En chantier. Un nouveau site pour la PSM, c'est pour très bientôt !

Libération // Traversées de la Manche: les canots de la dernière chance

Traversée de la Manche : les canots de la dernière chance

Par Stéphanie Maurice, envoyée spéciale à Calais. 29 janvier 2019 à 18:46

Des exilés iraniens, de plus en plus nombreux à Calais, tentent de gagner l’Angleterre à bord de bateaux pneumatiques. Moins chère pour les migrants, cette méthode de passage est aussi bien plus dangereuse.

Ils ont trouvé la faille, à Calais : la mer. Depuis fin octobre, les exilés, Iraniens dans leur très grande majorité, tentent le passage du détroit entre la France et l’Angleterre à bord de bateaux pneumatiques. Et dans la moitié des cas, ils y arrivent. La préfecture maritime tient soigneusement les comptes. En 2018, 78 opérations (dont 60 entre fin octobre et fin décembre), contre 12 en 2017 et 23 en 2016, quand la «jungle» de Calais rassemblait encore quelque 8 000 personnes. Sur les 583 migrants qui ont tenté ce nouveau mode opératoire, 271 sont parvenus sur les côtes britanniques, selon la police aux frontières. Les autres ont été arrêtés sur les plages françaises, entre Boulogne-sur-Mer et Dunkerque, ou ont été secourus en mer. Dans les premières semaines de l’année, le gros temps a calmé les risque-tout mais ils étaient encore une soixantaine à essayer de franchir les 33 kilomètres de mer qui séparent les deux pays.

Ce jeudi matin de janvier, au cap Gris-Nez, là où est installé le Centre régional opérationnel de surveillance et de secours (Cross), les falaises de craie de Douvres semblent à portée de main. Les hommes de la marine nationale surveillent le trafic maritime par radar, prêts à déclencher les secours. Le directeur du Cross, Marc Bonnafous, s’attriste : «Les migrants ne sont pas inconscients du danger, mais ils sont prêts à risquer leur vie coûte que coûte.» Les raisons de ce pic soudain ? Le chef de la brigade mobile de recherche (BMR) à la police aux frontières de Calais, Vincent Kasprzyk, a une explication toute simple : «Tout le monde disait que la traversée était trop dangereuse. Mais quelques aventuriers ont franchi le Rubicon et ont prouvé que c’était possible. Ils ont réussi à traverser avec un bateau pneumatique et un moteur de 2,5 CV, sans avoir besoin d’un réseau de passeurs.» A la stupéfaction générale. Michel, un pêcheur rencontré sur le port de Calais, n’en revient pas : «Mon Dieu, mon Dieu, c’est dangereux. Les derniers, on les a retrouvés à 22 kilomètres de Dunkerque alors qu’ils étaient partis de Sangatte.» Une sacrée dérive.

Un exilé iranien se réchauffe les mains auprès d&squot;un feu de cartons lors de la distribution de nourriture organisée par "La Vie Active", à Calais. Le 10 janvier 2019, Mathieu Farcy / Signatures pour Libération. COMMANDE N° 2019-0055A Calais, le 10 janvier. Photo Mathieu Farcy. Signatures

Low-cost

Chez les exilés, toujours à l’affût d’une nouvelle manière de pénétrer les forteresses que sont devenus le port de Calais et le tunnel sous la Manche, ce nouveau mode opératoire intéresse. «Vous pouvez trouver un bateau pneumatique dans les 850 euros, le moteur s’achète entre 600 et 1 500 euros», calcule Vincent Kasprzyk. En ajoutant l’essence, les gilets de sauvetage, le budget tourne autour de 2 500 euros : abordable pour un groupe de migrants qui se cotisent, surtout s’ils prospectent sur le Bon Coin. Ce qu’ils font. Plus que le vol de bateau, qui reste rare : deux chalutiers en ont été victimes à Boulogne-sur-Mer, et quatre bateaux de plaisance.

Encore faut-il ensuite amener l’embarcation jusqu’à la plage de départ. Tous les expédients sont bons. «On a même eu un chauffeur de taxi qui a pris en charge un migrant avec son bateau gonflable encore emballé dans son carton», raconte le patron de la BMR. Depuis, les réseaux se sont mis sur le coup, mais c’est pour eux une niche low-cost, à 1 000 ou 2 000 livres (1 153 à 2 270 euros) le passage par personne. Ils se contentent d’amener les gens sur le bord de mer, les laissent gonfler le pneumatique, et leur montrent la route : au-dessus de Douvres, deux antennes clignotent rouge et se voient de loin, même par temps de brume. «Ils suivent aussi les lumières des ferrys dans la nuit», indique-t-on au Cross.

Des dispositifs empêchent de s'approcher du bassin à l'endroit où il est le plus étroit. Des exilés ont tenté à plusieurs reprises de traverser à la nage ce bassin pour essayer de montrer dans les ferries P&O. Calais, le 10 janvier 2019, Mathieu Farcy / Signatures pour Libération. COMMANDE N° 2019-0055Des grilles empêchent l’accès aux ferrys. Photo Mathieu Farcy. Signatures

Discrétion

Cependant, tous ne s’y risquent pas : les Africains, par exemple. Osman, un jeune Tchadien rencontré à une distribution de nourriture à Calais, secoue doucement une bouille toute ronde : «Pas la mer, non. Je préfère les camions.» Vincent Kasprzyk livre son impression : «Je pense qu’ils sont marqués par leur première traversée», celle de la Méditerranée. Maya Konforti, de l’Auberge des migrants, une des associations d’aide aux exilés, pense autrement : «Le bateau, c’est le créneau des Iraniens», s’exclame-t-elle. Kasprzyk confirme : «C’est la première communauté à avoir utilisé ce mode opératoire.» Car c’est comme ça, sur le littoral : les réseaux de passeurs sont organisés par nationalité, parce qu’il est plus prudent de s’adresser à quelqu’un qui parle sa langue pour franchir illégalement la frontière. Et ils se sont partagé le territoire.

