Marianne – L’Érythrée, un goulag à ciel ouvert

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L’Érythrée, un goulag à ciel ouvert

Lundi 11 Août 2014 à 05:00
Propos recueillis par Bruno Rieth

D’après les informations du Figaro, la France connaitrait une augmentation des arrivées de migrants Érythréens sur son territoire. Certains à droite en ont profité pour tenter de relancer le débat sur la nécessité de restreindre l’accès des prestations sociales aux étrangers. Une « sottise » pour Léonard Vincent, journaliste et écrivain, auteur du livre « Les Érythréens », qui livre pour Marianne les clés qui permettent de comprendre cette immigration en provenance d’un pays qui n’a rien à envier à la Corée du Nord.

HEIDI LEVINE/SIPA

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Marianne : Quelle est la situation politique actuelle en Érythrée ?
Léonard Vincent: C’est un pays organisé comme une caserne disciplinaire sous l’autorité absolue d’un chef, Issayas Afeworki, ancien héros de la libération qui s’est transformé en despote alcoolique. C’est un pays soumis à la loi d’un chef de guerre qui se considère toujours en guerre. Les enfants sont rois jusqu’à l’âge de 17 ans puis, ils sont soumis au service militaire jusqu’à leurs quarantaines. Dans les casernes, les jeunes filles sont fréquemment violées et les garçons sont frappés et humiliés. C’est aussi un pays qui est en ruine et avec un mythe de l’autosuffisance qui a éclaté depuis longtemps. Afeworki, tout en expliquant officiellement qu’il refuse toute aide internationale, a été financé par la Chine, le Qatar et ne refuse pas l’argent proposé par les fonds d’aides de l’ONU. La Libye du colonel Kadhafi a aussi longtemps participé au budget de l’Etat Erythréen, fourni du pétrole et des armes. C’était un allié, voire plus. D’ailleurs, certains opposants du président Afeworki l’appelaient même le « caniche de Kadhafi ». Mais depuis les années 2000, avec le renforcement de la répression, le pays est de plus en plus isolé. Le régime parle de complot de la CIA pour le justifier. Il faut imaginer que dans la Capitale, à Asmara, il y a des coupures d’électricité incessantes avec 2 heures ou 3 heures maximum de courant par jour. Le pays s’effondre progressivement et on assiste à un effritement de sa population. Une grande partie de la société attend la chute du chef. L’Érythrée se rapproche du camp de concentration avec travaux forcés. L’armée contrôle tous les pans de la société, pas de police, pas de cours de justice, pas d’avocats pour vous défendre.
Quelles sont les solutions possibles pour les habitants, s’ils veulent échapper à la répression du régime ?Il n’y en a qu’une, la fuite. C’est le cas depuis 10 ans environ. En 1993, après une guérilla contre l’Ethiopie, l’indépendance se fait dans une certaine euphorie. Mais rapidement, Issayas Afeworki resserre le pouvoir autour de lui. En 1998 éclate une nouvelle guerre avec L’Ethiopie qui va causer entre 70.000 et 90.000 morts. Certains des anciens camarades d’armes du président commencent à se rebeller et tentent de s’opposer. Mais il va profiter des attentats sur le sol américain en septembre 2001 pour lancer de grandes rafles contre ces « réformateurs ». Ils sont envoyés en prison, les partis politiques sont interdits et les 7 journaux qui existaient sont supprimés. Depuis le pays s’est totalement figé, durci même et la population a commencé à fuir, notamment les jeunes. Selon les chiffres de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), il y a eu des pics d’émigration dés les années 2002 et 2003. La seule alternative pour échapper au service militaire ou à la prison est donc de fuir. Trouver de l’argent pour payer des passeurs qui ne soient pas des mouchards du régime et passer vers le Soudan ou l’Ethiopie, puis vivre de camps de réfugiés en camps de réfugiés jusqu’à trouver un coin tranquille. Ce n’est pas vraiment un choix. Si ils restent dans le pays, ils sont voués à être des esclaves du régime, à être envoyé dans les campagnes, pour travailler dans des chantiers pour le reste de leur vie.
Leur périple est souvent très dangereux. Ils sont souvent rackettés par les passeurs. En Libye, ils risquent parfois la mort car ils sont considérés comme des anciens mercenaires du colonel Kadhafi. En 2009, le HCR évaluait de 1000 à 3000 passage réussis d’Erythréens hors du pays. Maintenant ce serait au alentour de 3000 à 4000 par mois. C’est énorme. On estime à 800 000 la diaspora Erythréenne dans le monde, soit presque un cinquième de la population totale du pays.Quels sont leurs objectifs lorsqu’ils quittent leur pays ?Ce qu’ils recherchent, c’est de se réfugier dans la première démocratie sur leur chemin. J’ai parlé avec beaucoup d’entre eux. Ils ne rêvent pas de devenir rappeurs ou stars de football. Ce qu’ils veulent c’est un pays où on leur foute la paix, où ils peuvent vivre en sécurité sans avoir peur pour leur vie. C’est une immigration particulière. Ce sont des fugitifs qui viennent de s’échapper d’une prison après avoir été persécutés tout au long de leur chemin.

Que pensez-vous des propos d’Eric Ciotti ou d’Hervé Mariton qui associent l’augmentation d’arrivée de migrants Érythréen et nécessité de réduire les aides sociales aux étrangers en situation régulière et irrégulière ?

Ce genre d’affirmation traduit une totale ignorance de la question. Je pense qu’ils auraient mieux fait de garder le silence. Tous les migrants en provenance de l’Érythrée que j’ai pu rencontrer, que ce soit au Soudan, en Egypte ou en Italie ne m’ont jamais montré de « petit manuel du migrant » avec écrit en gros caractères « la France pays des aides sociales ».  Ce sont des personnes qui émigrent pour échapper à leurs tueurs. Et puis la France pays des droits de l’Homme, qui a eu dans son Histoire plusieurs grandes personnalités qui n’étaient pas française à l’origine comme Garibaldi ou Francisco Miranda, ne devrait pas rechigner à accueillir ces immigrés. Ce serait honorer cette Histoire, faire preuve de patriotisme en faisant vivre cette tradition d’accueil.