Par Libération et l’AFP, publié le 8 septembre 2022
Le parquet de Boulogne-sur-Mer a ouvert une enquête pour « d’éventuelles violences commises par personnes dépositaires de l’autorité publique » après un signalement des associations de violences policières sur des migrants fin août.
Cette nuit-là, un groupe de migrants, originaires d’Erythrée, s’était rendu «sur le parking d’une station-service de Calais afin d’essayer de monter dans un camion avec l’espoir de rejoindre le Royaume-Uni», raconte Utopia 56 dans un communiqué. À l’arrivée d’un camion de CRS, le groupe se scinde : une partie fait demi-tour, laissant deux personnes âgées de 18 ans seules. «Lorsque les CRS arrivent à leur niveau, l’un des policiers porte un premier coup au visage à chacune des deux personnes», poursuit le communiqué. Selon le témoignage, les CRS emmènent ensuite les deux personnes dans une rue latérale, «à l’abri des caméras». Les deux personnes au sol, environ 7 CRS leur auraient alors «donné de nombreux coups de pied au sol».
L’IGPN saisie
Contactés, les pompiers ont transporté l’une des victimes à l’hôpital de Calais. Le certificat médical établi par un médecin «fait état de saignements et d’une déviation de l’arête nasale (fracture), de douleurs à la palpation thoracique, ainsi que de douleurs scrotales».
Le lendemain, l’association l’Auberge des Migrants a reçu un appel anonyme «d’une personne se présentant comme CRS à Calais et souhaitant dénoncer les violences de la nuit précédente», relate le communiqué. Le témoignage y est retranscrit : «C’est une autre section, un autre véhicule de la CRS 54, ils font passer cela pour un accident c’est inacceptable, ils ont laissé le pauvre comme un chien abandonné, c’est ce genre de collègues qui nous font énormément de tort».
Le 31 août, Human Rights Observers (HRO) signale ces éléments au procureur de Boulogne-sur-Mer, Guirec Le Bras. Contacté par l’AFP, il a indiqué avoir «saisi l’IGPN (Inspection générale de la police nationale) de Lille pour enquêter sur les faits qui m’ont été signalés», précisant que les investigations «commençaient».
Selon nos informations, trois CRS sont renvoyés devant la justice, accusés d’avoir menti pour couvrir l’un des leurs, coupable de violences contre un membre d’ONG.
Les images paraîtraient presque anodines en comparaison des nombreuses vidéos de violences policières diffusées ces derniers mois. Mais les trois courtes séquences sont lourdes de conséquences : elles ont permis à la justice de blanchir un bénévole de Calais (Pas-de-Calais), injustement accusé de violence et d’outrage envers des policiers. Et elles valent désormais à trois CRS d’être renvoyés devant la justice, l’un pour violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique, et les trois pour faux en écriture publique.
Selon une information du Monde, les fonctionnaires de police sont accusés d’avoir menti pour couvrir l’un des leurs, qui s’était rendu coupable de violences, et d’avoir ainsi provoqué le renvoi devant la justice d’un innocent.
Les faits ont eu lieu à l’été 2018 sur l’une de ces bretelles routières qui avoisine la rocade de Calais, où se massent des migrants, candidats au départ vers l’Angleterre. Ce matin-là, Thomas Ciotkowski, un bénévole britannique âgé d’une trentaine d’années, circule en camionnette avec l’un de ses amis. Il fait partie d’une des associations qui défend les droits des réfugiés. Apercevant trois personnes en train de se faire contrôler par quelques policiers, à proximité de migrants, il s’arrête pour filmer la scène. Les fonctionnaires décident alors « d’évincer » l’ensemble du groupe.
Une version de la suite est racontée sur procès-verbal, par le chef de groupe, Laurent M., membre de la CRS 40, qui porte plainte contre Thomas Ciotkowski :
« Nous avons essayé de les repousser, mais ça durait et, à ce moment-là, l’individu anglais que nous avons interpellé après a commencé à parler fort, à crier et nous a insultés dans sa langue en ces termes “bitch-bastard” et il est venu à mon contact, puis a positionné ses mains sur ma poitrine et m’a poussé en arrière. J’ai effectué un geste pour le repousser, il a reculé et comme derrière lui se trouvait la glissière de sécurité, il a basculé en arrière et, comme il me tenait, j’ai suivi et j’ai basculé avec lui. Nous nous sommes retrouvés au sol tous les deux et j’ai procédé à son interpellation.
– Est-ce que les insultes ont été prononcées plusieurs fois ?
– Oui, plusieurs fois en anglais, à chaque fois qu’on essayait d’avancer, ils nous repoussaient tout en nous insultant. »
Les deux collègues de Laurent M. confirment sur procès-verbal l’ensemble de ces déclarations, citant les mêmes propos : « Ils étaient agressifs envers nous et nous ont copieusement insultés en anglais, de mots comme “bastard, bitch, fuck…” et j’en passe », assure le brigadier G. Quant au gardien de la paix L., il est formel : « J’ai vu l’individu qu’on a ramené qui s’est approché du chef M. et l’a poussé au niveau du torse. J’ai entendu le chef M. dire aux Anglais “Me pousse pas », mais le gars l’a refait, donc le chef M. l’a repoussé mais en reculant l’individu a butté contre la glissière de sécurité et est parti en arrière en s’agrippant au chef M., ils sont tombés tous les deux. »
Une réalité toute différente
Insultes, provocations, agression physique, tous les éléments semblent être réunis pour un dépôt de plainte. A ce détail près que les images, filmées sous trois angles différents, qui montrent l’intégralité de la scène et sur lesquelles l’ensemble des propos échangés sont audibles, présentent une réalité toute différente. Tout au long des vidéos, les bénévoles ne profèrent pas la moindre injure, Thomas Ciotkowski ne pousse jamais le CRS et ce dernier ne se retrouve à aucun moment au sol.
On y voit au contraire des policiers qui évacuent un groupe de migrants et de bénévoles dont aucun ne semble être virulent. L’un des fonctionnaires traite un militant de « putain d’Anglais ». Un autre assène un coup de pied par derrière dans le mollet d’un jeune homme pour le faire avancer. Thomas Ciotkowski s’en indigne. « C’est illégal », l’entend-on dire dans un français mâtiné d’accent britannique. Il relève le matricule de l’un des policiers.
Un policier donne alors un coup de matraque à une jeune femme sur le bras. « Don’t hit women », intervient Thomas Ciotkowski, qui ne porte jamais la main sur le fonctionnaire. Laurent M. le pousse pourtant par-dessus la glissière de sécurité. Il tombe à la renverse sur la route, alors qu’un camion passe à ce moment-là, juste derrière sa tête. Les policiers tentent d’empêcher une jeune femme de lui porter assistance et interpellent dans la foulée le jeune homme. Il fera vingt-neuf heures de garde à vue et sortira avec une convocation devant le tribunal correctionnel pour violence et outrage sur une personne dépositaire de l’autorité publique.
