Libé et le Monde sur un nouveau traité de contrôle de l’immigration à la frontière franco-britannique

Le Royaume-Uni et la France signent un traité sur le contrôle de l’immigration à leur frontière

Londres va augmenter de 50 millions d’euros sa contribution à la sécurité de la frontière à Calais. Les deux chefs d’Etat ont également annoncé avoir passé un accord de coopération militaire.

LE MONDE

Emmanuel Macron et Theresa May ont signé, jeudi 18 janvier, un nouveau traité sur le contrôle de l’immigration entre la France et le Royaume-Uni, lors du 35e sommet franco-britannique à l’Académie militaire royale de Sandhurst, près de Londres.Ce nouveau traité vise à « renforcer la gestion conjointe de notre frontière commune avec un traitement amélioré des mineurs non accompagnés demandeurs d’asile », selon un communiqué publié à l’issue de la rencontre du président français avec la première ministre britannique. Il prévoit une contribution complémentaire de Londres de 50 millions d’euros au contrôle de la frontière à Calais, où échouent de nombreux clandestins, dans l’espoir de franchir la Manche.

« Cet argent doit être investi dans l’amélioration de la sécurité à la frontière », avait déclaré dans la matinée un porte-parole de l’exécutif britannique :

« Tout comme nous investissons pour nos frontières dans le reste du Royaume-Uni, il est normal de surveiller en permanence si nous pouvons renforcer les contrôles en France et en Belgique, pour s’assurer qu’ils sont aussi sécurisés que possible. »

Ce nouveau traité, nommé « traité de Sandhurst », comporte notamment un point important sur la gestion des mineurs non accompagnés, a expliqué le président français, qui s’exprimait lors d’une allocution conjointe avec Theresa May jeudi soir. Le chef de l’Etat a notamment annoncé que l’accord prévoyait de « réduire drastiquement les délais de transfert de six mois à trente jours ».

En vertu des accords du Touquet, en vigueur depuis 2004, les agents britanniques peuvent effectuer librement des contrôles sur le territoire français. Dans ce cadre, le Royaume-Uni a déjà dépensé près de 100 millions de livres (113 millions d’euros) ces trois dernières années.

L’Etat « ne laissera pas se reconstituer une “jungle” »

Lors d’un déplacement mardi à Calais, ville d’entrée dans le tunnel sous la Manche, Emmanuel Macron avait prévenu que l’Etat « ne laissera[it] pas se reconstituer une “jungle” » comme celle qui a rassemblé jusqu’à 8 000 migrants avant d’être démantelée, en 2016.

Sur les quelque 2 000 mineurs pris en charge après le démantèlement de la « jungle », le Royaume-Uni, qui s’était engagé à accueillir tous les enfants isolés ayant de la famille sur place et à étudier les dossiers des mineurs « vulnérables », en a finalement accueilli 769, selon les chiffres du ministère de l’intérieur britannique. L’ONG France terre d’asile évoque elle 893 mineurs acceptés.

A Londres, un porte-parole du gouvernement a reconnu que les accords du Touquet étaient « très bénéfiques au Royaume-Uni ».

Un accord de coopération militaire

Le sommet de Sandhurst a été également l’occasion pour Emmanuel Macron et Theresa May d’annoncer un renforcement de la collaboration entre la France et le Royaume-Uni dans le domaine de la défense.

La première ministre britannique a annoncé que son pays affecterait trois hélicoptères Chinook (des hélicoptères de transport) pour soutenir les opérations militaires françaises au Sahel et elle s’est engagée à verser plusieurs dizaines de millions d’euros pour soutenir les initiatives pour le développement dans cette région.

De son côté, le président français a annoncé que des soldats français seraient déployés en 2019 en Estonie au sein du contingent britannique, pour faire face à toute menace venant de la Russie.

Sommet franco-britannique : mots de velours, gants de fer

Par Sonia Delesalle-Stolper, envoyée spéciale à Sandhurst (Berkshire, sud-ouest de Londres)

Emmanuel Macron et Theresa May ont signé un nouveau traité pour renforcer les accords du Touquet sur les migrants. Si un rapprochement diplomatique s’esquisse, rien n’indique un assouplissement des négociations sur le Brexit.

L’annonce, jeudi matin, a provoqué un léger flottement. Une louve blanche d’Alaska, baptisée «Mai», s’était échappée d’une réserve située dans le Berkshire, à quelques kilomètres de la Royal Military Academy Sandhurst, où devait s’ouvrir quelques heures plus tard le 35e sommet bilatéral franco-britannique. Finalement, c’est «Torak» le loup qui était parti en goguette. Il a été rattrapé avant que la Première ministre britannique Theresa May et le président français Emmanuel Macron ne remontent côte à côte l’Allée du roi – ça ne s’invente pas. Elle les a conduits au premier bataillon des Coldstream Guards, coiffés de leurs magnifiques couvre-chefs en poils d’ours. Entre deux averses et un arc-en-ciel, un Rafale français, piloté par un Britannique, et un Typhoon britannique, piloté par un Français, ont survolé les lieux.

