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La nuit à Calais, les CRS arrosent la «jungle» de lacrymogènes // Libération // 07.01.2016

Image tirée de la vidéo diffusée par «Calais Migrant Solidarity».
Image tirée de la vidéo diffusée par «Calais Migrant Solidarity».

Une vidéo, mise en ligne par les militants de «No border», montre des jets massifs de gaz lacrymogènes des forces de l’ordre sur des cabanes où vivent femmes et enfants.

Un feu d’artifice de gaz lacrymogènes. Depuis lundi, la «jungle» de Calais a été arrosée de grenades par les CRS plusieurs nuits de suite. Témoin, ce petit film de sept minutes mis en ligne par le groupe No Border «Calais Migrant Solidarity». On y distingue les cabanes du bidonville, côté rue des Garennes et chemin des Dunes, plongées dans un nuage de gaz, dans la lumière blafarde des lampadaires de la rocade. On entend des cris, des applaudissements, des rires de la centaine d’exilés qui tentent d’en découdre avec les forces de l’ordre. Certains migrants, parfois très jeunes, retournent les grenades à l’envoyeur ou jettent des pierres. Pour ces jeunes hommes afghans et kurdes qui en ont vu d’autres, désespérés de ne pouvoir passer en Angleterre après des mois de tentatives, on dirait un jeu. On aperçoit des averses d’étincelles quand les grenades touchent les toits des cabanes. Certaines grenades sont envoyées à tir tendu (voir à 6’55 »). Dans ces cabanes, il y a aussi des gens qui dorment, des femmes et des enfants, surtout dans la zone la plus proche de la rocade, où se trouvent de nombreuses familles kurdes d’Irak.

«En ce moment, c’est toutes les nuits», raconte Mehdi, un Iranien qui ne participe pas aux heurts. «Tout le monde mange du gaz. Les calmes et les énervés. Les familles qui n’ont rien demandé à personne, comme les autres». Il estime à une centaine le nombre de grenades jetées chaque nuit. On avait rencontré ces familles en novembre, dans le carré des Kurdes. Elles racontaient comment des tentes avaient pris feu à cause des grenades. Une femme expliquait que son fils de 4 ans respirait avec difficulté à cause des gaz. Pour un activiste No Border qui veut rester anonyme, cette stratégie qui consiste à arroser tout le monde relève de la «punition collective». «La nuit, la jungle est en état de siège. La police bloque les gens. En retour, ces jeunes qui viennent de pays en guerre le vivent comme un jeu. C’est tragique.» Les No Border annoncent deux blessés au visage.

Rondins et poteaux

Selon le groupe No Border «Calais Migrant Solidarity», qui s’exprime en anglais sur son site, dans la nuit du 4 au 5 janvier, les migrants avaient répondu à une provocation d’un groupe d’extrême droite contre les exilés aux abords de la jungle. La nuit suivante, le scénario est plus classique : des exilés tentent de ralentir le trafic sur la rocade portuaire pour créer un embouteillage et tenter d’entrer dans les camions, comme le font les plus hardis de ceux qui n’ont pas les moyens de payer les milliers d’euros que coûte désormais le passage. Ils jettent des rondins de bois et des poteaux métalliques sur le trajet des camions. Réaction policière : repousser les exilés jusqu’à l’entrée de la «jungle» et bombarder de grenades lacrymogènes la jungle elle-même. Résultat, le bidonville est plongé dans un épais brouillard qui brûle les yeux et la gorge de tous. Les quelque 100 exilés excités, et les milliers d’autres.

La préfecture du Pas-de-Calais, à qui on a demandé de commenter la vidéo, a répondu par écrit : «Cette vidéo présente une vision tronquée des événements. Les réactions des forces de l’ordre que l’on peut voir sur la vidéo étaient des réponses à des tentatives de blocage de la rocade portuaire.» Etonnante réponse : à l’image, ce sont les cabanes et les tentes du bidonville qui sont bombardées de grenades lacrymogènes, pas la rocade portuaire. Comme si ceux qui y vivent, y compris des hommes, femmes, et enfants endormis, n’existaient pas.

Entre 4 000 et 7 000 personnes vivent dans la jungle de Calais, selon les sources. La préfète a annoncé lundi qu’elle souhaitait faire descendre ce chiffre à 2 000. Elle souhaite faire démanteler les cabanes du bidonville, à mesure que se remplit une aire de bungalows chauffés, prévue pour 1 500 personnes, un «camp humanitaire», qui doit ouvrir lundi. On construit un «camp humanitaire» le jour, et on arrose la jungle de lacrymogènes la nuit.

Haydée Sabéran

A Calais, le ministère accusé « d’atteintes graves aux droits fondamentaux »

« le Monde » 2 décembre 2015

par Maryline Baumard

En dix jours, c’est le deuxième désaveu officiel infligé à la politique menée par le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, à Calais. Après le Conseil d’Etat, qui le 23 novembre exigeait un aménagement rapide du campement où vivent plus de 5 000 migrants, c’est au tour de la contrôleure générale des lieux de privation de liberté de dénoncer le non-respect des droits de l’homme, par les pouvoirs publics, dans ce no man’s land de misère et de détresse qu’est la jungle calaisienne.

Dans une recommandation rendue publique le 2 décembre, Adeline Hazan demande au ministre qu’il « soit mis fin » aux placements collectifs en rétention qui se succèdent à un rythme endiablé depuis plus de quarante jours. Elle dénonce l’enfermement de 779 migrants entre le 21 octobre et le 10 novembre (1 039 au 1er décembre selon la Cimade), « dans le but de désengorger Calais ». « Il s’agit là d’une utilisation détournée de la procédure qui entraîne des atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes ainsi privées de liberté », constate-t-elle.

Aux yeux de cette haute autorité, la politique de M. Cazeneuve bafoue le droit des étrangers parce que ces migrants ne sont pas dans une situation où leur mise en rétention s’impose, mais aussi parce qu’on les prive « de l’accès à leurs droits » et que leur privation de liberté se fait « dans des conditions matérielles portant atteinte à leur dignité ».

Désengorger Calais

Ces violations du droit découlent du choix fait le 21 octobre par le ministre de l’intérieur. Ce jour-là, M. Cazeneuve annonce un plan pour Calais. Officiellement, il propose d’offrir un hébergement, quelque part en France, aux migrants qui acceptent de renoncer à leur projet migratoire vers la Grande-Bretagne. Il décide en même temps de renforcer largement la présence des forces de police sur le lieu afin de rendre la frontière hermétique. Pas un mot, alors, sur les places réservées jusqu’à fin décembre dans sept centres de rétention administrative (CRA) aux quatre coins du pays. Toutes les facettes de sa politique convergent vers un but unique : désengorger le site de Calais en le vidant par tous les moyens de quelques-uns des 6 500 migrants qui y résident alors.

Selon les textes juridiques en vigueur, le placement en rétention n’est pas prévu pour vider un campement: il est réservé à la préparation effective du retour d’un migrant dans son pays ou un pays tiers. Or, la contrôleure, qui a fait les calculs jusqu’au 10 novembre, est arrivée à la conclusion que seules 4 % des personnes retenues avaient effectivement quitté la France. Preuve que l’enfermement n’avait pas pour but premier de leur faire quitter l’hexagone – même si, dans sa réponse à Mme Hazan, le ministre rappelle que « tous les étrangers placés en CRA ont vocation à être éloignés et y sont placés dans ce seul but ».

La contrôleure ne donne les nationalités des « déplacés » que jusquà mi novembre mais la Cimade les a consigné jusquau 1er décembre. Sur les 1 039 personnes enfermées depuis octobre dans les sept CRA semi-réquisitionnés, figuraient 147 Érythréens, 113 Irakiens et 138 Syriens – autant de migrants qu’il est impossible de renvoyer chez eux parce que cette mesure les exposerait à des risques importants. Un bilan fait par la même association montre d’ailleurs que 94 % de ceux qui ont été enfermés depuis la mi-octobre ont été libérés, soit par la préfecture elle-même, soit par un juge. Selon nos informations, la plupart d’entre eux sont retournés à Calais par le premier train.

Entassement et indignité

Afin de disposer de tous les éléments, la contrôleure des lieux de privation de liberté et six de ses collaborateurs se sont rendus à deux reprises à l’hôtel de police de Coquelles, qui jouxte Calais. Ils ont suivi le transfert par avion de 46 personnes vers le centre de rétention de Nîmes et assisté à l’arrivée de 32 autres à Vincennes. Ils ont ainsi pu observer qu’une bonne partie des migrants mis en rétention avaient été enfermés suite à des contrôles d’identité aléatoires dans Calais, et non alors qu’ils tentaient de passer la frontière. La plupart avaient en outre une obligation de quitter le territoire français (OQTF) « présentant une motivation stéréotypée et un argumentaire identique ». Un élément qui témoigne d’une absence d’examen de la situation individuelle contraire au droit.

La contrôleure a en outre pu observer que les policiers menaient les interpellations en fonction des places disponibles dans les CRA, et non en fonction des projets de renvoi. « Il reste quatre personnes à interpeller », a entendu l’un des enquêteurs de terrain, alors que 46 personnes étaient déjà gardées à vue ou retenues dans le centre de Coquelles dans des conditions d’entassement et d’indignité dénoncées par le rapport. La liste des violation des droits est tellement longue que le fait que l’« information relative à la possibilité de déposer une demande d’asile » soit « parfois omise lors de l’énumération des droits », pourrait paraître accessoire.

La contrôleure des lieux de privation de liberté n’est pas la seule à critiquer l’attitude des pouvoirs publics à Calais. Mardi 1er décembre, l’Observatoire de l’enfermement des étrangers (OEE), qui regroupe seize associations, de la Ligue des Droits de l’Homme aux syndicats d’avocats, a publié une lettre ouverte interrogeant le premier ministre Manuel Valls, sur le sens de ces déplacements forcés.

Contrôleure générale des lieux de privation de libertéb (CGLPL), 2 décembre 2015

Recommandations en urgence relatives aux déplacements collectifs de personnes étrangères interpellées à Calais

Au Journal Officiel du 2 décembre 2015 et en application de la procédure d’urgence, la Contrôleure générale a publié des recommandations relatives aux déplacements collectifs de personnes étrangères interpellées à Calais.

L’article 9 de la loi du 30 octobre 2007 permet au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, lorsqu’il constate une violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, de saisir sans délai les autorités compétentes de ses observations en leur demandant d’y répondre.
Le ministre de l’intérieur a été destinataire de ces recommandations et a apporté ses observations, également publiées au Journal Officiel (http://www.cglpl.fr/wp-content/uploads/2015/12/joe_20151202_0279_0091.pdf).

