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Journal des Jungles n°9 // Agir ensemble

Une résidence de rédaction du Journal des Jungles s’est tenue à Norrent-Fontes, fin juillet 2017. Elle a réuni des femmes et des hommes exilé.e.s, parti.e.s du Soudan, d’Érythrée ou d’Éthiopie et coincé.e.s dans un bidonville aux marges du village de Norrent-Fontes, depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. A leurs côtés dans cette résidence, des bénévoles et militantes de l’association Terre d’Errance Norrent-Fontes, mais aussi d’Itinérance Cherbourg, ou encore agissant sur le camp de Tatinghem.

Depuis, le camp de Norrent-Fontes a été complètement détruit, suite à un arrêté municipal. Les personnes exilées, d’abord envoyées dans des CAES (Centre d’accueil et d’évaluation des situations) ou des hôtels, se retrouvent à nouveau en errance, sans doute encore plus précarisées qu’elles ne l’étaient.

Pour entendre ce que les participant.e.s de la résidence ont à dire sur les préjugés, la criminalisation de la solidarité, l’absurdité de ces frontières qui les enferment dans des camps, mais aussi sur leur capacité à agir ensemble et leur invitation à ce que chacun.e vienne agir à leurs côtés, découvrez le numéro ci-dessous !

Pour une meilleure lecture, télécharger le Journal des Jungles en PDF ici ou cliquez sur les images ci-dessous.

 

Expulsion du camp de Norrent Fontes // Lettre de Julie Bonnier, avocate au Président de la République

Monsieur le Président de la République,

Vous devez lire mon indignation.

Je suis auxiliaire de justice. Je défends à ce titre certains migrants de passage en France et notamment dans la région des Hauts de France.

Ce matin, à l’heure où j’écris ces lignes, je suis auxiliaire de non-justice !

Je défends les exilés vivant sur le camp de NORRENT-FONTES, ils ont été installés sur ce site depuis 2008 par le maire lui-même.

Ou plus exactement je croyais les défendre.

En 2016, le maire a exercé ses droits. Il a saisi le Tribunal de grande instance de BETHUNE d’une demande d’expulsion.

Par ordonnance du 12 Octobre 2016, le Juge a refusé cette expulsion.

Le maire avait le droit de faire appel, ce qu’il a fait.

Par arrêt du 6 avril 2017, la Cour d’appel de DOUAI a confirmé la décision de rejet de l’expulsion.

Le maire avait le droit de former un pourvoi en cassation. Il ne l’a pas fait.

Aussi, la vie a continué sur le camp et s’est stabilisée. 79 personnes y vivent aujourd’hui, dont 15 femmes et 11 mineurs.

Au petit matin de ce samedi 16 septembre, la gendarmerie est venue afficher un « arrêté prononçant l’expulsion d’office des occupants du camp (…) » donnant 48 heures à compter de cette publication sous forme d’affichage.

Nous nous sommes mobilisés en urgence malgré le week end, et avons déposé ce même samedi à 19h30 un recours en référé suspension au Tribunal administratif de Lille pour faire valoir les droits fondamentaux des exilés.

Nous avons faxé ce recours en urgence à l’ensemble des préfecture et sous préfectures de la région afin que le concours de la force publique ne soit pas prêté dès lundi. Nous avons joint la preuve de dépôt de notre recours.

Lundi matin 7 heures, mon recours est enregistré par le greffe et l’évacuation démarre…

Je ne peux donc assurer AUCUNE DEFENSE.

Le maire nous a donné 48 heures pour agir alors que les Tribunaux sont fermés durant les WE, les préfets ne lisent pas les fax urgents et le recours n’est JAMAIS suspensif.

Les droits fondamentaux des exilés sont ainsi évacués en 48 heures.

Dans notre Etat où l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle en vertu de notre constitution (article 66) ; le maire est passé outre un arrêt de la Cour d’appel en créant d’office son titre d’expulsion.

Ce déni des droits fondamentaux est indigne, contraire à l’Etat de droit !

Nos lois permettent aux autorités administratives de nier les décisions de justice et de prendre des décisions en réalité inattaquables. Aucune équité, nous n’avons aucun moyen de faire valoir les droits pourtant reconnus par le Juge judiciaire.

Monsieur le Président de la République, je vous demande d’entendre notre appel au respect du droit au procès équitable (art 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme).

Avec mes sentiments respectueux.

Julie BONNIER

Avocate associée

 

Le camp de Norrent Fontes a été détruit ce matin

Peu importe, la saisine du juge administratif, et faisant fi de deux décisions de justice antérieures, les autorités ont décidé de détruire le camp de Norrent Fontes.
La destruction du camp de Norrent Fontes  a débuté ce matin à 7h30 par l’expulsion de ses habitant.e.s.
Des bus ont emmené les exilé.e.s vers un CAES (Abbaye de Belval à Troivaux )Un appel pour un cercle du silence est lancé par l’association Terre d’errance.
Vous êtes toutes et tous invité.e.s à venir à 17h aujourd’hui (lundi) au rond point de la zone commerciale de Lillers (McDo, Carrefour, Lidl, etc – croisement N43/D188/D916).

