Pascal Brice, directeur de l’Office français de protection des réfugiés, analyse le bilan de l’année 2017.
Le directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra), Pascal Brice, analyse les données 2017 de la demande d’asile. Il estime que faire attendre les demandeurs, ou tenter de les dissuader, « ne fait qu’aggraver les choses ».
Pour la première fois de son histoire, l’Ofpra a enregistré 100 000 demandes d’asile en 2017. Comment analysez-vous ce record ?
Pascal Brice Le cap des 100 000 demandes d’asile, dont près de 43 000 ont abouti à un statut de réfugié ou à une protection subsidiaire, est symbolique, certes, mais ne doit pas être interprété comme un afflux massif. Il s’agit d’une hausse de 17 % par rapport à l’année précédente et n’oublions pas que l’Allemagne enregistre encore deux fois plus de demandeurs que nous. Cette augmentation ne nous a pas empêchés de réduire fortement nos délais d’instruction des dossiers : environ trois mois aujourd’hui, et nous poursuivons nos efforts pour atteindre deux mois cette année.
Les entrées en France concernent de plus en plus souvent des migrants africains. En matière d’asile, 2017 aura-t-elle aussi été une année africaine ?
Les Soudanais, déjà parmi les nationalités les plus demandeuses depuis 2015, sont en quatrième position. Mais, effectivement, nous voyons apparaître quatre pays d’Afrique subsaharienne parmi les dix nationalités les plus demandeuses : outre le Soudan, la Guinée, la Côte d’Ivoire et la République démocratique du Congo (RDC). Reste que si l’augmentation de la demande africaine marque l’année, les Albanais sont encore les premiers demandeurs.
Le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, est pourtant parti en croisade contre la demande d’asile albanaise…
Leur demande a décru sur la deuxième partie de l’année. Leur taux de protection est à l’office de 6 %, pour plus de 27 % toutes nationalités confondues… La forte présence d’Albanais, comme d’Haïtiens en Guyane, qui fuient essentiellement la misère, a fait légèrement baisser le taux moyen de protection par rapport à 2016. En revanche, les niveaux de protection des Syriens (95 %), des Afghans (83 %) ou des Soudanais (60 %) restent élevés en raison des persécutions ou des conflits dans ces pays.
Il est parfois difficile de déposer sa demande en France. Est-ce acceptable ?
Nous devons rapidement parvenir en tout point du pays à une prise en charge complète, digne, juste et rapide de chaque demandeur d’asile, depuis l’accès à la procédure dans les préfectures, l’hébergement et jusqu’à l’instruction de la demande. C’est indispensable si l’on veut ensuite pouvoir tirer les conséquences des décisions prises, à la fois pour améliorer l’intégration des réfugiés et pour mieux assurer la reconduite des personnes déboutées qui n’ont pas de droit au séjour. C’est une question de moyens, mais au-delà c’est une véritable révolution culturelle qu’il faut conduire en France et en Europe : il faut arrêter de croire que faire attendre les gens, tenter de les dissuader, arrangerait quoi que ce soit. Cela ne fait qu’aggraver les choses pour tout le monde.
Les « pays tiers sûrs », un dispositif qui aurait permis de renvoyer des demandeurs hors Europe sans examen de leur dossier, ne figurera pas dans la prochaine loi sur l’asile. Est-ce une satisfaction pour vous ?
Je me réjouis de la décision de retirer cette disposition du projet de loi. C’eût été une dénaturation du droit d’asile tel qu’il est garanti par la Constitution et de la mission de protection de l’Ofpra. Je m’attends à une évolution du droit européen pleinement compatible avec ce choix.
Et Calais ? Est-il normal qu’il ne soit plus possible d’y déposer une demande d’asile ?
Il faut sur ce territoire, où nous nous substituons de fait aux Britanniques, renouer le fil de l’asile patiemment tissé pendant deux ans avec l’aide des associations et interrompu fin 2016 après l’évacuation complète du bidonville. Personne ne peut accepter que des campements s’y reconstituent et je comprends que les démarches ne se fassent pas sur place. Mais cela suppose que les personnes qui, malgré tout, arrivent dans cette impasse, et qui, au vu de leurs nationalités, ont toute chance de relever du droit d’asile, y soient dûment informées de leurs droits et accompagnées vers des hébergements et un accès à la demande d’asile quelque part sur le territoire national.
Le règlement de Dublin, qui renvoie les demandeurs d’asile dont les empreintes ont été enregistrées ailleurs en Europe, se solde par de nombreux retours. Une telle situation a-t-elle un impact sur l’Ofpra ?
L’Office subit de plein fouet les failles du système européen de l’asile. D’abord, il est inacceptable que nous perdions du temps à instruire le dossier de demandeurs déjà rejetés en Allemagne, qui viennent tenter leur chance en France. Mais tous les « dublinés » ne sont pas déboutés dans un autre pays européen, loin de là. Beaucoup ont simplement été contraints de laisser leurs empreintes sur leur route avant d’arriver en France. L’application actuelle des textes nous empêche d’instruire leur dossier dans un premier temps et en définitive, nous les récupérons ensuite, épuisés par de coûteux mois d’attente… Ce qui n’est bon pour personne.
La solution passe par la mise en place d’un office européen de l’asile, indépendant comme l’est l’Ofpra dans notre pays, mais aussi une répartition solidaire des réfugiés entre les pays européens, comme le chef de l’Etat l’a évoqué dans son discours de la Sorbonne.
En France, ces dernières semaines, le climat s’est alourdi. M. Collomb peut-il recenser le statut des migrants dans l’hébergement d’urgence ?
Il est normal que l’Etat souhaite connaître la situation administrative des personnes qui séjournent sur le territoire, mais cela doit se faire dans le respect de l’accueil inconditionnel des personnes en détresse, comme du travail des acteurs sociaux, et dans un climat de confiance qui suppose notamment que chacun, demandeurs d’asile comme accompagnants, puisse être convaincu que l’on garantit effectivement un accès rapide à l’examen de la demande d’asile.
Le débat qui se poursuivra autour du projet de loi au printemps s’ouvre-t-il sous de bons auspices ?
Je suis heureux qu’un débat s’ouvre, en espérant qu’il sera l’occasion de cesser les confusions entre le droit d’asile et la politique migratoire, car elles desservent finalement toutes l’accueil des réfugiés. Pour cela, il nous faut être totalement irréprochable sur l’exercice effectif du droit d’asile. La politique migratoire, elle, relève d’autres choix du gouvernement dont la mise en œuvre n’incombe pas à l’Ofpra. J’inciterais cependant volontiers à la réflexion sur des situations humanitaires qui nous interpellent, parce que le droit d’asile s’y trouve désarmé, comme pour les déplacés climatiques mais aussi des migrants qui ont été détruits physiquement et psychiquement par leur parcours migratoire – on pense aujourd’hui à l’enfer libyen – mais ne relèvent pas de l’asile car ils n’ont pas fait l’objet de menaces dans leur pays d’origine