Echos de Dunkerque

NOUS, LES BÉNÉVOLES

Par Claire Millot, extrait du Journal des Jungles numéro 0 (juin/août 2013)

Nous apportons des gamelles de riz, de pâtes, de légumes chauds, avec un peu de viande halal. Nous apportons de la nourriture, des couvertures, des vêtements, des chaussures (jamais suffisamment de chaussures…).

Nous vous proposons une assistance médicale, nous vous accompagnons aux douches, à l’hôpital. Nous vous accompagnons à la sous-préfecture, à la CPAM ou dans d’autres bureaux pour les papiers. Il y a parmi nous quelques hommes mûrs, quelques jeunes (étudiants ou demandeurs d’emploi) mais surtout des « mamies », jeunes retraitées aux cheveux gris… C’est qu’il faut du temps, non seulement pour venir à vous mais aussi pour préparer à manger, pour trier les vêtements qu’on nous donne, ceux qu’on récupère et qu’on lave quand vous les abandonnez après la douche.

Bénévole, ce n’est pas un métier ! Ce métier n’existe pas. Nous sommes bénévoles parce que nous avons été émus de vous voir traverser nos quartiers ou touchés par une émission de télévision, par des récits faits par des parents ou amis qui ont rencontré l’un d’entre vous. Dans tous les cas nous partageons les mêmes valeurs : le souci de la dignité humaine.

L’indépendance est nécessaire pour pouvoir travailler sereinement, sans subir aucune pression. Nous sommes regroupés en associations (ou pas) et nous travaillons ensemble car ensemble, on est plus fort !

Bénévoles d'Itinérance Cherbourg. (Crédits Richard Menant)

Bénévoles d’Itinérance Cherbourg.
(Crédits Richard Menant)

Témoignage de Maël Galisson, coordinateur de la Plate-forme de Services aux Migrants

Dunkerque, lundi 17.06.2013

 Il est aux environs de 17h30 quand un jeune homme vient frapper à la porte du Carrefour des Solidarités, également le siège de la Plate-forme de Services aux Migrants (PSM). Le jeune, qui se prénomme M.K., se présente comme n’ayant aucune solution d’hébergement pour la nuit à venir. Il se présente également en tant que mineur, de nationalité guinéenne et annonce que c’est le commissariat de Dunkerque qui l’a envoyé au Carrefour des Solidarités, en lui disant que cette association saura lui trouver une solution pour la nuit. Je prends le temps de l’accueillir et, pas tout-à-fait au courant, me renseigne auprès de différents contacts sur la procédure en matière de prise en charge de Mineurs Isolés Etrangers (MIE) sur le département du Nord. Informé, j’explique à M.K. la situation et nous décidons de retourner au commissariat de DK, quai des Hollandais. L’objectif est qu’il puisse voir l’Officier de Police Judiciaire (OPJ) afin de bénéficier (ou non) d’une Ordonnance de Placement Provisoire (OPP) et ainsi être pris en charge.

A notre arrivée au commissariat, la policière de l’accueil reconnaît le jeune. En échangeant rapidement avec M.K., j’apprends alors qu’après avoir été recueilli la veille par un habitant de DK, ce dernier lui avait conseillé d’aller au commissariat. Ce que M.K. a fait dès le matin. A son 1er passage au commissariat, on lui a dit de se rendre au Service Intégré d’Accueil et d’Orientation (SIAO). Ce qu’il a fait : là-bas, on lui dit que le 115 ne prenait pas en charge les mineurs et on lui a conseillé de retourner au commissariat. Ce qu’il a encore fait. A son 2nd passage au commissariat, il a été visiblement reçu par une juriste qui lui a donné l’adresse du Carrefour des Solidarités. M.K. a donc passé sa journée ballotté entre l’institution policière et les services sociaux, avant finalement d’accoster au siège d’une association. En cette fin de journée, M.K. redécouvrait donc une 3ème fois le hall guère hospitalier du commissariat de DK.

