A Calais, une jungle d’État pour les migrants // Libération, 02.04.2015

A Calais, une jungle d’État pour les migrants

Des réfugiés qui occupaient le site de l’ancienne usine Tioxide et des squats en ville ont été sommés de quitter les lieux et d’aller s’installer sur un terrain dans la lande, rebaptisé «new jungle».

 

«Le chef de Calais est venu, et il a dit : « Vous devez partir. Si vous êtes encore là fin mars, la police viendra, et prendra tout ».» Au milieu de l’ancien bidonville de l’usine Tioxide vidé de ses migrants soudanais, érythréens, éthiopiens, Afghans, Al-Noor, 22 ans, soudanais, tient entre les mains une bâche bleue roulée en boule. C’était la mosquée. Bois, plastique, ficelles, pieux : il est en train de tout démonter pour partir à quelques kilomètres de là, à l’écart de la ville, dans le camp que les autorités ont désigné comme «toléré».

Il y a eu sur le site de Tioxide jusqu’à 1 000 personnes l’été dernier. Et le nombre de candidats à l’exil en Angleterre, qui se glissent dans les camions, les ferries et les navettes de fret d’Eurotunnel, a grimpé jusqu’à 2 500. Un groupe d’extrême droite, Sauvons Calais, est né. Des migrants se sont fait tirer dessus. Juste en face de la mosquée démontée, l’église est déjà partie. L’«école», où on prenait quelques cours d’anglais et de français, est vide. Pareil pour le petit restaurant, la guérite du coiffeur, l’épicerie. Tout le monde a déguerpi sur la lande sud de Calais, sur ordre du sous-préfet.

Palette. En quelques jours, 1 000 des 1 300 migrants se sont installés là. Rue des Garennes, un homme passe, une palette sur le dos. Un kilomètre encore jusqu’au nouveau camp que les réfugiés ont surnommé la «new jungle». Deux Afghans poussent un caddie rempli de gâteaux, pour la future épicerie. Une ville-champignon est en train de pousser au bout de la rue, et le long du chemin des dunes. La «new jungle» est un rectangle de 500 mètres sur un kilomètre. C’est un bidonville officiel, un «Sangatte» toléré, à l’abri des regards des Calaisiens. Une «jungle» d’Etat, en quelque sorte.

Le sous-préfet, Denis Gaudin, a fait le tour des principaux squats de Calais et a expliqué aux migrants qu’il était «dans leur intérêt» d’aller là, pour éviter «tout recours à la force», c’est-à-dire gardes mobiles et bulldozers.

En ville, quelques irréductibles, surtout des Syriens, refusent de quitter le porche d’une église, un auvent d’un hangar sur le port, et un squat. Sur le sable de la «new jungle», voici Hirut (1), une Ethiopienne. Elle tend un morceau de ficelle à un jeune homme debout sur une chaise. Il attache les rondins qui vont former le toit de son «restaurant». Pour 3,5 euros, elle servira l’injera, une galette acide, à tremper dans la sauce.

Devant leurs tentes, Mustafa, Abil et Fasil, Ethiopiens. Ils ont entre 17 et 20 ans. Il y a quinze jours, ils ont quitté les prisons libyennes pour traverser la Méditerranée. «170 morts», dit Abil sans cesser de sourire. Il lève les yeux vers les camions qui passent sur l’autoroute au-dessus de leurs cabanes. «Ici, pour passer en Angleterre, on est bien placé.» A chaque embouteillage, les exilés tentent de monter dans les poids lourds. Au bout du chemin goudronné de frais par la ville de Calais, un groupe d’Erythréens et d’Ethiopiens remonte l’église. Certaines cabanes sont arrimées au sol sableux par des pierres. D’autres, emballées à la ficelle, ont un air de yourtes. Les associations ont donné du plastique agricole noir, des bâches bleues. Médecins du Monde a distribué 400 duvets, 120 tentes, construit cinq latrines.