Les vidéos, « remparts à la logique d’impunité »
Jugé en juin 2019, le jeune homme a été relaxé de toute poursuite. A la sortie de l’audience, le procureur de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), interpellé par la diffusion des vidéos, a saisi l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) pour faire la lumière sur les déclarations des policiers. Sur la base de l’enquête qui lui a été remise un an plus tard, le magistrat a décidé de citer à comparaître les trois CRS. Interrogés par Le Monde, ces derniers n’ont pas souhaité pour le moment faire de commentaire. Pour Thomas Ciotkowski, « c’est bien de voir la justice en action et de voir qu’une enquête solide a été menée. Bien que je leur pardonne ce qu’ils m’ont fait, j’ai été chanceux de ne pas être sévèrement blessé ou même tué et ils devraient être tenus pour responsables de leurs actes. »
Les avocats du bénévole, Me William Bourdon et Me Apolline Cagnat, estiment que « les poursuites pour faux sont un signal fort qui tranche avec la présomption de crédibilité invariablement accordée aux fonctionnaires de police, même face à de nombreux témoignages contraires ». Mais ils regrettent qu’il ait fallu « comme trop souvent des vidéos pour rendre possibles ces poursuites. Elles ont été le rempart à la logique d’impunité que les policiers recherchent systématiquement. »
A l’audience de juin 2019, le représentant du parquet, qui avait pourtant vu les vidéos, avait choisi de croire la version des policiers en requérant quatre mois de prison avec sursis contre le jeune homme.
Calais De nouvelles grilles pour empêcher les migrants de dormir sous le pont
Depuis quelques jours, des grilles sont en cours d’installation autour du rond-point de la zone Marcel-Doret. Un moyen d’empêcher les migrants de s’installer sous le pont, d’y manger ou de dormir. Une décision jugée « lamentable » par l’Auberge des migrants.
Adrien Boussemart | 06/02/2019
Ce mardi, une entreprise est venue terminer le travail sur une partie du rond-point. Depuis de nombreux mois, des migrants qui seraient d’origine érythréenne s’abritaient sous la rocade portuaire, jour et nuit. Aussi, ils attendaient le bon moment, les yeux rivés sur le parking de la station essence Total, avant de tenter de pénétrer dans les camions en partance pour l’Angleterre.
Ces derniers jours, un mur anti-intrusion a été érigé autour de la station essence Total.D’ici la fin de la semaine, les exilés ne pourront plus y accéder. « Il y a deux ou trois semaines, ils avaient été chassés par les forces de l’ordre. Deux fourgons restaient en permanence pour les dissuader de s’y installer. Maintenant, ils sont là pour protéger les ouvriers », selon François Guennoc de l’Auberge des migrants. Cette nouvelle installation, après la construction d’un mur anti-intrusion de trois mètres de haut autour de la station essence Total, est jugée « scandaleuse et lamentable » par l’associatif. « Ce mur est construit pour empêcher les exilés d’entrer dans la station essence alors pourquoi ajouter ces grilles ? Ils ne font rien de mal sous le pont. C’est une nouvelle fois de l’argent jeté par les fenêtres. Petit à petit, Calais s’entoure de grilles, se défigure », déplore-t-il.
Des grilles pour « sécuriser le rond-point »
Selon Michel Tournaire, sous-préfet de Calais, ces travaux devraient se terminer le 15 février. « La Direction interdépartementale des routes (DIR) finance cette installation pour sécuriser le rond-point et la rocade portuaire. Régulièrement, les migrants allument des feux et dégradent l’ouvrage », explique-t-il. L’installation de ces grilles est aussi un moyen, selon lui, « d’éviter les points de fixation et la présence de migrants à proximité de la station essence Total ». On ignore le montant des travaux.
À noter que la DIR est un service de l’État, qui dépend du ministère de la transition écologique et solidaire. De son côté, François Guennoc ironise et dit « se préparer à faire vivre l’Auberge des migrants dix ans de plus. À part construire des grilles, il n’y a aucune perspective politique ».
D’autres grilles autour du rond-point route de Saint-Omer en mars
Avec le même objectif de « sécurisation de l’A16 et du rond-point », la DIR Nord (l’État donc), va également financer l’installation de grilles sur le rond-point situé route de Saint-Omer. « Ces travaux seront terminés à la fin du mois de mars », explique Michel Tournaire, sous-préfet de Calais. L’idée est aussi d’éloigner les migrants et d’éviter les « points de fixation ».
Depuis plusieurs mois, des exilés restent à proximité de ce rond-point et profitent du ralentissement des poids lourds sur la sortie de l’échangeur nº46 pour tenter d’y pénétrer.
Or, ce phénomène, appelé vigilantisme, a été particulièrement observé de l’autre côté de la Manche, à Calais et dans ses environs, où des habitants ont décidé de gérer eux-mêmes la question migratoire. Comme nous le soulignons dans un article issu de nos recherches sur ces groupes,
« Les cibles ne sont pas des “criminels” ou des “délinquants”, mais bel et bien l’ensemble des migrants présents à Calais ».
Les collectifs anti-migrants ont ainsi mené une activité soutenue entre 2013 et 2016, incluant des citoyens a priori sans affiliation politique particulière. Ils sont pourtant discrètement appuyés par des groupuscules d’extrême droite qui oeuvrent plus ou moins dans l’ombre, et grâce aux réseaux sociaux.
Si ces derniers attirent l’attention médiatique, par exemple le groupe des Identitaires, ils essaiment aussi désormais parmi « Monsieur et Madame Tout Le Monde ».
Prise en main par l’extrême droite
Le 23 octobre 2013, sur sa page Facebook personnelle, la maire de Calais, Natacha Bouchart, publie un appel incitant les Calaisiens à repérer et à dénoncer toute implantation de squats de migrants.
Cet appel est immédiatement médiatisé et suscite une polémique nationale. Dans la foulée, un jeune activiste d’extrême droite, Kevin Rêche, créée la page Facebook Sauvons Calais, qui précède de quelques semaines la création du collectif.
Dès le début, son objectif est de mobiliser les Calaisiens contre les migrants, en répertoriant les squats afin de « sauver Calais ». La page devient rapidement très fréquentée. Le groupe met en avant trois revendications : la constitution officielle de groupes de vigilance anti-migrants, la dissolution des associations de soutien aux migrants et surtout l’enfermement de tous les réfugiés dans un camp.
Ses militants multiplient les actions, mobilisations et manifestations. Ils se décrivent comme « apolitiques », regroupant des citoyens en colère. En réalité, le groupe développe une rhétorique issue des fractions les plus dures de l’extrême droite française.