Le hall est relativement plein, notre tour arrive, je montre qu’en tant qu’accompagnant, j’ai quelques notions de la procédure, la policière annonce qu’elle va informer l’OPJ de la situation et nous demande de patienter. Et nous patientons. 45 minutes passent et comme l’accueil est relativement occupé, on tente de se montrer patient. Mais je me permets tout de même d’interroger diplomatiquement la policière qui me dit que l’OPJ a été informé et qu’il faut attendre. 15 minutes passent et je questionne à nouveau la policière. Cette fois, elle envoie une de ces collèges (à priori) voir l’OPJ, puis elle revient nous voir presque aussitôt et nous dit : «Bon, messieurs, on ne peut rien faire pour vous, il faut que vous sortiez ». Là, l’énervement me gagne un peu et je commence à lui expliquer que c’est le rôle du commissariat de s’occuper de ce type de situation. Elle me coupe et me dit : « Nous, on ne s’occupe pas des demandeurs d’asile ! ». Interloqué, je lui demande [devant tout le monde] comment elle peut savoir que la personne que j’accompagne est demandeur d’asile alors qu’elle ne lui a même pas adressé la parole (délit de faciès, vous pensez ?), puis je lui explique que le jeune est mineur, qu’il est à la rue et qu’en France, une prise en charge commence logiquement par un passage au commissariat et une décision de l’OPJ. Là, elle ne dit plus rien et disparaît dans son bureau.

Je reviens vers la policière à l’accueil qui me demande de patienter un peu (encore !?) et qu’elle va relancer l’OPJ. J’attends une quinzaine de minutes et montre quand même quelques signes d’impatience. Et là, un policier vient me voir. D’abord, il se rate lamentablement puisqu’en introduction de la discussion, il m’annonce qu’en tant étranger, M.K. n’avait aucun droit. Je lui réponds que pas de chances, la loi notamment en matière d’hébergement d’urgence ne fait pas de distinction entre français et étranger. Puis, il m’annonce que la procédure ne se passe pas comme ça. Pour que le jeune soit pris en charge, il faut qu’il soit récupéré par la Police aux Frontières (PAF) de Loon-Plage. Je me permets, avant tout, de souligner qu’il serait intéressant que les services de police se mettent d’accord sur ce qu’ils ont à nous dire car en l’espace de 15 minutes, nous avons eu droit à 2 versions complètement différentes. Puis je demande, si c’est effectivement la procédure, comment le jeune va se rendre à Loon-Plage (à 15 kms de DK). Réponse : « Si vous voulez, vous pouvez l’emmener, en tous cas, nous on n’est pas un service de taxi ! ».

Je décide de jouer le « jeu », je demande le contact de la PAF de Loon-Plage et appelle. Réponse : « Ah, non, monsieur, je ne comprends pas pourquoi les collègues de DK vous ont orienté vers nous, car nous, nous n’avons pas d’OPJ ici. Normalement, à DK, ils devraient pouvoir le faire, je ne comprends pas. Le mieux, c’est de voir avec la PAF de Coquelles ». Par acquis de conscience, je joins la PAF de Coquelles. Je n’arriverais jamais à les joindre, tombant à chaque fois sur le répondeur. Je reviens vers la policière d’accueil et le dernier agent qui m’a parlé et leur fait part de mon énervement et d’une légère impression qu’on se moque (un peu) de nous, quand même. La policière, un peu gênée, retourne voir l’OPJ.

Il est alors 20h15 passé. Cela fait plus de 2 heures qu’on est au poste, le hall d’accueil a commencé à se vider et je sens que le jeune commence à craquer nerveusement : il n’a pas mangé depuis la veille au soir et malgré mes explications, il ne comprend pas bien à quoi rime tout ce cinéma. Arrive alors un changement d’équipe (génial, va falloir tout recommencer à zéro). Je me permets donc d’interroger trois nouveaux agents en train de prendre leur service. Là, j’ai droit à un florilège de réponses déconcertantes : « On n’est pas un hôtel, ici ! », « De toute façon, il est étranger, il n’a pas le droit d’être hébergé », etc (…). Là, un peu sec, je me permets quelques rappels à la loi : le Code de l’Action Sociale et des Familles et les articles relatifs à l’hébergement d’urgence, l’obligation de prise en charge des mineurs (avec ou sans papiers) par des dispositifs mis en place par le Conseil Général, etc (…). Silence. Un des 3 s’en va vers les bureaux de l’OPJ puis revient 5 à 10 minutes plus tard.

Commence alors un très bref entretien avec M.K., qui est questionné sur son origine, sa situation sociale, le pourquoi et le comment de sa venue à DK. En 3 minutes, c’est réglé. Puis, le policier repart vers le bureau de l’OPJ pour revenir presqu’aussitôt. Verdict : « L’OPJ m’annonce qu’il n’y a pas de places, on peut rien faire pour vous, vous devez sortir du commissariat ». Sur le coup, j’oublie de demander une notification écrite de la décision. Je proteste et on me répond : « On n’est pas un hôtel, on ne peut pas le laisser là, vous, prenez-le en charge si vous voulez ». Je réponds que ce n’est pas mon rôle, mais à l’Etat d’assumer ses responsabilités. Par principe, je refuse d’accompagner M.K. dans sa sortie forcée du poste. Devant mes yeux, je vois donc le jeune, qui craque et se met à sangloter, mis à la porte du commissariat par deux agents. J’ironise et un policier répond : « On ne peut pas tout faire quand même, c’est pas possible, on est humains, nous aussi ! ». Je n’ai malheureusement pas eu le temps de lui demander sa définition de l’humanité, je sors et retrouve M.K. sur le trottoir, complétement perdu.

