélever une taxe sur les expatriés et qualifie cette accusation de « propagande » anti-érythréenne.

Contactée par RFI, l’ambassade de l’Érythrée à Rome n’a pas souhaité s’exprimer.

La voix du nord // Pourquoi y a t-il autant de migrants venus d’Ethiopie et d’Erythrée?

http://www.lavoixdunord.fr/201189/article/2017-08-06/pourquoi-y-t-il-autant-de-migrants-venus-d-ethiopie-et-d-erythree

Pourquoi y a-t-il autant de migrants venus d’Éthiopie et d’Érythrée ?

– Pourquoi de nombreux Éthiopiens quittent-ils leur pays ?

« En Éthiopie, 80 % de la population vit de la terre. La croissance démographique est de 2,6 % par an, tandis que la surface de la terre à cultiver reste stable. La superficie moyenne de l’exploitation est de 0,75 hectare. La parcelle est transmise à un ou deux enfants, les trois ou quatre autres restent sur le carreau. Venant de la campagne, sans qualification, ces jeunes n’ont aucune chance de trouver du travail en ville. Ils n’ont d’autre perspective que d’émigrer. »

– Y a-t-il des perspectives d’amélioration ?

« À très long terme. Sans être une démocratie (c’est même un État autoritaire), l’Éthiopie est un des rares pays d’Afrique réellement structuré. C’est un État solide, qui a une stratégie de développement. Il y a des investisseurs internationaux, une véritable croissance, mais le problème, c’est que le cœur de la pauvreté n’a pas encore été atteint. Un ouvrier éthiopien gagne 40 € par mois. 20 % de la population a besoin de l’aide alimentaire d’urgence. »

– La situation de l’Érythrée est-elle comparable ?

« Non. D’abord en raison de sa taille, l’Érythrée, c’est six millions d’habitants. L’Éthiopie, c’est cent millions. L’indépendance de l’Érythrée est récente, elle remonte à 1991. Jusqu’en 1998, le pays a connu une forte croissance, favorisée par un niveau d’éducation supérieur et une main-d’œuvre qualifiée, héritage de la colonisation italienne. Le pays se rêvait alors comme le Singapour de l’Afrique. Mais une nouvelle guerre est intervenue en 1998 avec l’Éthiopie, au terme de laquelle un accord sur la frontière entre les deux pays a été signé, que l’Éthiopie n’a jamais accepté. Depuis, les deux pays se livrent une sorte de guerre souterraine, chacun accusant l’autre de soutenir son opposition… L’Érythrée était déjà une dictature, et le pouvoir a profité de ce conflit pour la durcir encore. Autant en Éthiopie, il reste quelques espaces individuels de liberté, autant en Érythrée, c’est la dictature, dans toute son horreur. »

– De nombreux Érythréens arrivant chez nous sont très jeunes. Pourquoi ?

« Les Érythréens, à l’âge de 18 ans, sont tenus d’entrer au service de l’État. C’est un service militaire, pour une durée infinie, et en même temps un service civil. Les gens entrent dans la fonction publique, travaillent sur des chantiers d’État, ou pour l’armée elle-même, pour des salaires dérisoires, le tout dans un contexte de corruption massive. Des Érythréens quittent leur pays avant, ou peu de temps après, pour se sortir de cet enfer. Pour l’Érythrée, l’émigration est donc dictée au moins autant par la situation politique que par la situation économique. »

– L’État combat-il cette émigration ?

« Non. Il existe des réseaux de passeurs, qui impliquent probablement une partie du régime. L’émigration est une source d’enrichissement pour des personnes très haut placées. Et de plus, les Érythréens exilés sont tenus de verser 2 % de leurs revenus au régime. Pour ce dernier, c’est une rentrée d’argent très importante. »

– L’Europe est-elle la première destination d’émigration des Éthiopiens et des Érythréens ?

« Non, la majorité d’entre eux se dirigent vers la péninsule arabique, les pays du Golfe, ainsi que le Liban. Les gens traversent la Mer Rouge par le détroit de Bab-al-Mandeb, qui est d’ailleurs au moins aussi meurtrier que la Méditerranée. Puis ils traversent le Yémen à pied où là, ils sont bien souvent victimes de la guerre civile qui s’y déroule. Sinon, il n’y aucun lien particulier entre ces pays et la Grande-Bretagne. S’ils veulent s’y rendre, c’est parce qu’ils espèrent y trouver plus facimement du travail ».

RFI // Erythrée: l’ONU dénonce encore de nombreuses violations des droits de l’homme

Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU est réuni en session ordinaire à Genève jusqu’au 23 juin. A cette occasion, la rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en Érythrée rendra un nouveau rapport jeudi 15 juin. RFI a pu obtenir le document en exclusivité. En poste depuis 5 ans, Sheila Keetharuth dénonce à nouveau de nombreuses violations des droits de l’homme dans le pays, alors qu’Asmara refuse toujours de répondre aux injonctions de la communauté internationale.

Aucun effort pour trouver des solutions, aucune volonté de mettre fin à l’impunité. Asmara refuse toujours de coopérer, selon Sheila Keetharuth. Son rapport est sans surprise avec ses multiples cas d’arrestations, détentions arbitraires, tortures, non-respect des libertés.

Par exemple, depuis octobre 2016, les usagers de cyber-cafés devraient se faire enregistrer et les sites consultés seraient recensés. La rapporteuse confirme la mort en prison de Tsehaye Tesfamarian, un témoin de Jehova arrêté il y a 8 ans. Elle s’inquiète pour la santé de l’ancien ambassadeur au Nigeria, Mohamed Ali Omaro, détenu au secret depuis trois ans.

Aucune personnalité étrangère n’est autorisée à visiter les terribles centres de détention érythréens. Sheila Keetharuth n’a elle-même toujours pas pu se rendre dans le pays.

Pourtant, des délégations étrangères entrent en Erythrée pour mettre à jour leurs informations sur les demandeurs d’asile. Car l’hémorragie continue. Plus de 21 000 réfugiés érythréens ont traversé la Méditerranée en 2016. La Mauricienne s’inquiète d’ailleurs que certains pays européens se concentrent d’abord sur la protection de leurs frontières.

Dans de rares cas, un point positif sort du rapport. La solde des conscrits aurait augmenté. Mais elle rappelle ensuite que le service militaire s’apparente à de l’esclavage. Sheila Keetharuth se dit enfin convaincue qu’Asmara veut améliorer ses relations diplomatiques. Mais cela reste à voir, ajoute-t-elle. Constat d’impuissance, dans ses conclusions elle répète ses recommandations habituelles.