Sauvons Calais entretient des liens avec Le Parti de la France, une scission droitière du Front national (liste dans laquelle Kevin Rêche se présente aux élections cantonales de 2015). En avril 2014, le journal La Voix du Nord révèle que Kévin Rêche, leader et porte-parole du collectif s’est fait tatouer une croix gammée sur le torse.
Lors de l’été 2015, alors que la dynamique de Sauvons Calais est en baisse – le groupe est « en sommeil » depuis l’évacuation de la jungle en novembre 2016 – un second groupe émerge, « Les Calaisiens en Colère ». Ceux-ci se présentent comme des « riverains » de la jungle Jules Ferry excédés par la situation, et se déclarent eux aussi apolitiques. Ils développent des dynamiques similaires, et sont eux aussi ancrés à l’extrême droite.
Émergence du vigilantisme
Si ces groupes s’affirment comme des mouvements « citoyens », somme toute des mouvements sociaux classiques, la réalité est plus complexe. Si ceux-ci organisent bel et bien pétitions et manifestations, leur activité ne s’y limite pas, loin de là.
Celle-ci s’inscrit dans ce que l’on appelle le vigilantisme. Les politistes Gilles Favarel Guarrigues et Laurent Gayer le définissent comme
« un certain nombre de pratiques collectives coercitives, mises en œuvre par des acteurs non étatiques afin de faire respecter certaines normes (sociales ou juridiques) et/ou d’exercer la justice ».
Ces groupes ne vont pas ainsi seulement manifester, mais aussi agir contre les migrants, en les surveillant, en les signalant en ligne, voire en intervenant directement à leur encontre.
En l’absence de données sur la totalité des membres de ces collectifs, il n’est pas possible de faire de généralisation concernant sa sociologie mais il est toutefois possible d’affirmer que les militants rencontrés présentent un profil similaire à ceux des skinheads de l’Aisne étudiés par le politologue Stéphane François. En effet ceux que nous rencontrons sont souvent au chômage, ou en contrat précaire, occupant des emplois peu où pas qualifiés dans le secteur des services.
Les participants de ces collectifs, au cours des entretiens qu’ils nous accordent, disent être plusieurs dizaines. Ils habitent à Calais ou dans les environs.
Des « citoyens » à l’assaut de squats
En 2014, à Coulogne, ville de 5 000 habitants près de Calais, une maison est occupée par des militants du mouvement No Border, qui soutient les réfugiés.
Sauvons Calais va alors lancer une mobilisation pour obtenir l’expulsion immédiate de la maison, bien avant les délais légaux. Cette mobilisation se fait en ligne par une campagne sur la page Facebook du collectif, mais aussi par du porte-à-porte dans le quartier de la maison, située dans une zone pavillonnaire.
Cette mobilisation se poursuit par l’organisation d’un rassemblement de plusieurs dizaines de personnes tous les soirs pendant quinze jours, afin de demander l’expulsion du squat. Il regroupe les militants de Sauvons Calais, des sympathisants d’extrême droite et surtout les habitants de ce quartier, autrement paisible.
Celui-ci se transforme rapidement en siège, avec la participation active des voisins. Tous les soirs, les vitres et les tuiles de la maison sont la cible de jets de pierres. Le squat, devenu inhabitable est abandonné par ses occupants. Le bâtiment est ensuite détruit par un incendie. Son origine n’est pas déterminée mais l’acte criminel est envisagé.
Les militants de Sauvons Calais nient avoir participé à ces actes « individuels commis par des gens perturbés ». Cette version est mise à mal par Alain Fauquet, le maire du village, qui nous affirme lors d’un entretien que les militants de Sauvons Calais ont « remplit des grands sacs de pierres [pris] sur la voie ferrée pour organiser le caillassage » sans nécessairement les jeter eux-mêmes, se contentant de fournir les pierres.
Ces faits illustrent une violence de groupe organisée, certes minimisée mais aussi une stratégie d’évitement. Les militants agissent en sous main afin de ne pas se voir attribuer la responsabilité des violences et préserver ainsi une forme de « respectabilité ».
Les rassemblements de soutien aux riverains
Un autre exemple emblématique de l’action de ces groupes est celui des rassemblements de « riverains » pour « sécuriser » les abords de la jungle Jules Ferry lors des mois de décembre 2015 et janvier 2016, organisés par les Calaisiens en Colère. L’usage de Facebook s’y révèle primordial. La page sert à publiciser l’action vigilantiste du groupe. La présence de terrain est mise en scène : patrouilles, repérages, surveillance, rassemblements de soutien aux riverains.
Lors de leurs patrouilles, les militants publient des photos et vidéos des migrants. Ces publications n’ont pas uniquement vocation à servir de témoignage. Ce sont bel et bien des comptes rendus en temps réel des mouvements des réfugiés et de la situation, dépeinte comme une guerre de basse intensité entre forces de l’ordre et migrants.
La distance entre le spectateur et le spectacle mis en scène sur la page Facebook du groupe est réduite au minimum. Assez régulièrement, les personnes qui suivent le groupe sur les réseaux sociaux sont invitées à rejoindre immédiatement l’action en cours et à franchir le pas pour passer de l’« autre côté du miroir ».
L’objectif est ainsi de susciter une réaction émotionnelle forte vis-à-vis des images diffusées, qui prend la dimension d’un « choc moral », source d’un engagement dans une cause ou un mouvement social.
Ainsi, une publication du 17 décembre 2015 déclare tout simplement « Les clandestins nous attaquent », massivement partagé.
Très rapidement, et de manière encore plus explicite, un post daté du même jour énonce « C’est la guerre venez nous aider » avec une vidéo à l’appui.
La violence des foules
Ces appels semblent bel et bien suivis d’effets : les rassemblements de décembre 2015 et janvier 2016 regroupent assez largement des sympathisants d’extrême droite parfois venus de toute la France.
Il apparaît aussi que les militants ne se contentent pas de surveiller les abords, ils prennent part aux affrontements, ce que révèle la mise en ligne d’une vidéo postée par les Calaisiens en colère. Une personne qui participe aux « rondes de sécurisation » du collectif déclare « je sors mon gun », et on la voit ensuite dégainer ce qui ressemble à un flashball (arme à feu qui tire des balles en caoutchouc). Par la suite, l’on entend des détonations sans savoir précisément si ce sont les forces de l’ordre ou les Calaisiens en colère qui en sont à l’origine.
Cette vidéo, postée sur la page du groupe avant d’être rapidement retirée devient virale jusqu’à attirer l’attention des médias (« Les Vidéos controversées », Nord Littoral, 8 janvier 2016, p. 13). Ceux-ci mettent en avant l’illégalité de cette participation à des affrontements aux côtés des forces de l’ordre. Le scandale est tel que les Calaisiens en Colère mettent un terme à l’organisation de ces rondes fin janvier 2016.