A l’occasion d’un contrôle du centre de rétention administrative (CRA) de Coquelles en juillet 2015, le CGLPL a observé une pratique de transferts groupés de personnes alors même que le centre n’était pas plein. Dans une lettre adressée au ministre de l’intérieur le 7 août 2015, la Contrôleure générale s’est inquiétée des risques d’atteintes au droit au recours de ces personnes et des conséquences anxiogènes de ces déplacements.

En octobre 2015, le CGLPL a été alerté de la mise en œuvre d’un dispositif similaire de déplacements, mais de plus grande ampleur, s’effectuant de Calais vers sept CRA du territoire national (Metz, Marseille, Rouen-Oissel, Paris-Vincennes, Toulouse-Cornebarrieu, Nîmes et le Mesnil-Amelot) dans des conditions suscitant de nombreuses questions, d’autant que le CRA de Coquelles n’était toujours pas complet.

Le contrôle a dès lors décidé de procéder à des vérifications sur place et s’est rendu à l’hôtel de police de Coquelles les 26 et 27 octobre 2015 puis dans la nuit du 9 au 10 novembre 2015, a suivi intégralement le transfert par avion de quarante-six personnes jusqu’au CRA de Nîmes le 27 octobre 2015 et a assisté à l’arrivée de trente-cinq autres personnes au CRA de Paris-Vincennes le 3 novembre 2015.

Un traitement de masse des déplacements induisant une prise en charge collective et sommaire qui prive les personnes de l’accès à leurs droits

– Des atteintes au droit au maintien des liens familiaux. Le CGLPL est attentif au respect du maintien des liens familiaux des personnes privées de liberté. Plusieurs personnes rencontrées par le CGLPL se sont plaintes d’avoir été séparées de membres de leur famille, principalement de leurs frères ou cousins mineurs laissés libres, et se sont inquiétées de l’avenir de ceux-ci, désormais seuls.

– Un accès insuffisant aux droits et à l’information. Le fait de recevoir plusieurs dizaines de personnes de manière quasiment simultanée entraîne une gestion collective des situations. La majorité des notifications des décisions administratives et des droits des personnes retenues, auxquelles les contrôleurs ont assisté, se sont déroulées de manière grandement insatisfaisante : notifications collectives dans des lieux particulièrement occupés et bruyants, mauvaises conditions d’interprétariat, voire absence d’interprète (remplacé par la remise de documents écrits), manque d’informations sur la vie au CRA et les missions des associations d’aide juridique, etc. Plusieurs des personnes retenues et des intervenants ont déclaré aux contrôleurs être convaincus, compte tenu des informations délivrées, que ce placement en rétention n’était pas destiné à organiser leur éloignement.

– Des actes stéréotypés et des procédures non-individualisées, sources d’imprécisions et d’irrégularités Il ressort de l’examen par le CGLPL de quatre-vingt-une procédures administratives (OQTF et placement en rétention administrative) que les décisions présentent une motivation stéréotypée et un argumentaire identique ; certaines sont pré-imprimées (mentions manuscrites portées dans des espaces vierges : date de la procédure, état civil de la personne et destination) et de nombreuses décisions ne fixent pas de pays de destination particulier. Ces documents, manifestement préparés à l’avance, témoignent d’une absence d’examen de la situation individuelle de chaque personne.

– Le contrôle juridictionnel. Le CGLPL estime que ces déplacements collectifs restreignent de fait l’assistance juridique et neutralisent, par la durée du trajet, une partie importante du délai de recours, ce qui porte atteinte à l’effectivité du droit au recours des personnes retenues contre les décisions les concernant. En outre, il saisit l’occasion des présentes recommandations pour rappeler sa préconisation de réduire le délai d’intervention du juge des libertés et de la détention à 48 heures, ce qui permettrait un contrôle plus effectif de la régularité des procédures. Enfin, le CGLPL a constaté que de nombreuses personnes ont été libérées sur décision de l’administration avant le contrôle du juge des libertés et de la détention.

Des conditions indignes pour les personnes retenues comme pour le personnel

– Des cellules sur-occupées à l’hôtel de police de Coquelles. Les contrôleurs on constaté que des personnes séjournaient à quatre dans des cellules individuelles (7m2), parfois à treize dans des cellules collectives (11m2). La grande majorité des personnes dormait à même le sol, certaines sans couverture. Les cellules collectives sont dépourvues de WC, les personnes sont donc soumises à la disponibilité des policiers pour se rendre aux toilettes. Des WC séparés par une cloison à mi-hauteur équipent les cellules simples, les personnes se retrouvaient contraintes d’utiliser les WC en présence de co-cellulaires, situation attentatoire au respect de la dignité humaine.

– Des policiers et gendarmes très impliqués mais épuisés par la charge de travail. L’arrivée des renforts dans le Calaisis entraîne une désorganisation dans le fonctionnement, les différents fonctionnaires ne se connaissant pas et appartenant à des services distincts. Les policiers de l’hôtel de police de Coquelles sont tous soumis à une forte pression du fait du traitement de masse qui leur est imposé. Au sein des CRA de destination, le nombre de personnes déplacées simultanément pèse sur la qualité de l’accueil et des informations délivrées et  nuit également à la prise en charge des autres personnes retenues.

Un usage détourné de la procédure de placement en rétention administrative

– Un ensemble d’éléments démontrant une volonté de répartir les personnes sur le territoire national pour « désengorger » Calais. Les contrôleurs ont constaté que le nombre de personnes déplacées chaque jour est élevé et stable. Des propos entendus par les contrôleurs (« il reste quatre personnes à interpeller ») ainsi qu’une mention manuscrite lue par les contrôleurs sur un tableau (« 25 personnes, CRA de Nîmes, départ 12h. Pas de Syriens ») tendent à démontrer qu’un nombre  de placements est fixé à l’avance en fonction de la capacité des moyens de transport vers les CRA du territoire national. En outre, la programmation des déplacements semble être organisée selon un roulement prédéfini (tous les cinq à neuf jours pour un même établissement), qui suppose – compte tenu des capacités d’accueil des CRA de destination – que les personnes arrivées dans le CRA par un premier convoi en soient sorties au moment de la seconde arrivée de personnes déplacées.

– 578 personnes libérées sur 779 personnes déplacées entre le 21 octobre et le 10 novembre 2015. Le 10 novembre 2015, 186 personnes (24 %) sont encore retenues, dont 117 depuis moins de cinq jours. Les 593 autres (76 %) sont sorties de CRA : 15 ont été réadmises dans un pays de l’Union européenne (2 % des 779 personnes déplacées) et 578 ont été libérées (74 %). Ces dernières ont été remises en liberté par différentes instances : 397 par la préfecture (51 % des 779 personnes déplacées), 81 par un JLD ou une cour d’appel (10 %) et 100 par le tribunal administratif auprès duquel elles avaient formé un recours contre la décision d’OQTF (13 %).

– Le placement en rétention administrative doit avoir pour seule finalité de permettre à l’administration d’organiser l’éloignement de la personne. Un étranger ne peut être placé en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ et si l’application de mesures moins coercitives ne suffit pas. Le CGLPL observe que les pays d’origine de la majorité des personnes déplacées sont particulièrement sensibles : Syrie, Afghanistan, Irak, Erythrée et Soudan. Or, compte tenu des risques encourus pour leur intégrité physique en cas de retour, nombre de ces personnes ne peuvent, en pratique, y être reconduites.  Le nombre très important de remises en liberté sur décision de l’administration démontre une absence de volonté de mise à exécution des OQTF émises.

Le CGLPL est conscient de la gravité de la situation nationale créée par une crise migratoire de très grande ampleur ainsi que de la complexité de la situation locale mais il tient à rappeler que les droits fondamentaux des personnes privées de liberté doivent être respectés en toutes circonstances.
La procédure utilisée par les pouvoirs publics depuis le 21 octobre 2015, instaurant des déplacements collectifs sur l’ensemble du territoire national, prive les personnes concernées de l’accès à leurs droits et est mise en œuvre dans des conditions matérielles portant atteinte à leur dignité. En outre, cette procédure est utilisé non pas aux fins d’organiser le retour dans les pays d’origine mais dans l’objectif de déplacer plusieurs centaines de personnes interpellées à Calais et de les répartir sur l’ensemble du territoire français, et ce dans le but de « désengorger » la ville. Il s’agit là d’une utilisation détournée de la procédure qui entraîne des atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes ainsi privées de liberté.

Le CGLPL recommande qu’il y soit mis fin.

http://www.cglpl.fr/2015/recommandations-en-urgence-relatives-aux-deplacements-collectifs-de-personnes-etrangeres-interpellees-a-calais/

Le Bidonville de Calais est-il en France?

Article rédigé par des professionnels de santé œuvrant sur le Bidonville de Calais cet été, publié par Médiapart dans le cadre de l’opération #Open Europe

Laurence Thibert, Hannane Mouhim et Mady Denantes, infirmières et médecin de la maison de santé pluriprofessionnelle de Pyrénées Belleville à Paris accompagnées de Pascal Teulade avons répondu à l’appel de Médecins du monde pour apporter notre aide à Calais. Et « nous avons été abasourdis, choqués par ce que nous avons vu ».

Nous sommes 4 citoyens dont 3 soignants et, nous avons l’habitude de gérer la maladie, le malheur de la maladie, c’est notre métier.

Nous travaillons dans un pays où nous sommes aidés, conseillés, soutenus par des autorités sanitaires, des autorités qui nous proposent des protocoles de suivi, des protocoles de prise en charge de qualité, des autorités qui gèrent les épidémies.

Nous savons où faire appel si nous recevons une jeune femme en danger d’être violée, si nous craignons qu’un enfant soit en danger.

Nous n’avons pas l’habitude d’abandonner une jeune femme de 20 ans qui pleure à l’idée de passer une nouvelle nuit dans le bidonville où elle a été agressée la veille.

Nous n’avons pas l’habitude de voir des jeunes gens désespérés, mal nourris, épuisés par un terrible voyage et qui viennent nous voir avec des mains déchirés par les barbelés, des talons cassés par des chutes terribles pour passer à tout prix en Angleterre.

Mais reprenons l’histoire de Calais, ou plutôt de son bidonville.

Un bidonville de plus de 3000 personnes installées sur une décharge publique, battue par les vents sur une zone appelée sur les cartes : la zone industrielle des dunes.

