L’AAtelier // Asile :Entretien avec Serge Slama

Le droit d’asile est un droit fondamental reconnu comme tel par la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 et dans la Constitution française. Deux ans et demi après la réforme du droit d’asile, nous avons interrogé Serge Slama, expert sur les questions liées au droit d’asile, au droit des étrangers et aux politiques migratoires, afin de faire le bilan de cette réforme et un état des lieux de l’asile en France, à l’aune du projet de loi « immigration maîtrisée et droit d’asile effectif », dit projet de loi « Collomb », en cours d’élaboration.

1. Bilan de la réforme de 2015

Serge Slama rappelle qu’un des objectifs de cette réforme était de se conformer aux obligations de la France dans le cadre de l’application de directives européennes de 2013. La réforme était donc nécessaire car l’échéance de transposition arrivait à son terme et la législation française avait été mise en cause par des jurisprudences de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et de la Cour européenne des droits de l’Homme (Cour EDH). Par exemple, le droit français n’était pas conforme aux exigences européennes, car il ne prévoyait pas pour les demandeurs d’asile en procédure prioritaire, c’est-à-dire en procédure accélérée moins avantageuse pour eux, de recours suspensif devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Concrètement, avant la réforme de 2015, si l’asile était refusé par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) à un demandeur d’asile en procédure prioritaire, il pouvait être renvoyé dans son pays d’origine avant que la CNDA n’ait statué sur son cas. La réforme de 2015 a rendu suspensif ce recours devant la CNDA pour les personnes placées en procédure accélérée. Les demandeurs d’asile ne peuvent donc plus être renvoyés dans leur pays d’origine avant le traitement définitif de leur demande d’asile.
Mais il est question dans ce projet de loi de revenir sur cet acquis en supprimant pour certaines catégories de demandeurs d’asile le recours suspensif devant la CNDA. En contrepartie, le projet de loi prévoit uniquement la possibilité, en cas de placement en rétention ou d’assignation à résidence du demandeur d’asile, de demander au tribunal administratif la suspension du possible renvoi de la personne, le temps pour la CNDA de se prononcer sur la demande d’asile. Pour Serge Slama, il s’agit de rendre plus difficile l’accès au droit d’asile pour ces catégories de demandeurs. Contrairement à son intitulé officiel le projet de loi « Collomb » ne tend donc absolument pas à rendre « plus effectif » le droit d’asile mais à le maîtriser comme on entend « maîtriser » l’immigration (intitulé d’ailleurs emprunté à une loi « Pasqua » de 1993 qui parlait à l’époque « d’immigration zéro »).
Par ailleurs, l’enjeu était également de réduire les délais d’instruction de la demande d’asile qui étaient beaucoup trop longs : parfois jusqu’à deux ans d’attente pour l’ensemble de la procédure d’asile. Sur cet aspect, force est de constater que l’OFPRA a reçu d’importants moyens et fait, grâce à son directeur Pascal Brice, des réformes structurelles. Les délais ont été ainsi fortement réduits (4 mois) alors même que la demande d’asile a fortement augmenté (le cap des 100 000 a été dépassé en 2017). Le taux de décision de protection pour les demandeurs d’asile atteint désormais les 30%. Sur ces aspects, le bilan est donc plutôt positif, mais on revient de loin. 

Un bilan seulement positif ?

Concrètement, il y a une mise en application de cette réforme qui n’est pas satisfaisante s’agissant de l’hébergement des demandeurs d’asile aussi bien en amont qu’en aval.
En amont, les associations qui assurent la gestion des plateformes d’accueil sont débordées ce qui constitue une entrave au dépôt des demandes d’asile (jusqu’à 4 mois d’attente à Paris pour avoir un simple rendez-vous, mais la plateforme d’accueil doit bientôt déménager). Or, plus le dépôt tarde, plus la précarité des demandeurs d’asile augmente. Mais surtout, tant que l’enregistrement de la demande d’asile n’a pas été formellement réalisé, le demandeur d’asile n’a pas accès à un hébergement en centre d’accueil pour demandeur d’asile (CADA) ou dans un autre dispositif dédié. Il n’a pas non plus accès à l’allocation pour demandeurs d’asile – dont le montant, inférieur au RSA, est très insuffisant (le Conseil d’État vient d’ailleurs de censurer un décret qui ne prévoyait d’attribuer que 5,60€ aux demandeurs d’asile hébergés dans le secteur privé de la location à défaut de prise en charge par l’État).
En aval, même si de nouvelles places en CADA sont en cours de création, le dispositif d’accueil reste très largement et sciemment sous-dimensionné. Ainsi, une part significative des demandeurs d’asile vit en France à la rue et dépend du 115 – qui est lui-même totalement engorgé. Les demandeurs d’asile, surtout isolés, ont peu de chances d’être hébergés. Même des femmes et des familles restent dans certaines villes à la rue malgré leur qualité de demandeur d’asile. Force est de constater qu’il y a aujourd’hui une précarisation de la vie des demandeurs d’asile allant à l’encontre de l’accueil digne que devrait leur réserver la France. Il suffit de voir les campements de fortune qui se créent dans beaucoup de métropoles et notamment en périphérie de Paris, malgré l’ouverture d’un centre pour migrants à Paris fin 2016 ou le développement des Centres d’accueil et d’orientation (CAO) depuis l’évacuation du bidonville de la Lande de Calais. La France pourrait être condamnée par la CEDH sur cette question, notamment dans l’affaire du campement de Blida à Metz.
© Studio TARTAR

