Accueil ou écueils ?

TRIBUNE LIBRE

Extrait du Journal des Jungles numéro 2 (mars/avril/mai 2014)

Calais, jeudi 05 septembre 2013. Un vieux hangar situé rue Mouron, surnommé la « Beer House », est évacué par les forces de police. Entre 100 et 150 exilés, majoritairement soudanais, tchadiens et syriens et avaient trouvé refuge dans ce lieu. Au cours de cette expulsion, 3 responsables de la Direction Départementale de la Cohésion Sociale (DDCS), dont une seule personne arabophone, étaient présentes avec pour mission de proposer des solutions d’hébergement.

Ces propositions se font de manière sommaire : une interpellation orale et générale dans une seule langue destinée à des personnes de langues différentes subissant dans le même temps une expulsion ; pas d’entretien individualisé donnant un minimum d’informations sur cette proposition (où ? quand ? combien de temps ? quid du suivi de la procédure d’asile en cours ?).

Et pour quelles conditions d’hébergement ? Quelques jours après cette expulsion, plusieurs exilés ayant bénéficié d’une de ces propositions témoignent :

# S.I., demandeur d’asile de nationalité soudanaise :

-Comment as-tu été accueilli au foyer ?

Quand nous sommes arrivés, nous avons été reçus par un éducateur. Il n’y avait pas d’interprète. L’éducateur a demandé à un africain qui se trouvait là de nous montrer notre chambre. 8 lits dans une chambre.

Sur place, il y avait une bagarre entre deux personnes. Moi, je suis de nature à ne pas chercher les conflits ni de près ni de loin et au fond de moi, je me suis dit je ne reste pas. J’ai eu peur. Je n’ai pas eu d’explications sur le règlement, pas de repère, avec une grosse inquiétude…

Je suis à Calais depuis le 3 décembre 2012. J’ai trouvé mes repères grâce aux associations. Il faut toujours recommencer, je sais que c’est normal, mais s’il y avait un accueil personnalisé avec un interprète pour expliquer où je suis, quel suivi j’aurai, m’informer sur mon dossier, qui va m’aider à faire le changement d’adresse…me rassurer tout simplement.

Personnellement, je suis suivi par l’hôpital, j’ai des problèmes de santé à cause de ce que j’ai subi dans mon pays d’origine. Je ne supporte pas du tout le bruit. Je ne demande pas une chambre pour moi tout seul, mais que mon problème de santé soit pris en considération. Pour moi l’accueil commence par l’écoute bien sûr avec quelqu’un qui puisse traduire.

À Calais, nous restons trop longtemps sans papier, sans proposition de logement. C’est la 1ère fois qu’on me propose un logement depuis huit mois.

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# D.A.J., demandeur d’asile de nationalité soudanaise :

J’ai été conduit dans le même lieu qu’I.S. Moi non plus, je n’ai pas eu d’explication sur le logement, il n’y avait pas d’interprète. C’est un érythréen qui vivait là, mais qui ne parlait pas bien arabe, qui nous a accompagné. Il ne pouvait pas expliquer le règlement tellement qu’il ne parlait que très peu arabe.

Même avant de partir vers l’hébergement, je n’ai pas eu d’explication sur l’endroit où j’allais, sur la durée et si j’allais rester momentanément, en attendant d’être orienter vers d’autre lieu. Je me suis senti comme un prisonnier. On ne m’a pas dit au départ que c’est un foyer d’urgence !!!

Je ne peux pas rester dans un endroit où je ne me sens pas bien dans ma tête, j’aimerais vraiment un endroit où je peux être accueilli dignement, être écouté comme un être humain et être reçu individuellement et non pas à deux personnes à la fois.

Et maintenant, en quittant le foyer, je suis condamné à ne plus avoir de proposition d’hébergement ! Cela fait 5 mois que je suis à Calais et c’est la 1ère fois que j’ai une proposition.

# Y.H. demandeur d’asile, nationalité inconnue :

Je suis arrivé vers 13h, on m’a proposé de manger. J’ai dit merci, je n’avais pas envie de manger et portant j’avais faim…

Mais j’avais besoin de quelqu’un pour parler, être rassuré, savoir ou j’étais. Ils m’ont dit « un interprète va arriver ». Je suis resté attendre sur une chaise jusqu’ 17h, c’est long !!! J’avais commencé à songer à quitter les lieux.

L’interprète m’a expliqué que je devais quitter le foyer à 7h du matin et être de retour vers 18h. Je ne connaissais personne, je me demandais où j’allais passer la journée de 7h à 18h? En plus, pas d’école, pas de repère…

Je n’ai pas attendu qu’on me montre ma chambre, je leur ai dit que je ne pouvais pas rester.

Je souhaite vivement un hébergement qui corresponde à un demandeur d’asile, me sentir accueilli et libre, sans le sentiment d’être en prison. Je suis à Calais depuis avril 2013. C’est la 1ère proposition que j’ai eue.

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# G.J., demandeur d’asile de nationalité soudanaise :

J’ai été reçu individuellement mais sans interprète, je n’ai rien compris !!

Ils m’ont montré la chambre, plusieurs lits, mon cœur était serré car ça rassemblait un peu à la prison. Je n’ai eu aucune proposition sur la possibilité d’avoir un interprète par la suite !!

Je considère que ce n’est pas un logement pour un demandeur d’asile, pas d’accueil. J’avais la nette impression que j’étais imposé et que le foyer n’était pas très content de me voir !!!

Je suis resté 40 minutes est c’était déjà trop pour moi !!

C’est la 1ère proposition pour un logement, cela fait 3 mois que je suis à Calais.

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# Mariam Guerey, animatrice au Secours Catholique de Calais :

Le vendredi 6 septembre vers 12h, j’ai reçu un coup de téléphone d’un foyer où trois demandeurs d’asile étaient arrivés la veille. L’éducatrice souhaitait savoir où nous en étions par rapport à leurs dossiers pour assurer le suivi. Un demandeur d’asile parmi les trois devait être hospitalisé ce dimanche soir, elle m’a dit que le foyer lui prendra le billet de transport…J’ai eu les trois migrants l’un après l’autre au téléphone, ils m’ont confirmé leur volonté de rester et qu’ils y sont bien.

Chaque situation est différente. Si nous souhaitons que les migrants restent dans les hébergements d’urgence, il faut qu’ils soient bien accueillis, qu’ils sentent qu’il y a une réelle prise en charge et une écoute…

À la prochaine fermeture de squats, il serait intéressant que les migrants sachent vraiment où ils vont être orientés.

Dessin réalisé par Marie Ternoy

Dessin réalisé par Marie Ternoy.