Vingt-sept associations déposent une requête en Conseil d’Etat pour demander l’annulation de tout ou partie de la circulaire Collomb du 12 décembre.
Les magistrats administratifs trancheront. Dans leurs bureaux du Conseil d’Etat, ils décideront si la « circulaire Collomb » du 12 décembre « remet en cause le principe légal d’accueil inconditionnel en hébergement d’urgence ». Ce texte, qui organise le recensement des migrants dans ces centres, est contesté par le monde de l’entraide depuis le 8 décembre, date à laquelle le ministre de l’intérieur le leur a présenté.
Depuis l’automne, en effet, Gérard Collomb multiplie les circulaires à l’intention de ses préfets, désignant régulièrement l’immigration comme un sujet à ne pas omettre. Dans celle du 12 décembre, il leur demande de « bâtir localement un dispositif de suivi administratif robuste des personnes étrangères en hébergement d’urgence » à l’aide d’« équipes mobiles chargées de l’évaluation administrative des personnes hébergées ».
Sentant la polémique monter, le ministre de l’intérieur a modifié son discours, estimant que ce recensement est le moyen d’offrir un dispositif d’intégration aux réfugiés ou aux demandeurs d’asile qui se seraient égarés dans cet hébergement pas vraiment prévu pour eux. Le doute n’a pas été levé par cette nouvelle lecture et moins encore par la réaffirmation, le 21 décembre, de la bouche du premier ministre, que le texte serait maintenu. Les vingt-sept associations ont donc décidé de déferrer la circulaire devant la plus haute juridiction administrative pour la faire annuler, ou pour obtenir sa réinterprétation.
Refus de hiérarchiser « les situations de misère »
De la Fondation Abbé-Pierre à Médecins sans frontières ; de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) à France terre d’asile ou Droit au logement, la liste de ceux qui ont souhaité aller en justice pour dénoncer ce qu’ils perçoivent comme « un véritable tri selon la nationalité ou le statut administratif des personnes », est d’une longueur et d’une variété peu coutumière. Tous ces associatifs partagent un refus de hiérarchiser « voire de mettre en concurrence les situations de pauvreté et de misère sur le fondement de critères discriminatoires ».
Comme la réponse « sur le fond » nécessitera entre six et huit mois, Patrice Spinosi, l’avocat qui porte ce recours, a dégainé en parallèle l’arme plus rapide et légère du référé qui permet d’espérer une réponse sous vingt jours.
L’avocat attaque cette fois les modalités de mise en place de la circulaire sur deux points. Il souligne d’abord qu’elle « autorise, sans base légale, des équipes relevant du ministère de l’intérieur à pénétrer dans des centres d’hébergement protégés pour y réaliser des contrôles ». Ensuite que « rien n’autorise à ce que les données personnelles et confidentielles des personnes hébergées soient collectées et transmises aux autorités » ni que« les centres d’hébergement soient contraints de participer à cette collecte illégale ».
Cette double attaque, donc, sur l’entrée des agents de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et sur les échanges de fichiers pourrait conduire à voir prochainement suspendues ces « mesures profondément intrusives et susceptibles d’affecter gravement la mission de protection assumée par les centres d’hébergement », comme le dit le texte de la requête.
« Ce qui se passe va trop loin »
« Nos arguments sont sérieux, estime en effet Patrice Spinosi, et nous avons toutes les chances de voir neutraliser l’ensemble du système. » « Le Conseil d’Etat devrait soit suspendre la circulaire, soit la réinterpréter en rappelant que l’Office français de l’immigration et de l’intégration n’est pas autorisé à faire remonter l’information », observe-t-il. Or, réinterprétée ainsi, la circulaire serait vidée de son contenu.
La lecture des grandes lignes du projet de loi, rendu public ce 10 janvier, qui prévoit la mise en place d’« échanges d’information entre les services chargés de l’hébergement d’urgence et l’OFII, concernant les demandeurs d’asile et les réfugiés », conforte le juriste dans l’idée que la base juridique de l’intervention n’était pas assurée. Pourquoi le ministère introduirait-il ce paragraphe dans sa loi à venir si le cadre juridique était déjà suffisamment stable ?, se demande-t-il.
Quant à la parade du ministre de l’intérieur – Gérad Collomb explique« que ça se fait déjà » dans l’hébergement réservé aux migrants –, le juriste aimerait lui rétorquer que « tout ce qui se fait n’a pas pour autant un fondement légal et qu’à l’heure actuelle, ce qui se passe va trop loin. Nous sommes à un tournant ». Il ajoute : « A un moment, un président ni de droite ni de gauche doit arrêter de n’être que de droite. Il faut qu’il entende l’écho de la détresse, la faiblesse, la précarité, la souffrance. »
L’avenir dira s’il entend… Mais en attendant, le passé est aussi porteur de leçons. Comme le rappelle Gérard Sadik, de la Cimade, une des mémoires des combats associatifs du secteur : « Une telle mesure avait déjà failli être adoptée. C’était en 2007 et le député Thierry Mariani avait déposé un amendement proposant l’interdiction de l’hébergement d’urgence aux étrangers. Mesure qui avait fait un tel tollé qu’elle a vite disparu du projet de loi. » Autres temps, autres mœurs.