Chemin des dunes, la ville de Calais fabrique une butte de terre, pour cacher les maisons voisines. Les riverains sont furieux, le camp est arrivé sans prévenir. En haut de la butte, un morceau de tissu jaune marque un repère. De l’autre côté, des ados égyptiens, avec Josette, aide-soignante, et son mari, infirmier, tous deux retraités. «Ils étaient dans le squat de la rue Blériot, sans eau, sans électricité, sans toilettes. C’était nos voisins depuis dix-huit mois, raconte la Calaisienne. Ça fait quelque chose de les voir partir. Ils nous appellent maman et papa. Le plus jeune avait 8 ans, tout seul.» La première fois, ils ont toqué à sa porte pour de l’eau, puis encore «dès qu’il y avait un petit bobo». Ils montent des tentes, plantent des pieux, ratissent. «On viendra les voir», promet Josette.

«Bidonville». Le vent d’ouest ramène l’odeur chimique de l’usine Tioxide, la même odeur que sur l’ancien squat. Christian Salomé, de l’association L’Auberge des migrants, s’inquiète : «On les entasse tous dans un bidonville. Des communautés différentes, qui n’ont pas la même façon de vivre, pas les mêmes problèmes. C’est très maladroit.» A côté de ce gigantesque campement, le «Centre Jules Ferry», un ancien centre aéré entre dunes et campagne, où une association, Vie active, gère, pour le compte de l’Etat, la distribution de nourriture, sous tente, une fois par jour, et l’hébergement de femmes et d’enfants. Les hommes ont droit à un accueil de jour, où ils peuvent recharger leur portable, boire un café et se reposer au chaud.

Mercredi, ils étaient 600 à la distribution du repas de 17 heures. Là, des toilettes, accessibles l’après-midi seulement, et trois robinets d’eau potable. «Trois robinets d’eau pour 1 000 personnes», soupire Christian Salomé. Le 11 avril, il y aura une soixantaine de douches. Pour l’instant, c’est compliqué, il faut avoir la chance de tomber sur le camion de Médecins du monde, qui n’a que 25 douches par jour à offrir. Nawab, afghan de 16 ans, montre ses cheveux sales : «Regarde, je n’ai pas pris de douche depuis quinze jours.» Un Erythréen s’approche : «J’ai le corps qui gratte, partout, je dois faire quoi ?» La gale. Voilà Isahak, 25 ans, ancien étudiant en psychologie à Addis-Abeba, en Ethiopie. «J’ai vécu la prison politique en Ethiopie, puis le désert libyen, la prison en Libye, la traversée de la Méditerranée, mais je ne peux pas m’empêcher d’avoir pitié de la France. Je n’imaginais pas cela.»

Haydée Sabéran

(1) Le prénom a été modifié.

Accueil ou écueils ?

TRIBUNE LIBRE

Extrait du Journal des Jungles numéro 2 (mars/avril/mai 2014)

Calais, jeudi 05 septembre 2013. Un vieux hangar situé rue Mouron, surnommé la « Beer House », est évacué par les forces de police. Entre 100 et 150 exilés, majoritairement soudanais, tchadiens et syriens et avaient trouvé refuge dans ce lieu. Au cours de cette expulsion, 3 responsables de la Direction Départementale de la Cohésion Sociale (DDCS), dont une seule personne arabophone, étaient présentes avec pour mission de proposer des solutions d’hébergement.

Ces propositions se font de manière sommaire : une interpellation orale et générale dans une seule langue destinée à des personnes de langues différentes subissant dans le même temps une expulsion ; pas d’entretien individualisé donnant un minimum d’informations sur cette proposition (où ? quand ? combien de temps ? quid du suivi de la procédure d’asile en cours ?).

Et pour quelles conditions d’hébergement ? Quelques jours après cette expulsion, plusieurs exilés ayant bénéficié d’une de ces propositions témoignent :

# S.I., demandeur d’asile de nationalité soudanaise :

-Comment as-tu été accueilli au foyer ?

Quand nous sommes arrivés, nous avons été reçus par un éducateur. Il n’y avait pas d’interprète. L’éducateur a demandé à un africain qui se trouvait là de nous montrer notre chambre. 8 lits dans une chambre.

Sur place, il y avait une bagarre entre deux personnes. Moi, je suis de nature à ne pas chercher les conflits ni de près ni de loin et au fond de moi, je me suis dit je ne reste pas. J’ai eu peur. Je n’ai pas eu d’explications sur le règlement, pas de repère, avec une grosse inquiétude…

Je suis à Calais depuis le 3 décembre 2012. J’ai trouvé mes repères grâce aux associations. Il faut toujours recommencer, je sais que c’est normal, mais s’il y avait un accueil personnalisé avec un interprète pour expliquer où je suis, quel suivi j’aurai, m’informer sur mon dossier, qui va m’aider à faire le changement d’adresse…me rassurer tout simplement.