Ses habitants et les médias l’appellent « la nouvelle jungle ».  Pourquoi ce nom ? Parce que jungle veut dire « petit bois «  en Afghanistan et que avant d’arriver dans ce bidonville, les exilés étaient dans un petit bois qu’ils appelaient donc jungle.

Mais ici il n’y a pas de petit bois, il y a des dunes et un bidonville.

Nous n’aimons pas ce terme de jungle qui sous entend « habité par des sauvages ».

Les seuls comportements de « « sauvages » que j’y ai vus sont ceux de l’état français qui y a abandonné une population en danger sur son territoire.

J’ai été au contraire étonnée par le calme, le respect dont faisaient preuve nos patients. Les attentes étaient longues à MdM, mais les énervements étaient rares.

Souvent la queue à MdM signifiait : pas de repas car pour le repas il y avait une autre queue à Jules Ferry, le centre d’accueil, où des repas sont distribués une fois par jour.

Et tous les jours nous devions refuser des candidats aux consultations car nous ne pouvions répondre à toutes les demandes.

Face à notre difficulté à refuser, à « trier » (on va juste voir le monsieur là-bas qui a l’air très mal »), face à nos excuses (on est désolés on ne peut pas vous recevoir aujourd’hui, revenez demain) nous avons plusieurs fois reçu un sourire de compréhension, un « we understand »

Dans ce bidonville, les règles de santé publique n’existent pas. Ici, nous ne sommes plus en France mais dans un pays pauvre. Ou en guerre. Ou victime d’une catastrophe. Mais même dans les pays pauvres victimes de guerre ou de catastrophe, les camps sont mieux tenus…

L’une de nous était en Albanie, près de la frontière du Kosovo en 1999: le camp était mieux tenu, les gens avaient tous un abri. Le 7 aout 2015 le HCR a lancé un appel pour que réagissent les autorités françaises  face aux « conditions de vie et d’accueil épouvantables » autour de Calais.

On a incité les exilés à venir s’installer sur ce terrain, loin de la ville, loin de la vie, des magasins. Comme seul aménagement, on a créé des buttes de sable afin que l’on ne voit pas le bidonville de la route. Non, on a aussi créé quelques points d’eau, quelques toilettes, quelques douches : rien qui réponde aux exigences sanitaires en France, ni aux exigences sanitaires d’un camp de réfugié.

Des ONG sont intervenues pour installer des toilettes (solidarités  internationale) ou des cabanes en bois (secours catholique) ou pour distribuer à manger (secours islamique) ou pour proposer des consultations médicales et des soins infirmiers(MdM).

Depuis quelques mois, un centre de loisirs, le centre Jules Ferry, a été réquisitionné où logent 100 personnes  (sur 3000 !), uniquement femmes et enfants. Les autres s’abritent dans des tentes ou des cabanes faites de bouts d’bois, de sacs poubelles et des tentes légères données par les ONG… Certains (combien ?) dorment dehors par terre sans abri.

Dans ce centre Jules Ferry, un repas est distribué tous les jours ; quelques douches chaudes sont possibles. Mais tout cela après des queues longues et éprouvantes. On ne peut pas se doucher tous les jours (500 douches quotidiennes pour 3000 personnes).

Nous ne sommes  pas sûrs que tout le monde puisse disposer d’un unique repas tous les jours.

La question que nous nous sommes  posée chaque jour : pourquoi Calais ou plutôt la zone industrielle des dunes n’est-elle pas la France ? Pourquoi les règles  de santé publique usuelles en France ne s’appliquent pas ? Pourquoi les règles de prise en charge médicales dites de « bonne pratique » n’existent plus.

Médicalement, ce que nous avons vu  dans ce bidonville est inacceptable :

– une épidémie de gale terrible : la gale ca gratte surtout la nuit, ca empêche de dormir.

– des jeunes aux mains lacérées par les barbelés.

« Nous avons reçu beaucoup de jeunes hommes dont les mains et les jambes étaient lacérées par les installations de sécurité (double panneaux de grillage avec barbelés et lames). Ils nous expliquent que les tentatives pour « passer » en Angleterre  s’organisent surtout la nuit, ce qui rend le passage très dangereux et très périlleux à cause du manque de visibilité. Quand ils arrivent à la « clinique » de Médecins du Monde, nous  n’avons généralement pas d autres choix que de les adresser aux urgences de Calais, afin qu’ils puissent bénéficier de sutures, parfois rendues difficiles car les barbelés déchiquettent la peau de manière anarchique. Il est donc difficile de rapprocher les berges de la peau afin de laisser une cicatrice nette et non douloureuse. 

Enfin, nombreux sont eux qui déclarent des infections locales (abcès, ouverture des sutures) en raison de très mauvaises conditions d hygiène dans le bidonville (manque d’eau, malnutrition, peu de vêtements, insalubrité des abris…) »

– des suspicions de fractures du calcanéum, dues à des chutes de 4 m de haut, ce qu’on appelle : « des accidents à haute énergie ». Le traitement des fractures du calcanéum pose des problèmes délicats. Les séquelles fonctionnelles de ces fractures sont graves, prolongées et sont souvent grevées d’un handicap permanent. Celui-ci peut être plus ou moins important en fonction du type de fracture et de la qualité de la prise en charge médicale

– des mineurs isolés, des enfants seuls ou plutôt vivant avec d’autres enfants sans adultes référents.

– des femmes seules, errantes dans le bidonville,

« Mercredi dernier, nous avons eu en consultation une jeune femme de 25 ans qui était arrivée la veille dans le bidonville, seule.

Cette jeune femme érythréenne, ne parlait pas anglais mais était amenée à la « clinique » de MDM, par une jeune femme érythréenne, elle-même en sécurité au centre d’accueil Jules Ferry, qui l’avait trouvée au matin, dormant dehors près de l’église érythréenne et qui assurait la traduction en anglais.

Notre jeune patiente érythréenne  souffrait des séquelles d’un traumatisme facial: elle nous a dit avoir été victime d’une agression il y a 4 mois en Libye. Elle présentait une cicatrice profonde sous l’oreille gauche et souffrait de céphalées et de troubles de l’audition.

Les troubles étaient anciens et chroniques.

La vraie raison de son passage en consultation était qu’elle avait passé la nuit dehors et était paniquée à l’idée d’une autre nuit.

En effet elle avait été harcelée par des hommes qui voulaient l’emmener de force dans leur tente.

J’ai appelé Anna, médiatrice qui a accompagné cette jeune femme au centre pour les femmes de Jules Ferry, où elle a été inscrite sur la liste d’attente: 56eme nous a-t-on dit. 

MdM lui a fourni un duvet.

Notre traductrice érythréenne retournait dormir en sécurité dans le centre, et Anna et moi avons honte de l’avoir laissée sur place. Anna a trouvé une tente où une femme érythréenne a accepté de lui faire une place pour la nuit.

La jeune femme est revenue ce matin en larmes. Nous avons appelé ISM (traduction par téléphone) pour savoir ce qui s’était passé : le mari de celle qui avait acceptée de lui faire une place dans la tente, était revenu ivre dans la nuit. Elle pleurait et n’a pas voulu nous raconter ce qui s’était passé. Nous avons honte.»

– des enfants, des jeunes femmes, des jeunes hommes, des hommes plus âgés, fatigués, maigres, épuisés par un terrible voyage.

Nous prenions les pressions artérielles (PA) systématiquement et beaucoup de ces jeunes hommes d’une vingtaine d’années avaient des PA systolique à 10, ce qui n’est pas habituel chez un jeune homme de 25 ans.

– Nous avons décidé de prendre systématiquement les poids et d’évaluer les tailles et nous avons rencontré beaucoup de personnes avec des indices de masses corporelles (IMC) évaluées à 19 et quelques-uns avec des IMC inférieures à 18.5 (définition de la dénutrition).

En France en 2015, on propose à ces personnes dénutries un repas par jour à condition de faire 3 heures de queue. En France ?

– quelques pathologies graves mais assez peu: une toxidermie sévère, des patients diabétiques. Ceux-là non plus n’ont aucune protection

« M. V. 22 ans souffre d’une sévère toxidermie. Il est afghan et demandeur d’asile. Il a été hospitalisé quelques jours à Boulogne et on attend les résultats des biopsies. En attendant un repos en lit halte soins santé est recommandé. Ce jeune homme a besoin d’un toit, de douche et d’un traitement cutané assez lourd. Il est fatigué, abattu et ne semble plus avoir la force de réagir. Il parle de plus en plus de mourir. Il faudra l’énergie et le dévouement de notre responsable à MdM pour lui trouver une place en sécurité après 15 jours de coups de fil quotidiens».

– beaucoup de varicelles.

– des patients victimes de coups, de jet de gaz lacrymogènes.

– des gosses couverts de lésion de gale impétiginées.

– des abcès dentaires terriblement douloureux.

– des grossesses avec beaucoup de demandes d’IVG.

– beaucoup de viroses avec pharyngite, rhume et toux.

 

Dans notre maison de santé, nous avons l’habitude d’alerter les services de l’état. Sur une épidémie. Sur un enfant en danger. Sur une femme victime de violence. Sur une situation mettant des jeunes en danger.

Nous sommes habituées à travailler avec l’agence régionale de santé (ARS) dans un système de sante publique.

Avec des règles, des alertes, des protocoles. C’est notre pratique et c’est ce que nous apprenons à nos étudiants.

Dans le bidonville, rien. Les autorités sanitaires n’existent pas. Pourquoi ici, ses règles, ses protocoles  ne fonctionnent-ils pas ?  Même les pompiers refusent d’entrer dans le bidonville.

En France ils sont nos alliés les plus fidèles quand personne ne veut se déplacer.

« Il y a quelques jours, je suis appelée en urgence pour voir un jeune homme dans sa tente : il va mal, ne peut se lever et a beaucoup de fièvre et ne peut pas bouger de sa tente. Je suspecte une crise de paludisme, il doit être hospitalisé,

 En toute confiance, J’appelle les pompiers pour qu’ils l’amènent en urgence au centre hospitalier.

J’attends les pompiers auprès de mon patient et j’apprends avec angoisse qu’ils ne rentrent pas dans le bidonville et ne viendront pas chercher le patient. Nous devons l’amener hors du bidonville et les pompiers viendront le chercher».

 

Encore et toujours ce sentiment étrange de ne pas être en France, ici à Calais :

L’alerte sur l’épidémie de gale a été faite par MdM. Une réponse des autorités sanitaires est nécessaire. Mais pas de réaction.