Theresa May, elle, n’avait rien d’une louve mais uniquement des mots de velours pour «cher Emmanuel», en première visite officielle depuis son élection à la présidence. Les deux dirigeants ont revu les troupes sous la pluie, après avoir déjeuné dans un gastropub, The Royal Oak. Dans un contexte compliqué, notamment par l’instabilité provoquée par le Brexit et, de l’autre côté de l’Atlantique, par les errements sur Twitter du président américain Donald Trump, Londres et Paris avaient souhaité donner un poids particulier à ce sommet bilatéral biennal. Il fallait prouver que la coopération en matière de sécurité et de défense se porte (presque) mieux que jamais entre les deux pays. «Il y a deux choses que rien ne pourra changer, aucun vote, aucune décision politique : c’est notre histoire et notre géographie. Une communauté de destins», a déclamé Emmanuel Macron, au début de la conférence de preuve finale du sommet.

«The Quint», première…

Preuve de cette profonde coopération, pour la première fois de l’histoire, publiquement, une réunion de «The Quint», réunissant les dirigeants des cinq agences de renseignement britanniques (MI5, intérieur, MI6, extérieur et le GCHQ, écoutes) et françaises (DGSI, intérieur et DGSE, extérieur), s’est tenue dans les murs de la prestigieuse école d’officiers britanniques. Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme en ligne, les deux pays ont «exhorté le secteur privé à supprimer les contenus illégaux dans un délai d’une à deux heures après leur mise en ligne et en envisageant des mesures législatives si nécessaire».

Mais le plat de résistance de ce sommet, auquel assistaient également, pour chaque pays, sept ministres, était sans aucun doute la signature d’un nouveau Traité, le Traité de Sandhurst, pour renforcer les accords du Touquet, signés en 2003. Le Royaume-Uni s’est engagé à verser 44,5 millions de livres (50,5 millions d’euros) pour renforcer la sécurité et les contrôles autour de Calais. Il y a déjà dépensé quelque 140 millions d’euros depuis 2015. Surtout, Emmanuel Macron a obtenu un engagement formel pour un accueil plus rapide et plus conséquent des mineurs isolés, et un traitement plus prompt et efficace des dossiers de demandes d’asile émises par des réfugiés présents à Calais ou dans les alentours. «Le délai de traitement des dossiers des adultes sera réduit de six mois à trente jours et celui des mineurs non accompagnés de six mois à vingt-cinq jours», a annoncé le président français. Ce traité va permettre «une approche plus humaine et plus efficace [de la situation à Calais] et de préserver la qualité de notre frontière», a-t-il vanté.

Pilule

Les Britanniques pourraient accueillir 260 mineurs non accompagnés, selon des estimations du ministère britannique de l’Intérieur. En revanche, Paris n’a pas obtenu d’aide supplémentaire pour le développement économique du Calaisis, ce qu’il avait initialement réclamé. Mais, pour Theresa May, cette pilule-là aurait été trop difficile à faire avaler à ses troupes et notamment aux plus ardents des Brexiters, déjà froissés de devoir mettre la main à la poche pour gérer la frontière à Calais. L’autre alternative, dénoncer les accords du Touquet et transférer la frontière côté britannique à Douvres, était encore plus difficile à envisager.

Les Britanniques vont déployer trois hélicoptères Chinook dans le Sahel pour assister les forces françaises dans l’opération Barkhane au Mali et 56 millions d’euros d’aide «au développement supplémentaire pour l’Alliance pour le Sahel». De son côté, la France s’est engagée à contribuer à la force de présence avancée renforcée de l’OTAN en 2019, dans le cadre du groupement tactique sous commandement britannique en Estonie. Après s’être montré très ferme ces derniers mois dans la conduite des négociations sur le Brexit, Emmanuel Macron a joué cette fois-ci la carte du pragmatisme. Il sait que le Royaume-Uni reste un partenaire indispensable, «seul autre pays membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU», doté d’une précieuse expertise en matière militaire et de renseignement. Il est, en Europe, le seul pays doté d’une force d’intervention similaire à celle de la France.

Mantra

De son côté, Theresa May a répété l’un de ses mantras favoris : «Le sommet se tient alors que le Royaume-Uni se prépare à quitter l’Union européenne: cela ne signifie pas que le Royaume-Uni quitte l’Europe». Ce sommet entrait aussi dans la stratégie globale du gouvernement britannique alors que s’ouvre la deuxième phase des négociations sur le Brexit. En renforçant les liens bilatéraux, avec chacun des 27 membres de l’UE, Londres espère percer un front dans l’unité affichée jusqu’à présent par les Vingt-Sept, pour pouvoir négocier un accord de départ plus avantageux. Sauf qu’à l’heure actuelle, rien n’indique que ce calcul portera ses fruits. La réaction d’Emmanuel Macron à une question d’un journaliste britannique sur la volonté éventuelle de la France de «punir» les Britanniques pour le Brexit a probablement douché les espoirs de Theresa May. «Je ne suis là ni pour récompenser ni pour punir, j’ai une exigence, c’est que le marché unique soit préservé, maintenant le choix est du côté britannique.»

«Il ne peut pas y avoir un accès différencié pour les marchés financiers, alors qu’ils sont dans le marché unique, vous voulez y participer, ‘be my guest’ », a-t-il ajouté en anglais, ce qui peut être traduit par «bon courage !». «Il existe un accès, sur le modèle norvégien (non-membre de l’UE mais qui paye une contribution au budget européen), ou alors il existe un autre accès qui s’appelle membre de l’Union européenne, c’est un statut qui existe», a conclu Emmanuel Macron, provoquant les éclats de rire de l’assistance. Et les titres de la presse britannique de vendredi.

Sonia Delesalle-Stolper envoyée spéciale à Sandhurst (Berkshire, sud-ouest de Londres)