Personnellement, je suis suivi par l’hôpital, j’ai des problèmes de santé à cause de ce que j’ai subi dans mon pays d’origine. Je ne supporte pas du tout le bruit. Je ne demande pas une chambre pour moi tout seul, mais que mon problème de santé soit pris en considération. Pour moi l’accueil commence par l’écoute bien sûr avec quelqu’un qui puisse traduire.

À Calais, nous restons trop longtemps sans papier, sans proposition de logement. C’est la 1ère fois qu’on me propose un logement depuis huit mois.

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# D.A.J., demandeur d’asile de nationalité soudanaise :

J’ai été conduit dans le même lieu qu’I.S. Moi non plus, je n’ai pas eu d’explication sur le logement, il n’y avait pas d’interprète. C’est un érythréen qui vivait là, mais qui ne parlait pas bien arabe, qui nous a accompagné. Il ne pouvait pas expliquer le règlement tellement qu’il ne parlait que très peu arabe.

Même avant de partir vers l’hébergement, je n’ai pas eu d’explication sur l’endroit où j’allais, sur la durée et si j’allais rester momentanément, en attendant d’être orienter vers d’autre lieu. Je me suis senti comme un prisonnier. On ne m’a pas dit au départ que c’est un foyer d’urgence !!!

Je ne peux pas rester dans un endroit où je ne me sens pas bien dans ma tête, j’aimerais vraiment un endroit où je peux être accueilli dignement, être écouté comme un être humain et être reçu individuellement et non pas à deux personnes à la fois.

Et maintenant, en quittant le foyer, je suis condamné à ne plus avoir de proposition d’hébergement ! Cela fait 5 mois que je suis à Calais et c’est la 1ère fois que j’ai une proposition.

# Y.H. demandeur d’asile, nationalité inconnue :

Je suis arrivé vers 13h, on m’a proposé de manger. J’ai dit merci, je n’avais pas envie de manger et portant j’avais faim…

Mais j’avais besoin de quelqu’un pour parler, être rassuré, savoir ou j’étais. Ils m’ont dit « un interprète va arriver ». Je suis resté attendre sur une chaise jusqu’ 17h, c’est long !!! J’avais commencé à songer à quitter les lieux.

L’interprète m’a expliqué que je devais quitter le foyer à 7h du matin et être de retour vers 18h. Je ne connaissais personne, je me demandais où j’allais passer la journée de 7h à 18h? En plus, pas d’école, pas de repère…

Je n’ai pas attendu qu’on me montre ma chambre, je leur ai dit que je ne pouvais pas rester.

Je souhaite vivement un hébergement qui corresponde à un demandeur d’asile, me sentir accueilli et libre, sans le sentiment d’être en prison. Je suis à Calais depuis avril 2013. C’est la 1ère proposition que j’ai eue.

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# G.J., demandeur d’asile de nationalité soudanaise :

J’ai été reçu individuellement mais sans interprète, je n’ai rien compris !!

Ils m’ont montré la chambre, plusieurs lits, mon cœur était serré car ça rassemblait un peu à la prison. Je n’ai eu aucune proposition sur la possibilité d’avoir un interprète par la suite !!

Je considère que ce n’est pas un logement pour un demandeur d’asile, pas d’accueil. J’avais la nette impression que j’étais imposé et que le foyer n’était pas très content de me voir !!!

Je suis resté 40 minutes est c’était déjà trop pour moi !!

C’est la 1ère proposition pour un logement, cela fait 3 mois que je suis à Calais.

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# Mariam Guerey, animatrice au Secours Catholique de Calais :

Le vendredi 6 septembre vers 12h, j’ai reçu un coup de téléphone d’un foyer où trois demandeurs d’asile étaient arrivés la veille. L’éducatrice souhaitait savoir où nous en étions par rapport à leurs dossiers pour assurer le suivi. Un demandeur d’asile parmi les trois devait être hospitalisé ce dimanche soir, elle m’a dit que le foyer lui prendra le billet de transport…J’ai eu les trois migrants l’un après l’autre au téléphone, ils m’ont confirmé leur volonté de rester et qu’ils y sont bien.