Pire l’ARS renvoie sur MdM le maire d’un village qui s’inquiète d’une épidémie de gale sur sa commune.

 

Une permanence d’accès aux soins de santé(PASS) a été créée à Calais pour assurer l’accueil et les soins et c’est une bonne chose que cette PASS existe pour recevoir les patients sans couverture maladie, les soigner et les guider pour les démarches à effectuer.

Mais la PASS est trop loin du bidonville : plus d’une heure de marche : pourquoi ne pas installer la PASS dans le centre Jules Ferry ?

Mais la PASS est complètement sous dotée : un médecin 2 ou 3 heures par jour pour assurer la prise en charge sanitaire de 3000 personnes fragilisées, traumatisées par un long et périlleux voyage ?

« A la clinique de médecins du monde, nous voyons entre 50 et 60 patients par jour.

Quand nous avons besoin qu’ils soient vus dans de meilleures conditions, qu’ils aient un bilan sang ou un bilan radio, nous les adressons à cette PASS qui régulièrement répond : pas possible, on ne peut plus prendre personne».

Il existe une PASS dentaire mais qui n’est ouverte que le lundi matin. Pendant notre mission, la dentiste était en vacances, donc nous n’avions aucune prise en charge pour soulager ces douleurs dentaires. Heureusement 2 dentistes de Calais ont accepté de recevoir en urgence des patients hyperalgiques.

Que faire ?

Qu’est ce qui est acceptable et qu’est ce qui est inacceptable ?

Qu’est ce qui est admissible et qu’est ce qui est inadmissible ?

Qu’est ce qui est indécent ?

Qu’est ce qui doit nous faire réagir en disant non, stop ?

Faut-il dire ? :

Fracture du calcanéum : ils ont déjà de la chance d’avoir la radio ? Tant pis s’ils n’ont pas le scanner.

Epidémie de gale : La gale ce n’est pas si grave.

Femmes : il y a 100 places à jules ferry : merci l’état, tant pis pour les autres ?

Ils n’ont qu’à ne pas être la ?

Ils en ont vu de pire en traversant la Libye et la Méditerranée.

Après ce qu’ils ont vécu, ils ne sont pas si mal ici.

C’est déjà pas mal d’avoir un repas par jour ?

Si cela doit être dit, que les autorités sanitaires le disent.

Si nous n’y prenons garde, Nous allons y perdre nos valeurs, notre humanité.

« Je vois L. 16 ans. Il est tombée du train hier et a cassé ses 2 incisives supérieures, la pulpe est à vif.

Pa s de consultation dentaire pendant 15 jours, Le dentiste est en vacances. De toute manière quand il est là, il est débordé car la PASS dentaire ne fonctionne que une demi-journée par semaine.

Les dents doivent être dévitalisées pour diminuer la douleur et pour éviter une infection.

Nous allons appeler les dentistes de Calais: l’un d’eux, en plein mois d’aout, recevra L. pour le soulager.

L. ne parle pas anglais mais il est accompagné par un ami qui traduit.

Je trouve cet ami très maigre et j’insiste pour le peser et le mesurer.

Taille ;165 Poids : 48kgsIMC=17.6 PA=9/6

Je lui demande s’il mange tous les jours ?

Oui il va à Jules Ferry pour manger mais pas aujourd’hui car il a loupé la queue pour accompagner son ami à la clinique de MdM».

Des propositions

– Un abri pour tous. Le premier ministre vient d’annoncer pour 2016 l’installation de tentes pour la moitié des personnes  et nous l’en remercions mais pourquoi la moitié ? Qui va faire le tri ? Et selon quel critère ? Quid de cet hiver ?

– Un nombre normal de poubelles. Et le passage régulier de camions poubelles.

– Un nombre décent de toilettes et de douches.

– Une prise en charge médicale avec une PASS à proximité qui puisse recevoir tous ceux qui doivent être vus par un médecin, un dentiste ou un infirmier.

– Et une PASS dentaire qui puisse recevoir les patients tous les jours

– Un plan de prise en charge  de la gale conforme aux recommandations de l’INVS de 2008 : « Mettre en place une stratégie de prise en charge de la collectivité par le médecin traitant, le responsable de l’établissement et les autorités sanitaires ».

– Un protocole de mise à l’abri des femmes(ou des jeunes garçons) qui font appel à nous.

– Un protocole de mise à l’abri des mineurs isolés.

– Un repérage des personnes dénutries et un plan de renutrition pour les personnes dénutries.

– Se préoccuper de la sécurité de ces jeunes qui franchissent barbelés et font de graves chutes au péril de leur vie et avec des séquelles qui risquent d’être définitives.

– En France en 2015, les normes diététiques sont de 3 repas par jour et pas de 1 repas par jour.

Nous sommes dégoutées, scandalisées par notre pays qui ne prend pas les moyens, alors qu’il les a, d’accueillir normalement des personnes qui essaient de fuir les conditions misérables et /ou dangereuses de leur pays !

Encore un mort à Calais, un de trop.

Trois migrants sans nouvelle depuis le 22 juillet, de leur camarade Hisham Othman, un jeune homme soudanais, m’ont demandé de l’aide pour signaler sa disparition à la police : nous y sommes allés le lundi 10 Août.
Après de multiples recherches, nous avons pu savoir que Hisham Othman se trouvait depuis le 23 juillet dans la morgue de l’hôpital à Douvres. Les britanniques avaient fait des recherches en France et en Italie, sans réussir à découvrir son identité : il n’avait pas de papier sur lui. Les britanniques étaient sur le point de l’enterrer sans nom.
A la suite des démarches faites ce jour-là auprès de la police judicaire, nous avons réussi à identifier le corps grâce au frère de Hisham : il vit en Grande Bretagne, il s’est rendu à Douvres et il a identifié le corps, il s’agit de son petit frère, il avait 22ans.
Hisham en essayant de monter dans le train a reçu un coup à la tête, il y a eu une hémorragie interne, et plusieurs fractures. Il est arrivé en Grande Bretagne, mais il était mort.
Hisham avait un petit corps, les britanniques l’ont pris pour un mineur de 15 ans.
Hisham va être enterré à Birmingham, la ville où vit son frère Hassan.
Hisham avait le baccalauréat en génie civil, il a fui son pays à cause des problèmes….il n’avait que 22ans! Il souhaitait faire des études supérieures et avoir le doctorat.
Dure épreuve pour son frère Hassan, ses amis de route, ses parents, et pour nous tous….il n’avait que 22ans!
Le frère raconte : « C’est une dure épreuve d’aller voir à la morgue un corps où l’on a marqué « corps anonyme », et de découvrir qu’il s’agit bien de mon frère ! Mon frère n’a jamais été un anonyme, c’est son projet qui lui a coûté la vie. »
Drame qui ne sera pas le dernier, on le sait bien, parce que des milliers comme Hisham vivent actuellement des situations tragiques : certains sont au point de départ pour le désert libyen, et d’autres en attente sur les rives sud et nord de la Méditerranée. Beaucoup attendent des trains pour traverser le tunnel sous la Manche à Calais, l’ultime passage, beaucoup espèrent par le train rejoindre l’Angleterre à 31 kilomètres ! Certains arrivent sur le territoire britannique, et ont l’espoir d’une vie meilleure, pour d’autres, malheureusement, comme pour Hisham, le risque, c’est d’être un corps sans vie, sans identité, et seul.

Mariam Guerey

Calais // Mobilisation de syriens

Reprise d’un article publié dans le blog « Passeurs d’hospitalité » le 28 juin 2015.

 

Les syriens dans l’entonnoir calaisien se mobilisent

Ce samedi 27 juin 2015, un groupe de Syriens a quitté le bidonville voisin du centre Jules Ferry pour manifester place d’Armes. Avec les syriens qui survivent sur le parvis de l’église Saint Pierre-Saint Paul et le quai du hangar Paul Devot, (près du phare), ils se sont regroupés avec détermination, des revendications claires, des banderoles. Depuis ce matin ils ont décidé de rester là jusqu’à ce qu’ils soient entendus. Et si la crainte était là de se faire éjecter par les « gardiens de la paix » dans la soirée, aux dernières nouvelles en ce début de dimanche 28 juin, ils sont toujours là, et  ils sont décidés à revenir et persister en cas de dispersion.

Un militant nous transmets leur message:

1. Constat :
Il y a selon eux entre 70 et 80 syriens répartis sur 3 sites : la jungle, le parvis, et le quai.
Aucun demandeur d’asile en ce moment!

2. Le danger :
Se rendre en Angleterre, pour eux, est un acte dangereux ! Ils sont non seulement conscients des risques mais ils les ont subi aussi …
Rappel : M , jeune syrien qui s’est noyé , S., syrien à qui l’ont doit aujourd’hui donner à manger , des menaces par armes à feu d’un routier , le gaz, les coups,  un érythréen mort cette semaine …
Il ne veulent plus de ça !

2.  Pourquoi l’Angleterre ?

D’abord, parce qu’ils parlent anglais , et ce n’est pas à banaliser lorsqu’on souhaite débuter une nouvelle vie ailleurs…

Puis, parce qu’ils ont pour beaucoup des proches là bas !

Enfin, parce que les conditions d’accueil là bas sont beaucoup mieux gérer qu’ici! En effet, la France leur propose l’asile mais les laisse dehors encore quelques mois alors qu’en Angleterre ils sont hébergés sur le champs et dignement.

4. Dignité

Les syriens réclament le droit à la dignité!
Ils ne sont pas des animaux et réclament leur statut d’êtres humains!

Ils souhaitent donc communiquer avec les gouvernements franco-britanniques,  dialoguer et trouver des solutions fiables afin de se rendre en Angleterre légalement, en sécurité !

RAPPEL:

en novembre 2014, d’autres syriens du parvis de l’église se sont aussi mobilisés avec banderoles, tracts, déplacement à Boulogne au consulat britannique.

Pentax Digital Camera

en septembre-octobre 2013, les syriens éjectés du squat rue Mouron, revendiquaient sur la passerelle piéton du terminal des Ferry.

PS: appel à tous à soutenir ce mouvement spontané.

PS2: Des syriens survivent sous le porche de l’église et du quai près du phare de Calais depuis juillet 2014. Cette fin juin 2015, ce ne sont évidemment pas les mêmes personnes.