Maya Konforti explique : «Chaque nationalité a son truc : son parking pour les passages par camion, ou, si elles sont plusieurs sur la même aire, ses créneaux horaires. Les exilés s’autorégulent, et c’est intelligent, car cela évite les bagarres.» Les conflits surgissent d’ailleurs quand ces règles implicites ne sont pas respectées. «Les Iraniens ont toujours été très peu, poursuit la bénévole, ils n’avaient donc pas forcément leur propre réseau, ils allaient souvent avec un passeur kurde, en payant 4 000 dollars au lieu de 3 000.» Alors, certains tentaient, de manière individuelle, des traversées maritimes parfois rocambolesques. Avec des radeaux artisanaux, des barques, des kayaks… Cela restait un phénomène marginal, et surtout estival. Quelques bandes organisées, albanaises ou vietnamiennes d’après Vincent Kasprzyk, pouvaient aussi proposer un passage en bateau de plaisance, avec des complicités anglaises, discrétion de mise. Deux ont été démantelées courant 2017.

Ce qui a changé la donne, c’est aussi l’afflux inédit d’exilés iraniens cet automne. «A notre recensement de novembre, ils étaient 493, un chiffre énorme par rapport à nos habitudes», souligne Maya Konforti. Soit 38 % des réfugiés comptabilisés par l’Auberge des migrants à Calais. La raison est claire : avec le durcissement de la position américaine et le rétablissement des sanctions à l’égard de Téhéran, une crise économique touche le pays, augmentant le nombre de candidats au départ. De plus, l’entrée dans l’UE a été temporairement facilitée via la Serbie, qui a exempté de visa les ressortissants iraniens entre août 2017 et octobre 2018. Ce n’est pas forcément la voie choisie par les Iraniens rencontrés à Calais : Mohammed, 16 ans, n’avait pas le passeport nécessaire pour prendre l’avion. Il a choisi la route, explique-t-il. Aujourd’hui, il est prêt à embarquer dans n’importe quel esquif pour arriver, enfin, en Angleterre et rejoindre son oncle.

Aux Hemmes de Marck, tout près de la zone industrielle des Dunes, où les exilés ont leurs campements de fortune, les chaussures de randonnée sont déjà mouillées à force de s’enfoncer dans le sable gorgé d’eau. Il faut marcher un bon bout pour atteindre la mer grise. Elle est à 8°C, «on y tient moins d’une heure», prévient le Cross. Le vent glace, il fait dans les 3 °C. On s’imagine la scène, le bateau pneumatique surchargé, au ras de l’eau, les gens qui se prennent les paquets de vagues, tout de suite trempés. La petite lumière rouge, au loin, le repère de Douvres. Faire rugir le moteur pas assez puissant («Yamaha, vroum, vroum», rigolait un grand escogriffe croisé dans le camp iranien), espérer avoir assez d’essence, et foncer. Enfin, louvoyer. Il leur faut traverser une autoroute de la mer, dans le deuxième détroit le plus fréquenté au monde : 73 000 navires par an, et ils sont à la queue leu leu, vraquiers, minéraliers, pétroliers de tous les pays. Des monstres de 300 à 400 mètres de long : «Ils ne verront jamais une petite embarcation sans feux de signalisation : le risque de chavirage est au maximum», alerte Marc Bonnafous du Cross. Les seules vagues qu’ils soulèvent par leur étrave y suffisent. Sans compter que le Channel, avec sa forme de goulet, augmente la force des vents et des courants.

Les dunes de Sangatte. Les exilés qui tentent la traversée du détroit du Pas-de-Calais partent des plages environnantes, en zodiac. Le 10 janvier 2019, Mathieu Farcy / Signatures pour Libération. COMMANDE N° 2019-0055Les dunes de Sangatte, à 9 km de Calais. Photo Mathieu Farcy. Signatures

Ras-le-bol

Résultat, des migrants fréquemment en détresse, qui appellent de leur téléphone portable le 15. Le Samu transfère alors l’appel au Cross. «Ils ne savent pas où ils sont, ils ne parlent pas français, très mal anglais, et sont souvent en état d’hypothermie. Les chercher dans le détroit, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin», résume le directeur. Alors, au début, les hommes de la marine nationale sont passés par leurs homologues en Iran, pour la traduction farsi-anglais. Avec la recrudescence des tentatives, ils ont désormais des interprètes. «Je touche du bois, on n’a pas encore eu de mort, se rassure Marc Bonnafous. Mais tout professionnel de la mer qui se respecte vous le dira, c’est une folie.»

«Pourquoi la police vient ?» demande dans un mauvais anglais Sarah, 35 ans, iranienne. Devant elle, les tentes sont à terre quand elles n’ont pas été emportées, les maigres possessions des uns et des autres en vrac. On essaie de lui expliquer la politique de l’Etat français : empêcher l’installation de toute nouvelle jungle. Elle a les larmes aux yeux. D’énervement, un homme lance une grosse pierre sur la route qui longe le camp en pièces. Pas d’agressivité, mais un ras-le-bol. D’autres l’imitent, voilà la rue jonchée de détritus, bloquée à la circulation. Les CRS s’équipent, se rassemblent, prêts à charger. Des exilés prennent l’affaire en main et, calmes, ramassent tout ce qui traîne. La tension retombe. Beaucoup devront dormir sans tente : quand il n’y a personne, elles sont embarquées et la police est intervenue à l’heure du petit-déjeuner, distribué par une association mandatée par l’Etat, juste à côté. Une réalité qu’Hisham Aly, du Secours catholique, connaît par cœur. «Pourquoi ils tentent la traversée ? A cause du harcèlement policier, des expulsions où ils perdent leurs tentes, leurs chaussures. Ils essaient à cause du mal-accueil.»

Photos Mathieu Farcy. Signatures pour Libération

Voix du Nord // Un campement de migrants érythréens démantelés

http://lavdn.lavoixdunord.fr/356809/article/2018-04-12/un-campement-de-migrants-erythreens-demantele#

Une importante opération de police a eu lieu ce jeudi au matin pour démanteler les campements du bois Chico Mendes, entre le quartier du Beau-Marais et la rocade.

Environ 150 personnes, de nationalité érythréenne, vivaient là dans des tentes. Elles ont été délogées, et les tentes rassemblées dans une benne.

L’intervention s’est apparemment déroulée sans violence physique. Mais la violence morale subie par les migrants est bien réelle.

Des membres du Secours catholique, de Salam, ont assisté à l’opération de police. «  Il y a un démantèlement tous les jours, c’est devenu banal  », constate Jean-Claude Lenoir. Tandis qu’au loin, des policiers jettent les tentes dans la benne, des associatifs servent un thé chaud aux migrants. Ils devront trouver un nouveau lieu où s’abriter la nuit prochaine.