2. Echéance de la réforme proposée cet été et mise en application

Le Gisti vient de rendre publique une version très avancée du projet de loi. Il doit être prochainement examiné par le Conseil d’État. Les auditions par les groupes à l’Assemblée nationale viennent de débuter. Il devrait être adopté en conseil des ministres fin février 2018 et examiné par la commission des lois de l’Assemblée nationale en mars pour un examen en séance en avril. Avec les navettes parlementaires, il faut donc s’attendre à une adoption de la loi pour la rentrée 2018 voire même pour fin 2018.
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Le Gouvernement n’est pas particulièrement pressé car le groupe parlementaire des « Constructifs » a déposé une proposition de loi visant officiellement, à la suite de décisions de la CJUE et de la Cour de cassation, à permettre « une bonne application du régime d’asile européen ». En réalité il s’agit de durcir considérablement la condition des demandeurs d’asile relevant du règlement « Dublin 3 »1. En effet désormais les « dublinables »2 pourront dès le début de la procédure d’asile – et avant l’édiction de la mesure de réadmission vers le pays européen compétent pour traiter leur demande d’asile – être placés en rétention jusqu’à 90 jours durant l’instruction de leur demande s’il existe un « risque non négligeable de fuite ». Or le texte adopté par l’Assemblée – et durci par le Sénat – a défini très largement cette notion. On change profondément la logique de la rétention administrative. Alors que depuis sa légalisation en 1981, elle visait uniquement à permettre l’exécution d’une mesure d’éloignement3, la rétention administrative deviendrait désormais un sas d’attente le temps de réalisation de la procédure de réadmission4Et encore dans le projet de loi « Collomb », il est prévu dans certaines circonstances des possibilités de prolongation de la rétention administrative jusqu’à 135 jours !

3. Retour et analyse de deux circulaires de Gérard Collomb, actuel Ministre de l’Intérieur

Ces circulaires – ayant interpellé l’aaatelier – prévoyaient de faire le « tri » entre les migrants en règle et les « sans-papier » dans les centre d’hébergement d’urgence, tout en mettant une certaine pression aux préfets pour accélérer l’éloignement des étrangers, en mettant largement l’accent sur l’éloignement des déboutés de l’asile, c’est-à-dire, les demandeurs d’asile dont la demande a été définitivement rejetée.
Ces circulaires ont été dénoncées par l’ensemble des associations de défense des droits de l’Homme, d’aide aux migrants et des acteurs de la solidarité (avec des associations comme la Fondation Abbé Pierre, la Fédération des acteurs de la solidarité, le Samu Social, etc.). Par ailleurs, le Défenseur des droits s’est lui-même inquiété de la circulaire prévoyant de faire un recensement des migrants, selon leur statut, dans les centres d’hébergement d’urgence. Il a demandé le retrait de cette circulaire le 19 janvier 2018 et a présenté des observations au soutien de la requête administrative déposée par une vingtaine d’associations contre cette circulaire. Entendu comme expert par les avocats de ces associations, il a été convenu de focaliser le recours sur deux aspects : le fait qu’il n’existe pas de base légale à l’accès des agents de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) aux centres d’hébergement d’urgence d’une part, et, que rien ne permet aux gestionnaires de ces centres de transférer des données personnelles à des agents de l’État d’autre part.
Serge Slama rappelle que cette circulaire se heurte aux principes fondateurs de l’hébergement d’urgence dont l’essence même est la mise à l’abri de tous, sans différenciation possible selon les statuts et les situations administratives car il s’agit nécessairement d’un droit universel lié à la protection la plus élémentaire de la dignité de la personne humaine. On ne saurait donc faire de distinction entre les bénéficiaires de l’hébergement d’urgence. Et pourtant, Serge Slama rappelle que le juge des référés du Conseil d’État a cru bon de faire une interprétation contra legem5 du Code de l’action sociale et des familles. En effet, il a été admis, au mépris du principe de protection de la dignité de la personne humaine, qu’il n’y a pas d’atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales lorsque des familles de déboutés du droit d’asile, sous le coup d’une décision d’éloignement de la France, sont laissées à la rue.
Sur la deuxième circulaire, demandant aux préfets d’accélérer l’éloignement des étrangers et notamment des déboutés de l’asile, Serge Slama explique en tant que juriste qu’il est légitime pour un État de souhaiter qu’un débouté du droit d’asile, dont la demande a été définitivement rejetée, de l’éloigner. C’est une priorité gouvernementale depuis la réforme du droit d’asile de l’été 2015 avec la mise en œuvre de certains dispositifs expérimentaux en ce sens (il y a près de 70 000 déboutés du droit d’asile par an). Néanmoins, en tant que militant et être humain, il considère qu’il ne devrait pas y avoir de distinction nette entre un demandeur d’asile fuyant des persécutions et les autres migrants (économiques, environnementaux, sanitaires). Pour lui, le fait de venir en Europe pour trouver une terre sur laquelle travailler et vivre dignement n’est pas moins louable que de remplir les critères pour obtenir l’asile posés par la Convention de Genève en 1951.
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4. Réduction du délai moyen de traitement des demandes d’asile