Nous vous y attendons nombreux!

Ci-dessous deux articles concernant la destruction du camp et l’expulsion de ses habitant.e.s:
L’Echo de la Lys:

Norrent-Fontes : le camp de migrants démantelé ce lundi ?

Publié le 17/09/2017

Le maire vient de prendre un arrêté d’expulsion. Il entrera en vigueur ce lundi 18 septembre, à partir de 6 heures.

Un arrêté d’expulsion, pris par Bertrand Coq, maire de Norrent-Fontes, a été affiché ce samedi matin par les gendarmes à l’entrée du camp de migrants. À compter de ce lundi, 6 heures, le camp peut à tout moment être démantelé. Un recours a immédiatement été déposé au Tribunal administratif de Lille par l’association Terre d’Errance : « Les 79 personnes qui vivent là risquent d’être chassées dès lundi matin, sans qu’aucune solution adaptée leur soit proposée. Le bidonville est sous la menace imminente de destruction », affirme l’association sur sa page Facebook.

Les bénévoles qui œuvrent depuis une quinzaine d’années sur le site sont d’autant plus en colère que la justice s’était prononcée, par deux fois, contre le démantèlement du camp norrent-fontois. Le 6 avril dernier, la cour d’appel de Douai avait confirmé le jugement du tribunal de grande instance de Béthune. Lors de l’audience, l’association Terre d’Errance avait expliqué que « le démantèlement serait catastrophique et ne réglerait en aucun la situation critique dans laquelle les exilés se retrouvent, notamment en raison de la fermeture de l’aire d’autoroute de l’A26 proche du camp. On ne ferait que déplacer le problème… »

Appel lancé pour héberger des migrants

De son côté, pour le maire, ce démantèlement est au contraire devenu une nécessité, entre autres parce que « la situation actuelle n’est satisfaisante pour personne. Ni pour les exilés, qui vivent dans des conditions indignes, ni pour les Norrent-Fontois, qui n’ont pas à hériter de problèmes qui les dépassent et qui, en plus, sont pénalisés par le fait que le terrain occupé ne sert plus à lutter contre les inondations ».

Cet arrêté d’expulsion, jugé « inacceptable » par les bénévoles, a pris les associatifs de cours. Un cercle de silence aura lieu ce lundi, à 17h, au niveau du rond-point du Plantin, à Lillers. Une opération de tractage aura également lieu sur place.

Si le tribunal administratif annule l’arrêté, un goûter festif sera organisé au camp dans la foulée. Mais Terre d’Errance préfère prendre les devants et constitue déjà une liste de personnes pouvant héberger en urgence un(e) exilé(e) pour une ou deux nuits.

 

La Voix du Nord:

La destruction du camp de migrants va commencer

http://www.lavoixdunord.fr/219719/article/2017-09-18/la-destruction-du-camp-de-migrants-va-commencer

L’association Terre d’errance, qui vient en aide aux migrants, a lancé l’alerte ce dimanche sur Facebook. La veille, un arrêté municipal avait été affiché par le maire et les gendarmes au campement de Norrent-Fontes. Le démantèlement a commencé ce lundi matin à 7 h 30.

Par La Voix Du Nord | Publié le 18/09/2017

Les migrants ont été transportés en bus, dans les centres de réfugiés les plus proches. La destruction du camp va commencer. PHOTO PASCAL BONNIÈRE

Depuis 7 h 30 ce lundi matin, en présence du sous-préfet Nicolas Honoré, le démantèlement du camp de migrants est en cours. Deux bus ont transporté les 85 exilés, qui vivaient encore dans des baraques de fortune à Norrent-Fontes, vers les centres de réfugiés de Bailleul et de l’abbaye de Belval.

Après leur départ, les bénévoles ont eu une heure pour tenter de récupérer ce qui est récupérable sur le camp avant la destruction, qui commencera en fin de matinée.

 

L’arrêté fait suite à une mise en demeure adressée jeudi ou vendredi au maire Bertrand Cocq par le préfet, évoquant une «  mise à l’ abri  » des migrants. Selon le sous-préfet, il fallait mettre en sécurité le périmètre notamment avec les tentatives fréquentes de montée dans les camions. Il n’était «  pas question de laisser vivre aux migrants un nouvel hiver dans ces conditions.  »

Selon l’avocate de Terre d’errance, Me Julie Bonnier, l’association a fait tout son possible pour empêcher cela. «  L’arrêté date du vendredi 15, il a été affiché samedi à 7 h du matin au camp. Et nous avons déposé le recours samedi à 19 h. J’ai même doublé en envoyant un fax à 20 h 30. Et ce matin, le sous-préfet dit qu’il n’a rien reçu. C’est faux, et ça fait partie de mon indignation. J’ai fait tout ce que la loi me permet de faire, c’est-à-dire un recours. Je ne peux rien faire d’autre et je ne pouvais pas faire plus vite. C’est une tradition de rendre un arrêté le vendredi soir, c’est parfait pour entraver les droits de la défense. L’organisation est telle que l’on est bloqué.  »

L’avocate précise que les bus sont déjà venus sur le camp vendredi, proposant aux migrants de les emmener dans les centres de réfugiés du secteur. Un seul est monté dans le bus.