Il est près de 21h. M.K. n’a rien mangé depuis la veille, a erré toute la journée, vient de passer pas loin de 3h dans un commissariat, n’a toujours pas de solution d’hébergement : je le sens à bout. Je tente de le rassurer, nous mangeons un kebab, puis retour au Carrefour des Solidarités pour jouer une dernière carte avant de laisser place à la solidarité individuelle : le centre pour MIE de France Terre d’Asile (FTDA) dans le Pas-de-Calais. J’appelle et joue carte sur table. Malheureusement, dès que je parle de Dunkerque, la discussion tourne court: « Ah, mais si cela s’est passé dans le 59, nous ne pouvons rien faire. Nous ne prenons en charge que les jeunes repérés sur le Pas-de-Calais ». J’argumente, explique ma situation d’associatif mais rien n’y fait. J’ose : « Mais si vous voulez, je peux filer à Calais et je vous rappelle dans 30 min ». Y a pas d’arrangement.

Finalement, je trouverais une complice associative, présidente d’une association d’aide aux exilées intervenant dans le 62, qui appellera FTDA pour leur signaler qu’un bénévole de son asso avait rencontré un MIE, que ce même bénévole était prêt à se rendre de suite au centre à Saint Omer pour déposer le jeune et ainsi qu’il soit pris en charge. L’astuce a marché. Il est 23h, après ¾ de route, je dépose M.K. au centre de FTDA à St Omer où il est pris en charge.

misère

Témoignage d’une bénévole de l’Association SALAM Dunkerque à l’occasion de la Journée mondiale du refus de la misère

(témoignage recueilli par l’Association Carrefour des Solidarités)

10 ans, 10 ans déjà que je suis au service de l’association ! Depuis le temps, on aurait pu espérer que ça se serait amélioré. Mais non ! Toujours autant de personnes qui vivent dans des camps de misère, dans les mêmes conditions. Dix ans que je prépare des repas, que je les porte à ces ventres affamés ! Dix ans que je cherche les bonnes affaires dans les vestiaires de la région pour leur procurer des habits confortables et chauds, des couvertures et des chaussures. Parce que à chaque fois que je me rends sur les jungles, j’entends : « please shoes madam, please blanket ». Qu’est-ce que je peux faire de plus ? Mais je me sens complètement impuissante, et j’ai honte, honte qu’ils aient à me demander ce dont ils ont besoin, honte de rentrer à ma maison, bien au chaud et tout ce qu’il faut pour remplir mon ventre.

Qui est responsable ? Leur gouvernement ? L’Europe ? Nous tous ?

Témoignage d’une bénévole de l’Association SALAM Dunkerque à l’occasion de la Journée mondiale du refus de la misère

(témoignage recueilli par l’Association Carrefour des Solidarités)

Un afghan qui devrait avoir une autorisation de séjour après beaucoup de péripéties et des raisons de demander l’asile comme plein d’autres mais lui avec des séquelles sur son corps en plus. Il veut passer en Angleterre. Sa famille dont il n’avait plus de nouvelles depuis 6 mois et qui a dû fuir n’a pas d’argent et lui demande de passer en Angleterre pour envoyer de l’argent !!!

Il sera renvoyé en France s’il est arrêté et mis en procédure prioritaire. On ne croira plus son histoire et sa situation sera encore plus difficile. Il me dit « je travaille en Angleterre un an, j’envoie l’argent et je reviens demander l ‘asile » !!!

Ils ne peuvent pas comprendre la complexité des choses.

Ils fuient parce que leur vie est en danger et ils doivent faire vivre leur famille restée là-bas sans argent.

Quelle saloperie, quel gâchis.

Ce soir l’espoir est mort.