Serge Slama considère que la réduction du délai de traitement de la demande d’asile avait un sens en 2015 car il était trop long (jusqu’à deux ans). Les demandeurs d’asile, progressivement, s’installaient et s’intégraient en France, en y travaillant, en scolarisant leurs enfants, etc. Demander leur retour dans leur pays d’origine par la suite était donc plus compliqué.
Cependant, il s’inquiète de la réduction du délai d’instruction devant l’OFPRA à deux mois qu’il trouve trop court. Il considère notamment qu’il peut être préjudiciable aux demandeurs d’asile, qui ne sont pas toujours en capacité psychologique d’exprimer rapidement leur histoire et leur parcours. En effet, arrivant en France après avoir vécu de graves persécutions et souvent après un périple dangereux et traumatisant, ces personnes peuvent avoir besoin d’un certain temps avant de formaliser leur demande d’asile et de structurer leur récit.
© Studio TARTAR
Une autre disposition pernicieuse du projet de loi « Collomb » est d’exiger des demandeurs d’asile, qui souhaiteraient faire une autre demande de titre de séjour (maladie, travail etc.) à l’issue de leur procédure d’asile, de ne pouvoir le faire qu’en début de procédure en même temps que la demande d’asile. Cette disposition est purement scandaleuse. Que fera-t-on demain si une femme victime de la traite de l’être humain n’a pas demandé dès le début de la procédure d’asile à la préfecture un titre de séjour à un autre titre ? Idem pour un étranger gravement malade dont les traitements ne seraient pas disponibles dans son pays d’origine ? Un tel dispositif est un réel piège posé par l’État aux migrants afin de restreindre l’accès effectif à leurs droits fondamentaux et à leur séjour. Décidément le projet « Collomb » est bien mal nommé…
© Migrants à la Villette, 2017, par le photographe Elliott Verdier
Serge Slama est Professeur de droit public à 
l'Université de Grenoble-Alpes, membre du Centre d'Études sur la 
Sécurité Internationale et les Coopérations Européennes. Il a enseigné à
 l’Université Paris Nanterre, à l'Université Evry-Val-d'Essonne et a été
 visiting scholar (chercheur invité) au Boston college law schoo
Dans le passé, Serge Slama a animé le blog « Combats pour les droits de l’Homme
 » qui visait à donner un point de vue et un décodage de juristes 
spécialisés sur les droits humains. Il fait actuellement partie du 
comité éditorial de la Revue des droits de l’Homme. Il est aussi expert 
auprès de la commission « liberté » du Conseil national des Barreaux. 

Enfin, Serge Slama est également connu pour son militantisme en faveur 
des droits humains, notamment des droits des étrangers comme l’atteste 
son opposition récente à l’état d’urgence au sein de l’Observatoire de 
l’état d’urgence. Il est aujourd’hui très souvent sollicité en tant 
qu’expert sur ces questions par les associations de défense des droits 
des migrants ou des avocats dans des procédures devant les juridictions 
suprêmes. 

Il participe également à la Clinique des droits de l’Homme de la faculté
 de droit de Grenoble notamment sur un projet de Clinique juridique 
mobile pour favoriser l’accès au droit au logement.