Article de Damien Boone publié le 10 août 2015 par Mediapart dans le cadre de l’opération #Open Europe
Ils viennent de Guinée-Conakry, du Mali, du Congo, de Côte-d’Ivoire. Pour la plupart mineurs, ces migrants se sont installés depuis 5 semaines dans un parc à proximité du centre-ville lillois, en attendant que le département, juridiquement tenu de leur venir en aide au nom de l’aide sociale à l’enfance, daigne s’occuper de leur cas.
Seuls les quelques rires et cris des enfants qui ont pris d’assaut l’air de jeux du jardin des Olieux viennent troubler le calme en ce vendredi après-midi. À proximité, quelques jeunes les regardent en silence. Plus loin, d’autres écoutent un peu de musique, discutent par groupes de trois-quatre, cassent la croûte autour d’une table de ping-pong, ou à côté des poubelles. Jeunes migrants venus d’Afrique, ils se sont installés depuis déjà 5 semaines dans ce parc à l’écart de tout grand axe, au milieu des résidences et sous le regard des habitant.es du quartier. Il y a un peu à manger, quelques matelas, des couvertures, quelques cabanes dans les arbres pour dormir. Certains sont arrivés par la mer, d’autres par avion. Et tous un peu par hasard à Lille, après avoir été bourlingués de villes en villes, trompés par leurs passeurs, de refuges en refuges, au gré des expulsions. « On ne se connaissait pas, mais on est devenus un peu comme une famille en se retrouvant à Lille ». Aucun d’entre eux ne souhaite s’appesantir sur les raisons qui les ont poussés à quitter l’Afrique : leurs regards se perdent au loin en évoquant « des problèmes….1 ». Leurs souhaits ? « Pouvoir rester dans de bonnes conditions » ; « avoir l’opportunité d’aller à l’école tous les jours » ; « on veut se former » ; « si on abandonne l’école, on n’a rien. On veut avoir la capacité de s’en sortir par nous-mêmes. Ne pas dépendre de l’État ».
Se présentant majoritairement comme mineurs, ils espèrent la protection due à tout mineur isolé étranger (MIE), responsabilité incombant au département via l’aide sociale à l’enfance (tandis que les majeurs dépendent de l’État, et sont expulsables), et aussi en partie aux services de l’État (protection judiciaire de la jeunesse). En attendant, sans la nationalité française et sans représentants légaux sur le territoire français, les migrants lillois sont dépourvus de toute capacité juridique. La situation de MIE est ambiguë car elle ne constitue pas un statut juridique à proprement parler : elle est à la lisière du droit des étrangers et, au titre de l’enfance en danger, du dispositif français de protection de l’enfance, qui ne requiert aucune condition de nationalité, ni de régularité du séjour. Reste à savoir si les autorités préfèrent les considérer avant tout comme des « étrangers » ou comme des « enfants » : en théorie, les engagements de la France à l’égard de la Convention internationale des droits de l’enfant, signée en 1989, devraient faire prévaloir le statut d’« enfant », et ainsi faire appliquer ladite convention qui énonce en son article 20 :
« Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial,
ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu,
a droit à une protection et une aide spéciales de l’État »
En outre, dans un document dont certains passages font office de réquisitoire à l’égard de la situation des droits humains en France, le Comité des droits humains de l’Organisation des Nations Unies s’est inquiété en juillet « que des mineurs isolés continuent à être maintenus en zone d’attente pour une durée pouvant aller jusqu’à vingt jours ». Aussi, il recommande que « [la France s’assure] que les mineurs isolés étrangers reçoivent une
protection judiciaire et le soutien de l’aide sociale à l’enfance » (le dossier complet est téléchargeable ici).
Les textes sont donc clairs. Interrogées dans la presse locale, les autorités se renvoient pourtant les responsabilités. La préfecture n’est pas au courant ; le département accuse l’État ; et la municipalité renvoie à l’État et au département. Ainsi, plutôt que de défendre et assurer la protection a priori des exilés, plutôt que de faire appliquer la législation favorable à ces derniers, l’État et ses démembrements considèrent la question avec méfiance et, en retardant la mise en place d’un dispositif pour ces jeunes, la longueur des procédures aura pour résultat de faire sortir un certain nombre d’entre eux du recours à l’aide sociale à l’enfance. En effet, les bénéficiaires d’une protection pendant leur minorité ne sont pas pour autant assurés de pouvoir demeurer en France à leur majorité. C’est donc avec les préfectures qu’il faudra ensuite lutter pour éviter qu’aux mesures de protection ne succèdent des mesures dites « d’éloignement ».