En attendant, cette opération devrait rassurer des riverains qui, plus que de la présence des migrants eux-mêmes, se désolaient de l’état de saleté dans lequel se trouvait le bois Chico-Mendes.

Le Monde // A Calais ou Paris, les migrant.e.s deviennent invisibles

http://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2017/09/13/a-calais-ou-paris-les-migrants-deviennent-invisibles_5184675_1654200.html

LE MONDE |

Par Maryline Baumard

Dans les deux villes, il n’y aura « plus personne à la rue à la fin de l’année », comme le souhaite le chef de l’Etat, si la chasse à l’homme et la dispersion continue.

Un, deux, trois… huit. Huit camionnettes de CRS se garent devant le centre humanitaire de la Porte de la Chapelle. Il est 14 heures, l’heure de la relève, jeudi 5 septembre. Comme chaque jour depuis le 18 août, trois véhicules se positionnent devant l’entrée face à une petite centaine d’Afghans et d’Africains venus chercher un ticket leur donnant droit à quelques nuits au chaud dans trois semaines, faute de places avant.

Deux véhicules s’installent sur le boulevard Ney, de chaque côté de la Porte et deux autres rejoignent le point où des distributions citoyennes ont lieu, pendant que le dernier se positionne sous le nœud des autoroutes.

Les cinquante membres des forces de l’ordre présents là vingt-quatre heures sur vingt-quatre ont pour consigne d’éviter la moindre installation de rue. Alors, par petits groupes, armés et gantés, les CRS assurent leurs promenades dissuasives, s’arrêtant face à tout ce qui s’apparente à une sédentarisation.

« Ils nous disent toutes les heures de partir »

« Depuis ce matin ils nous disent toutes les heures de partir », commente Hissène un jeune Tchadien assis avec son copain sur les pelouses boulevard Ney. Hissène surveille sa lessive sur les blocs de béton rouge et blanc qui empêchent le stationnement. Cent mètres plus loin, dans une rue perpendiculaire, un Soudanais s’étire sur le banc d’un arrêt de bus. « J’ai dû dormir deux heures… La nuit dernière j’ai été sans cesse réveillé par la police », se plaint-il.

Ce même après-midi, ils sont au moins 150 dans le jardin d’Eole, plus au sud du 18e arrondissement. Un groupe d’Afghans y joue au volley pendant que des Africains squattent tables et gradins de pierre. « On va d’un endroit à l’autre. On cherche des coins où la police nous laisse tranquilles », observe un Ethiopien ravi d’avoir obtenu un morceau de pain et une timbale de lait des mains de Tata Zenab. Installée rue Pajol, cette banlieusarde pleure en voyant s’allonger la file de jeunes affamés qu’elle ne pourra pas tous satisfaire.

A Paris, se faire une place à la rue est devenu tout un art. La chasse à l’homme et à l’installation de campements a disséminé les migrants en plus de 40 points sur le nord-est de la capitale. Mais si l’interdiction des campements masque les arrivées, elle ne les réduit pas.

Les statistiques montrent la même traîne de 50 à 60 arrivées quotidiennes ; de 700 à la fin de la semaine dernière ils vont passer le cap des 1 000 qui traînent dans Paris cette fin de semaine, à ajouter aux 300 qui attendent dans un gymnase un examen de leur dossier depuis la dernière évacuation de rue du 18 août. Entre le 4 et le 9 septembre, seuls 150 d’entre eux ont pu entrer dans le centre humanitaire que l’Etat n’a plus guère vidé, considérant que Paris devait se débrouiller avec ses migrants. Jeudi 7, pourtant, la doctrine a changé et il a été décidé d’orienter à nouveau vers la province.

Eviter le centre humanitaire et son contrôle administratif

Aujourd’hui, une partie des Afghans, Soudanais ou Erythréens ne veulent plus pénétrer dans le centre humanitaire pour éviter le contrôle administratif qui va avec. Electricien érythréen, Ghezal erre sur le boulevard Ney. « J’ai été hébergé au centre cet été et on m’a dit que je serais renvoyé en Italie où j’ai laissé mes empreintes. Je devais avoir un avion le 8, mais je ne suis pas allé chercher le billet », insiste celui qui s’apprête à entrer en clandestinité, bien décidé à ne pas retourner en Italie.

Reza, un Afghan de Kaboul, revient juste de Rome. Il est sur une piste pour des chantiers en banlieue, mais ne demandera plus asile à la France qui, au nom des accords de Dublin – en vertu desquels les migrants enregistrés dans un autre pays européen doivent y être transférés pour leur demande d’asile –, l’a déjà renvoyé.

La machine administrative tente comme elle peut de dissuader de venir en France, comme si elle n’avait pas entendu que le président Macron voyait dans l’accueil de réfugiés « l’honneur de la France ». Dans les Alpes-Maritimes, le préfet a été condamné le 4 septembre pour la deuxième fois pour avoir empêché de déposer en France une demande d’asile… 574 personnes ont déjà été renvoyées depuis Paris depuis janvier selon la préfecture de police, alors que sur toute l’année 2016, 1 293 avaient été expulsés depuis la France entière pour avoir laissé trace de leur passage ailleurs.

« Les fonctionnaires perdent beaucoup de temps sur ces dossiers alors qu’ils pourraient l’utiliser pour traiter plus vite la demande d’asile comme le gouvernement s’y est engagé », observe Gérard Sadik de la Cimade. « Une partie de ceux qui sont renvoyés reviennent, les autres redéposeront une demande sous six ou dix-huit mois, après avoir occupé des places d’hébergement pendant tout ce temps, alors qu’on en manque », rappelle un autre acteur du secteur.

Engorgement

A Calais, la politique de dissuasion est aussi forte qu’à Paris, mais elle s’exprime différemment. Cinquante-deux jours après la décision du conseil d’Etat (28 juillet) enjoignant l’Etat et la Ville de Calais de « créer plusieurs dispositifs d’accès à l’eau permettant aux migrants de boire, de se laver et de laver leurs vêtements, ainsi que des latrines, et d’organiser un dispositif adapté d’accès à des douches », ces dernières devraient arriver.