Chaque situation est différente. Si nous souhaitons que les migrants restent dans les hébergements d’urgence, il faut qu’ils soient bien accueillis, qu’ils sentent qu’il y a une réelle prise en charge et une écoute…

À la prochaine fermeture de squats, il serait intéressant que les migrants sachent vraiment où ils vont être orientés.

Dessin réalisé par Marie Ternoy

Dessin réalisé par Marie Ternoy.

Passeurs d’hospitalités, un regard neuf sur Calais

.Passeurs d’hospitalités, un regard neuf sur Calais (18.03.2014)

Prenant le relais de Vibrations Migratoires (http://vibrations0migratoires.wordpress.com/) et Voix des Frontières (http://voicesfromtheborders.wordpress.com/), qui ont cessé d’émettre, un nouveau blog prend le relais pour ce concerne la situation des exilés à Calais, Passeurs d’hospitalités : http://passeursdhospitalites.wordpress.com/

Un regard intelligent sur la situation des personnes exilées présentes à Calais, qui plus est documenté et très souvent actualisé : la visite (régulière) du site n’est à pas manquer !

SOAS à Calais, musique sans frontière

SOAS à Calais, musique sans frontière (12.02.2014)

par Martine Devries

Ils sont arrivés d’Angleterre en début d’après-midi  au « camp des syriens » à Calais, sous une pluie battante, et par un vent terrible, leur bateau retardé par la tempête : 9 musiciens à pied, mouillés, mais « battants » ! Le SOAS Ceilidh band ! Ils ont joué toute la journée : sur le camp, sur le lieu de distribution des repas, au Channel lors d’une mini-conférence d’ethnomusicologie avec pour thème: « Calais, point de rencontre des musiques du monde ».  

Le soir, ils ont fait un concert dans la salle du Minck voisine, et enfin, tard, une session dans un bistrot accueillant de la rue de Thermes « absolument fabuleux ». Et ils n’ont pas joué seuls !  Ils ont amené des tambours, et les musiciens et les chanteurs amateurs de différents pays n’ont pas manqué, tout au long de la journée. Il y a eu de la musique syrienne, égyptienne, irlandaise, écossaise,  une chanteuse kurde à faire pleurer d’émotion, des percussions, la samba « Rythms of resistance » et bien d’autres, à travers toutes les frontières, pour un moment au moins.  L’atmosphère était joyeuse, chaleureuse et détendue. A la fin de la soirée, les chaises ont été poussées, et personne n’a pu  résister à l’envie de danser.

Un beau moment vécu ensemble.

Crédits : Julien Saison.

Crédits : Julien Saison.

Yemane G.N.

Texte de Mariam Guerey, Animatrice au Secours Catholique de Calais,

lors du décès de Yemane G. N. :

Il s’appelait Yemane G. N.

Il avait à peine 23 ans.

Yemane a fui son pays, par peur de faire le service militaire forcé.
Yemane avait des problèmes de cœur.
Sur la route du voyage, il a été opéré de son cœur au Soudan.
Une malformation au cœur, avec un espoir que là-bas, il serait sauvé.
Yemane a continué la route vers le pays dont il rêvait : « l’Angleterre ».
Yemane pensait que là-bas, il serait soigné.
Yemane n’aura jamais su, que en France il aurait pu être soigné, mieux même qu’au pays du rêve.
Faute de moyens, de rencontres, d’information et de vrai accueil !!!
Faute de lieu, de papiers d’identité, le suivi médical a été sa mort.
Toujours la peur de la police, les contrôles, obligé de cacher l’identité.
La faute à personne… la faute de ne pas naître européen… c’est plus facile!!!

Yemane est parti sans pouvoir atteindre le rêve du départ.
C’est pour quand le vrai accueil???

Je suis contente, que Yemane soit enfin enterré dans son pays de naissance puisqu’il n’est pas mort dans le pays de son rêve.