 …

Témoignage d’une bénévole de l’Association SALAM Dunkerque à l’occasion de la Journée mondiale du refus de la misère

(témoignage recueilli par l’Association Carrefour des Solidarités)

Pour une fois, pas de corvée d’épluchure à l’arrivée, il n’y avait plus de pommes de terre. Mais plus tard dans la matinée une association nous en a fait don de quatre caisses ! Les cuisinières ont préparé du riz (beaucoup car les migrants étaient très nombreux sur les deux camps mardi dernier), un mélange de légumes et de la viande en sauce. Du thé et des bananes complétaient le repas.

Quatre bénévoles sont descendus au tri des vêtements. Heureusement que nous étions quatre, parce qu’il y avait eu un gros arrivage ! Une bénévole a préparé aussi les affaires pour les douches de demain et nous avons, elle et moi, avancé le tri et le rangement des chaussures.

A Grande-Synthe, il n’y avait pas beaucoup de monde (nous avons donné 19 repas) : la police était passée et avait emmené une bonne partie des habitants de la jungle (deux ou quatre camionnettes de police, nous n’avons pas toutes entendu la même chose…), en particulier ils avaient pris un Afghan qui devait rentrer à Kaboul et à qui une bénévole devait donner ses billets pour repartir. Par chance, nous avons su plus tard au téléphone qu’elle l’avait par hasard rencontré à Calais… Il faisait beau et l’ambiance était détendue mais pas très solidaire : ils n’ont pas voulu prendre de boîtes de nourriture pour les absents, juste suggéré que nous allions leur porter à la police… Il y avait des nouveaux, en particulier une dame avec sa grande fille (jeune adulte) et un petit garçon d’un mois (né en Iran mais la maman nous a expliqué qu’elle avait eu ses empreintes prises par la police en France il y a six mois… Pas très clair mais la barrière de la langue empêchait une conversation fluide). Elles voulaient voir le médecin et une bénévole les a emmenées à Téteghem. Par contre un homme qui voulait aussi une consultation médicale n’était plus là quand elle est revenue chercher les malades. Il y avait beaucoup de toux et de maux de gorge !

A Téteghem, il semblait y avoir aussi peu de monde mais un bénévole a été jusqu’au bout du camp et nous a renvoyé les gars. Nous avons finalement distribué 48 repas. L’appétit était bon et nous avons tout donné sauf un carré et demi de riz, en laissant aussi des boîtes pour le soir. On voit que l’automne est arrivé : beaucoup de monde voulait voir le docteur, ici aussi sûrement beaucoup de maux de gorge…

Sur les deux camps nous avons été rejoints par une bénévole d’une association accompagnée d’un nouvel interprète en arabe.

Nous sommes rentrés finir la vaisselle bien avancée par les bénévoles. Nous avons fini un peu avant 15 h.

Je suis allée vers 16h45 sur le camp, j’ai d’abord vu un gars malade qui dormait dans la cabane de distribution sur une table. Il avait fumé et avait un bon mal d’estomac. Je lui ai donné un médicament, ca lui convenait…..

Ambiance pourrie, ils étaient nombreux et avaient la haine à cause des arrestations. Beaucoup de personnes embarquées si j’ai bien compris et sans faire de différence : femmes, enfants, les mecs qui doivent repartir au pays, bref, du grand n’importe quoi… Ils étaient en colère et fatigués. Mais en plus, ils avaient faim… Un nouveau Pakistanais est venu directement vers nous et a demandé pourquoi on ramenait de la nourriture pour chats alors que les gars n’avaient rien. J’ai expliqué que l’association SALAM était venue à midi.

Pas vu beaucoup de têtes connues, même le gars qui devait m’attendre, n’était pas là.Par contre, j’ai vu des mecs qu’on avait eu sur le camp il y a déjà quelques mois.

La dame avec le bébé s’est un peu montrée mais n’est pas venue nous parler. L’autre dame a été arrêtée avec sa petite fille ? Cette dame avait très mal au dos mais n’a rien demandé pour cela.

Quand on partait, j’ai, par acquis de conscience, demandé au gars qui nous avait dit que nous nous occupions des chats et pas des gars, s’il avait quelque chose à manger. Non, pas de bouffe et pas un rond. Plusieurs dans ce cas-là. J’ai voulu lui donner de quoi s’acheter un casse croute mais il a répondu qu’il ne pouvait pas sortir du camp, il avait trop peur de la police. On l’a donc emmené et on l’a laissé au bord du chemin avec une pizza, 8 petites parts. Nous avons expliqué que nous n’avions pas les moyens de rapporter de la nourriture comme cela, que l’association était fermée. Il nous a remercié grandement et nous a dit être un gars qui veut juste « vivre »… et que dans son pays, c’est devenu impossible : talibans.

Crédits : Terre d'Errance Norrent-Fontes