Rue des Garennes, mercredi 6 à 12 h 30, une camionnette de CRS, partie intégrante des 1 081 policiers affectés là, roule au pas, au rythme de la marche d’un groupe d’une trentaine de jeunes Erythréens. « Quand ils nous suivent comme ça, on risque toujours d’être gazé », raconte l’un d’eux, qui confirme que le harcèlement n’a pas décru en même temps que la température.

Pourtant en dépit de la dureté de vie, l’engouement pour les deux centres d’hébergement des Hauts-de-France n’est pas au rendez-vous. Depuis juillet, seuls 139 exilés y sont partis, selon la préfecture. Vingt-six ont fui après quelques nuits au chaud et seuls quinze ont été orientés vers un dispositif plus pérenne. C’est l’engorgement puisque la préfecture de Lille ne propose que treize rendez-vous par semaine pour déposer sa demande d’asile.

« De toute manière, nous ne faisons pas la promotion de ces centres où l’on trie les gens avec objectif de les dubliner », rappelle Vincent de Coninck du Secours catholique « et nous, on est là pour passer en Grande-Bretagne », ajoute Razoul, qui n’a jamais quitté la ville-frontière depuis le démantèlement de la « jungle » il y a dix mois et croit toujours que sa chance viendra.

« On oblige les migrants à se cacher »

Paris, Calais… les logiques de « dispersion » se ressemblent. « On oblige l

​​

es migrants à se cacher pour faire disparaître le sujet des yeux des citoyens et des journalistes », dénonce Louis Barda, le responsable du sujet à Paris pour Médecins du Monde.

Aujourd’hui les humanitaires sont de plus en plus convaincus que le « d’ici la fin de l’année, je ne veux plus personne dans les rues, dans les bois »lancé par Emmanuel Macron le 27 juillet à Orléans ne se réalisera pas par une mise à l’abri mais par une invisibilisation.

« Au rythme des opérations de dispersion, il n’y aura sans doute plus personne de visible », renchérit Maya Konforti, de l’Auberge des Migrants. Pour elle, la phrase du président de la République n’avait qu’une visée internationale. « Sinon il ne laisserait pas faire ce que les exilés subissent tous les jours à Paris ou Calais », estime-t-elle. La militante juge comme le chef de l’Etat que « l’honneur de la France est d’accueillir les réfugiés », mais observe que 80 % de ceux qui ont été évacués de la « jungle » en octobre ont obtenu le statut de réfugiés… et que la vague suivante de ce même public est aujourd’hui inlassablement pourchassée..

Chassée et dispersée au point qu’un membre de l’encadrement des CRS déplore « cette large dispersion des migrants sur toute l’agglomération de Calais ». À Paris aussi, la préfecture de police exécute certes les ordres du ministère de l’intérieur, mais en s’inquiétant de cette stratégie de court terme.

Le Monde // Des centres d’accueil pour migrants d’un genre nouveau vont ouvrir à Calais

http://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2017/08/01/des-centres-d-accueil-pour-migrants-d-un-genre-nouveau-vont-ouvrir-a-calais_5167244_1654200.html

Le gouvernement annonce l’ouverture de deux nouveaux lieux, où un dispositif spécifique permettra d’accélérer les demandes d’asile

LE MONDE | • Mis à jour le | Par Maryline Baumard

Le ministère de l’intérieur fait volte-face sur la gestion des migrants de Calais. Alors que, depuis neuf mois, le gouvernement fait l’impossible pour rendre les exilés invisibles, Gérard Collomb a annoncé, lundi 31 juillet, l’ouverture de deux centres d’hébergement d’un nouveau type. Déjà centre d’accueil, l’abbaye cistercienne de Belval, à Troisvaux (Pas-de-Calais), sera transformée dès la fin de la semaine en centre d’accueil et d’examen des situations (CAES), comme l’hôtel Formule 1 de Bailleul (Nord). Trois cents places au total seront dégagées.Cette décision répond à la double injonction du président de la République et du Conseil d’Etat. Le souhait exprimé, jeudi, par Emmanuel Macron d’en finir « d’ici la fin de l’année » avec les « personnes » dormant « dans les rues, dans les bois », a évidemment donné le « la » de ce changement de pied. Mais le déclic est venu de l’arrêt rendu, lundi, par le Conseil d’Etat, ordonnant à l’Etat et à la ville de Calais de revoir leur gestion des quelque 600 migrants qui errent aux abords du tunnel et des ferrys pour la Grande-Bretagne.

Au départ, onze associations avaient déposé un référé devant le tribunal administratif de Lille. Sûrs de leur fait, l’Etat et la municipalité avaient fait appel auprès de l’institution de la décision qui les enjoignait d’installer des points d’eau. Non seulement leur appel est rejeté, mais ils se retrouvent pointés du doigt par un arrêt sévère.

Celui-ci estime que « la prise en compte par les autorités publiques des besoins élémentaires des migrants qui se trouvent présents à Calais en ce qui concerne leur hygiène et leur alimentation en eau potable demeure manifestement insuffisante et révèle une carence de nature à exposer ces personnes, de manière caractérisée, à des traitements inhumains ou dégradants, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ».

Installation de blocs sanitaires

Face à ce cinglant camouflet pour sa politique menée depuis deux mois, la Place Beauvau a donc changé son fusil d’épaule. Outre l’ouverture de deux lieux de répit, M. Collomb – qui le 23 juin avait conseillé aux humanitaires de Calais « d’aller exercer leur savoir-faire ailleurs » – va désormais devoir faire en sorte, par le biais des services de son préfet, que les exilés aient un accès à l’eau, à des sanitaires, puissent se nourrir et faire enregistrer leur demande d’asile.

Lors d’une conférence de presse, le ministre a indiqué que des blocs sanitaires mobiles seraient mis en place dans la commune, pour les quelque 600 migrants présents. Une décision qui a irrité la maire, Natacha Bouchart (Les Républicains). Cette dernière a déclaré qu’elle n’installerait « ni douche ni toilettes » de peur que « se recréent autour des squats ou des bidonvilles ». Elle a ajouté que « si le gouvernement veut le faire, il devra réquisitionner un terrain ».

A l’opposé, à Grande-Synthe, le maire Europe Ecologie-Les Verts se réjouit que l’Etat accède enfin à sa demande de « plus de dignité » pour les 1 500 exilés qui vivent là. « J’ai pu m’entretenir avec le préfet qui me propose un dispositif de préaccueil de plusieurs jours sous toiles de tente, sur la commune, avec un enregistrement administratif sur place, avant que les réfugiés ne soient orientés vers un centre en dur », rappelle Damien Carême.