« La torture au bout du fil » / Documentaire de Keren Shayo

En passant

Voyage en barbarie dans le désert du Sinaï – Série de reportages sur les violences subies par les Erythréens – Le Monde

En passant

Voyage en barbarie dans le désert du Sinaï

Série de reportages sur les violences subies par les Érythréens – Le Monde

Les journalistes du Monde, Cécile Allegra et Delphine Deloget, ont réalisé une série de reportages sur les violences subies par les Érythréens qui quittent leur pays et sont kidnappés sur la route de l’exil. Quittant l’Érythrée où ils sont soumis à un service militaire à durée indéterminée, mis en prison et torturés pour n’importe quel prétexte, ils continuent à subir des persécutions lors de leur voyage.

Ces cinq reportages sont publiés ici, un par jour du 13 au 17 octobre. Attention, certaines images peuvent choquer.

Marianne – L’Érythrée, un goulag à ciel ouvert

En passant

http://www.marianne.net/L-Erythree-un-goulag-a-ciel-ouvert_a240514.html

L’Érythrée, un goulag à ciel ouvert

Lundi 11 Août 2014 à 05:00
Propos recueillis par Bruno Rieth

D’après les informations du Figaro, la France connaitrait une augmentation des arrivées de migrants Érythréens sur son territoire. Certains à droite en ont profité pour tenter de relancer le débat sur la nécessité de restreindre l’accès des prestations sociales aux étrangers. Une « sottise » pour Léonard Vincent, journaliste et écrivain, auteur du livre « Les Érythréens », qui livre pour Marianne les clés qui permettent de comprendre cette immigration en provenance d’un pays qui n’a rien à envier à la Corée du Nord.

HEIDI LEVINE/SIPA

HEIDI LEVINE/SIPA
Marianne : Quelle est la situation politique actuelle en Érythrée ?
Léonard Vincent: C’est un pays organisé comme une caserne disciplinaire sous l’autorité absolue d’un chef, Issayas Afeworki, ancien héros de la libération qui s’est transformé en despote alcoolique. C’est un pays soumis à la loi d’un chef de guerre qui se considère toujours en guerre. Les enfants sont rois jusqu’à l’âge de 17 ans puis, ils sont soumis au service militaire jusqu’à leurs quarantaines. Dans les casernes, les jeunes filles sont fréquemment violées et les garçons sont frappés et humiliés. C’est aussi un pays qui est en ruine et avec un mythe de l’autosuffisance qui a éclaté depuis longtemps. Afeworki, tout en expliquant officiellement qu’il refuse toute aide internationale, a été financé par la Chine, le Qatar et ne refuse pas l’argent proposé par les fonds d’aides de l’ONU. La Libye du colonel Kadhafi a aussi longtemps participé au budget de l’Etat Erythréen, fourni du pétrole et des armes. C’était un allié, voire plus. D’ailleurs, certains opposants du président Afeworki l’appelaient même le « caniche de Kadhafi ». Mais depuis les années 2000, avec le renforcement de la répression, le pays est de plus en plus isolé. Le régime parle de complot de la CIA pour le justifier. Il faut imaginer que dans la Capitale, à Asmara, il y a des coupures d’électricité incessantes avec 2 heures ou 3 heures maximum de courant par jour. Le pays s’effondre progressivement et on assiste à un effritement de sa population. Une grande partie de la société attend la chute du chef. L’Érythrée se rapproche du camp de concentration avec travaux forcés. L’armée contrôle tous les pans de la société, pas de police, pas de cours de justice, pas d’avocats pour vous défendre.
Quelles sont les solutions possibles pour les habitants, s’ils veulent échapper à la répression du régime ?Il n’y en a qu’une, la fuite. C’est le cas depuis 10 ans environ. En 1993, après une guérilla contre l’Ethiopie, l’indépendance se fait dans une certaine euphorie. Mais rapidement, Issayas Afeworki resserre le pouvoir autour de lui. En 1998 éclate une nouvelle guerre avec L’Ethiopie qui va causer entre 70.000 et 90.000 morts. Certains des anciens camarades d’armes du président commencent à se rebeller et tentent de s’opposer. Mais il va profiter des attentats sur le sol américain en septembre 2001 pour lancer de grandes rafles contre ces « réformateurs ». Ils sont envoyés en prison, les partis politiques sont interdits et les 7 journaux qui existaient sont supprimés. Depuis le pays s’est totalement figé, durci même et la population a commencé à fuir, notamment les jeunes. Selon les chiffres de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), il y a eu des pics d’émigration dés les années 2002 et 2003. La seule alternative pour échapper au service militaire ou à la prison est donc de fuir. Trouver de l’argent pour payer des passeurs qui ne soient pas des mouchards du régime et passer vers le Soudan ou l’Ethiopie, puis vivre de camps de réfugiés en camps de réfugiés jusqu’à trouver un coin tranquille. Ce n’est pas vraiment un choix. Si ils restent dans le pays, ils sont voués à être des esclaves du régime, à être envoyé dans les campagnes, pour travailler dans des chantiers pour le reste de leur vie.
Leur périple est souvent très dangereux. Ils sont souvent rackettés par les passeurs. En Libye, ils risquent parfois la mort car ils sont considérés comme des anciens mercenaires du colonel Kadhafi. En 2009, le HCR évaluait de 1000 à 3000 passage réussis d’Erythréens hors du pays. Maintenant ce serait au alentour de 3000 à 4000 par mois. C’est énorme. On estime à 800 000 la diaspora Erythréenne dans le monde, soit presque un cinquième de la population totale du pays.Quels sont leurs objectifs lorsqu’ils quittent leur pays ?Ce qu’ils recherchent, c’est de se réfugier dans la première démocratie sur leur chemin. J’ai parlé avec beaucoup d’entre eux. Ils ne rêvent pas de devenir rappeurs ou stars de football. Ce qu’ils veulent c’est un pays où on leur foute la paix, où ils peuvent vivre en sécurité sans avoir peur pour leur vie. C’est une immigration particulière. Ce sont des fugitifs qui viennent de s’échapper d’une prison après avoir été persécutés tout au long de leur chemin.

Que pensez-vous des propos d’Eric Ciotti ou d’Hervé Mariton qui associent l’augmentation d’arrivée de migrants Érythréen et nécessité de réduire les aides sociales aux étrangers en situation régulière et irrégulière ?