Un flou qui fonctionne
Bien qu’ils aient cessé leurs rassemblements aux abords de la Jungle, les groupes anti-migrants poursuivent d’autres activités. Ils ont ainsi pris part à la très médiatisée manifestation (interdite) du groupe Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident (PEGIDA) le 6 février 2016.
Après le démantèlement de la jungle Jules Ferry en novembre 2016, les Calaisiens en Colère poursuivent pendant quelque temps leurs patrouilles qu’ils publicisent toujours sur leur page Facebook, avant de mettre en sommeil leur activité. De manière assez ironique, Sarah Guerlach, porte-parole du collectif, en guise d’épilogue obtient avec sa société de travaux publics le marché de la démolition de la jungle Jules Ferry ; une fois évacuée par les forces de l’ordre.
Les groupes anti-migrants à Calais sont ainsi représentatifs d’un certain flou entretenu sciemment par certains militants de l’extrême droite, permettant d’impliquer des citoyens « ordinaires » dans des actes de violence collective.
Ce type de mouvement contre l’immigration n’est pas isolé en Europe, loin de là. En Allemagne, les actes contre les migrants se sont multipliés pour culminer dans des journées de mobilisations et de violences à Chemnitz lors du mois d’août 2018.
VIOLENCES POLICIÈRES ENVERS LES MIGRANTS ET LES RÉFUGIÉS EN TRANSIT EN BELGIQUE : NOTRE RAPPORT
Une enquête de Médecins du Monde met en évidence le fait qu’ 1 migrant sur 4 est confronté à des violences policières dans notre pays. Le rapport démontre que cette violence est diverse, illégale et abusive: il s’agit de violence physique comme des coups de poing, de pieds et de matraque, mais aussi de fouilles à nu forcées et arbitraires, de racket, d’humiliation et de chantage pour l’obtention d’empreintes digitales, ainsi que de la saisie illégale d’objet personnels.
« Depuis le début des consultations médicales destinées aux personnes migrantes et réfugiées à Bruxelles et à la Côte, nos bénévoles ont été confrontés à des histoires de violences policières, » raconte Nel Vandevannet, directrice des projets belges de Médecins du Monde, pour expliquer la genèse de cette enquête. « Ce rapport met en lumière l’ampleur de cette problématique d’une manière structurée et méthodique. » Le rapport se base sur le témoignage de 440 personnes lors de leur visite du Hub humanitaire. 25% – soit 110 – des personnes interrogées ont déclaré avoir été confrontées à des violences policières. 53% d’entre elles – 59 personnes – ont donné leur accord pour des interviews approfondies. Après correction, un échantillon de 51 témoignages valides a pu être mis en évidence.
VIOLENCES SUR LE TERRAIN ET DANS LES COMMISSARIATS 83%
Plus de la moitié des témoignages (58%) fait état de coups portés avec les mains, les pieds ou des matraques.« La moitié des personnes déclare que les violences ont eu lieu alors qu’elle étaient immobilisées, » explique Nel Vandevannet, directrice des projets belges de Médecins du Monde. « D’autres déclarent avoir été victimes de racket et de vol d’argent. » La majorité des cas de violences a eu lieu dans les commissariats, avant l’incarcération. 66% des personnes arrêtées ont déclaré avoir été victimes à ce moment-là de violence physique ou psychique, en particulier lors des fouilles à nu et lors des prises d’empreintes digitales. « Les policiers ne peuvent effectuer de fouilles à nu pour contrôler la présence d’objets prohibés que lorsqu’il existe de sérieux soupçons. »
Lorsqu’on est arrivés au commissariat ils nous ont mis dans une pièce et ils nous tabassés. Ensuite, 4 policiers m’ont déshabillé de force.
6 personnes arrêtées sur 10 ont pourtant subi des fouilles à nu forcées, qui ont été accompagnées dans 72% des cas de comportements humiliants, où la personne nue a été frappée, victime de moqueries ou poussée contre un mur pendant qu’un autre policier lui retirait son slip : « Lorsqu’on est arrivés au commissariat ils nous ont mis dans une pièce et ils nous tabassés. (…) Je leur ai demandé pourquoi ils me traitaient comme un animal et ils m’ont encore plus frappé. Ensuite on a dû se mettre tous tout nu les uns devant les autres pour qu’ils nous fouillent. Moi je ne voulais pas alors 4 policiers m’ont déshabillé de force. Il y avait des femmes policières aussi, elles ne faisant rien mais elles riaient, » raconte un Libyen de 29 ans.
UTILISATION DE VIOLENCES LORS DE LA PRISE D’EMPREINTES DIGITALES
35% des personnes arrêtées ont refusé de donner leurs empreintes digitales. Elles ont toutes été victimes de torture selon la définition du protocole d’Istanbul. Les mêmes méthodes se retrouvent à travers les témoignages: coups de poing, coups de pieds et de matraque, placement de la personne vêtue uniquement d’un t-shirt ou d’un slip dans une cellule à très faible température (fridge house), privation de nourriture, de boisson et de sommeil, interdiction d’accès à des sanitaire ou maintien de menottes durant de nombreuses heures forçant la personne à se rester dans une position douloureuse. « Le policier me criait dessus très fort pour que je donne mes empreintes. Je n’ai pas voulu les donner alors ils m’ont dit que j’allais rester 48h ici. Je suis resté attaché les bras derrière le dos pendant environ 48h. Ils m’ont poussé vio¬lemment dans la cellule et comme j’étais attaché je suis tombé par terre et je me suis fait mal au bras. (…) J’avais très froid dans la cellule parce que je n’avais que mon t-shirt et mon caleçon et il y avait un ventilateur allumé. J’ai demandé à avoir mes vêtements mais ils ont refusé. J’ai aussi demandé qu’ils me détachent parce que j’avais trop mal ils m’ont dit en anglais « tu n’as qu’à retourner dans ton pays et leur demander », » raconte un Éthiopien de 17 ans
INCARCÉRATION INHUMAINE
« La loi belge stipule que toute personne qui est incarcérée pour quelque motif que ce soit, a droit à de l’eau, l’accès à des sanitaires et un repas, » déclare Nel Vandevannet. Il apparait pourtant, selon ce rapport que 41% des personnes arrêtées n’ont rien reçu à boire ou à manger pendant plus de 15 heures. 4 personnes ont par ailleurs déclaré ne pas avoir eu accès à des sanitaires. Une personne a déclaré avoir été obligée de faire ses besoins dans un seau durant 48 heures. Au moment de la libération également, des comportements qui posent problème ont été observé: dans 40% des cas, le GSM n’a pas été rendu. La saisie de médicaments et de matériel médical est aussi constatée : « Entre février et juin 2018 une quinzaine de ses patients sont revenus consulter les médecins du Hub parce qu’ils s’étaient fait prendre leurs médicaments, comme des anti¬biotiques, des traitements chroniques (par exemple le trai¬tement contre l’épilepsie ou le VIH), des pilules contraceptives ou des médicaments à prendre avant une hospitalisation. Une femme atteinte du VIH n’a pas pu récupérer son sac après une arrestation et s’est retrouvée sans ses médicaments. Une fois au Hub, elle a dû être hospitalisée d’urgence et il a fallu plus d’une semaine et trois aller-retours aux commis¬sariats pour récupérer ses affaires, » raconte Louisa Ben Abdelhafidh, coordinatrice médicale.