A Calais, les rescapés de Lampedusa

À CALAIS, LES RESCAPÉS DE LAMPEDUSA

Par La Marmite aux idées, publié sur http://vibrations0migratoires.wordpress.com/, 11 octobre 2013

Ce ne sont pas encore les rescapés du dernier naufrage sur les côtes de Lampedusa qui arrivent à Calais, mais nous verrons probablement certains d’entre eux dans les prochaines semaines. Mais l’augmentation des arrivées à Lampedusa se traduit ici avec quelques semaines de décalages. Le nombre d’Érythréens et d’Éthiopiens augmente dans tous les camps de la région, et ce sont bien les rescapés de traversées trop souvent meurtrières de la Méditerranée, après être passés par les camps libyens qui arrivent ici.

Comme les réfugiés syriens, on ne peut qu’être frappé par le contraste entre le discours compassionnel des responsables politiques et la réalité de l’accueil en Europe.

À Calais, la plupart des Érythréen-ne-s et des Éthiopien-ne-s habitent un squat insalubre qui peut être expulsé d’un jour à l’autre – un arrêté d’insalubrité ayant été affiché. Une partie des femmes et des enfants est hébergée dans un squat ouvert par le mouvement No Border, qui joue depuis plusieurs années le rôle de service social, l’État n’assumant pas ses obligations. Là aussi la mairie pousse à l’expulsion.

Ceux est celles qui remontent directement d’Italie après leur traversée sont souvent sans argent. Ils et elles tentent donc de passer par les moyens les plus risqués.

Un exilé érythréen est mort il y a deux nuits en essayant d’entrer à la nage dans le port. Un petit encadré dans la presse locale, et il rejoint la centaine de personnes mortes à cette frontière depuis la fermeture du centre de Sangatte.

Crédits : Rahaf Demashki.

Crédits : Rahaf Demashki.

Squat 51, boulevard Victor Hugo

SQUAT 51 BOULEVARD VICTOR HUGO

Par Martine Devries

30 septembre 2013.

C’est la première fois que j’y viens. Par chance, j’arrive en même temps que Valentin et Tom. Devant la maison, des tas de sacs poubelles, en pyramide. Quelques personnes, très visibles puisque noires trainent devant. J’entre. Il y a un brouhaha, et une foule dans cette pièce qui est de la taille habituelle d’une pièce familiale et qui contient à ce moment au moins 40 personnes. Je me demande s’il s’agit d’une AG, tout le monde fait cercle serré autour de ? finalement il s’agit de deux femmes qui font la cuisine. Le bruit des voix est simplement lié au nombre, personne ne se dispute. Et, oui, il y a des femmes. C’est pour ça que je viens : les jeunes bénévoles qui « tiennent le squatt » s’inquiètent de la venue soudaine d’une dizaine de femmes, et de plus, c’est plus difficile à gérer. En principe ce squatt était réservé aux femmes et aux personnes vulnérables. De fait, c’est très difficile d’interdire aux hommes de venir y dormir, il n’y a aucun autre abri possible en ville depuis l’expulsion du squatt rue Mouron en début de mois.

Je regarde, je souris, j’attends un peu avant de me manifester. Ce n’est pas la peine, quelqu’un m’a repéré, et une femme m’aborde, en anglais : c’est S., elle a un rendez-vous d’échographie demain. Je viendrai la chercher et j’irai avec elle, c’est d’accord. Un homme ensuite d’une trentaine d’années, dit qu’une autre femme veut me parler : ce n’est pas possible ici, on me propose la cave, ou dehors. Je choisis dehors, il fait beau. Atze est enceinte de 7 mois, elle n’a pas encore vu de médecin, elle est en France depuis quelques jours, c’est ce que je crois comprendre. Je téléphone pour prendre un rendez-vous à la maternité, c’est très compliqué, et finalement la sage-femme de garde me propose de l’amener tout de suite, c’est parfait. « Elle vient avec sa carte de sécu et ses papiers d’identité » « mais elle n’en a pas », un blanc au bout du fil, j’explique rapidement que la consultation sera prise en charge par la PASS (Permanence d’Accès aux Soins de Santé). La sage-femme ne connaît pas la PASS, mais elle se rassure en pensant que la secrétaire est encore là, qui connaît ces choses. Avant de partir, une troisième femme m’aborde, elle est enceinte de 4 mois, et veut voir un médecin. Je remets à demain, deux consultations non urgentes pour la sage-femme des urgences me semblent trop.