Ce genre d’affirmation traduit une totale ignorance de la question. Je pense qu’ils auraient mieux fait de garder le silence. Tous les migrants en provenance de l’Érythrée que j’ai pu rencontrer, que ce soit au Soudan, en Egypte ou en Italie ne m’ont jamais montré de « petit manuel du migrant » avec écrit en gros caractères « la France pays des aides sociales ».  Ce sont des personnes qui émigrent pour échapper à leurs tueurs. Et puis la France pays des droits de l’Homme, qui a eu dans son Histoire plusieurs grandes personnalités qui n’étaient pas française à l’origine comme Garibaldi ou Francisco Miranda, ne devrait pas rechigner à accueillir ces immigrés. Ce serait honorer cette Histoire, faire preuve de patriotisme en faisant vivre cette tradition d’accueil.

Rue 89 : L’arrivée « massive » d’Erythréens inquiète Le Figaro : pourquoi quittent-ils leur pays ? / 05.08.2014

En passant

http://rue89.nouvelobs.com/2014/08/05/larrivee-massive-derythreens-inquiete-figaro-pourquoi-quittent-ils-pays-254075

L’arrivée « massive » d’Érythréens inquiète Le Figaro :

pourquoi quittent-ils leur pays ?

La réponse de Rémi Noyon.

Les mains et jambes de migrants (érythréens et syriens) secourus par la marine italienne, Augusta, en Sicile, le 5 juin 2014 (Marco Vacca/SIPA)

 

Les lecteurs du Figaro ont dû trembler ce mardi matin. Le quotidien fait sa une sur un « rapport alarmant de la police aux frontières ». Dans les pages intérieures, on apprend qu’une « réunion exceptionnelle » s’est tenue le 9 juillet à la préfecture des Alpes-Maritimes. Se basant sur le compte-rendu des discussions, Le Figaro relaie l’inquiétude des agents face au nombre grandissant de ressortissants érythréens interpellés, notamment près de la frontière avec l’Italie. En juin, ces interpellations se chiffraient à 2 628, contre 47 en mars.

Le Figaro ne s’étend pas sur les raisons qui poussent les Erythréens à quitter leur pays. Depuis des années, l’Erythrée est décrite comme « la Corée du Nord de l’Afrique ». Après son indépendance au début des années 90, le pays s’est transformé en l’un des régimes les plus répressifs de la planète, sous l’autorité du président Issayas Afewerki, qui a gardé de son séjour en Chine maoïste un goût de l’embrigadement et de l’arrestation arbitraire.

Paranoïa et alcoolisme

Les Erythréens sont nombreux à fuir vers l’Europe ou des pays limitrophes. Mais cette « hémorragie » semble s’accélérer depuis quelques mois. Selon Léonard Vincent, auteur d’un livre sur ce « peuple pris en otage » ( « Les Erythréens », éd. Rivages, 2012), cela est dû à une détérioration générale de la situation du pays, brutalisé par un Président qui sombre dans la paranoïa et l’alcoolisme.

Le régime s’accroche à ses rêves d’autosuffisance. Les aides internationales se sont taries en même temps qu’a augmenté la pression extérieure. Les alliés traditionnels du pays (Chine, Qatar) s’en détournent ou sont de plus en plus méfiants vis-à-vis du président Afewerki. Le gouvernement s’empêtre dans l’incohérence tandis que la diaspora et l’opposition se structurent à l’étranger. Inspirés par le Printemps arabe, les opposants ont par exemple lancé le projet Arbi Harnet (vendredi libre), dont le principe est de passer de nombreux coups de téléphone vers l’Erythrée pour appeler à la révolte.

Face aux contestations, le régime durcit la répression. Après la guerre avec l’Ethiopie (de 1998 à 2000), le service national a été allongé. Désormais, les jeunes conscrits sont souvent réquisitionnés pour travailler à l’envi pour des entreprises liées à l’Etat, Amnesty International parlant à ce sujet de « persécution d’Etat » et de « travail forcé ». La liberté de la presse est inexistante – le pays concurrence la Corée du Nord dans les bas-fonds du classement de Reporters sans frontières. En mai de l’année dernière, Amnesty International estimait à 10 000 le nombre de personnes placées en détention pour des motifs politiques.

Les évadés et la répression

Les défections sont de plus en plus nombreuses, et parfois spectaculaires. Lors des Jeux olympiques de Londres, il y a deux ans, le porte-drapeau érythréen, Weynay Ghebresilasie, avait saisi l’occasion de la compétition pour demander l’asile. En 2012, le ministre de l’Information profite d’un voyage d’affaires en Europe pour disparaître. Sa fille est arrêtée dans la foulée.

La propagande du régime en la matière a évolué ces dernières années. Longtemps dans le déni, le Président parle maintenant d’un complot de la CIA, appuyé par les ONG et les journalistes qui font miroiter aux jeunes un avenir meilleur et siphonnent la main-d’œuvre du pays. Dans le même temps, des officiels du régime organisent un véritable racket, basé sur le trafic d’êtres humains. Un rapport relayé par le Guardian, en décembre 2013, dénonce ainsi les agissements du général Teklai Kifle, qui commande des unités militaires à la frontière, et gère un système sordide d’enlèvements et de demandes de rançons.

Pourquoi ces migrants se dirigent-ils maintenant vers la France, qui est aussi un point de passage vers la Grande-Bretagne ou l’Allemagne ? Au-delà du bouche-à-oreille et des réseaux de solidarité classiques, c’est peut-être aussi le durcissement récent des conditions d’asile en Suisse qui mène à cette réorientation.

Conclusion de Léonard Vincent :

« Les évadés s’adaptent à la répression. »

Sinaï, le désert des tortures / Libération, 10.01.2014

Sinaï, le désert des tortures / Libération, 10.01.2014

http://www.liberation.fr/monde/2014/01/10/sinai-le-desert-des-tortures_971955

La trentaine, le visage émacié, il aspire avec frénésie des bouffées de cigarette. La fumée se déverse aussitôt en propos confus, à peine audibles dans la cacophonie de ce bar du Caire. Tout son corps crie encore l’effroi de sa détention dans le désert du Sinaï. Yonas Habte est érythréen. C’est grâce à sa famille qu’il a survécu à l’une des plus grandes traites d’êtres humains contemporaines. Sept jours auparavant, après que ses proches ont versé les 40 000 dollars (environ 30 000 euros) de rançon exigés par les ravisseurs, Yonas a pu gagner la capitale égyptienne. Bien qu’épuisé, il s’est précipité à l’ambassade d’Erythrée : «Des dizaines d’autres sont encore détenus, aidez-nous !» Yonas écrase son mégot, silencieux. Son regard, noir d’ivoire, traduit à lui seul sa colère contre ces diplomates qui l’ont alors congédié sans ménagement. L’index pointé vers le ciel, il reprend d’un timbre grave : «Otage, j’ai fait une promesse à Dieu. J’ai juré que, si je survivais, je tenterais tout pour mettre fin à ce trafic d’êtres humains. Si personne ne nous porte secours, je veux que le monde sache.»