Les invités de Mediapart // Michel Agier // Le camp de regroupement de Calais : retours sur une violence

   Ici, l’article original

L’anthropologue spécialiste de l’exil et des camps, Michel Agier (1) propose une analyse sur ce qui se passe actuellement à Calais. « Les associations de citoyens bénévoles sont en train de se faire déloger du dispositif qui se met en place. On est maintenant dans une logique de type humanitaire-sécuritaire où ces associations ne trouvent plus leur place, ni ne savent comment donner sens à ce qu’elles font ou voudraient continuer à faire. »


« Bidonville d’État », « New jungle », « Sangatte sans toit », « Ghetto Cazeneuve » : les manières de nommer sont importantes, certes, mais c’est d’abord le lieu lui-même qui interpelle. Invité à voir et commenter ce qui se passe à Calais, en regard d’une expérience de plusieurs années de recherches sur les camps dans le monde (camps de réfugiés, camps de déplacés internes, campements de migrants), j’ai rencontré pendant deux jours plusieurs personnes parmi les intervenants du monde associatif, du « centre Jules Ferry », et parmi les migrants. Ce que j’ai ramené de cette visite est la proposition d’un regard décentré sur l’ensemble de la situation, sur ce qui se passe là en ce moment, et un constat. Celui-ci peut tenir en quelques mots : ce qui se passe aujourd’hui à Calais est la mise en place d’un camp de regroupement sécuritaire-humanitaire sous le contrôle de l’État. Une mise à l’écart violente. Une immobilisation d’étrangers en mouvement. Une séparation des migrants et de la ville.

La complexité de cette situation est à la fois juridique, politique, logistique, et humaine ; elle est en constante évolution. J’essaierai de la décrire et de proposer quelques commentaires.

Des expulsions − un regroupement forcé − un enfermement dehors

La fermeture très médiatisée en 2002 du centre de la Croix-Rouge de Sangatte par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, devait mettre un terme à une visibilité acquise par le « hangar de Sangatte » qui dérangeait l’image lissée d’un pays démocratique. La fermeture du lieu et l’expulsion des étrangers qui l’occupaient, préparaient aussi ce qui s’institua cinq années plus tard, avec l’élection présidentielle de Nicolas Sarkozy, comme un nationalisme identitaire et une xénophobie par le haut, au plus haut niveau de l’État. Officiellement et systématiquement repoussés et rendus « invisibles », les migrants en transit, et parfois en errance, dans cette région se sont régulièrement regroupés dans des campements informels de petites tailles, ou dans des squats, au sein ou autour des principales villes et notamment de Calais. Le campement des migrants afghans de cette ville, ouvert en 2002, fut détruit en octobre 2009. Au cours de ses sept années d’existence, cette « jungle » aux abords de Calais a pu parfois atteindre jusqu’à 600 occupants, ce qui représente un nombre très important pour ce genre d’occupation : un refuge comme il en existe des milliers dans le monde, créé par les migrants eux-mêmes de la même manière qu’on « ouvre » un squat. Ce sont des campements urbains où l’on se regroupe faute d’asile, en occupant les interstices de la ville – quais, parcs, squares, terrains vagues, immeubles vacants ou abandonnés. Ces lieux de refuge ont pu trouver à Calais comme dans les petites villes proches, des soutiens solidaires de la part des voisins. Près d’une dizaine de campements ont existé entre Calais et Dunkerque, les uns restant précaires alors que d’autres ont pu faire l’objet d’un soin donné par les habitants, et parfois par les mairies. En témoignent les associations formées en solidarité avec les migrants, comme Terre d’errance dans le village de Norrent-Fontes, un village dont on entend le nom très loin sur les routes des migrants − comme un repère fiable sur les trajets dangereux de l’exil. À Calais, les campements et squats de la ville ont été des lieux de grande précarité, mais ils faisaient aussi l’objet d’une solidarité de la part des habitants : distributions de repas, d’habits, de chaussures, soins médicaux, informations et aides concrètes sur les procédures administratives, apprentissages linguistiques, etc. Se sont ainsi constituées une vingtaine d’associations (ou de sections locales d’associations nationales) regroupées ensuite dans la « Plateforme de Services aux Migrants ».

Le nouvel emplacement créé en avril dernier semble être la troisième occurrence du même camp après Sangatte et la « jungle » de Calais. Mais il n’en est rien. Si le hangar de Sangatte (1999-2002) était un camp de transit géré par la Croix rouge, si la « jungle » (2002-2009) était un campement-refuge créé et géré par les migrants, c’est un camp de regroupement sous contrôle de l’État qui est en train de se mettre en place. En agrégeant certaines des associations locales au projet de « translation » (terme officiel), en les incitant à aider la sous-préfecture à organiser l’évacuation des migrants des campements et squats et leur transfert, sous le chantage qu’à défaut de cette collaboration, les autorités seraient « contraintes » d’employer la force, l’État a fait d’une pierre deux coups. D’une part, il a réalisé sans heurts apparents l’évacuation des squats et campements de Calais et le regroupement des migrants dans un espace situé à l’écart, à sept kilomètres de la ville. D’autre part, il a jeté le trouble dans le milieu associatif, qui s’est trouvé piégé par l’opération, et s’interroge sur l’avenir de son action. Parce qu’elles ne voulaient pas se couper de la réalité, ne pas perdre la main et rester solidaires des migrants, parce que Calais est une ville-frontière qui a depuis toujours l’habitude du passage des migrants et de leur accompagnement, elles ont voulu que le « déménagement » se fasse dans les meilleures conditions, sans conflit. L’opération d’euphémisation dans laquelle elles se sont trouvées embarquées ne leur laissait guère le choix. Mais ce fut bien, au fond, une opération gouvernementale de « pacification » par le déguerpissement urbain et l’encampement des migrants. Les conditions sanitaires étaient au départ celles du pire bidonville, d’où le nom, pleinement justifié, de « bidonville d’État » qui a été donné par les associations, maintenant davantage critiques contre l’opération et ses conséquences. La mise en place de deux points d’eau et de huit toilettes chimiques sur un espace de 18 hectares et pour plus de 3 000 personnes, ne change pas fondamentalement la logistique précaire du lieu.

En attendant, 3 000 personnes sont bloquées là, bientôt 5 000 d’après ce qu’annoncent certains responsables associatifs. C’est bien, j’y reviens, un camp de regroupement si on le replace dans la logique globale des camps. Les camps de regroupement consistent, dans le dispositif des camps en général et notamment en Afrique, à réunir des populations plus ou moins nombreuses de déplacées internes ou réfugiées initialement établies près des villages ou dispersées dans les villes, pour les conduire, parfois par camions entiers, et pas toujours avec leur accord, vers des camps où opèrent des administrations nationales ou internationales, ainsi que des organisations non gouvernementales ou des entreprises privées. Des raisons d’ordre logistique sont généralement mises en avant (travailler à plus grande échelle, plus efficacement, plus professionnellement), mais le camp de regroupement existe aussi pour faciliter les opérations de triage et de contrôle des personnes selon leur statut juridique, leur nationalité, leur âge, sexe, situation familiale, etc. L’opération est simultanément sécuritaire et humanitaire. Cet éclairage peut aider à comprendre ce qu’il se passe en ce moment dans le camp de regroupement de Calais.

« Circulez, y’a rien à voir » : séparer les migrants de la ville

Les associations de citoyens bénévoles sont en train de se faire déloger du dispositif qui se met en place. On est maintenant dans une logique de type humanitaire-sécuritaire où ces associations ne trouvent plus leur place, ni ne savent comment donner sens à ce qu’elles font ou voudraient continuer à faire. Elles ne réussissent plus à distribuer du pain, de la nourriture, amener des vêtements, parler avec ceux des migrants que les bénévoles connaissent déjà, parce qu’il y a beaucoup trop de monde, parce que la foule même des migrants devient effrayante pour les personnes âgées ou les jeunes mères de famille qui viennent là avec leurs enfants pour faire et enseigner les actes de solidarité, et se trouvent désemparées. Leur propre marginalisation est le signe du passage d’une solidarité de citoyens quelconques à un dispositif technique dont le langage politique est « Circulez, on s’en occupe, y a rien à voir ». L’entreprise « Vie active » qui gère pour la préfecture le centre de service Jules Ferry (4 douches pour 3000 personnes à raison de 4 minutes par personne, distribution de repas une fois par jour, etc.) recrute maintenant du personnel de service en CDD (un contingent de trente places offertes mi-juin). Nous avons pu voir un jeune homme se présenter à l’embauche, muni de son diplôme d’auxiliaire de vie, quelque peu perplexe face au portail fermé où s’agglutinaient une cinquantaine de migrants ou plus, attendant l’heure de la douche. Il finit par se faire reconnaître d’un employé qui le fit entrer. Contrôlée par des agents de service munis de leur gilet orange et de leur talkie-walkie, l’entrée sécurisée n’est guère accueillante pour les bénévoles des associations. Ceux-ci voient leur manière de travailler contestée par  les responsables de l’entreprise gestionnaire, parce qu’ils ne sont pas ponctuels, pas rapides, pas assez professionnels en général. Les bénévoles des associations eux-mêmes sont excédés, se sentent rejetés, certains renonçant à achever l’intervention pour laquelle ils étaient venus, puis renonçant à revenir là.

Ajoutons que sur les trois voies qui longent l’espace du camp dans son ensemble, des voitures de police circulent en permanence. L’un des bords est l’autoroute qui conduit vers le port, sur lequel un haut grillage est en construction (une barrière existe déjà de l’autre côté de l’autoroute). C’est là que la police interpelle tous ceux qui sortent du camp et s’approchent de la route, pour les mener en centre de rétention.

Des ONG professionnelles humanitaires sont tentées d’intervenir dans un dispositif qu’elles « reconnaissent » pour avoir vu des choses similaires ailleurs, dans les pays du Sud et où elles se sentent les plus compétentes. Et l’on peut penser qu’en effet la scène sécuritaire qui se met en place à travers le regroupement et l’encampement de tous les migrants qui passent par là, se verrait bien augmentée d’un volet humanitaire. Ce dernier rendrait la mise à l’écart plus « acceptable » aux yeux des citoyens d’un pays démocratique selon le principe de la politique de l’indifférence.

