Médiapart // Asile et immigration: l’exécutif face à sa première crise majeure

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Face à la contestation qui grandit au-delà des cercles militants, l’exécutif se mobilise pour défendre son projet de loi sur l’asile et l’immigration. Alors que le premier ministre reçoit ce jeudi après-midi les associations de défense des droits des étrangers et de lutte contre l’exclusion, le président de la République a prévu de se rendre le 16 janvier à Calais.
Tous les clignotants virent au rouge. Programmé pour être présenté en conseil des ministres en février 2018, avant un examen au Parlement avant la fin du premier semestre, le projet de loi sur l’asile et l’immigration préoccupe au plus haut point l’exécutif. Face à ce qui s’annonce être la première crise majeure du quinquennat, chacun, dans l’équipe constituée par Emmanuel Macron, est invité à prendre sa part, du ministre de l’intérieur au premier ministre, pour défendre la réforme. Le président lui-même entend se rendre à Calais mardi 16 janvier pour expliciter ses intentions.
C’est que le feu est en train de se répandre à vive allure. De partout, des voix de personnalités incontestables et variées font entendre leur indignation : dans la foulée des montagnards des Hautes-Alpes, qui, au nom de leur éthique professionnelle, viennent en aide aux migrants, un médecin, Raphaël Pitti, médecin et élu au conseil municipal à Metz (Moselle), soutien d’Emmanuel Macron de la première heure, a rendu sa Légion d’honneur pour protester contre la « défaillance » de l’État à l’égard des demandeurs d’asile et la « coercition » exercée à l’encontre des migrants. L’historien et politologue Patrick Weil a affirmé, à propos de la circulaire du 12 décembre 2017 mettant en cause l’accueil inconditionnel dans l’hébergement d’urgence, qu’« aucun gouvernement depuis la Seconde Guerre mondiale n’avait osé aller jusque-là ». L’avocat François Sureau a rappelé qu’« on ne (pouvait) pas faire de l’inhumanité une politique ». L’ex-patron d’EADS Louis Gallois, aujourd’hui président de la Fédération des acteurs de la solidarité, est lui aussi monté au créneau pour déclarer que « l’accueil inconditionnel, c’est l’honneur de la République ». Dans un autre registre, le prix Nobel de littérature Jean-Marie Le Clézio s’est dressé contre le « déni d’humanité insupportable » que constitue le « tri » des migrants dans les centres d’hébergement.

Ces voix portent d’autant plus auprès de l’exécutif qu’elles ne sont pas celles de supposés gauchistes, ni même de celles de militants associatifs aguerris aux questions de droit des étrangers et qu’il sait qu’elles sont susceptibles d’emporter l’adhésion de l’opinion publique. Ces « belles âmes » dénigrées par Édouard Philippe (voir notre live) contraignent le gouvernement à réagir, de la même manière que la mobilisation des sauveteurs en mer ou les images d’enfants noyés, comme celle du petit Aylan échoué sur une plage turque, avaient fait basculer les esprits, temporairement tout du moins, en faveur de l’accueil des migrants.