Le département du Nord est tenu de considérer ces jeunes hommes pour ce qu’ils sont : des enfants privés du soutien de leur famille ou d’un tuteur. Cette semaine d’ailleurs, le tribunal administratif de Nantes a une fois de plus donné tort au conseil départemental de Loire-Atlantique, qui refuse d’héberger la plupart des migrants mineurs arrivés fin juillet. Verdict : le département doit leur assurer un hébergement.
Pour le moment, des habitants du quartier et des militants associatifs assurent la solidarité et la protection auxquelles les services de l’État se dérobent. « Heureusement, on a des visites, des voisins, des gens d’associations ». L’antenne locale d’Ozanam, à deux pas du parc, offre un point douche le matin, et Le point de repère, lieu d’accueil de jour destiné aux jeunes sans domicile, fournit des soins. Mais, sollicités dans l’urgence par un public inhabituel, la pérennisation de ces recours, qui ne font pas d’accompagnement social, se pose. En outre, ces structures sont fermées le week-end. Une habituée vient apporter son soutien : « on s’organise pour faire la bouffe le soir, à tour de rôle. Le midi, ce sont des habitants. Tiens, ce midi, c’étaient des Marocains, ils ont fait un couscous pour tout le monde ». Des soutiens apportent des vêtements : « tout ce qu’on porte, on nous l’a donné ».
Mais, au quotidien, les migrants font surtout face à de nombreuses difficultés : comme le résume l’un d’eux, « y a la pluie, et y a la police… ». Si le temps est clément à Lille depuis une quinzaine de jours, les nuits de pluie sont le cauchemar éveillé de tous : « la pluie, tu peux rien faire. Quand il pleut, on ne dort pas. On marche, on erre dans la rue, on cherche un abri ». Un jeune montre des cicatrices sous la lèvre : « j’ai eu des boutons pendant une nuit de pluie. J’en avais partout sur le visage. On tombe vite malades. On est fatigués. Et on ne peut pas aller à l’hôpital ». Un autre est allongé et grimace : « il a mal sur le côté. On lui a laissé le meilleur matelas ». Un autre ennemi : l’ennui. Il faut tuer le temps. « On est ici parce qu’on n’a pas le choix. Et on ne peut pas bouger : on fait quoi ? On prend le train, le métro, et on va avoir des amendes pour rien ? ». Des habitants apportent quelques livres. « Quand on a fini, on les rend ».
Cependant, l’État n’est bien sûr pas totalement absent. La police nationale fait régulièrement des rondes en voiture. S’arrête parfois pour des contrôles d’identité. Donne des consignes : « ils disent de pas faire de bruit, de pas faire de saletés ». Intimide : « La semaine dernière, la police est venue avec des chiens. On essaie de nous faire partir par la force. La police a pris les réchauds, les matelas, les tentes ». Culpabilise : « un policier m’a dit : “vous bénéficiez de la générosité de la Franceˮ. Peut-être, pour l’instant. Mais on ne veut pas en bénéficier toute notre vie. Et pour cela, on veut aller à l’école ». La police passe au ralenti : « ils ont peur des rafles. Il faut qu’il y ait le plus de blancs possible », glisse la sympathisante. Très curieusement, les services municipaux sont soudainement prompts à réaliser des aménagements que les riverains réclament depuis des mois, et qui étaient sans cesse repoussés. Ainsi, la mairie est intervenue la semaine dernière pour… élaguer des arbres dans lesquels les migrants avaient construit des cabanes, et démonter les pergolas.
Ces actes révèlent le déploiement, à différents niveaux de l’État, de moyens « exceptionnels » – traque, intimidation, refus de droits fondamentaux – pour organiser l’invisibilisation et la marginalisation de certaines populations considé