La violence est ce qui domine la situation. Il y a quelques semaines, la leader du Front National, Marine Le Pen, avait répondu à une question d’un journaliste à propos de la « crise migratoire » et des morts en Méditerranée avec ces mots : « D’abord il faut arrêter de leur dire ‘Welcome’ ». La forme-camp qui se met en œuvre en ce moment à Calais correspond à cette injonction xénophobe, elle est compatible avec la fermeture des frontières. Il y a de ce point de vue un rapprochement à faire avec l’espace d’entre les frontières italo-françaises, à Vintimille, où sont confinés depuis plusieurs jours des migrants arrêtés sur leur parcours et regroupés là, dans ce qu’on appelait autrefois le « no man’s land » et qui s’avère être une frontière dense, un « full of men’s land ». De même, le camp de Calais fait fonction de frontière dans le même contexte. De plus en plus, la difficulté et bientôt l’impossibilité d’en sortir sont manifestes. D’abord par l’éloignement de la ville, puis par la séparation d’avec les citadins citoyens solidaires, puis avec la présence active de la police dans son pourtour, et maintenant par les expéditions violentes de certains groupes d’extrême droite contre les migrants pouvant apparaître en ville. L’étau se resserre.

Questions

Qu’est-il possible de faire ? Déjà, le fait étant accompli, la suppression pure et simple du camp, c’est-à-dire sa destruction, poserait de nouveaux problèmes et enclencheraient de nouvelles violences. Deux pistes me semblent cependant mériter l’attention.

D’une part, la moitié des encampés de Calais pourraient en sortir tout de suite si l’on procédait aux régularisations rapides du genre de celle que l’OFPRA (Office Français pour la Protection des Réfugiés et Apatrides) a faite pour les demandeurs d’asile érythréens au début du mois de juin. Beaucoup d’Érythréens non enregistrés à ce moment-là, des Soudanais du Sud ou du Darfour qui auraient autant de légitimité qu’eux à recevoir l’asile, d’autres Africains en errance depuis tant d’années qu’ils n’ont plus où « retourner » dans des conditions vivables, une partie au moins des Syriens, des Kurdes, une partie peut-être des « vieux » exilés afghans : l’OFPRA pourrait arriver sans mal à 50% de la population du camp régularisable de suite.  Ainsi légalisées, ces personnes pourraient circuler librement, et auraient droit à des aides et cadres d’accueil plus humaines et dignes.

D’autre part, il est vital pour combattre l’enfermement du lieu qu’il soit de plus en plus ouvert et transformé par la venue des journalistes, des associations de Calais et d’ailleurs, des étudiants, des élus. Ces visites peuvent rétablir la relation avec les migrants confinés là. « Ouvrir » le camp − et ainsi le faire disparaître comme lieu d’enfermement − c’est d’abord permettre à ses occupants d’en sortir en toute sécurité,  c’est y aller et faire connaître ce qui s’y passe, y organiser des événements qui impliquent les habitants de la ville autant que les migrants, et ainsi créer un lien entre le camp et la ville. Mais cela, c’est déjà l’histoire des lieux de mise à l’écart en général. Bienvenue dans le monde des camps !


Le 12 juin, Philippe Wannesson que j’ai interviewé pour m’aider à comprendre la situation du camp de Calais, a voulu m’interviewer à son tour, à chaud. Voir ici.

 

 (1) Michel Agier est anthropologue (IRD et EHESS). Il étudie depuis de nombreuses années les déplacements et la formation des lieux de l’exil. Sur les thèmes concernés par le camp de Calais, il a notamment publié Gérer les indésirables. Des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire (Flammarion, 2008), Je me suis réfugié là. Bords de routes en exil (avec S. Prestianni, éditions Donner Lieu, 2011), Paris refuge. Habiter les interstices (avec F. Bouillon, C. Girola, S. Kassa et A.-C. Vallet, éditions du croquant, 2011), Campement urbain. Du refuge naît le ghetto (Payot & Rivages, 2013) et Un monde de camps (sous sa direction, avec la collaboration de Clara Lecadet, La Découverte, 2014).

Violence policière: la preuve!

Le 13 novembre 2012, le Défenseur des droits (à l’époque, Dominique Baudis) dénonçaient les agissements des forces de l’ordre.

En janvier 2014, c’était l’ONG Human Rights Watch qui accusait les forces de l’ordre de violence.

A chaque fois, les autorités ont réfuté les accusations.

Cependant, le 11 mai 2015,des militants ont publié sur le site internet de l’association Calais Migrant Solidarity une vidéo montrant des CRS frapper plusieurs migrants et intimider des soutiens.

  Ici, l’article du journal Le Monde à la suite de la publication de la vidéo.

Calais vaut bien quelques requiem

Jean-Pierre Alaux

Gisti

 

Article extrait du Plein droit n° 104, mars 2015
« Aux frontières de l’Europe, les jungles »

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Carte réalisée par Jérémy Nourri, Terre d’Errance, Norrent-Fontes
version dynamique

Étranges printemps et été calaisiens du ministre de l’intérieur. Nommé depuis quelques semaines dans cette fonction, M. Bernard Cazeneuve ordonne l’expulsion de plusieurs squats du centre-ville de Calais, le 28 mai 2014. Il sait que nombre des personnes résidentes sont atteintes par la gale. Mais aucune considération humanitaire ne le retient. Souhaitant manifestement montrer sa fermeté, il néglige les protestations associatives(1) comme il avait ignoré leurs appels antérieurs à des soins.

Il va récidiver le 2 juillet dans la zone portuaire où les personnes exilées, chassées de leurs squats un peu plus d’un mois auparavant, se sont aussitôt regroupées aux abords du site de distribution alimentaire. Avec l’appui d’organisations militantes et humanitaires, elles avaient installé là un nouveau camp, qui avait un caractère protestataire. L’opération policière permet 540 interpellations, dont 121 mineurs. Environ 200 personnes font l’objet de mesures d’éloignement avant d’être dispersées dans différents centres de rétention de l’Hexagone afin de les priver de la proximité de leurs soutiens. Tout comme les suites judiciaires de l’évacuation médiatisée de la « jungle des Pachtounes » en septembre 2009 par M. Besson(2), celles-là tourneront à la bérézina(3). Certains tribunaux constatent que l’administration n’a pas informé les personnes interpellées de leurs droits. D’autres découvrent que les procès-verbaux d’audition par la police sont identiques et donc stéréotypés. Quant au tribunal administratif de Melun, il constate que, bien qu’il ait pris des dizaines de mesures d’éloignement (expulsions dans les pays d’origine), le préfet du Pas-de-Calais n’a rien fait pour les exécuter. De ce fait, les juges estiment qu’il s’agit là d’un stratagème en réalité destiné à vider un squat, ce qui constitue un « détournement de pouvoir ». Le 19 février 2015, le tribunal annule ainsi d’un coup 44 obligations à quitter le territoire français (OQTF) ](4).

Jamais deux sans trois ? On peut le craindre dans la mesure où l’improvisation juridique de la préfecture le 2 juillet – la fin justifiant les moyens – témoigne de son empressement à interdire tout regroupement un tant soit peu important de personnes exilées(5). Or, dès le 12 juillet, ces personnes ouvrent le nouveau squat de l’impasse des Salines, avec l’appui de nombreuses associations, à l’issue d’une manifestation « contre les violences policières ». De partout arrivent là, et dans d’autres squats (notamment celui de la zone industrielle des Dunes), les matériaux indispensables à la survie. On évalue alors à 1 200 le nombre de migrantes et de migrants à Calais.

À la surprise générale, le préfet du département annonce, le 4 août, qu’il ne prévoit aucune opération de police à court terme contre les squats. Il faut d’abord, explique-t-il, « informer des différentes alternatives […] en termes de demandes d’asile, de demandes de retour au pays et de demandes d’hébergement d’urgence »(6). Ce souci inédit, après des évacuations policières en série, trahit d’évidence un constat d’impuissance des autorités, à commencer par le ministre de l’intérieur, qui ne savent plus à quels saints se vouer.

Autre surprise de taille : la très conservatrice maire de Calais, Natacha Bouchart, qui n’a cessé de réclamer l’expulsion des étrangères et des étrangers depuis son élection en 2008, propose soudain l’ouverture d’un « lieu d’accueil » qui, explique-t-elle, permettrait de « vider à 80 % le phénomène dans la ville(7) ». M. Cazeneuve s’y déclare rapidement opposé. « Je ne veux pas, dit-il, créer un centre d’accueil qui soit un nouveau point de convergence des migrants(8) » (28 août), avant de se rallier à cette idée, deux jours plus tard, par la voix de son préfet à Arras, sous la forme d’un « accueil de jour(9) ».

S’il bricole à Calais, le ministre de l’intérieur ne s’en tient pas là. Il explique que « l’Europe est l’échelon pertinent pour apporter des réponses durables et équilibrées à cette situation(10) ». De fait, pendant l’été 2014, le nombre de personnes exilées à Calais n’a cessé de croître pour atteindre 2 000 en août. Cet afflux, quantitativement exceptionnel dans le Calaisis, tient en partie à la multiplication des débarquements, au sud de l’Italie, de quelques milliers de leurs semblables, moins nombreux à se noyer en Méditerranée grâce à des sauvetages enfin consentis dans le cadre de l’opération temporaire « Mare Nostrum », déclenchée par les autorités de Rome à la suite d’un naufrage, le 3 octobre 2013, dont les 366 victimes avaient ému l’opinion(11). Cette augmentation des effectifs propulse M. Cazeneuve à Madrid, à Londres et à Rome.

Embarrassé par la situation dans le Calaisis, le ministre français de l’intérieur exerce, avec ses homologues européens, des pressions sur l’Italie pour qu’elle rentre dans le rang. Il faut qu’elle donne à nouveau la priorité aux interceptions en mer en vue de refoulements au détriment des sauvetages qui ont l’inconvénient de déboucher sur le débarquement en Europe des personnes rescapées. Et le ministre français de l’intérieur appartient au camp des vainqueurs, celui qui a ramené l’Italie à la « raison », c’est-à-dire, explique-t-il, à revenir au contrôle prioritaire des frontières « par la substitution à « Mare nostrum » d’une opération « Frontex + » de surveillance des frontières ». Car, précise M. Cazeneuve, si l’« opération de sauvetage de la marine militaire italienne [Mare Nostrum] a permis le sauvetage de nombreux migrants en mer, [elle] a aussi eu pour conséquence de créer des points de fixation des migrants dans le nord de la France(12) ». Calais vaut bien quelques requiem en amont(13)…

Il y a un autre enjeu à l’activité diplomatique de Bernard Cazeneuve. Ramenée à la « raison », l’Italie va, en effet, du même coup cesser la grève de l’enregistrement des empreintes digitales des personnes migrantes qui débarquent sur son territoire. Elle l’a entamée en rétorsion à l’absence de solidarité de ses « partenaires » européens qui ne veulent pas « partager le fardeau » du supplément de flux généré par les sauvetages. Or, l’absence d’empreintes déclarées dans les banques de données dactyloscopiques européennes empêche les renvois en Italie de ces personnes en application du règlement Dublin 3(14).