Un pôle alimentation et des blocs sanitaires avec douches devraient donc revoir le jour tout début septembre sur le terrain de la Linière, qui avait abrité le premier camp humanitaire de France – un espace construit par Médecins sans frontières (MSF) pour héberger 1 500 Kurdes. Pour avoir souvent acquitté leur voyage jusqu’à son terminus, lorsqu’ils font escale à Grande-Synthe, ces exilés du Dunkerquois sont traditionnellement plus difficiles à convaincre de demander l’asile en France que ceux de Calais. Ce temps de répit sur place pourra servir au travail de persuasion.

Répartition selon le statut

A Calais, en revanche, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) va tenter lors de maraudes de convaincre directement les migrants de monter dans des bus pour être emmenés vers les CAES où des agents des préfectures feront le point sur leur statut. L’OFII y sera lui aussi présent, ce qui rendra possible l’enregistrement direct des demandes d’asile depuis ces nouveaux centres. Ce nouveau dispositif, qui gomme la case préaccueil en vigueur partout en France et évite le passage en préfecture, permettra de commencer à réduire la durée nécessaire pour obtenir l’asile, comme le promet le plan gouvernemental annoncé le 12 juillet. Il pourrait d’ailleurs servir de modèle pour faire évoluer le dispositif parisien que M. Collomb sait être son prochain sujet à traiter.

Ensuite, comme il l’a rappelé lundi, les migrants seront répartis selon leur statut. Les demandeurs d’asile rejoindront des hébergements spécifiques. Les exilés qui ont laissé leurs empreintes ailleurs en Europe (« dublinés ») devraient de toute évidence se retrouver assignés à résidence, le temps que le premier pays qu’ils ont rallié donne son accord pour les reprendre. Et comme l’ajoute Fabien Sudry, préfet de Calais : « Ceux qui sont en situation irrégulière pourront être dirigés vers des centres de rétention. » A moins qu’ils ne décident d’un retour volontaire, comme les 542 Afghans qui sont entrés dans cette procédure, proposée par l’OFII, depuis le début de l’année. Le distinguo entre toutes ces catégories de migrants est l’un des credo de M. Macron.

La grande inconnue reste l’engouement des migrants à rejoindre ces CAES, assumés comme des espaces de tri. Natacha Bouchart craint déjà que beaucoup ne refusent et continuent à tenter de passer en Grande-Bretagne. L’élue regrette d’ailleurs qu’on n’ait « pas aujourd’hui de réponse pour ceux qui refusent de demander l’asile en France » et compte bien obtenir qu’un volet spécifique figure dans le texte de loi que le gouvernement prépare pour la rentrée.

Le risque est évidemment celui d’une chasse à l’homme dans la lande… Même si, après la récente mise en cause de l’attitude des forces de l’ordre dans le Calaisis, à la suite d’une enquête de Human Rights Watch, le ministre de l’intérieur a indiqué lundi avoir demandé des enquêtes à l’inspection générale de l’administration, à l’inspection générale de la police et à l’inspection générale de la gendarmerie nationale.

Défenseur des droits // Compte rendu de visite du 12 juin à Calais

https://defenseurdesdroits.fr/node/23868

Le Défenseur des droits dénonce une nouvelle fois les conditions de vie inhumaines que subissent les exilés à Calais

Très préoccupé par les faits portés à sa connaissance, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a demandé à ses services de se rendre sur place lundi 12 juin 2017. A cette occasion, ses agents se sont longuement entretenus avec de nombreux exilés et les associations leur venant en aide.

Le Défenseur des droits demande dès à présent que soit mis un terme aux atteintes aux droits fondamentaux les plus élémentaires dont sont victimes les exilés, notamment les mineurs, et qui demeurent à ce jour sans précédent.

Des atteintes aux droits fondamentaux d’une exceptionnelle et inédite gravité

La volonté de ne plus voir de migrants à Calais conduit à ce que plus aucun abri ne soit toléré : les personnes – entre 500 et 600 selon plusieurs informations croisées – dont des mineurs, dorment à même le sol, quelles que soient les conditions climatiques, parfois avec un sac de couchage donné par les associations. Ils disent être traqués jour et nuit dans plusieurs sous-bois de la ville. Les migrants ne peuvent dès lors plus dormir, ni même se poser ou se reposer et restent constamment sur le qui-vive. Ils sont visiblement dans un état d’épuisement physique et mental.

Tous les points d’eau ayant été supprimés, les migrants ne peuvent pas se laver, ni même boire. Se laver et boire de l’eau est leur principale demande.

Alors que Tribunal administratif de Lille a considéré le 22 mars 2017 que l’interdiction de distribution de repas par les associations était constitutive d’un traitement inhumain ou dégradant, une seule distribution associative est tolérée le soir, pendant une heure, ce qui ne permet pas de nourrir tous ceux qui le souhaiteraient. Les autres sont empêchées par les forces de l’ordre, au motif de « consignes préfectorales » quel que soit le public concerné (familles, jeunes enfants). Une association procède à des distributions itinérantes, cherchant ainsi à accéder aux exilés qui n’osent plus se rendre sur les lieux de distribution, de peur de se faire interpeller. Depuis une semaine, parce qu’un prêtre s’est ouvertement opposé à la présence policière sur le parvis de son église, une distribution peut y avoir lieu tous les midis.

Un impact particulier sur les femmes et les enfants

Les femmes, qui ne bénéficient plus d’aucune structure dédiée depuis le démantèlement du Centre Jules Ferry, sont susceptibles de faire l’objet de viol et d’exploitation sexuelle. Certaines femmes ont des nourrissons et plusieurs bébés sont à naître dans les prochaines semaines. Aucun dispositif d’accueil ou d’hébergement ne leur semble accessible alors même que la protection maternelle et infantile impose une telle prise en charge.

Parmi les enfants non accompagnés présents, certains sont primo arrivants, d’autres reviennent de CAOMI avec l’idée persistante de se rendre en Grande-Bretagne. Ils indiquent subir le même traitement. La prise en charge par l’aide sociale à l’enfance implique, le soir et la nuit, un passage par le commissariat, ce qui rend particulièrement dissuasive la démarche.