MINEURS TRAITÉS DE LA MÊME MANIÈRE QUE LES ADULTES
Presque 1 témoin sur 3 (27,5%) était mineur au moment de l’interview et 29% des violences identifiées dans ce rapport concernent des mineurs. « Inquiétant et inacceptable ! » selon Médecins du Monde : « Des milliers de mineurs non accompagnés, migrants et réfugiés, errent en ce moment en Europe. Il s’agit de groupes très vulnérables, une proie facile pour les trafiquants d’être humain et les réseaux clandestins. La loi prévoit qu’un policier qui suppose qu’une personne est mineure, doit immédiatement prendre contact avec le Service des Tutelles de notre pays. D’après notre rapport, cette mesure protectrice n’est pas appliquée, au contraire: les mineurs interrogés sont traités –parfois de manière extrêmement violente- de la même façon que les adultes. »
D’après notre rapport, les mineurs interrogés sont traités – parfois de manière extrêmement violente – de la même façon que les adultes.
50% des mineurs déclarent avoir été violemment battus ou mordus par des chiens policiers lors de contrôles ou d’arrestations. 4 mineurs ont témoigné sur la profonde humiliation ressentie lors de fouilles à nu au commissariat de police. Deux d’entre eux se sont vu retirer leurs sous-vêtements avec violence. 1 mineur a été placé dans une cellule refroidie à l’extrême par un climatiseur, vêtu uniquement de son slip et t-shirt. 2 autres ont été victimes de chantage et ont dû donner leurs empreintes digitales en échange de nourriture et de boisson ou de leur libération.
ET ENSUITE ?
Ce rapport révèle une réalité restée cachée jusqu’à présent: une partie significative des migrants en transit dans notre pays est confrontée à une violence physique et psychique excessive. 1 personne concernée sur 3 est un mineur. « À court terme, nous demandons que toute forme de violence policière cesse immédiatement, que la loi soit respectée et que ceux qui sont coupables de telles pratiques soient jugés. Nous pensons aussi qu’un débat fondamental sur notre politique migratoire doit avoir lieu: cette violence est un symptôme et une conséquence de la politique migratoire qui n’a jusqu’ici fait que viser à la répression et à la criminalisation des personnes migrantes. »
Ce rapport s’adresse ainsi en premier lieu à nos décideurs politiques: ils sont responsables de ce qui se joue sur le terrain. « Les migrants mais aussi les services de police locaux et fédéraux sont soumis depuis des mois à des pressions insoutenables et sont les pions de chasses aux migrants coûteuses, inutiles et dommageables. Le discours politique a glissé, lentement mais sûrement vers une déshumanisation des migrants et à conduit à une pression croissante et à un sentiment de découragement des forces de police sur le terrain. » Médecins du Monde recommande enfin l’ouverture d’un centre d’accueil et d’orientation, des mesures de protection pour les mineurs et une politique de tolérance en ce qui concerne l’aide humanitaire qui leur est apportée.
Pressions policières sur les associations humanitaires à Calais : le Préfet du Pas-de-Calais a reçu les associations
Suite au rapport publié par l’Auberge des Migrants, Help Refugees, Utopia 56 et Infobus, concernant les pressions et violences policières sur les associatifs aidant les migrants à Calais, le Préfet du Pas-de-Calais a ouvert un dialogue avec les associations.
Fabien Sudry a en effet invité le 27 août les associations signataires du rapport (cf. annexe). Délicat exercice pour le Préfet, qui devait, au long de l’entretien, assurer les responsables de la police présents à cette occasion, de son soutien sans faille, tout en abordant concrètement les différents problèmes soulevés par ces associations : filatures, incessants contrôles d’identité et palpations de sécurité, pluies de procès-verbaux, entraves aux distributions, violences physiques et verbales…
Le Préfet « ne reconnaît pas sa police » dans les témoignages des associatifs, et a reproché aux humanitaires « d’attaquer la police » et de « mener une guerre médiatique ».
Nous avons répondu : ce rapport a été publié parce que nos démarches juridiques – demandes d’enquête de l’IGPN, plaintes auprès du procureur – n’aboutissaient pas. Nous avons déploré la politique appliquée à la frontière calaisienne : nous l’estimons inefficace, coûteuse et inhumaine. Certes, les forces de police exercent leurs missions à Calais dans des conditions difficiles, mais elles doivent le faire dans le cadre de la loi et la déontologie. Les associations veulent exercer leurs activités, qui sont légales, en bonne intelligence avec la population et avec la police. Elles sont elles-mêmes attaquées publiquement, accusées par exemple de donner des armes aux migrants, de planter des tentes sur terrain d’autrui, de jeter des déchets sur la voie publique, etc.
Le préfet et ses adjoints n’ont pas nié les accusations que nous portions, ils les ont relativisées, nuancées, minimisées. Sur la palpation de sécurité de bénévoles femmes par des policiers hommes, ils ont admis sans discussion que c’était illégal.
La seule proposition des autorités, un peu surprenante, a été de ne plus mettre de p.v. pour stationnement, sur les véhicules identifiés comme associatifs. Nous avons répondu que nous discuterions de cette proposition car l’identification des véhicules posait des problèmes de sécurité.
Nous avons demandé que le caractère « très gênant » ou « dangereux » du stationnement – les p.v. à 135 € et 3 points !- soit justifié, mais ce n’est pas prévu, c’est à l’appréciation du policier verbalisateur !
Nous avons confirmé que nous demandions à nos bénévoles de ne pas filmer les policiers de façon provocatrice (sous leur nez par exemple) et que l’objectif n’était pas de filmer des policiers mais des actions où étaient impliqués les policiers.
Nous avons demandé à ce que l’IGPN fasse des enquêtes sérieuses et impartiales quand nous la saisissons, que des consignes claires soient rappelées aux policiers par la Préfecture, concernant la loi et la déontologie, et de pouvoir contacter un officier de police « correspondant local » en cas de problème.
