Témoignages

« A Calais, tu n’est pas innocent si tu es noir, si tu es étranger »

Entretien recueilli par Nan Suel, extrait du Journal des Jungles numéro 1 (septembre/novembre 2013).

« J’ai 30 ans, je viens du Soudan. J’ai fait des études dans le département « lettres et langues étrangères » de l’université de Khartoum. J’étais très actif dans une association qui organisait des évènements pour récolter de l’argent afin d’aider les étudiants les plus pauvres originaires du Darfour. La sécurité nationale nous a soupçonnés d’être en lien avec des groupes d’opposition politique. On a été arrêtés et on a dû cesser certaines activités de l’association.

 J’ai terminé mes études en 2008 et je suis retourné au Darfour. Là-bas, en attendant de trouver du travail, j’ai été professeur d’anglais bénévole. Avec des amis, nous avons créé une association d’éducation populaire pour faire prendre conscience aux gens des dégâts causés par le mariage forcé des jeunes filles, par les mutilations sexuelles et par la polygamie. On collaborait avec de grosses associations qui préparaient un projet de loi contre tout ça. Les éléments de la sécurité nationale nous ont soupçonnés d’être en lien avec les rebelles.

En 2010, j’ai été arrêté. Pour sortir de prison, j’ai dû signer un papier indiquant que je m’engageais à arrêter mes activités. Je suis devenu professeur d’anglais et de français. Je menais une vie normale. Je me suis marié. Je faisais des traductions pour les ONG étrangères ou encore, je traduisais les CV et lettres de motivations des soudanais qui voulaient travailler pour ces ONG.

-Pourquoi as-tu quitté ton pays ?

 Les jeunes parlent de politique, c’est comme ça. On était devant une situation injuste et on voulait changer les choses. De plus, on était jugés trop proches des ONG étrangères.

 Je ne pouvais plus retrouver de travail. La sécurité intérieure me surveillait trop. J’ai téléphoné à un ami qui vit en Angleterre. Il m’a dit que si je le rejoignais, il pourrait m’aider.

 – Comment es-tu venu ?

 J’ai eu beaucoup de chance. Il ne m’a fallu que 24h de route pour rejoindre la Lybie. J’ai traversé la mer en bateau pendant 3 ou 4 jours jusqu’en Italie. Là aussi j’ai eu beaucoup de chance : personne n’est mort. Mais avant de monter dans le bateau et aussi dedans, j’ai entendu des histoires horribles et j’avais très peur. C’est une épreuve très difficile.

 J’ai bien conscience d’avoir voyagé très vite. C’est dû à la chance, mais aussi à l’argent. Plus tu paies, plus tu passes vite.

 J’ai eu encore beaucoup de chance en Italie car mes empreintes n’ont pas été prises. Des amis sur place m’ont expliqué qu’il fallait absolument éviter la police pour que les empreintes ne soient pas prises. Sinon, tu es obligé de vivre en Italie, et la vie est trop difficile là-bas. Je suis resté cinq jours à Rome avant d’aller à Paris.

A Paris, j’ai des amis qui m’ont accueilli. J’y suis resté trois jours et j’ai visité la ville. J’ai beaucoup aimé, je n’ai pas eu trop de surprises car j’avais étudié Paris et la France en cours de civilisations étrangères. La communauté soudanaise est importante à Paris.

 Mais je ne veux pas rester en France. Ici, la demande d’asile est trop longue, j’ai rencontré des demandeurs d’asile qui sont à la rue. En Angleterre, la demande est plus rapide. Et puis, je suis plus à l’aise en anglais qu’en français.

 – Quels sont tes projets ?

 Si je suis parti, c’est pour aider mon peuple. Je voudrais faire un master en droits humains. Je voudrais travailler pour les Nations Unies ou pour une ONG. J’ai l’expérience de l’injustice dans mon pays et actuellement, je vis dans mon corps l’expérience de réfugié…ça aide à avoir de tels projets !