Des associations sous pression

Lorsqu’elles tentent de mettre en œuvre des dispositifs qui devraient l’être par les pouvoirs publics (douches, distribution de repas et d’eau), les associations sont entravées et menacées : verbalisation des véhicules garés devant les locaux associatifs, injonction de mettre aux normes la cuisine d’une association présente de très longue date à Calais, menaces de poursuites pour aide au séjour irrégulier. Le Défenseur des droits mène d’ailleurs des investigations s’agissant des entraves qu’auraient subies les associations et les mineurs dans l’accès au dispositif de douches mis en place jusqu’au mois de mai par le Secours Catholique.

Il est par ailleurs difficile à ces associations de conseiller les migrants sur des démarches d’accès au droit. A cet égard, le Défenseur des droits regrette que les départs vers les CAO depuis Calais ne soient plus organisés, de même qu’il ne soit plus possible de déposer une demande d’asile dans la ville, la préfecture située à Lille dissuadant d’entreprendre de telles démarches.

Tout en réitérant ses recommandations générales, notamment à l’égard des mineurs (), le Défenseur des droits demande dès à présent la fin de cette sorte de traque, l’autorisation des distributions de repas, la mise à l’abri des mineurs sur place, la mise en place d’un lieu où les personnes peuvent se reposer, se ressourcer et envisager la suite de leur parcours migratoire.

Dans son , le Défenseur des droits écrivait : « Depuis les années 2000, c’est la crainte du risque « d’appel d’air » que pourrait provoquer un traitement digne et respectueux des droits des migrants qui est à l’œuvre dans la gestion de la situation du Calaisis. Pour ne pas prendre ce risque, les pouvoirs publics ont d’abord cherché à rendre le moins visible possible le regroupement de migrants et à ne pas créer de « points de fixation » ».

Plus récemment, à l’occasion d’observations présentées devant le Tribunal administratif de Lille dans le cadre du démantèlement de la Lande, il précisait : « le défaut d’anticipation de ces opérations d’expulsion est contreproductif puisqu’il ne fait que déplacer le problème vers un autre site, imposant aux exilés un « nomadisme » forcé ».

Le Défenseur des droits regrette que les faits constatés aujourd’hui lui aient à ce point donné raison. Il exhorte les pouvoirs publics à ne pas s’obstiner dans ce qui s’apparente à un déni d’existence des exilés qui, présents sur notre territoire, doivent être traités dignement, conformément au droit et aux engagements internationaux qui lient la France.

Le TA de Lille suspend les arrêtés anti-distribution de la Maire de Calais

Dans une ordonnance du 22.03.2017, le Tribunal administratif, saisi en référé-liberté, par 11 associations, a suspendu (la procédure de référé-liberté ne lui donnant que deux options: rejet du référé ou suspension des décisions contestées) les arrêtés et décisions de la Maire de Calais interdisant les distributions alimentaires en plusieurs lieux de la commune de Calais.

Le Gisti, l’une des associations requérantes a publié un communiqué de presse, reproduit ci-dessous.


La maire de Calais ne peut plus empêcher les migrant.e.s de se nourrir !

C’est ce que vient de lui rappeler assez sèchement le juge des référés du tribunal administratif de Lille.

Ce n’est pas faute pour Natacha Bouchart de s’être démenée pour compliquer par tous les moyens la vie des associations qui reprennent inlassablement les distributions de nourriture aux centaines d’exilé.e.s qui continuent de passer par Calais.

Ce fut d’abord une décision du 7 février s’opposant à l’ouverture de nouveaux lieux de distribution de repas. Ce furent ensuite deux arrêtés successifs, des 2 et 6 mars, « portant interdiction des occupations abusives, prolongées et répétées » des différents lieux où s’organisaient ces distributions. Ce fut encore l’annonce par la maire qu’elle prendrait de nouveaux arrêtés chaque fois que ces « occupations abusives » se déplaceraient. Et ce fut enfin la nouvelle décision du 9 mars rejetant la demande de plusieurs associations d’être autorisées à occuper un lieu de la zone industrielle des Dunes pour y poursuivre leurs activités de distribution de vivres.

Et pour faire bonne mesure, Madame Bouchart allait jusqu’à invoquer l’état d’urgence, entre autres arguments choc, considérant sans doute qu’il l’autoriserait à mettre entre parenthèses les principes fondamentaux de respect de la dignité de la personne humaine et de non-discrimination. Le procureur de la République et le préfet semblent d’ailleurs avoir épousé le même point de vue, le premier distribuant généreusement les réquisitions aux fins de contrôles d’identité dont les forces de l’ordre abusent à l’égard des exilé.e.s, militant.e.s et bénévoles, et le second organisant le blocage par les mêmes forces de l’ordre des rues où se tiennent les distributions.

En affamant les migrant.e.s, l’objectif affiché par la maire, activement soutenu par ces représentants des pouvoirs publics, était donc de faire place nette, d’empêcher la création de ce qu’elle appelle joliment des « points de fixation » et de faire croire ainsi que la grande opération d’évacuation « humanitaire » avait suffi à empêcher les exilé.e.s de continuer de faire route vers la Grande-Bretagne.

C’est pour rappeler ce petit monde à l’ordre que onze associations, dont le Gisti, ont saisi le juge des référés pour lui demander de suspendre l’exécution des décisions de la maire. Ces décisions sont d’autant plus graves qu’elles émanent de l’autorité tenue d’assurer le respect de la dignité humaine sur son territoire et, dans ce cadre, de tenir compte des besoins élémentaires des personnes sans abri qui s’y trouvent lorsqu’ils ne sont pas suffisamment pris en compte par les services publics.

« Considérant que, par les décisions attaquées, la maire de Calais a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir, à la liberté de réunion et, en faisant obstacle à la satisfaction par les migrants de besoins élémentaires vitaux au droit à ne pas subir des traitements inhumains et dégradants consacré par l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales », le juge a reçu cinq sur cinq les demandes de ces associations, suspendant jusqu’à nouvel ordre l’exécution de ces arrêtés et de ces décisions interdisant la distribution de repas.

Fallait-il vraiment un juge pour dire qu’il n’est pas admissible d’empêcher les exilé.e.s de se nourrir et les associations de pourvoir à ces besoins élémentaires ?