Jungle institutionnelle

Comment comprendre le futur centre d’accueil de jour de Calais – qui paraît être une concession humanitaire – dans la politique migratoire européenne caractérisée, elle, par sa dureté ?

Le centre Jules-Ferry (c’est son nom), qui devrait ouvrir en mars 2015, s’inscrit parfaitement dans la logique européenne. D’abord parce que, excentré à plusieurs kilomètres de la cité, dans une zone presque déserte, il vise à vider la ville de Calais des personnes exilées, à les faire disparaître. En dépit des apparences, il n’y a pas si loin entre disparitions physiques en mer et disparitions symboliques. Dans leur dissimulation aux yeux de la population, il y a la volonté de nier leur présence, comme le font les naufrages en diminuant le nombre des débarquements sur les rivages de Grèce ou d’Italie. Chacune à leur manière, ces disparitions minimisent une réalité humaine jugée indésirable. L’une et l’autre excluent, plus ou moins radicalement, que les personnes exilées puissent avoir des droits.

Sur ce plan, il en sera ainsi au centre Jules-Ferry. Seule la petite minorité des personnes jugées vulnérables bénéficiera d’un hébergement de nuit. Les autres seront seulement autorisées à s’abriter sous des bâches et des planches de fortune, nourries une seule fois par jour d’un repas financé par l’État. En capacité maximale, le camp réunira 1 500 personnes, dont 1 300 dans des conditions de survie indignes, celles d’une « jungle » institutionnelle. À cela s’ajoute l’assignation à résidence dans un ghetto, étant entendu que, dès lors que cette jungle officielle existera, il n’y aura plus aucune tolérance dans le Calaisis pour des jungles sauvages.

Déjà d’ailleurs, au début de 2015, le sous-préfet de Calais a invité les associations à convaincre les personnes exilées de déménager de leurs squats pour s’installer dans le maquis de Jules-Ferry. Avec pour résultat, la diminution de moitié de leur effectif, passé de 2 000 environ en août à un millier en février 2015. Sans doute pressentent-elles qu’approche l’heure d’une nouvelle vague de répression. Il y a de l’exterritorialité dans le camp Jules-Ferry : une mise en quarantaine hors des normes sociales de l’État de droit, assortie d’un enfermement arbitraire à l’intérieur dès lors que, bientôt, son existence donnera lieu à une interdiction tacite du territoire en dehors de ses limites. D’une certaine manière, les migrantes et les migrants qui vont y être dirigé·e·s se trouveront dans une enclave étrangère en territoire français, une zone d’attente. Mais de quoi ?

Qui peut considérer, en effet, que les conditions de survie du camp constituent, par exemple, ce « droit à l’hébergement d’urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique et sociale », lequel a, selon le Conseil d’État(15), le statut d’« une liberté fondamentale » ? Qui peut encore considérer que les cahutes érigées dans le maquis de Jules-Ferry correspondront de près ou de loin, pour une part des personnes qui demandent l’asile et continueront à ne pas bénéficier du dispositif d’hébergement ad hoc, à ce « niveau de vie adéquat qui garantisse leur subsistance et protège leur santé physique et mentale » prévu par les normes européennes[Directive 2013/33 du 26 juin 2013 dite « Directive accueil ».Directive 2013/33 du 26 juin 2013 dite « Directive accueil ».] ?

Non seulement le camp Jules-Ferry nie l’existence des personnes exilées en les dissimulant, mais il leur laisse entendre qu’elles ne sont pas tout à fait arrivées en France ; que, sauf en matière de répression, elles se trouvent sur un territoire juridiquement indéterminé où le droit a, tout au plus, une existence aléatoire. C’est le sens de cette déclaration de M. Cazeneuve, le 22 août 2014, par laquelle il annonce son intention de « créer les conditions d’un accompagnement le plus humain possible »(16).

Or, si Jules-Ferry voit le jour, c’est en partie pour essayer de se conformer a minima aux exigences de nombreuses recommandations issues d’observations critiques de la situation calaisienne et qui, toutes, condamnent son inhumanité.

La dernière en date émane du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Dans son rapport du 17 février 2015, M. Nils Muižnieks dénonce à son tour l’existence de conditions de vie « déplorables » et la « persistance de cette situation depuis plusieurs années à Calais et dans sa région », rappelant qu’en août 2010 déjà, son prédécesseur avait vainement alerté M. Besson. « Je regrette, avait alors écrit M. Thomas Hammarberg, la volonté de poursuivre la politique de fermeté engagée vis-à-vis des migrants. […] L’intervention des forces de l’ordre a pour objectif d’empêcher l’installation des migrants. […] Ils se voient donc contraints d’errer, y compris la nuit, sans possibilité de trouver protection contre la pluie, la chaleur ou le froid. Au cours des interpellations réalisées par la police – ressenties par les migrants comme un harcèlement –, il m’a été indiqué que les effets personnels des migrants étaient détruits.[…] J’invite les autorités françaises à garantir le respect de la dignité des migrants et à mettre un terme à cette pression policière.  »

Quelques semaines avant, le 20 janvier 2015, Human Rights Watch (HRW) avait dressé un état des lieux tout aussi accablant : « Les demandeurs d’asile et migrants vivant dans le dénuement dans la ville portuaire de Calais sont victimes de harcèlement et d’exactions de la part de la police française. » Un peu plus de deux ans auparavant, le 13 novembre 2012, le Défenseur des droits avait, lui également, relevé entre autres l’existence d’un harcèlement policier avec des milliers d’interpellations sans autre objectif que de terroriser, des gazages, des expulsions illégales de lieux de survie avec destruction de biens personnels, des intimidations de personnes militantes(17).

Nombreux sont les rapports et enquêtes(18) à avoir alerté les pouvoirs publics sur cette misère et sur ces violences. Mais rien n’y a jamais fait : ils nient l’évidence, opposent la langue de bois à la réalité des faits et continuent à porter atteinte à la dignité des personnes exilées. Invariablement.

L’apparente concession du ministre de l’intérieur, avec l’ouverture prochaine du camp Jules-Ferry, ne laisse espérer aucune réorientation majeure. La dissimulation des personnes exilées dans un cadre de vie dégradant demeurant son objectif principal, elle les confirme dans un statut d’indésirables, annonciateur d’une répression qui les poursuivra partout en dehors de cette enclave en forme de ghetto.

Dysfonctionnements européens

C’est, au ghetto près, la poursuite à l’identique de la politique menée dans le Calaisis après la fermeture de Sangatte en 2002. À cette époque, M. Sarkozy avait décidé de supprimer du paysage un monument de visibilité où la presse internationale et l’opinion publique pouvaient constater que s’entassaient, dans des conditions matérielles indignes – mais de qualité supérieure à celles qui prévaudront à Jules-Ferry –, plus d’un millier de personnes chassées de chez elles par des conflits et des crises aiguës. Rançon de cette recherche d’invisibilité, M. Sarkozy et tous les ministres de l’intérieur qui lui ont succédé, y compris M. Cazeneuve, ont ensuite traqué tout regroupement de personnes exilées. Avec pour résultat leur dispersion progressive dans six départements (Pas-de-Calais, Somme, Seine-Maritime, Calvados, Manche et Paris).

À l’objectif d’invisibilité s’ajoutait le pari que la misère aurait un pouvoir dissuasif dans l’avenir, que cette misère saurait neutraliser l’effet d’« appel d’air » que tout accueil respectant la dignité humaine est supposé provoquer. Il est, de ce point de vue, saisissant de constater que, là encore, rien ne change. En 2002, M. Sarkozy avait âprement négocié la fermeture du camp de Sangatte contre la suppression, en Grande-Bretagne, du droit au travail dont ont bénéficié, jusqu’en juillet 2002, les personnes qui demandaient l’asile après six mois de procédure, droit qui avait été supprimé en France dès 1991(19). Derrière cette exigence, la recherche de la moindre attractivité possible de l’Europe et l’alignement du maximum de ses membres sur le moins offrant d’entre eux. En 2014, peu après avoir changé son fusil d’épaule et découvert les vertus d’un ghetto pour sa ville, la maire de Calais entreprend un voyage à Londres. Le 29 octobre, elle s’adresse aux parlementaires britanniques pour les inviter à comprendre que les 36 livres (45 euros environ) hebdomadaires versées aux demandeurs d’asile « peuvent paraître peu de choses au Royaume-Uni, mais ces gens […] viennent de pays très pauvres, ils ne comprennent pas que ce n’est pas beaucoup d’argent(20) ». Elle leur conseille de supprimer ou de réduire cette allocation qui les appâterait en Europe. En bref, elle érige en modèle universalisable le régime franco-calaisien d’abandon des personnes migrantes à la rue. Le ministre français de l’intérieur n’a pas commenté le raisonnement condescendant de la première magistrate de Calais. Mais les conditions d’« accueil » qu’il a définies pour le camp Jules-Ferry parlent pour lui.

Qu’est-ce que ce camp va donc changer pour que le gouvernement français puisse prétendre avoir entendu les critiques du Conseil de l’Europe et du Défenseur des droits ? Il devrait améliorer la prise en charge des personnes les plus vulnérables – en particulier les femmes enceintes et les mères d’enfants en bas âge – actuellement mieux traitées que les autres par les pouvoirs publics poussés à une attention tardive par l’investissement en leur faveur, tout particulièrement du réseau No Border (voir p. 9 de ce numéro).

Le nouveau camp va aussi permettre de mieux séparer le bon grain de l’ivraie, à savoir les personnes en demande d’asile des autres. Les premières devraient être orientées vers des centres ad hoc pour lesquels l’État a dégagé le financement de 500 places supplémentaires. Mais, là encore, le progrès sera minime dans la mesure où une forte proportion d’entre elles feront rapidement l’objet d’un renvoi vers un autre État en application du règlement Dublin 3. Or, faute de visas qui permettent d’emprunter des moyens de transport modernes, beaucoup de celles qui arrivent dans le Calaisis y parviennent à l’aide de passeurs après de longs périples terrestres et maritimes qui les exposent à de nombreux contrôles policiers. La plupart connaissent d’avance leur sort au point de renoncer à l’asile de peur d’être renvoyées à la périphérie de l’Union où il s’apparente à une chimère, ou bien dans un pays où l’on sait l’intégration quasi impossible, comme l’Italie.