«L’une des crises humanitaires les moins documentées au monde.» C’est en ces termes que l’agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) qualifie le drame qui se joue dans le silence des dunes du Sinaï, à la frontière avec Israël. Cette crise s’amorce en 2007, lorsque des migrants et réfugiés subsahariens prennent la route de Tel-Aviv, alors un eldorado. Des Bédouins locaux saisissent leur chance et se convertissent en passeurs. A raison de 1 000 dollars par tête, leur activité est lucrative. D’autant que, entre 2007 et 2012, 62 000 clandestins ont ainsi rallié l’Etat hébreu, selon les autorités israéliennes. Cette semaine, des milliers d’entre eux ont d’ailleurs manifesté leur colère, à Tel-Aviv et Jérusalem, contre le traitement qui leur est réservé depuis lors (lire Libération de mercredi).

25 000 survivants, 15 000 disparus

En 2009, Tel-Aviv riposte. Des politiques draconiennes sont mises en place à l’encontre des «infiltrés». Le flux diminue. Pour compenser leur manque à gagner, les Bédouins se lancent dans un nouveau commerce. Ils séquestrent les candidats à l’immigration durant leur traversée du Sinaï. Les otages sont affamés, brutalisés et violés dans l’attente de leur libération. Celle-ci ne survient qu’une fois que leurs proches s’acquittent de sommes comprises entre 10 000 et 40 000 dollars (7 300 et 30 000 euros), assurant la ruine des communautés rançonnées. Pour pérenniser ce négoce, les Bédouins vont commanditer des enlèvements, principalement d’Erythréens qui fuient leur pays pour trouver asile dans des camps de réfugiés au Soudan. Interviennent les complices, des membres d’une tribu arabe peuplant les rives de la mer Rouge, les Rachaïdas. Ils organisent des rafles aux alentours ou à l’intérieur de ces camps et transfèrent leur butin dans le Sinaï.

Jusqu’en 2012, on comptait plus d’un millier de captifs. Or, depuis la construction par Israël d’un mur de défense le long de sa frontière avec l’Egypte, «plus aucun migrant ou réfugié ne vient volontairement dans le Sinaï», constate Heba Morayef, directrice en Egypte de Human Rights Watch. Les détenus actuels ne sont donc plus des clandestins en route vers Tel-Aviv, uniquement des réfugiés enlevés au Soudan. Le nombre d’otages est ainsi moindre. «Plus de 400 individus», détaille Meron Estefanos. Cette militante des droits de l’homme d’origine érythréenne, basée en Suède, a entrepris un intense lobbying auprès d’institutions internationales pour mettre un terme à ce trafic. Egalement journaliste, elle est coauteure de rapports sur cette traite avec deux professeures de l’université de Tilburg, aux Pays-Bas. Selon leurs estimations, 600 millions de dollars ont été extorqués aux familles des 25 000 survivants. Et aussi à celles des 15 000 disparus.

Yonas Habte occupe avec cinq rescapés un appartement à Ard el-Lewa. Dans ce faubourg du Caire, dédale de ruelles poussiéreuses, les klaxons des tuk-tuk rivalisent avec les cris des vendeurs ambulants. Yonas referme la fenêtre. Il s’affale dans un fauteuil et masse ses cernes creusés par un sommeil agité. «Je suis né le 20 mai 1980. J’ai été libéré le 20 mai 2013», entame-t-il, encore ébahi par cette seconde naissance. De sa jeunesse, il retient la guerre incessante de libération contre l’Ethiopie, et l’euphorie qui s’est emparée de sa nouvelle patrie à l’indépendance, en 1993.

Vingt ans plus tard, «l’Erythrée est l’un des pays les plus répressifs, secrets et inaccessibles au monde», rapporte Amnesty International. Issayas Afeworki le dirige en implacable dictateur militaire depuis l’indépendance. Obsédé par la survie de son régime après la guerre de 1998 contre l’ennemi héréditaire, il impose la conscription à durée indéterminée, entre 17 et 50 ans. La Corée du Nord de l’Afrique s’est, depuis, transformée en caserne à ciel ouvert d’où chacun tente de déserter. «Ils m’ont rattrapé à cinq reprises, je l’ai payé d’un an et demi de prison. J’ai pourtant servi mon pays lors des trois guerres contre l’Ethiopie, se remémore Yonas, amer. « Awet n’hafach ! » scande notre régime [«victoire aux masses» en tigrinya, la langue locale, ndlr]. Mais de quelle victoire nous parle-t-on ? Nous n’avons ni pain ni travail, aucune liberté.» Et surtout pas celle du culte. Protestant pentecôtiste, Yonas est emprisonné. Il renie sa foi et sort libre… quatre ans plus tard.

Sa dernière incarcération forge sa détermination. Il doit s’exiler. Yonas organise alors sa fuite à travers la frontière soudanaise avec le concours d’un officier de l’armée, largement rétribué. Il échappe ainsi aux gardes qui tirent à vue pour parer aux évasions. Cette mesure ne dissuade cependant pas. Environ 3 000 Erythréens gagnent chaque mois les pays limitrophes, selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés. Sur les 6 millions d’habitants, 20% ont déjà fui.

Une chaîne, quinze cadenas

Au Soudan, Yonas se croit sauf. Mais des soldats l’interceptent. «Ils m’ont promis de me conduire au camp de réfugiés de Shagarab, proche de la frontière», poursuit-il en sirotant son café froid. Yonas a en réalité été vendu avec trois Erythréens à des Rachaïdas. «Ces hommes nous ont enchaînés avec cinq détenus et entassés à l’arrière d’un pick-up.» Les prisonniers atteignent la frontière égyptienne, où ils sont revendus à un autre groupe. Après huit jours de voyage sans nourriture, ils embarquent sur un bateau pour le Sinaï. Des Bédouins les réceptionnent contre paiement, direction «une villa perdue dans les sables». A quelques mètres de cette villa, un garage. Ce sera son makhzan, sa «geôle». La porte s’ouvre. «Six Noirs étaient allongés dans l’obscurité», se rappelle Yonas. Avec son groupe, ils sont désormais quinze, tous enchaînés par les pieds. Une seule chaîne, quinze cadenas. «Je me suis évanoui à la première électrocution sur nos fers. J’ai aussitôt compris la première règle du makhzan : si tu tombes à terre, leur barbarie se décuple.» Il retrousse son pantalon jusqu’au tibia pour dévoiler une cicatrice d’une douzaine de centimètres, témoin des coups reçus ce jour-là. La raison de leur détention ne tarde pas à leur être communiquée. «Vous avez deux semaines pour payer 50 000 dollars chacun ou personne ne sortira vivant. Appelez vos familles», tonne Yonas en imitant la voix rauque «d’un fumeur compulsif d’une cinquantaine d’années». Cette voix est celle d’Abou Omar. Pas le plus cruel, mais l’un des plus gros trafiquants.