Paris, le 23 mars 2017

 

Expulsion des habitants du bidonville de Calais – Les réactions de diverses organisations

Après de multiples rumeurs et atermoiements, les autorités ont détruit le bidonville de Calais et expulsé ses habitant.e.s à partir du 24 octobre 2016. Ceci a entraîné de multiples réactions avant, pendant et après l’expulsion de la part d’organisations très diverses. En voici certaines:

Les Inrocks // Rozenn Le berre // Les violences policières intégrées au paysage quotidien des exilés

http://www.lesinrocks.com/2016/07/20/actualite/calais-violences-policieres-integrees-paysage-quotidien-exiles-11854707/

Calais : les violences policières intégrées au paysage quotidien des exilés

  • La police est comme les Talibans !

Azizullah est en colère. Il a de quoi. La semaine dernière, comme chaque nuit depuis quelques mois, il était au port. Il essayait de pénétrer dans le ventre d’un ferry pour gagner l’Angleterre. Ce soir-là, après plusieurs heures de marche par la plage, il entre dans l’enceinte du port. Des policiers arrivent. Le frappent à la matraque. En riant.

Azizullah s’échappe. Essaie d’escalader la barrière pour sortir du port. Lorsqu’il est au sommet, en équilibre fragile au-dessus des barbelés, les policiers agitent la barrière pour le faire tomber. En riant. Azizullah tombe. Son poignet se fracture sur le coup. Les policiers s’éloignent et le laissent au sol. Ils riaient toujours. Azizullah répète :

  • La police n’est pas correcte. On est en France ici, non ? On n’est pas en Afghanistan !

Un ami d’Azizullah se mêle à notre conversation :

  • Vous savez, si parfois on casse des trucs, ce n’est pas contre vous, les Français. C’est juste qu’on est énervés de se faire taper dessus chaque nuit. Alors parfois, on ne se contrôle plus et on tape dans des murs ou dans des rétroviseurs. Ce n’est pas contre vous les Français. On est désolés, c’est juste parce qu’on est énervés.

Nous sommes dans la jungle de Calais. Depuis plusieurs mois, je suis bénévole auprès de Médecins du Monde. L’une de mes missions est de travailler sur les violences policières : j’accompagne les exilés dans leur démarche pour porter plainte après des agressions de policiers ou gendarmes à leur encontre. Des agressions, il y en a quasiment toutes les nuits.

C’est presque devenu une habitude. Quand je vois un bras dans le plâtre, un genou qui flanche ou une balafre sur un visage, je demande : « comment ça vous est arrivé ? » Je n’ai pas tenu de comptes statistiques, mais je peux affirmer qu’on m’a très souvent répondu: « police ! » En général le mot « police » est suivi de « mouchkil » (problème, dans plusieurs langues) ou de « not good ».

« Je ne suis qu’un réfugié »

Fawad, lui, hésite à affirmer que la police est « not good ». Il ne voudrait pas qu’on croit qu’il critique la France, car il est reconnaissant qu’on le tolère dans ce pays. Oui, la France tolère Fawad. Elle l’autorise à vivre dans sa tente entre la boue et les rats. Elle l’autorise à manger une fois par jour, après des heures de queue, et à prendre une douche minutée à six minutes, après d’autres heures de queue. Alors Fawad ne voudrait pas critiquer. Mais quand même, hier soir, la France a été un peu loin. Il l’avoue à demi-mots. Dans un demi sourire.

Hier soir, Fawad était caché dans un camion. Aux moments des contrôles à l’entrée dans le ferry, il a été détecté par les chiens, entraînés à reconnaître la présence humaine. Un policier est monté dans le camion, lui a pulvérisé du gaz lacrymogène au visage et l’a frappé à la matraque. Puis, dehors, il lui a fait placer ses mains sur la paroi du camion. Il a sorti un pistolet et a fait semblant de lui tirer dessus. Il a fini par baisser son arme et dire, en anglais : « Je ne peux pas te tuer ! ». Il riait. Comme les policiers qui ont agressé Azizullah.

Alors Fawad trouve que, tout de même, ce n’est pas normal. « Mais bon, je ne suis qu’un réfugié… », dit-il en secouant la tête. Puis, dans un immense sourire, comme si les paroles prononcées quelques secondes avant étaient déjà des vieux souvenirs oubliés : « Je te laisse, je vais jouer au football avec mes amis ! »

Au fait, Fawad a quinze ans. Il l’a dit au policier, d’ailleurs, pendant que l’arme était pointée dans son dos.

« Imagine que le policier est innocent »

J’ai la gorge pincée quand je quitte Fawad. Accompagnée d’une autre bénévole, je décide d’aller prendre le thé chez un groupe de koweïtiens que je connais bien. Dès notre approche, les jeunes hommes qui étaient assis sur les deux uniques chaises se lèvent d’un bond. Je tente de leur dire qu’il n’y a aucun problème et que je peux m’asseoir par terre. Je sais que mon argumentation est vaine :

  • Tu vas pas t’asseoir par terre comme une Arabe quand même !

Sami laisse échapper un rire sonore et s’active pour nous préparer du thé à la cardamome, sa spécialité. Sami sait que je travaille sur les violences policières. Il n’aime pas ça. Selon lui, comme les habitants de la jungle sont en situation irrégulière en France, c’est normal que la police les pourchasse. C’est illégal de monter dans les camions, comme ils le font chaque nuit, donc c’est normal que la police les frappe. Il est particulièrement contre le fait de porter plainte :

  • Tu vois, imagine que je porte plainte. Imagine que le policier qu’ils mettent en prison est innocent. Comment je fais moi, pour vivre en paix, si je sais qu’un innocent est en prison par ma faute ? Non, vraiment, ce n’est pas un problème si la police nous frappe.

On débat pendant longtemps avec Sami. Les autres en ont marre. Mohamad lance un autre sujet, bien plus intéressant à ses yeux :

  • Vous êtes mariées ?
  • Non.
  • Non plus.
  • Comment c’est possible ? Moi, je me marie avec vous ! Vous avez quel âge ?
  • 27.
  • 31.
  • Ah, euh… Bon, en fait vous êtes un peu trop vieilles.

Tout le monde éclate de rire. On boit une nouvelle tasse de thé. On arrête de parler de police et de violence. Pour un temps.

