La voix du nord // Pourquoi y a t-il autant de migrants venus d’Ethiopie et d’Erythrée?

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Pourquoi y a-t-il autant de migrants venus d’Éthiopie et d’Érythrée ?

– Pourquoi de nombreux Éthiopiens quittent-ils leur pays ?

« En Éthiopie, 80 % de la population vit de la terre. La croissance démographique est de 2,6 % par an, tandis que la surface de la terre à cultiver reste stable. La superficie moyenne de l’exploitation est de 0,75 hectare. La parcelle est transmise à un ou deux enfants, les trois ou quatre autres restent sur le carreau. Venant de la campagne, sans qualification, ces jeunes n’ont aucune chance de trouver du travail en ville. Ils n’ont d’autre perspective que d’émigrer. »

– Y a-t-il des perspectives d’amélioration ?

« À très long terme. Sans être une démocratie (c’est même un État autoritaire), l’Éthiopie est un des rares pays d’Afrique réellement structuré. C’est un État solide, qui a une stratégie de développement. Il y a des investisseurs internationaux, une véritable croissance, mais le problème, c’est que le cœur de la pauvreté n’a pas encore été atteint. Un ouvrier éthiopien gagne 40 € par mois. 20 % de la population a besoin de l’aide alimentaire d’urgence. »

– La situation de l’Érythrée est-elle comparable ?

« Non. D’abord en raison de sa taille, l’Érythrée, c’est six millions d’habitants. L’Éthiopie, c’est cent millions. L’indépendance de l’Érythrée est récente, elle remonte à 1991. Jusqu’en 1998, le pays a connu une forte croissance, favorisée par un niveau d’éducation supérieur et une main-d’œuvre qualifiée, héritage de la colonisation italienne. Le pays se rêvait alors comme le Singapour de l’Afrique. Mais une nouvelle guerre est intervenue en 1998 avec l’Éthiopie, au terme de laquelle un accord sur la frontière entre les deux pays a été signé, que l’Éthiopie n’a jamais accepté. Depuis, les deux pays se livrent une sorte de guerre souterraine, chacun accusant l’autre de soutenir son opposition… L’Érythrée était déjà une dictature, et le pouvoir a profité de ce conflit pour la durcir encore. Autant en Éthiopie, il reste quelques espaces individuels de liberté, autant en Érythrée, c’est la dictature, dans toute son horreur. »

– De nombreux Érythréens arrivant chez nous sont très jeunes. Pourquoi ?

« Les Érythréens, à l’âge de 18 ans, sont tenus d’entrer au service de l’État. C’est un service militaire, pour une durée infinie, et en même temps un service civil. Les gens entrent dans la fonction publique, travaillent sur des chantiers d’État, ou pour l’armée elle-même, pour des salaires dérisoires, le tout dans un contexte de corruption massive. Des Érythréens quittent leur pays avant, ou peu de temps après, pour se sortir de cet enfer. Pour l’Érythrée, l’émigration est donc dictée au moins autant par la situation politique que par la situation économique. »

– L’État combat-il cette émigration ?

« Non. Il existe des réseaux de passeurs, qui impliquent probablement une partie du régime. L’émigration est une source d’enrichissement pour des personnes très haut placées. Et de plus, les Érythréens exilés sont tenus de verser 2 % de leurs revenus au régime. Pour ce dernier, c’est une rentrée d’argent très importante. »

– L’Europe est-elle la première destination d’émigration des Éthiopiens et des Érythréens ?

« Non, la majorité d’entre eux se dirigent vers la péninsule arabique, les pays du Golfe, ainsi que le Liban. Les gens traversent la Mer Rouge par le détroit de Bab-al-Mandeb, qui est d’ailleurs au moins aussi meurtrier que la Méditerranée. Puis ils traversent le Yémen à pied où là, ils sont bien souvent victimes de la guerre civile qui s’y déroule. Sinon, il n’y aucun lien particulier entre ces pays et la Grande-Bretagne. S’ils veulent s’y rendre, c’est parce qu’ils espèrent y trouver plus facimement du travail ».