Drogués et sodomisés

Dans leur makhzan, les otages disposent d’un téléphone portable. Yonas consacre son premier appel à sa sœur qui réside en Australie. En larmes, elle lui promet son aide. Yonas ne veut néammoins négliger aucune piste. «Plusieurs fois par jour, je téléphonais à ma mère, à mes amis, à ma copine.» Sans résultat. Au jour J, aucune somme n’a été versée. La voix nouée, Yonas raconte avoir exécuté avec cinq codétenus les lubies de leurs geôliers. Sous l’emprise de drogues, ils se sont sodomisés.

Une routine ne tarde pas à s’installer. Souvent, «nous étions suspendus au plafond. On nous brûlait au fer rouge ou avec des gouttes de plastique fondus qui venaient s’écraser sur notre peau.» Les sévices s’intensifient quand les détenus téléphonent à leurs proches. Les cris, espèrent les trafiquants, feront pression sur les familles pour verser l’argent.

Bientôt, dix autres Erythréens les rejoignent dans ce garage aux parois métalliques. Puis huit. Dans ces 14 mètres carrés, 33 personnes suffoquent dans une chaleur saturée d’excréments. Un pain par jour, parfois une conserve constituent leur seule nourriture. Ils ne boivent que de l’eau salée. Et qu’importe la détresse, «il était défendu de parler entre détenus. Il était interdit de bouger aussi, malgré les poux.» Les yeux bandés la plupart du temps, «nous guettions, anxieux, le bruit de la serrure ou la voix d’Abou Omar».

Si un détenu s’avère insolvable, il le paye de sa vie. «Un Ethiopien affirmait n’avoir personne à même d’offrir sa libération. Les gardes se sont acharnés sur lui et sa blessure au bras s’est infectée au point que des vers se sont développés. Puis ils l’ont menacé de prendre ses organes pour les vendre en dédommagement.» Yonas marque une pause. «Finalement,ils l’ont achevé au couteau.» Les détenus enveloppent alors la dépouille dans un drap pour qu’il retrouve dans la mort quelque dignité. Le corps pourrira trois jours dans le makhzan, avant que Yonas et un autre compagnon ne soient forcés de l’enterrer dans le désert.

Epuisé par cet effort de mémoire, Yonas semble absent. Un de ses colocataires s’approche pour l’enlacer. Il sursaute, les coudes prêts à protéger son visage. «Deux autres otages ont succombé sous nos yeux», ajoute-t-il dans un souffle. Les premiers versements arrivent enfin. 2 000 dollars, encore 5 000, à nouveau 2 000. Semaine après semaine, sa sœur se démène, s’endette. Et grâce à la vente de ses terres en Erythrée, la mère de Yonas apporte 10 000 dollars. Western Union transfère, Abou Omar encaisse.

Plus de 5 000 morts en cinq ans

Six mois et 40 000 dollars plus tard, c’est donc au Caire que Yonas a trouvé asile. Tous ne connaissent pas cette chance. «Beaucoup de réfugiés meurent après leur libération, même après avoir payé leur rançon», explique la militante Meron Estefanos. Certains décèdent des suites de leurs blessures ou sont revendus à d’autres Bédouins. D’autres sont abandonnés dans le désert. S’ils sont rattrapés par l’armée, ils seront détenus pour avoir pénétré illégalement dans une zone militaire. Et s’ils tentent de traverser la frontière, ils risquent d’être abattus par les soldats. Selon les comptes rendus des morgues, plus de 5 000 réfugiés et migrants seraient morts dans le Sinaï ces cinq dernières années.

Quelque 500 survivants habitent aujourd’hui dans la capitale égyptienne. Ils ont été pris en charge à leur arrivée par le HCR. En plus d’une assistance médicale et psychologique, ils reçoivent pendant six mois 420 livres égyptiennes mensuelles (45 euros). «Mis en commun pour payer le loyer et la nourriture, détaille un colocataire de Yonas. Mais que se passera-t-il ensuite ? Travailler ?» Le chômage explose en Egypte et la langue demeure un obstacle. Leur intégration est d’autant plus délicate qu’ils gardent des séquelles, comme le relate une jeune Erythréenne, violée à répétition par ses tortionnaires : «Je ne sors pas dans la rue, trop de choses m’évoquent le Sinaï. Des voix, des rires et même certains visages m’effrayent.» Une peur exacerbée par des rumeurs d’enlèvements au Caire.

Beaucoup se résignent, suspendus à l’espoir que l’ONU les réimplante dans un pays tiers. Une démarche longue si elle survient. Cet attentisme, Yonas le refuse. A défaut de pouvoir mettre fin à ce trafic, il cherche à en atténuer les conséquences. Quotidiennement, il veille un survivant à l’hôpital. En contact avec les treize derniers otages d’Abou Omar, il les soutient, les encourage et coordonne leurs communications avec l’extérieur. Un jour, une bonne nouvelle tombe enfin. Les rançons de trois d’entre eux ont été payées. Ils vont être rapatriés au Caire. Un rapatriement à haut risque car, sur cette route, les check-points de l’armée sont minutieux. Les ex-otages sont travestis pour tromper la vigilance des soldats, ils revêtent un niqab. Bientôt, le chauffeur employé par le trafiquant avertit Yonas de son approche. Mais les heures s’écoulent et l’angoisse grandit. Le chauffeur a confié les Erythréens à un taxi en banlieue du Caire qui a pris peur et les a livrés à la police.

Les villas du trafiquant Abou Omar près d’El-Mehdiya, à la frontière israélo-égyptienne. (Photo Baptiste de Cazenove.)

Anéanti, Yonas tente de rassurer les familles restées au pays. Elles s’emportent au téléphone : «J’ai payé la rançon, où est mon frère ?» Sans papiers, ces trois Erythréens sont, comme leurs centaines de concitoyens, incarcérés dans les prisons égyptiennes : des migrants économiques au regard des autorités, et non des demandeurs d’asile. Cette qualification, habile, permet à l’Egypte de refuser au HCR l’accès aux prisonniers, rendant impossible l’identification de leur statut de réfugié. Elle permet surtout de déporter ces migrants à leurs frais dans leur pays d’origine, au mépris de la convention de Genève, dénoncent des ONG. Pourtant, en Erythrée, ils risquent «fortement d’être torturés et placés arbitrairement en détention», s’alarme Amnesty International. Dans les mois suivants, ces jeunes auront réintégré le service militaire à vie, le même qu’ils avaient fui.