Le fait que le Préfet nous ait reçus prouve qu’il a pris ce rapport au sérieux. D’ailleurs, par hasard, ou pas, la situation s’est améliorée ces dernières semaines : moins de contrôles, moins d’insultes et de violences vis-à-vis des associatifs.
L’Auberge des Migrants. Contact F. Guennoc 06 08 49 33 45
Calais : des associations d’aide aux migrants dénoncent des “violences policières” sur les bénévoles
Elles insistent sur la fréquence des altercations avec forces de l’ordre. Mais pour la Préfecture et la maire de Calais, ces accusations sont « sans fondement ».
Les associations Help Refugees, L’Auberge des Migrants, Utopia et Refugee Infobus publient, ce mardi, matin un rapport dénonçant « l’intimidation et le harcèlement« de bénévoles par la police de Calais et Dunkerque.
Ce rapport fondé sur les témoignages de 33 bénévoles établit qu’ils auraient été victimes de plus de 600 incidents de surveillance policière au cours des derniers mois. Des faits qui se traduisent par des contrôles d’identité répétés, des arrestations, des fouilles ou encore des violences physiques et verbales.
Ces associations d’aide aux migrants dénombrent notamment 37 accidents de violence physique où des policiers auraient poussé les volontaires au sol ou les auraient écarté par la force.
Elles dénoncent également des « barrières physiques » construites par les autorités à certaines occasions pour les empêcher d’apporter une aide humanitaire aux réfugiés. Le rapport établi dans le cadre du projet Human Right Observers insiste sur la « systématicité et la persistance du harcèlement des volontaires » à Calais.
Des accusations « sans fondement »
« La simple observation des faits démontre que les associations sont tout à fait libres d’exercer leurs activités à destination de la population migrante sur Calais, dès lors que leur intervention s’inscrit dans le respect de l’ordre public et de la loi », a réagi auprès de l’AFP la préfecture du Pas-de-Calais, qui qualifie les accusations des associations « d’allégations non démontrées« .
« Toute personne qui le souhaite peut comme c’est naturel dans un État de droit, saisir l’IGPN (inspection générale de la police nationale) ou le procureur de la République si elle estime être témoin ou victime d’un manquement », ajoute-t-elle.
« Force est de constater, cependant, que les rares plaintes déposées ou les signalements auprès de l’IGPN n’ont conduit jusqu’à présent à aucune condamnation ou mise en accusation d’un policier pour des violences sur des membres d’associations, pas plus que sur des personnes migrantes ».
De son côté, la maire de Calais, Natacha Bouchart, s’est associée au Préfet du Pas-de-Calais. Elle dénonce des accusations « sans fondement« et un discours « haineux et diffamants envers les forces de l’ordre » venant d’associations qui « agissent à des fins purement médiatiques et politiques ».
Le défenseur des droits saisi
Si les associations dénoncent régulièrement des « violences policières » envers les migrants, officiellement entre 350 et 400 sur le Calaisis dans l’espoir de passer clandestinement en Grande-Bretagne, c’est la première fois qu’elles publient un document centré sur le harcèlement qu’elles disent subir.
Face à « l’indifférence du parquet de Boulogne-sur-Mer« , les associations annoncent avoir saisi le défenseur des droits pour qu’il « fasse avancer diplomatiquement les choses », explique à l’AFP Eléonore Vigny, chargée du plaidoyer pour l’Auberge des migrants.
« C’est une autorité indépendante qui va pouvoir demander des comptes à l’administration et enquêter », assure-t-elle, espérant, notamment, que les services du défenseur des droits organisent une visite sur place sur ce sujet en particulier.
Dans un rapport publié mercredi matin, quatre associations d’aide aux migrants présentes sur le terrain font état d’une surveillance constante de leurs membres par la police.
Surveillance constante, violences physiques et verbales, tracas administratifs et contraventions multiples : ce matin, quatre associations d’aide aux migrants viennent de rendre public un rapport qui détaille le harcèlement policier dont elles se disent victimes à Calais. L’Auberge des migrants, Utopia 56, Help Refugees et Refugee Infobus, présentes sur le terrain tous les jours, ont décidé de documenter cette pression, qui, si elle ne date pas d’aujourd’hui, s’est visiblement accentuée. «Ces mesures reflètent une volonté d’intimidation des bénévoles agissant dans le nord de la France», affirment-elles. Les éléments rapportés s’échelonnent entre le 1er novembre 2017 et le 1er juillet 2018.
Contraventions et palpations
On connaissait la pratique des contraventions, fréquentes quand on se gare près d’un campement de migrants à Calais. Motif le plus courant : «Stationnement très gênant.» Les camionnettes ou les voitures personnelles peuvent avoir deux roues à cheval sur un trottoir, reconnaissent les associations, mais ce sont des coins plutôt isolées, terrains vagues ou zone industrielle. «Il est également arrivé que le même véhicule reçoive deux amendes pour stationnement très gênant à quatre minutes d’intervalle», pointe le rapport, en reproduisant les contraventions. En tout, l’Auberge des migrants a payé à l’Etat 2 719 euros pour 22 amendes, en huit mois. S’y ajoutent une surveillance constante lors des distributions de nourriture et les contrôles policiers, en augmentation : 205 depuis le 1er novembre, mais 66 rien qu’au mois de mai. Les associations ont sorti une statistique, marque pour elles d’une pratique discriminatoire : les palpations de sécurité ont concerné quatorze femmes et deux hommes. Pourtant, les femmes ne sont pas beaucoup plus contrôlées que les bénévoles masculins.
La pression sur les bénévoles peut aussi passer par des convocations au poste de police : c’est ce qu’ont vécu deux membres de l’Auberge des Migrants. Ils distribuaient des tentes et des sacs de couchage après une expulsion d’un campement, et ont dû comparaître pour une audition libre, pour «avoir été les instigateurs d’une installation sur une propriété privée», explique le rapport. Rien n’a été finalement retenu contre eux.
Aucune condamnation
Plus grave, les militants associatifs sont régulièrement molestés, affirment-ils, lorsqu’ils sont témoins d’une expulsion d’un campement de migrants. Le rapport recense 37 cas. Les CRS prennent souvent mal toute tentative de les filmer. Charlotte Head, bénévole anglaise à Help Refugees en témoigne : son téléphone lui a été arraché et jeté à terre. Elle va le récupérer, le CRS lui dit de «se casser». Elle poursuit : «Un autre policier, placé dans mon dos, m’a attrapée au niveau de la gorge avec son bras et m’a violemment jetée à terre.»
La préfecture du Pas-de-Calais parle d’«accusations qui ne sont pas nouvelles», et rappelle : «Force est de constater que les rares plaintes déposées ou les signalements auprès de l’IGPN n’ont conduit jusqu’à présent à aucune condamnation.»