 – Que penses-tu de la façon dont tu es traité ici et maintenant ?

 Le niveau des droits est très bas et je ne m’y attendais pas. Je croyais que mes droits seraient respectés. Avant d’arriver dans ce camp, j’ai passé quelques jours à Calais, dans le squat des No Border. J’ai vécu la police à Calais et j’en suis choqué et révolté.

 Normalement, quand une bagarre éclate, la police sépare les camps. Pas à Calais. D’abord ils n’interviennent pas, ils laissent monter la tension et après, ils arrêtent tout le monde alors qu’il y a des innocents dans le lot !

 Mais à Calais, tu n’es pas innocent si tu es noir, si tu es étranger.

 Si on avait été dans un autre pays, du nord ou de l’est de l’Europe, j’aurais sans doute trouvé des excuses à ces actes. Mais nous sommes en France ! La France et la Grande-Bretagne forcent les pays Africains à respecter les droits de l’homme et eux-mêmes ne le font pas ! Si tu donnes des leçons aux autres tu dois être le premier à les appliquer.

 Les réfugiés sont illégaux, d’accord mais ils y sont obligés et ils ne sont pas criminels ! Ils n’ont fait de mal à personne, ils sont des victimes. Il faut voir l’état des squats à Calais : si je prenais une photo pour l’envoyer à mes amis, ils ne croiraient jamais que c’est la France…

 Il faut être solide et droit pour résister à ça. Certains tombent dans la drogue ou l’alcool et ça se comprend : comment aider nos familles qui dépendent de nous quand on est dans la rue ? »

Patras, Grèce. Crédits : S.Prestianni.

Patras, Grèce.
Crédits : S.Prestianni.

« J’aimerais devenir magicien »

Entretien recueilli par Judith Sebö, extrait du Journal des Jungles numéro 0 (juin/juillet 2013).

éxilé originaire du  Kurdistan iranien, 30 ans, célibataire sans enfant.

« A la frontière entre l’Iran et l’Irak, on n’a pas le droit de faire du commerce. Le commerce illégal se développe, et c’est ce que je faisais. On gagne beaucoup d’argent comme ça. Je suis célibataire pour le moment.

Si je suis parti, c’est que je me sentais en danger. Je risquais gros avec mon travail. Mais le plus important, c’est que je n’avais pas d’avenir en Iran, aucun objectif possible. Je ne pouvais pas exprimer mes idées politiques. Je n’étais pas libre, et c’est avant tout pour la liberté que j’ai décidé d’aller en Europe.

Avant d’arriver ici, je savais une chose : que personne n’interfèrerait dans ma vie privée, que ce serait chacun sa vie. On ne fouille pas dans la vie des autres. Tout est différent de l’Iran et c’est cela que je recherchais.

Pour venir, je suis allé d’Iran en Turquie en bus, avec un passeport. Puis je suis passé illégalement en Grèce. En Grèce c’était très difficile. Je suis resté un an avant de venir en France en passant par l’Italie en bateau. Nous étions 70 personnes dans un petit bateau. Nous avions toujours peur qu’il coule. Cela a duré 4h30.

Quand je suis arrivé ici, sur le camp, que j’ai vu les abris, les logos des associations, les explications, ça m’a fait chaud au cœur, c’est rassurant, c’est très important pour nous. En Europe, on sent qu’il y a des règles, des lois, c’est rassurant.

Mais la première chose à laquelle je pense, là, aujourd’hui, c’est que j’ai peur que quelqu’un prenne ma place dans la jungle pendant que je suis à l’hôpital. Je ne sais pas où je vais dormir ce soir.

Mon frère est en Angleterre. Je suis prêt à risquer ma vie pour le rejoindre, l’important ce n’est pas les moyens, c’est l’objectif. Après, je souhaite demander l’asile et étudier, ne jamais retourner en Iran, sauf éventuellement pour visiter, voir ce qu’il s’y passe.

J’aimerais devenir magicien. »