Le cheikh sauveur

De l’abattement à l’optimisme, la frontière est parfois ténue. Quelques jours plus tard, dans un appartement occupé par des survivants, une émanation âcre saisit les narines. Trois adolescents désinfectent leurs chairs putréfiées, brûlées à vif. Leurs gestes sont lents, méticuleux. Comme les autres survivants, ils ont été brutalisés et affamés jusqu’à devenir ces corps décharnés qu’ils entrevoient dans le reflet d’une vitre. Mais, contrairement à eux, ils ont été délivrés de leur makhzan. Un puissant cheikh, un chef de tribu bédouin, leur a rendu la liberté.

C’est à El-Mehdiya, dans la province excentrée du nord du Sinaï, que ce cheikh habite. L’autoroute qui y conduit dévoile une des plus pauvres régions, livrée à des gangs bédouins en guerre pour le contrôle des trafics d’armes, de drogues et de marchandises. Ce désert est également le repère de jihadistes armés. Galvanisés depuis le renversement par l’armée de Mohamed Morsi, président issu des Frères musulmans, ces islamistes lancent des attaques aussi spectaculaires que mortelles contre les forces de sécurité. Mais le laisser-faire des autorités a vécu. Renforts de troupes, destructions de caches, arrestations massives… une laborieuse opération de nettoyage du Sinaï est en cours depuis juillet.

Un calme précaire règne néanmoins aux abords d’une route ensablée qui s’enfonce au sud de Gaza. Nous sommes à El-Mehdiya, à quelques centaines de mètres de la frontière israélienne. Seuls des oliviers et des fermes isolées s’accrochent aux dunes. La route se transforme en piste et débouche sur une demeure surplombant les environs. Cheik Mohammed Ali Hassan Awad y tient conseil entouré des sages de sa tribu. Ce jeune Bédouin à la barbe longue et soignée est un homme pieux. Salafiste, il puise dans l’islam une doctrine rigoriste. «Vous n’infligerez ni n’endurerez aucune injustice», martèle-t-il, citant le prophète. Cette parole guide son action. Le cheikh combat le trafic d’êtres humains.

Quatre ans plus tôt, «nous avons recueilli un premier Africain évadé d’un camp de torture», se souvient-il. Depuis, grâce à ses prêches et à des manifestations, il est parvenu à isoler ces trafiquants. Personne ne communique et ne commerce plus avec eux. Ce boycott se révèle efficace, le nombre de trafiquants aurait diminué. Une vingtaine de groupes restent néanmoins actifs. Une estimation corroborée par les témoignages des survivants. Le cheikh emploie aussi la force pour délivrer des otages. 300 individus ont ainsi été sauvés, dont les trois adolescents arrivés récemment au Caire, en plus de six Erythréens. Ces derniers sont encore là. A l’heure de la prière, l’assemblée gagne la mosquée voisine. Seuls restent les Erythréens, tous chrétiens. Avec eux, un Bédouin monte la garde, kalachnikov au bras, car d’ici nous apercevons des villas, les palaces des trafiquants.

Ce trafic international perdure en totale impunité. Seule l’opération militaire qui est sur le point de s’achever dans le nord du Sinaï est momentanément venue le perturber. Dans sa traque des islamistes, l’armée a découvert 144 otages en octobre alors que leurs trafiquants prenaient la fuite. Désormais emprisonnés, ces réfugiés sont progressivement déportés dans leur pays d’origine. Toujours en Egypte et, pour la première fois, un homme accusé de complicité dans cette traite va être jugé. Mais «les centaines de personnes impliquées dans ce trafic n’ont jamais été inquiétées par la justice égyptienne, déplore-t-on à Human Rights Watch. En ne prenant aucune mesure, les autorités portent une part de responsabilité.»

Pour certains survivants, la responsabilité de ce drame incombe au régime érythréen. «Si nous n’étions pas contraints de fuir notre pays, ce problème n’existerait pas», se désespère l’un d’eux. D’autres décèlent dans cet enfer une machination orchestrée pour les dissuader de s’évader. Pour leur part, des enquêteurs du groupe de contrôle de l’ONU révèlent que, sur la base de témoignages et de reçus de virements,des rançons ont été payées «directement à des représentants des autorités érythréennes». Et que des personnalités importantes des services de sécurité sont impliquées dans cette traite.

Sacs remplis de cheveux crépus

De telles révélations ne surprennent guère Yonas, que nous retrouvons après notre expédition dans le Sinaï. Avec un autre survivant du makhzan d’Abou Omar, il préfère s’attarder sur nos photos prises au cœur de la zone de détention des otages. Elles défilent sur l’écran de l’ordinateur. Le style chinois des villas, dernière exubérance des trafiquants, tous deux le connaissent. Là, constatent-ils, une villa se construit, signe que cette traite prospère. Ils observent l’existence d’une décharge. Des vêtements aux motifs africains s’y entassent à côté de sacs plastiques remplis de cheveux crépus. «Souvent, ils nous rasaient la tête», confirme Yonas. Dans cette décharge se trouvent des flacons de désinfectant et des poches de perfusion, «avec lesquelles la femme d’Abou Omar nous maintenait en vie», expliquent-ils. Les clichés se succèdent. Soudain Yonas exulte : «C’est ici ! Ce sont les villas d’Abou Omar. Désormais, personne ne pourra dire qu’il ne savait pas.»

Ce reportage inédit a obtenu en 2013 le prix France Info-«XXI».

Baptiste DE CAZENOVE

D’où venaient les naufragés de Lampedusa? (RFI / 05.10.2013)

En passant

D’où venaient les naufragés de Lampedusa?

http://www.rfi.fr/afrique/20131005-italie-lampedusa-naufrage-erythree-issayas-afeworki-migrants-refugies-hcr-mafias-rackets-trafics

Créé le 2013-10-05 23:45

Par Léonard Vincent

Italie / Immigration / Erythrée

La grande majorité des passagers du bateau qui a fait naufrage au large de la Sicile venaient d’Erythrée, un petit pays de la Corne de l’Afrique. Les Erythréens forment l’une des plus grandes communautés de réfugiés au monde, alors que la population totale du pays n’est que d’environ cinq millions. Avant de venir s’échouer, morts ou vivants, sur les côtes de Sicile, ils avaient suivi un périple de plusieurs mois, voire de plusieurs années.