Atze monte en voiture, elle est accompagnée de cet homme qui m’a abordé. J’ai eu le temps de lui demander « He is your man ? » Non, et après une hésitation, « He is my brother ». D’accord.

Nous atteignons les urgences de la maternité, c’est au bout du monde ! Enfin, loin dans l’hôpital. La sage-femme est charmante, elle est très contente que je puisse parler en anglais, je lui demande son nom, les présente l’une à l’autre en disant : elle comprend l’anglais.

Examen gynécologique, avec mes explications, ça se passe bien, et chance, Atze n’est pas excisée. Prise de sang, monitoring. Un sourire passe sur son visage quand elle entend le cœur du bébé. Pour l’échographie, il faut attendre un peu, le médecin est occupée. J’explique tout ça et je sors prendre l’air, il fait une chaleur à l’intérieur ! Je passe devant le brother, lui explique que tout va bien et qu’on attend le médecin. Je reviens une heure après, ils sont tous les deux dans la salle d’attente, l’écho est faite, mais ils ne connaissent pas le résultat. Je rejoins le médecin et la sage-femme dans le bureau : tout va bien, hormis une anémie, la grossesse est bien de 7 mois, elle a débuté le 9 Mars. Le médecin explique qu’il n’a pas fait l’étude morphologique, ça prend trop de temps, et on est aux urgences. Je sors, et m’apprête à partir avec eux, quand Atze me demande : Boy or girl ? Je ne sais pas… Je retourne voir le médecin et lui pose la question. « Je n’ai pas regardé » dit-elle.

Sur la route du retour, j’essaie de savoir s’il y a d’autre femmes enceintes dans la maison, apparemment pas. J’explique que pour les autres, si elles veulent prendre la pilule, je peux leur expliquer… Je crois qu’ils ont compris, on en reparlera demain.

Et pour les hommes, on peut consulter, faire une prise de sang ?

Parlons des squats

PARLONS DES SQUATS

Par La Marmite aux idées, publié sur http://vibrations0migratoires.wordpress.com/, 27 septembre 2013

Il est beaucoup question de squats ces derniers temps. Dans la bouche de la maire de Calais, ils sont dix en juin, vingt en juillet, trente en septembre. Faire apparaître un phénomène comme nouveau permet de faire apparaître comme nouvelles les réponses déjà appliquées sans efficacité. Ainsi des squats et des expulsions.

Avec la fermeture du centre de Sangatte, les exilés étaient toujours à Calais, mais se trouvaient sans lieux pour eux. Ils sont donc trouvé des lieux divers pour s’abriter, parfois invraisemblables comme des tuyaux destinées à des canalisations près d’un chantier, ou d’anciennes portes d’écluses mise à quai. Plus couramment des tentes ou des cabanes dans les taillis, ou des bâtiments vides, ce qu’on appelle communément des squats. Il y a donc des squats depuis que les exilés n’ont plus de lieu pour les accueillir, et il y en aura encore tant qu’il n’y aura pas de nouveaux lieux d’accueil.

Ces squats sont plus ou moins nombreux, selon le nombre d’exilés et leur plus ou moins grande dispersion. Les périodes de forte pression et d’expulsions en série comme en ce moment conduisent les gens à se disperser en groupes plus petits.

Mais s’il y a des squats, c’est qu’il y a des bâtiments vides, et ceux-ci se multiplient à Calais : maisons, commerces, entrepôts, bâtiments industriels, laissés à l’abandon parfois depuis des années, ils sont le signe de la crise qui atteint Calais et qui s’aggrave.

Est-il si grave que des sans-abris s’abritent dans des bâtiments vides ? Ce qui est grave, c’est la crise économique et sociale dont la multiplication des bâtiments vides est le signe. Ce qui est grave, c’est qu’il y ait des gens sans abris. Ce qui est grave, c’est qu’une part croissante de la population calaisienne vit dans une économie de survie, avec des activités comme la récupération de métaux dans les bâtiments vides.

Plutôt que lancer une énième chasse aux migrants, nos politiques pourraient consacrer la même énergie et les mêmes moyens à trouver des réponses à la crise qui touche le territoire et ses habitants. Tout le monde s’en porterait mieux, migrants de passage et habitants du Calaisis.

Calligraphie, squat "Beer House" Crédits : Leam

Calligraphie, squat « Beer House »
Crédits : Leam