À Calais et alentours, les candidats à l’exil vers l’Angleterre continuent à installer des campements de fortune en attendant de réussir à traverser la Manche. Éparpillés dans les dunes, ils survivent dans des conditions extrêmement précaires et doivent faire face à un niveau élevé de harcèlement policier. Destruction de téléphones, fonctionnaires qui urinent sur les tentes, matériel de camping jeté dans l’eau … les associations présentes sur le terrain rapportent des témoignages effarants. Reportage.
C’est une étape importante de « La Marche citoyenne et solidaire avec les migrants », partie le 30 avril de Vintimille en direction de Londres. Sous le soleil de juillet, elle relie Grande-Synthe à Calais par la route de Gravelines. Les marcheur(euse)s longent ainsi la lande qui de 2015 à 2016 a accueilli jusqu’à plus de 10 000 candidats à l’émigration pour l’Angleterre. Depuis lors, le bidonville a été évacué et nombre de ses habitant(e)s ont été emmenés vers des Centres d’accueil et d’orientation (CAO) répartis sur l’ensemble du territoire français. À première vue, dans la région de Calais, la situation semble désormais entièrement contrôlée par les pouvoirs publics. Le matin-même à l’Office du tourisme, une hôtesse d’accueil qui ne semble rien savoir du passage de la « Marche citoyenne » exprime son soulagement : « La crise des migrants c’est fini. Les médias vont enfin pouvoir parler d’autre chose. »
Des migrants de plus en plus vulnérables
Près des dunes situées à sept kilomètres à l’est de la ville, un campement rassemble une cinquantaine de Soudanais. La zone portuaire qui est déjà officiellement en territoire anglais est toujours surveillée et protégée de toute incursion par de hauts grillages. Dans Calais et dans ses alentours, on parle de quelques 700 personnes disséminées sur plusieurs sites. C’est un nombre et une situation assez semblables en apparence avec ce que la ville a connu depuis l’évacuation du centre de Sangatte en 2002. Les associatif(ve)s en témoignent par les appels reçus : chaque semaine, les migrants continuent de passer par petits effectifs. En langage bureaucratique, on dira qu’un « flux discret » empêche que le « stock » devienne un « point de fixation ».
En février dernier, toutefois, une rixe d’abord présentée dans la presse comme un affrontement entre migrants érythréens et afghans — en fait une agression des premiers par des passeurs — a fait cinq blessés par balle. L’un d’eux, touché à la nuque, est resté tétraplégique. Une violence d’une telle ampleur, en plein jour, témoigne d’une situation particulièrement chaotique, où les trafiquants se font plus menaçants par peur d’en perdre le contrôle. D’un côté, les migrants ont plus que jamais besoin de leurs « services ». De l’autre, la dispersion les rend encore plus vulnérables.
Des atteintes aux personnes d’une inédite gravité
Le décor répressif qui s’est pérennisé autour des embarcadères s’accompagne d’un niveau élevé de harcèlement policier. Constamment dénoncé par de nombreuses associations depuis plus d’un an, il est d’abord le fait d’une présence massive des Compagnies républicaines de sécurité — six ou sept compagnies selon Christian Salomé, le président de l’Auberge des migrants — soit un effectif comparable à celui des migrants eux mêmes ! En janvier, cette association s’est jointe au Secours catholique en portant plainte contre X pour « destruction et dégradation de biens ». À l’origine par ailleurs de la Marche solidaire, elle s’est déjà unie à Utopia 56 en juin 2017 dans une lettre envoyée au nouveau président de la république et au ministre de l’Intérieur.
Quelques jours plus tôt, le Défenseur des droits avait évoqué une « sorte de traque » et des atteintes aux personnes « d’une inédite gravité ». En juillet 2017, un rapport de l’ONG Human Rights Watch dénonçait lui aussi « un usage excessif et disproportionné » de la force. En octobre, devant tant de voix concordantes, un rapport de l’Inspection générale de l’administration (IGA), de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) diligenté par le ministre de l’Intérieur reconnaît a minima que « l’accumulation des témoignages écrits et oraux, bien que ne pouvant tenir lieu de preuves formelles, conduit à considérer comme plausibles des manquements à la doctrine d’emploi de la force et à la déontologie policière, principalement à Calais ».
Destruction de matériel et violences sur les corps
Des témoignages du même ordre sont encore portés à la connaissance d’un plus large public par le réalisateur Yann Moix, dans son documentaire Re-Calais, diffusé le 9 juin 2018 sur Arte. Professionnelle ou bénévole, chaque personne présente sur le terrain en a long à dire sur le sujet. G., par exemple, de l’association Utopia 56, fait état d’innombrables abus rapportés par les migrants : destruction de téléphones, fonctionnaires qui urinent sur les tentes, matériel de camping jeté dans l’eau, agents se photographiant avec les personnes qu’ils contrôlent comme les colons d’autrefois avec les « indigènes ». Les corps aussi portent des traces suspectes. « Du temps du bidonville, nous emmenions constamment des gens à l’hôpital, un peu moins maintenant, depuis que les médias se sont emparés du sujet. La semaine dernière pourtant, j’ai accompagné un jeune. Lorsque j’ai dit au médecin que la marque sur son dos pouvait être la conséquence d’un coup de matraque, il m’a répondu que ce n’était pas son problème. »
Si les associatif(ve)s apportent ou relaient de très nombreux témoignages, tous soulignent la difficulté — l’impossibilité souvent — de constituer des preuves. Les violences les plus caractérisées se déroulent en effet à l’abri des regards et des caméras. À leur égard, professionnel(le)s et bénévoles dénoncent des contrôles d’identité répétés, des interdictions de filmer, des verbalisations abusives. G. raconte ainsi qu’à la suite d’un contrôle, il a eu une amende pour absence de roue de secours dans son véhicule de service. Elle avait été changée une heure plus tôt suite à une crevaison. Des fonctionnaires recourent à l’intimidation : d’autres associatif(ve)s disent avoir été suivi(e)s jusqu’à leur domicile.
Si la brutalité débridée se cache, le harcèlement constant mené par les forces de police à l’encontre des migrants est visible au grand jour. En mars 2017, la maire Les Républicains Natacha Bouchart interdit les distributions de nourriture dans la zone de l’ancien bidonville, un arrêté aussitôt annulé par le tribunal de Lille. Deux mois plus tard cependant, les associations témoignent d’une distribution empêchée par les forces de l’ordre. En juin, réagissant à une saisie des associations réclamant la création d’un nouveau lieu d’accueil, le tribunal de Lille y oppose une fin de non recevoir. Il oblige néanmoins la ville et l’État à installer sous dix jours des points d’eau et des sanitaires.