Ils sont jeunes et n’ont rien à perdre, puisqu’ils ont déjà traversé l’enfer. Les Erythréens qui, depuis plus de dix ans, s’entassent en Afrique du Nord, se considèrent comme des évadés. Et pour cause : depuis leur pays natal, le périple de ces garçons et de ces filles, de ces enfants parfois, n’est qu’une suite d’effroyables périls. De l’Erythrée à la Libye, en passant par le Soudan ou l’Ethiopie, ils sont la proie de toutes les mafias, toutes les violences, tous les rackets.

Ce qu’ils veulent fuir est connu : la discipline de fer imposée par le président Issayas Afeworki, le culte des vétérans de la guerre de libération, l’exigence de sacrifice au bénéfice d’une nation en armes, le service militaire à perpétuité. En bref, la misère, l’injustice, l’oppression, la propagande.

3 000 dollars pour le passeur

D’abord, il leur faut trouver un passeur. Economiser suffisamment d’argent pour le dangereux trek à travers l’ancienne ligne de front avec l’Ethiopie ou les djebels du Soudan. Eviter les mouchards de la police, qui les expédieraient directement dans l’une de ces colonies pénitentiaires du pays, où l’on a ni contact avec l’extérieur ni date de libération connue. Le risque est grand, sachant que, dans ce pays ultra-surveillé, les trafiquants sont souvent de mèche avec les militaires.

La somme exigée est de 3 000 dollars, payable en liquide. Les familles vendent leurs biens pour aider les plus jeunes qui peuvent encore être sauvés. L’ordre est de ne rien emporter, sinon une pièce d’identité et un peu d’argent. Le passage, à pied, dure plusieurs jours. Les passeurs coupent les provisions d’eau au gasoil, pour empêcher les fugitifs de boire toute leur ration d’un coup. Mais l’armée patrouille le long des frontières, avec ordre de tirer à vue. Ceux qui se rendent sont envoyés aux travaux forcés. Les réfugiés qui parviennent de l’autre côté sont déjà des survivants.

Déserteurs en Ethiopie

Dans les camps de réfugiés d’Ethiopie, ils sont d’abord « débriefés » par les services de renseignements. Le gouvernement d’Addis-Abeba craint les infiltrations d’espions, de rebelles ou de commandos érythréens. Il glane ainsi de précieuses informations sur l’état réel de son voisin et ennemi, avec lequel il a livré une guerre très meurtrière entre 1998 et 2000. S’ils choisissent de rester en Ethiopie, où l’intégration est difficile, mais possible, les fugitifs sont donc considérés comme des « déserteurs » par leur gouvernement. Ils sont passés à l’ennemi : cette tache indélébile les suivra longtemps.

Otages en Egypte, « infiltrés » en Israël

Au Soudan, le risque est d’être capturé par des soldats corrompus, avant d’avoir pu être enregistré par le Haut Commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR). Ceux-ci les dépouillent d’abord. Ensuite, ils les revendent à des trafiquants bédouins. Ils sont alors conduits de force en Egypte, avec toutes sortes de marchandises de contrebande, vers les centres de détention construits pour eux dans des villas du Sinaï. Là, ils sont atrocement torturés pendant que leurs bourreaux téléphonent à leur famille pour obtenir une rançon s’élevant souvent à plusieurs dizaines de milliers de dollars. Ceux qui parviennent à payer sont poussés à travers les barbelés de la frontière israélienne. S’ils ne sont pas abattus par les gardes-frontières égyptiens, ils sont traités « d’infiltrés » indésirables par des autorités israéliennes de plus en plus intraitables avec les Africains.

Des bidonvilles de Khartoum vers la Libye

Les plus chanceux parviennent jusqu’aux bidonvilles de Khartoum, où ils ont la possibilité de gagner un peu d’argent dans des emplois subalternes. Avec leurs économies, ils payent leur place dans des convois de 4×4 trafiqués qui foncent à travers le Sahara vers la Libye, passant de mains en mains selon les milices qui tiennent les régions traversées.

Dans les villes côtières, du temps du régime du colonel Kadhafi, ils étaient employés par la bourgeoisie locale pour des salaires de misère, jusqu’à ce qu’ils puissent payer leur place sur une coque de noix. Ou bien ils étaient incarcérés dans des centres spéciaux, notamment la prison de Misratah, jusqu’à ce qu’ils puissent acheter leur libération. Depuis la chute du régime de celui qui se prétendait « le roi des rois d’Afrique », la donne n’a pas beaucoup changé. Nombre d’Erythréens sont toujours incarcérés ou ont disparu, victimes de la traque par les rebelles des prétendus « mercenaires noirs » de l’ancien dictateur.

« Prendre la mer, quoi qu’il arrive »

Ceux qui échappent aux rafles s’entassent au hasard de la côte, sous le contrôle de mafias locales, en attendant de pouvoir s’offrir une place sur l’un de ces bateaux destinés à être perdus, en route vers les côtes italiennes ou maltaises. Ils sont alors entassés à bord, les uns sur les autres, enroulés dans des parkas ou des couvertures. Ils remettent leur vie entre les mains d’un pilote désigné par les trafiquants, lequel est la plupart du temps un quidam qui cherche aussi à demander l’asile en Europe. Les rafiots prennent la mer de nuit, avec pour seuls guides une boussole et un téléphone portable.

Mais ces épreuves ne les arrêtent pas. En apprenant le naufrage de Lampedusa, Yoel a immédiatement téléphoné à un membre de sa famille, coincé en Libye dans l’attente d’un hypothétique embarquement. Réfugié en Afrique du Sud depuis plusieurs années, il a exhorté son cousin à renoncer à son projet. « Si je rentre en Erythrée, c’est la mort, lui a répondu ce dernier. Si je reste en Libye, c’est la mort. Alors, la seule chance qui me reste, c’est de prendre la mer, quoi qu’il arrive. »

L’Erythrée, la Corée du Nord africaine (Le Monde / 22.05.2013)

L’Érythrée, la Corée du Nord africaine

http://www.lemonde.fr/afrique/article/2013/05/22/l-erythree-la-coree-du-nord-africaine_3414780_3212.html

par Sébastien Hervieu

Aux sacrifices d’un peuple venaient de succéder les espoirs. De progrès démocratiques, de développement économique. C’était il y a vingt ans. Le 24 mai 1993, un mois après la tenue d’un référendum d’autodétermination, l’ONU reconnaissait l’indépendance de l’Erythrée, ce petit pays côtier de la Corne de l’Afrique. L’indépendance existait de fait depuis déjà deux ans, depuis la fin de l’une des plus longues guerres africaines. Pendant trente ans, la puissance éthiopienne avait été combattue. Elle avait finalement cédé.