Aux personnes paralysées par le règlement Dublin, s’ajoutent celles qui souhaitent à toute force gagner la Grande-Bretagne pour des raisons diverses et qui ne le peuvent pas en raison de la dérogation accordée en 1997 par l’Union européenne à ce pays l’exonérant de la liberté de circulation en vigueur partout ailleurs dans l’Union(2). De ce fait, la Manche et la mer du Nord sont devenues des frontières soumises aux mêmes règles de contrôle que des frontières extérieures, ouvrant la voie aux passeurs et à leurs trafics.

Si, dans l’Europe entière, tous les États jouaient loyalement le jeu de l’asile, si tous pratiquaient des conditions d’accueil décentes, mettaient en œuvre des procédures équitables et s’efforçaient d’intégrer au mieux les personnes devenues réfugiées ou placées sous protection subsidiaire, la pression serait infiniment moindre sur cette frontière artificielle, limitée à celles et à ceux – minoritaires – qui pratiquent la langue anglaise ou peuvent se prévaloir de raisons familiales. Mais la plupart des États cherchant à écœurer les personnes à la recherche d’une protection, nombre d’entre elles finissent par atterrir dans la nasse de Calais et plus largement du littoral de la Manche et de la mer du Nord.

Or, pendant son été largement européen, qu’a fait le ministre français de l’intérieur ? Il a passé des accords avec son homologue britannique pour renforcer les contrôles à la frontière(22), sans chercher à promouvoir une politique européenne constructive de l’asile, s’accommodant parfaitement de ses dysfonctionnements chroniques dans l’Union. Autant dire qu’il a adhéré à la philosophie de la lutte prioritaire contre l’« appel d’air », celle-là même qui, au fil des ans, a généré l’impasse calaisienne.

Qu’attendre, dans ces conditions, de la demi-mesure humanitaire de l’ouverture du centre d’accueil de jour Jules-Ferry ? Absolument rien, cette nouvelle structure n’étant rien d’autre, au même titre que le camp de Sangatte en son temps, qu’un cache-misère parfaitement intégré par son inhumanité à l’appareillage dissuasif que l’Europe tout entière déploie contre les personnes exilées, alors même que, comme l’expliquait le Haut Commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) au Défenseur des droits, « la situation des migrants sur le littoral de la Manche et de la mer du Nord a souvent été présentée dans le passé comme relevant de la seule question des migrations irrégulières. Or, poursuivait le HCR, la prédominance parmi eux de ressortissants afghans, soudanais, irakiens, érythréens et iraniens fait présumer que la majorité de ces personnes provient de pays dans lesquels la situation politique est instable, voire conflictuelle, ou de pays où les droits de l’Homme font l’objet de graves violations(23) ». Qu’importe.

À Calais, un été d’incohérence

À Calais, l’été 2014 a été saisissant par l’incohérence de ses rebondissements en cascade dans un temps très bref. Cette incohérence de la désorientation politique, moins spectaculaire parce qu’étalée dans un temps beaucoup plus long, qui n’a pas cessé depuis les années 1990.

  • Acte I : le 21 août 2014, Natacha Bouchard, sénatrice et maire très conservatrice de Calais, qui n’a cessé depuis son élection en 2008 d’exiger l’expulsion par la force, plaide soudain en faveur de l’ouverture d’un « centre éloigné des habitations des riverains », qui « devrait rester de dimensions raisonnables pour éviter toutes dérives » et ainsi « vider à 80 % le phénomène dans la ville » (AFP, 22 août 2014).
  • Acte II : « Je ne veux pas créer un centre d’accueil qui soit un nouveau point de convergence des migrants », lui répond, le 28 août, Bernard Cazeneuve. « Je ne peux pas à la fois démanteler les filières d’immigration irrégulière et organiser les conditions pour que les trafics continuent », explique-t-il pour justifier sa fermeté (AFP, 28 août 2014).
  • Acte III : mais voilà que, le 30 août, le préfet du Pas-de-Calais, Denis Robin, qui ne saurait s’exprimer sur le sujet sans l’aval de son patron, envisage l’idée d’un « lieu d’accès facile pour les migrants, où l’on pourrait concentrer les forces de tout le monde » et où les « populations migrantes auraient accès à un minimum de services : point d’eau, sanitaires, prestations de santé, accompagnement social et juridique ». Le préfet hésite entre un seul lieu d‘« accueil de jour » ou plusieurs « répartis en périphérie » (La Voix du Nord, 30 août 2014).
  • Acte IV : le 2 septembre, le ministère de l’intérieur, fait sienne l’idée de l’ouverture prochaine d’un centre d’accueil de jour pour les migrants à Calais.

On croit rêver. En douze jours, des pirouettes politiques ont chamboulé la situation. Une maire de la droite la plus hostile aux personnes migrantes, qui n’avait jusqu’alors cessé de revendiquer l’usage de la force pour les chasser de sa cité, souhaite, à la surprise générale, la création d’un lieu d’accueil. Quant au ministre, il passe, dans la plus totale contradiction avec lui-même, du refus au consentement.

Des gouvernements autistes face à des constats unanimes

Sur la situation des personnes exilées à Calais et dans le nord-ouest de la France, les rapports d’institutions officielles et de structures associatives font le même constat : une misère matérielle entretenue au mépris des lois et un harcèlement policier indigne d’un État de droit. Aucun des gouvernements en place au moment de la publication de ces différents bilans ne leur a prêté la moindre attention.

  • Conseil de l’Europe – Commissaire européen des droits de l’homme :
    • Rapport du 17 février 2015 par M. Nils Muižnieks
    • Lettre de M. Thomas Hammarberg du 3 août 2010 au ministre de l’immigration
  • Human Rights Watch, «  France : Les migrants et les demandeurs d’asile victimes de violence et démunis  », 20 janvier 2015.
  • Défenseur des droits : Décision MDS 2011-113 du 13 novembre 2012.
  • Calais Migrant Solidarity, «  Calais : cette frontière tue – Rapport d’observation des violences policières à Calais depuis juin 2009  », 2011.
  • Réseau euro-méditerranéen pour les droits de l’homme (REMDH), Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), Association européenne pour la défense des droits de l’homme (AEDH) et Groupe antiraciste d’accompagnement et de défense des étrangers et migrants (Gadem), «  Calais, la violence de la frontière – Mission d’enquête à Calais et à Paris 25 janvier-2 février 2010  », 2010.
  •  Migreurop, Les Frontières assassines de l’Europe, chapitre «  Calais et le nord de la France : zone d’errance, porte de l’Angleterre  », 2009.
  • Coordination française pour le droit d’asile (CFDA), «  La loi des « jungles ». La situation des exilés sur le littoral de la Manche et de la mer du Nord, Rapport de mission d’observation mai-juillet 2008  », septembre 2008.

 


Notes

(1) Plusieurs communiqués ont condamné le 27 mai 2014 cette opération, notamment : « À Calais, soigner la gale en mettant les « galeux » à la rue ! » signé par 27 organisations ; « Exilés de Calais, la santé méprisée », Lettre ouverte à Manuel Valls par 10 autres organisations. (retour au texte1)

(2) Jungle de Calais : la plupart des migrants ont été relâchés », le Figaro, 29 septembre 2009.(retour au texte)

(3)Voir le cahier de jurisprudence dans ce numéro.(retour au texte)

(4)TA Melun, 19 février 2015, req. n° 1406150 et cahier de jurisprudence de ce numéro.(retour au texte)

(5)Témoigne aussi de cet empressement l’interpellation de 10 500 personnes au premier semestre 2014 entre Calaisis et Dunkerquois, selon des chiffres officiels. Voir APP, 18 juillet 2014 : « Calais : plus de 7 000 migrants arrêtés au premier semestre, deux fois plus qu’en 2013 ».(retour au texte)

(6)« Calais : le préfet n’évacuera pas les squats de migrants avant plusieurs semaines », La Voix du Nord, 4 août 2014.(retour au texte)

(7)« La maire UMP de Calais veut ouvrir un nouveau centre pour migrants », La Voix du Nord, 21 août 2014.(retour au texte)

(8)« Le ministre de l’Intérieur opposé à l’ouverture d’un centre pour migrants à Calais », La Voix du Nord, 28 août 2014.(retour au texte)

(9)« Calais : le préfet favorable à « un accueil de jour » pour les migrants », La Voix du Nord, 30 août 2014.(retour au texte)

(10)Communication au conseil des ministres, 3 septembre 2014.(retour au texte)

(11)« Mare Nostrum » a vu le jour en octobre 2013 après un naufrage qui avait fait 366 victimes au large de Lampedusa. L’émotion suscitée par ce drame parmi beaucoup d’autres qui, eux, étaient restés sans réactions a conduit l’Italie à surveiller la mer et à porter secours. Le programme a cessé en octobre 2014 faute de la participation de l’UE et de ses membres. Voir notamment « « Mare Nostrum » : le dilemme de Bruxelles », Le Monde, 20 octobre 2014.(retour au texte)

(12)Communication de M. Cazeneuve au conseil des ministres du 3 septembre 2014.(retour au texte)

(13)Si l’on enregistre des milliers de décès en amont du Calaisis, on en enregistre aussi sur place. Voir Philippe Wannesson, « De Valls à Cazeneuve : une année meurtrière à la frontière », 3 novembre 2014.(retour au texte)

(14)Le règlement Dublinn 3 prévoit que le pays dans lequel est déposée une demande de protection renvoie la personne requérante dans un autre pays signataire de ce règlement notamment s’il existe des traces (empreintes digitales) de son passage antérieur sur son territoire. Les 28n membres de l’UE ainsi que la Norvège, l’Islande, la Suisse et le Liechtenstein sont parties prenantes au système Dublin.(retour au texte)

(15)Conseil d’État, ordonnance du 10 février 2012, Karamoko A., req. n° 356456.(retour au texte)

(16)Voir « Le plus humain possible », éditorial, Plein Droit n° 102, octobrebre 2014.(retour au texte)

(18)Voir l’encadré « Des gouvernements autistes face à des constats unanimes ».(retour au texte)

(19)Circulaire d’Édith Cresson du 26 septembre 1991.(retour au texte)

(20)« Calais : la maire explique son cas au Parlement britannique », 20 minutes, 29 octobre 2014.(retour au texte)

(21)Lorsque les accords de Schengen, qui prévoyaient l’abolition des contrôles aux frontières intérieures, ont été intégrés aux règles communes de l’Union européenne par le traité d’Amsterdam en 1997, l’Irlande et le Royaume-Uni ont obtenu un « opt-out » concernant cette partie du traité.(retour au texte)