Un harcèlement constant et largement documenté
Si l’hostilité affichée par la commune ne faiblit pas, Christian Salomé explique que la situation lui échappe désormais totalement. « Quelle que soit leur position sur le sujet qui peut être radicalement différente, comme à Grande-Synthe et Calais, les maires sont hors-circuit depuis l’arrivée de Macron à l’Élysée. Les préfets et sous-préfets prennent des décisions sans prévenir. » Dans un rapport d’avril 2018 — qui fait suite à un autre de décembre 2017 — L’Auberge des migrants fait état de deux types d’opérations menées très régulièrement par les CRS.
Pour les opérations de « confiscation », elles agissent en convoi de 5 à 12 camions, accompagnées d’une voiture de police du commissariat local. Un périmètre de sécurité est défini, duquel journalistes et associatifs sont tenus à l’écart. Puis les agents de nettoyage de la ville de Calais ramassent l’intégralité ou presque du matériel dévolu au couchage et à la nourriture des migrants. Dans certains cas, des agents de la sous-préfecture sont présents sur les lieux. Interrogés par les associatifs, qui s’efforcent d’être présents à toutes les évacuations, ils expliquent leur présence par la nécessité d’informer sur les possibilités de demande d’asile en France. Dans les faits, ils n’ont avec les occupants qu’une « communication limitée ».
Ce opérations durent entre une demi-heure et plusieurs heures. Elles ont lieu chaque jour ouvré dans les différents lieux de vie des migrants. La fréquence de passage dans un même campement est hebdomadaire. Dans un cas cependant, il ne s’est écoulé qu’un jour et demi entre la distribution de tentes et une nouvelle évacuation. En tout 142 évacuations ont été recensées entre octobre 2017 et avril 2018. L’autre type d’opération est la destruction pure et simple des biens des migrants. Ces actions-là ne durent que quelques minutes, généralement à l’aube ou à la nuit tombée, à l’abri des regards. Les effets personnels sont rendus inutilisables au moyen d’objets coupants, de matraques ou de gaz lacrymogènes. À l’arrivée des associations, il est déjà trop tard. Les responsables ont quitté les lieux.
Des opérations menées au grand jour et dans l’illégalité
Les conséquences immédiates sont évidentes : l’extrême précarisation de personnes se trouvant déjà en situation de grande fragilité et un coût supplémentaire occasionné par le renouvellement incessant du matériel de couchage et de nourriture. Mais l’association alerte aussi sur « l’absence de base légale apparente » pour la mise en œuvre de ces opérations. Dans son rapport, l’Auberge des migrants cite un seul cas où un document a été présenté comme justificatif : une réquisition du procureur de Boulogne-sur-Mer pour procéder à des contrôles d’identité dans différents quartiers de Calais, laquelle n’autorise en rien l’expulsion de terrain ou la confiscation d’effets personnels. Ces actions menées en-dehors de tout cadre juridique clairement établi et signifié correspond à ce que l’ONU définit comme des « évacuations forcées ».
Parmi la population locale, on perçoit parfois une sourde hostilité envers les personnes migrantes. Mais pour G., « les gens en ont surtout marre d’être abandonnés par des gouvernements successifs qui ne font rien. » Au soir du 6 juillet 2018, la « Marche citoyenne » s’approche de la cour du « Channel », la Scène nationale de Calais. Toute la journée, des militants ont préparé un grand repas solidaire pour accueillir les marcheurs. Aux fenêtres, quelques habitant(e)s sourient ou applaudissent. Les forces de l’ordre encadrent le cortège à distance, attentives aux photographes venus couvrir l’événement.
Peu avant d’arriver à destination, quatre militant(e)s vêtus de tee-shirts blancs, avec le mot « police » écrit au feutre indélébile, entament un happening. Ils/elles feignent d’appliquer une nouvelle règle fantaisiste inventée par l’État : « Tous ceux qui font plus d’1 mètre 70 ne passeront pas la frontière ». Les manifestant(e)s se prêtent au jeu, les rires fusent. En dénonçant par l’absurde l’arbitraire de la loi, la saynète dévoile en un instant l’inanité du système derrière son plus visible rouage. Par delà la question « Que fait la police ? » obstinément répétée, s’en pose une autre tout aussi essentielle : « Mais pourquoi agit-elle ainsi ? Au nom de qui et de quoi ? »
– Gisti –
Recueil de jurisprudence relative au droit des contrôles d’identité
Les contrôles d’identité tiennent une place très importante en droit des étrangers. Ils constituent le premier maillon de la chaîne devant conduire à l’éloignement forcé de celles et ceux qui sont en situation irrégulière en France. Pour les personnes qui défendent les personnes étrangères, la maîtrise de la réglementation sur les contrôles d’identité et des règles posées par la jurisprudence peut permettre d’obtenir la remise en liberté et préparer, le cas échéant, une demande de régularisation.
Ce recueil de jurisprudence propose ainsi de fournir, outre un bref rappel des textes, des extraits de décisions (Cour de cassation et cours d’appel essentiellement) relatives aux conditions de l’interpellation (du cadre de l’intervention de la police à ses garanties, sans oublier la faculté d’invoquer utilement cette réglementation devant le juge). Ce recueil s’intéresse également à l’articulation entre contrôle d’identité et vérification de la situation administrative.
a) Les contrôles d’identité judiciaires
1. Les contrôles opérés en lien avec la commission d’une infraction (commise, tentée ou au stade de la préparation)
2.Les contrôles d’identité menés dans le cadre de réquisitions prises par le procureur de la République (art. 78-2 et 78-2-2 du code de procédure pénale)
b) Les contrôles d’identité administratifs
III. Les contrôles d’identité dits frontaliers
a) Conditions communes
b) Les contrôles menés près de la frontière
c) Les contrôles opérés dans les zones publiques des gares, ports, aérogares et aéroports ouverts au trafic international
IV. La vérification de la situation administrative des étrangers
a) L’articulation entre contrôle d’identité et vérification de la situation administrative
b) Vérification directe de la situation administrative : présomption d’extranéité
V. Les contrôles et interpellations spécifiques
a) Dans les préfectures
b) Sur les lieux de travail
c) Autour des lieux d’habitations dédiés (foyers…) et à domicile
d) Aux alentours des associations et des églises
e) Les contrôles routiers
VI. La condamnation des contrôles discriminatoires
Partie II. La procédure de vérification d’identité
I. Les agents de contrôle
a) Les OPJ et les APJ
b) Les agents de police municipale et autres agents de sécurité
c) Les agents des douanes
II.Les garanties
III. L’articulation avec la procédure de retenue pour vérification du droit au séjour
Partie III. Le contrôle juridictionnel
I. Le juge administratif : entre incompétence et contrôle résiduel
a) Caractère inopérant du moyen tiré de l’illégalité du contrôle d’identité
b) Le contrôle résiduel sur les conditions de l’interpellation
II. Le contrôle du juge des libertés et de la détention
III. L’exception d’illégalité devant le juge pénal