Aujourd’hui, les 5 millions d’Ery-thréens ont perdu l’envie d’espérer. Ils ont combattu pour la liberté et vivent désormais dans une prison à ciel ouvert. Cette dictature militaro-nationaliste, d’inspiration marxiste, est la plus brutale d’Afrique. Elle est tenue par un homme, Issayas Afewerki, ex-chef des rebelles du Front populaire de libération de l’Erythrée, qui depuis vingt ans se maintient au pouvoir par tous les moyens.

Comment ce régime autoritaire survit-il ? Le président Issayas Afewerki détient tous les pouvoirs. Chef d’Etat, chef des armées, chef du parti unique, il n’a jamais fait appliquer la Constitution adoptée en 1993. L’Erythrée n’a pas de Parlement, et la population ne s’est pas rendue aux urnes depuis l’indépendance. « Il ne faut jamais oublier qu’Issayas Afewerki a été formé à l’Académie militaire de Nankin, de 1966 à 1967, en pleine révolution culturelle chinoise, et ce maoïsme rigide se retrouve aujourd’hui dans sa grille de lecture paranoïaque », rappelle Léonard Vincent, journaliste et auteur de l’essai Les Erythréens (Payot & Rivages, 2012). « Il mobilise son peuple contre toute forme de dépendance extérieure (pays, ONG, institutions internationales, etc.), et il est convaincu de la légitimité de ce projet historique de construction d’une nation solitaire mais autosuffisante, dont il serait la clé de voûte. »

Pour renforcer sa légitimité, le dictateur a ainsi multiplié au fil des années les affrontements avec ses voisins. Le Soudan, le Yémen, Djibouti et l’ennemi héréditaire, l’Ethiopie, qu’il a de nouveau combattu de 1998 à 2000, lors d’une guerre qui a coûté la vie à plusieurs dizaines de milliers de personnes.

Le premier cercle d’Issayas Afewerki est formé d’un petit nombre de généraux loyaux, des anciens compagnons d’armes, qui bénéficient de rétributions pécuniaires. Les observateurs décrivent un « système mafieux » à la tête du pouvoir. Le président aurait des participations dans la plupart des grandes entreprises érythréennes.

Comment vit la population ? La surveillance permanente du pouvoir a instauré un climat de suspicion et de peur généralisée. Les communications téléphoniques sont écoutées, l’accès à Internet est très limité. Les habitants vivent dans la hantise des rafles lorsque l’armée boucle un quartier et contrôle les allées et venues pour vérifier qu’aucun habitant ne s’est soustrait à ses obligations militaires.

En Erythrée, l’état d’urgence est maintenu depuis plus de deux décennies. Tous les jeunes hommes et femmes du pays doivent faire leur service militaire pour apprendre le patriotisme et le maniement des armes. Ils sont ensuite mobilisables jusqu’à l’âge de 50 ans. Issayas Afewerki a également commencé, en 2012, à distribuer des kalachnikovs pour former des milices de quartier dans les grandes villes.

Après l’appel, en 2001, de quinze personnalités à une ouverture démocratique, toutes les libertés ont été supprimées. Des journalistes et des opposants ont été emprisonnés. Le 9 mai, Amnesty International rappelait dans un rapport qu' »au moins 10 000 prisonniers politiques » sont détenus sans inculpation dans une trentaine de centres, souvent enfermés dans des cellules souterraines ou des conteneurs métalliques en plein désert. Leurs familles n’ont jamais de nouvelles d’eux.

L’école est gratuite et obligatoire, l’accès aux soins est garanti à tous, mais la grande majorité de la population ne profite pas du fort taux de croissance (7,5 % en 2012) de cette économie centralisée. L’Erythrée, qui subsiste grâce à quelques richesses minières (or, argent, cuivre et zinc), une agriculture vivrière et l’argent envoyé par la diaspora, fait partie des dix pays les plus pauvres de la planète.

Pour quitter le pays, il faut obtenir un permis de sortie auprès des autorités, qui refusent les demandes quasi systématiquement. Environ 3 000 Erythréens parviendraient chaque mois à traverser les différentes frontières du pays, au risque d’être abattus par les soldats qui patrouillent.

Le pouvoir est-il menacé ? Un million d’Erythréens vivent à l’étranger, mais la diaspora est trop divisée pour mettre en difficulté Issayas Afewerki. Des jeunes exilés, symboles d’une nouvelle génération militante, s’organisent toutefois depuis quelques mois pour enregistrer des messages politiques qu’ils diffusent par téléphone en appelant, au hasard, des compatriotes.

Le 21 janvier, de jeunes soldats mutins ont brièvement pris le contrôle du ministère de l’information avant de rentrer dans leurs casernes et d’être réprimés. « Seule une rébellion au sein de l’armée pourrait fragiliser le pouvoir, et ce qui s’est passé ce jour-là est assez unique dans l’histoire récente du pays ; c’est le signe d’un mécontentement grandissant », estime Berouk Mesfin. Basé dans la capitale éthiopienne, Addis-Abeba, ce chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS) rappelle aussi la série de défections dans les rangs militaires et gouvernementaux qui ont affecté le chef d’Etat en 2012, dont celle d’un de ses proches, Ali Abdu, ministre de l’information.

Agé de 67 ans, Issayas Afewerki, qui aurait un fort penchant pour l’alcool, selon plusieurs témoignages, serait malade. Un cancer du foie est le plus souvent cité. Il se rendrait régulièrement dans les Emirats ou au Qatar pour se faire soigner. « Il n’a pas nommé de successeur, donc s’il venait à disparaître soudainement le régime pourrait être en danger et le pays basculer dans la guerre civile », prédit Berouk Mesfin.

Pourquoi la communauté internationale est-elle si discrète sur l’Erythrée ? Accusée par les Etats-Unis de soutenir Al-Chabab, le mouvement islamiste somalien rallié à Al-Qaida, l’Erythrée, en partie soutenue financièrement par le Qatar, n’est toutefois pas une priorité pour la communauté internationale. « L’intervention en Somalie au début des années 1990 l’a suffisamment traumatisée, et, aujourd’hui, elle craint qu’en touchant à l’Erythrée cela déstabilise toute la Corne de l’Afrique », juge Alain Gascon, géographe et professeur à l’Institut français de géopolitique. Une chute du régime pourrait aussi entraîner des troubles le long de la mer Rouge, une route commerciale cruciale pour le trafic mondial de marchandises.

« L’Ethiopie est aussi partisane du statu quo, ajoute ce spécialiste de la région. Elle ne voudrait pas que plusieurs dizaines voire des centaines de milliers d’Erythréens fuyant leur pays viennent s’installer comme réfugiés sur son territoire ».