De multiples plaintes ont été déposées pour violences policières. Pour l’instant, aucune n’a aboutit. Le 31 mai, un CRS a été relaxé par le tribunal de Boulogne-sur-Mer. Sur une vidéo tournée en 2015, on le voyait donner de violents coups de pieds à des hommes et les faire basculer par-dessus la glissière de sécurité de l’autoroute.

NB : Tous les prénoms ont été modifiés.

Libération // 30.06.2016 // Dans la «jungle» de Calais, Jacques Toubon recadre le gouvernement

Jacques Toubon à Calais le 30 juin. Photo Aimée Thirion pour Libération

Le Défenseur des droits s’est rendu jeudi dans le camp de migrants, s’élevant contre la politique menée par l’Intérieur et les récents traités internationaux.

Surprenant et courageux, Jacques Toubon. Très peu de politiques ont jusqu’ici osé arpenter les allées boueuses et sableuses de la «jungle» de Calais. L’ancien très chiraquien garde des Sceaux, désormais Défenseur des droits depuis juin 2014, y a, lui, passé tout son après-midi de jeudi. Surtout, en fin de journée, il a profité de sa conférence de presse pour prononcer des mots qui ont sonné comme un violent réquisitoire contre la politique de Bernard Cazeneuve. «La maîtrise des flux migratoires n’est pas la solution du problème, mais c’est le problème, a-t-il déclaré. […] A l’exception de l’Allemagne, on n’a pas mis en place de politiques d’accueil conformes à l’histoire de l’Europe.» Voilà pour les grands principes. Mais Toubon n’en reste pas là. Et se fait plus accusateur sur les conséquences de l’évacuation de la partie Sud de la jungle, décidée par Beauvau en février. «Les conditions sur le camp de la lande sont absolument indignes et non respectueuses des droits humains. Tout est devenu plus difficile, car il n’y a pas dans la zone Nord la possibilité d’organiser des lieux de vie qui existaient dans la zone Sud.» Et Toubon de se déclarer inquiet «s’il était question pour l’avenir de démanteler aussi la zone Nord [comme Cazeneuve l’avait annoncé, ndlr]. Je ne fais de procès à personne, ni à la préfète ni au ministère de l’Intérieur, mais je dis que s’il y avait un tel projet, il doit être longuement anticipé et qu’on mette en place des solutions alternatives respectueuses des droits fondamentaux.»

Flaques. Quelques heures auparavant, ce jeudi, l’accueil sur place est bon, et les ONG plutôt ravies de la démarche de l’ancien ministre. «Il fait un travail très intéressant. Il a par exemple dépassé la seule question des mineurs. Il y a un désir de comprendre et d’appréhender les situations. Ça progresse», dit Vincent De Coninck, chargé de mission du Secours catholique du Pas-de-Calais. Une bénévole trouve «intéressant» qu’au-delà des points de droit, il ait posé «les questions politiques», dès son rapport d’octobre 2015 sur les atteintes aux droits. Un rapport accablant sur les mineurs, les conditions de vie et les violences policières, qui avait plus qu’agacé le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve. Le Défenseur des droits y réclamait aussi la remise en cause «des accords de Dublin», qui obligent les candidats à l’asile à le solliciter dans leur pays d’arrivée. Il réclame désormais «la remise en cause des accords du Touquet», qui obligent la France à surveiller la frontière vers l’Angleterre. Mais la même bénévole déplore que la visite manque de discrétion : «Il pourrait venir deux jours, incognito, et là, il verrait ce que vivent vraiment les migrants, les conditions de vie qui régressent, les gaz lacrymogènes parfois pour rien, maintenant les tirs tendus de flash-ball avec viseur qui touchent les gens à la poitrine et au visage.»

En tout cas, Jacques Toubon est là. En chaussures de ville, certes, mais, coup de chance, il n’y a ce jeudi pas trop de flaques, ni de boue. Et il se fait tout expliquer par Nathanaël Caillaux, coordinateur de la Plateforme de services aux migrants, une fédération d’associations, et Solenne Lecomte, coordinatrice «lutte contre les violences» à la cabane juridique de la jungle. Il pose des questions parfois basiques : «Pourquoi il y a une barrière devant ces cabanes ?» «Ils sont regroupés sur une base ethnique ?» «C’est un resto tenu par qui ?» Nathanaël Caillaux explique que s’abriter pour les migrants est désormais un casse-tête. La situation, qui s’était améliorée depuis le dernier rapport du Défenseur des droits, s’est à nouveau dégradée. La zone Sud a été démantelée de force fin février, et les exilés vivent les uns sur les autres dans la partie Nord. Dans la zone Sud ne subsistent plus que les écoles, une église et une mosquée. Les cabanes détruites ont laissé la place à une lande où pousse le colza. Quelque 500 personnes ont perdu leur abri après une bagarre générale le 26 mai, dans laquelle des cabanes ont brûlé. Or, des dizaines de nouveaux réfugiés arrivent chaque jour. Depuis un mois, il y a 1 000 personnes de plus, selon les associations, c’est-à-dire plus de 6 000 personnes. Comme la police – qui filtre les entrées – empêche toute arrivée de matériaux dans la jungle, il est impossible de construire de nouvelles cabanes, et 1 300 personnes dorment sous des tentes.

Accent. Le sort des mineurs est toujours aussi inquiétant : ils sont 700 dans la jungle, dont 600 «non accompagnés», explique à Toubon un représentant de Médecins sans frontières, qui prépare un lieu d’accueil sécurisé pour ces jeunes. Il devrait ouvrir dans une dizaine de jours. Chaleureux et très tactile, Toubon bavarde avec un Ethiopien. Avec un accent anglais chiraquien : «You are alone or wiz your family ?» Le jeune homme en sweat orange lui explique qu’il est seul, qu’il veut passer en Angleterre, mais que les Italiens lui ont pris ses empreintes digitales de force et qu’il craint d’être renvoyé vers l’Italie quand il sera passé. Puis il s’éloigne. Toubon : «Il n’a pas vraiment apply [déposé une demande]. Il est dans l’errance, et dans l’impasse.» On entend le chant du muezzin. On lui montre un point d’eau, installé après la décision du Conseil d’Etat qui a suivi son rapport de l’automne. Depuis, les robinets sont pris d’assaut par les exilés.

Haydée Sabéran, Envoyée spéciale à Calais