Avant qu’il ne soit trop tard, les pompiers de l’exécutif, auxquels certains reprochent leurs tendances pyromanes, sont donc entrés en action. Objectif : rassurer la majorité présidentielle, particulièrement perméable au mécontentement de la société civile. Gérard Collomb, tout comme Édouard Philippe, rencontrent chacun à leur tour des groupes de députés afin de justifier leur démarche et de leur faire passer des éléments de langage.
Les associations nationales de défense des droits des étrangers et de lutte contre l’exclusion, qui pour plusieurs d’entre elles viennent de saisir le conseil d’État contre la circulaire du 12 décembre, font aussi l’objet d’une certaine attention : reçues à Matignon ce jeudi 11 janvier, dans l’après-midi, elles ont été le destinataire, la veille, d’un texte, révélé par Le Monde et Street Press, résumant les grandes lignes du projet de loi sur l’asile et l’immigration, qui n’a pas encore été examiné par le conseil d’État. Soucieuses des éventuelles chausse-trappes juridiques, elles auraient préféré recevoir un texte législatif en bonne et due forme.
Dans le sillage de l’avant-projet de loi qui avait fuité dans les médis à l’automne 2017 (lire notre article), ce texte se donne comme priorité de « renforcer l’efficacité et l’effectivité » des procédures d’éloignement du territoire, tout en restant étonnamment discret sur la situation des déboutés du droit d’asile et des demandeurs d’asile sous le coup de la Convention de Dublin.
Le texte confirme l’intention du gouvernement d’augmenter la durée maximale de la rétention administrative de 45 à 90 jours, avec une possibilité de proroger cette limite de 15 jours dans le cas où la personne ferait obstacle à son expulsion ; il prévoit d’« aménager » les conditions de délais relatifs à l’intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) et de permettre au préfet de faire appel contre les ordonnances de ce même JLD sans que la personne retenue ne soit systématiquement libérée dans l’intervalle ; il annonce l’allongement de 16 à 24 heures de la durée de la retenue administrative pour vérification du droit au séjour ainsi qu’un renforcement des pouvoirs d’investigation ; il affirme vouloir « préciser » le régime de l’interdiction de retour, « améliorer » les conditions d’exercice du contrôle juridictionnel en zone d’attente et « élargir » les motifs pour lesquels il peut être décidé de ne pas assortir une obligation de quitter le territoire (OQTF) d’un délai de départ volontaire.
En ce qui concerne les mesures alternatives à l’enfermement, il entend recourir à l’assignation à résidence pendant le délai de départ volontaire « de manière à réduire le risque de soustraction à l’éloignement » et durcir le régime de l’assignation à résidence pour l’assortir de l’obligation de demeurer au domicile pendant une plage horaire.
Le texte se propose – dans le même temps macronien – d’« améliorer » les conditions d’accueil des demandeurs d’asile. Cyniquement, il place dans ce chapitre la confirmation, dans la loi, de la circulaire contestée du 12 décembre visant à recenser les étrangers dans les centres d’hébergement d’urgence. Il est ainsi prévu « des échanges d’information entre les services intégrés d’accueil et d’orientation, chargés de l’hébergement d’urgence de droit commun, et l’Ofii [l’Office français d’immigration, sous la tutelle du ministère de l’intérieur, ndlr], concernant les demandeurs d’asile et les réfugiés ». Le projet de loi, par ailleurs, prévoit qu’un « schéma national » fixe la part des demandeurs d’asile accueillis dans chaque région afin que ces derniers soient mieux “répartis” sur le territoire. « Un demandeurs pourra être orienté vers une région déterminée et être tenu d’y résider pour bénéficier des conditions matérielles d’accueil », précise le texte.

Un rapport de force commence entre deux visions de l’accueil

Pour distinguer aussi vite que possible les réfugiés des « migrants économiques », le gouvernement veut accélérer le traitement des demandes d’asile. Pour cela, il fait porter la responsabilité de la réduction des délais par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), alors qu’en réalité les dysfonctionnements ont lieu en amont, lors du dépôt en préfecture des demandes d’asile.
Les étrangers malades sont aussi dans le collimateur : les conditions d’accès à un titre de séjour seraient limitées pour celles et celles faisant l’objet d’une réadmission dans un autre pays de l’Union européenne.
Quelques dispositions sont néanmoins prévues en faveur de la protection des personnes : la durée du premier titre de séjour obtenu au nom de la « protection subsidiaire » et de l’« apatride » serait allongée de un à quatre ans ; la délivrance d’une carte de dix ans aux membres de la famille d’un réfugié mineur serait facilitée ; les réfugiés mineurs bénéficieraient de l’extension du bénéfice de la réunification familiale non seulement aux parents, mais aussi aux frères et sœurs ; la protection des jeunes filles exposées à un risque d’excision serait renforcée. Par ailleurs, le « passeport talent » serait étendu à de nouvelles catégories et les victimes de violences conjugales pourraient bénéficier de « dispositions protectrices » sur le droit au séjour. Enfin, les demandeurs d’asile pourraient être informés qu’ils peuvent solliciter, en parallèle, un titre de séjour sur un autre fondement pendant l’instruction de leur demande.
Comme cela avait été annoncé il y a quelques jours, l’introduction dans la législation de la notion de « pays tiers sûr » a été enlevée du projet de loi. Elle aurait permis le renvoi massif de demandeurs d’asile hors d’Europe sans examiner leur dossier en France.
C’est ainsi un rapport de force de plusieurs semaines qui commence entre deux visions de l’accueil : l’une accueillante et attentive aux droits des migrants, l’autre hostile et suspicieuse à l’égard de la présence des étrangers en France. Si la mobilisation de la société civile se poursuit, il est possible qu’elle réussisse – là où syndicats et députés de l’opposition avaient échoué sur les ordonnances réformant le code du travail – à faire dérailler le programme de l’exécutif, et, ce faisant, à souligner qu’elle n’est pas dupe du double langage d’Emmanuel Macron sur les migrants.