Un policier du val de Marne dénonce les dérives de la lutte contre l’immigration illégale

http://www.leparisien.fr/ablon-sur-seine-94480/val-de-marne-un-policier-denonce-les-derives-de-la-lutte-contre-l-immigration-illegale-12-09-2017-7255347.php

12 septembre 2017

Bois de Vincennes. Le centre de rétention administrative de Paris où sont conduits les étrangers en situation irrégulière.

Politique du chiffre, infractions prétextes, ciblage des centres d’hébergement : un officier spécialisé qui travaillait à l’unité de Cachan vient d’envoyer un courrier circonstancié au Parquet de Créteil. Nous avons pu le consulter.

Comment lutter contre l’immigration irrégulière en faisant preuve d’efficacité, en respectant la loi et en évitant les dérives ? La question est épineuse si l’on en croit le courrier que vient d’envoyer au Parquet de Créteil un ancien officier de police judiciaire (OPJ) de l’unité de lutte contre l’immigration irrégulière du Val-de-Marne. L’activité de ce service basé à Cachan, qui a été rattaché comme ses homologues de la petite couronne à une nouvelle sous-direction de la Préfecture de police, consiste principalement depuis les attentats à effectuer dans les gares des contrôles d’identité deux fois par semaine.

Le prétexte des infractions. On ne contrôle pas les gens sans motif. Ce cadre juridique, délivré par le Parquet, est motivé par la recherche d’infractions (vol à la roulotte, par effraction…). Pourtant, constate le policier, «l’objet réel de ces contrôles d’identité est le contrôle de régularité du séjour des étrangers et non la recherche d’infractions.» «Les flux migratoires constatés sur la capitale et en banlieue, sont tels qu’ils donnent lieu à l’interpellation d’étrangers en infraction aux règles du séjour […], justifie la Préfecture de police. Ces contrôles […] concernent toutes les personnes, sans distinction, présentes dans le lieu visé par la réquisition».

Des objectifs chiffrés. Ces contrôles d’identité doivent aboutir à de plus en plus de conduites au poste, assure le policier. Selon lui, elles étaient de 5 «initialement», avant «de passer à 7 puis à 10 actuellement». Le fonctionnaire assure avoir «dû justifier à plusieurs reprises du nombre insuffisant d’étrangers en séjour irrégulier conduits au poste». «Aucun objectif chiffré n’est fixé aux policiers en matière de lutte contre l’immigration irrégulière», assure de son côté la Préfecture de police.

«Remplir le Centre jusqu’à ce qu’il déborde». L’OPJ garde en travers de la gorge la demande formulée en juin par le sous-directeur de la lutte contre l’immigration irrégulière de «remplir le centre de rétention [de femmes] jusqu’à ce qu’il déborde». La raison ? Peu remplie à l’époque, la partie réservée aux femmes du Centre de rétention administrative de Paris, situé dans le Bois de Vincennes, risquait de fermer si bien qu’il aurait fallu «aller les coucher au Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne)», d’où «une perte de temps». «Le CRA femme va fermer ses portes dans quelques semaines. Son taux d’occupation inférieur à 30 % est très faible. Ceci démontre qu’aucune instruction n’est donnée pour augmenter le nombre de femmes conduites au CRA», assure la Préfecture de police malgré le document que nous reproduisons.

«Tenter de remplir ce CRA jusqu’à ce qu’il déborde»

L’e-mail du sous-directeur de la lutte contre l’immigration irrégulière. qui réclame de remplir le CRA de Vincennes «jusqu’à ce qu’il déborde.»

Cibler les sans-papiers expulsables. Difficile d’obtenir des résultats pour les reconduites à la frontière. Si un étranger conduit au poste a une demande de titre de séjour en cours d’examen ou même un rendez-vous en préfecture, aucune mesure d’éloignement n’est prévue. Pour «des résultats probants», il leur est donc demandé de cibler les «Dublinais», ces étrangers qui ont déposé une demande d’asile dans un autre Etat. Ceux-là peuvent être reconduits à la frontière et intégrer les statistiques officielles. Ils sont interpellés lors d’opérations ciblées notamment dans les centres d’hébergement d’urgence ou au guichet de la préfecture. «Comment peut-on cibler des Dublinais lors d’un contrôle d’identité ? s’interroge la Préfecture de police. A supposer que ce soit légalement possible, ce qui n’est pas le cas, c’est en tout état de cause, impossible dans la réalité».

«Il est facile de donner des leçons sur la lutte contre l’immigration irrégulière, s’énerve un gradé de la police» qui reconnaît toutefois que «tout n’est pas faux dans ce que dit ce fonctionnaire». «Mais quelles autres solutions nous propose-t-on ?», soupire-t-il.

Le Monde // A Calais ou Paris, les migrant.e.s deviennent invisibles

http://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2017/09/13/a-calais-ou-paris-les-migrants-deviennent-invisibles_5184675_1654200.html

LE MONDE |

Par Maryline Baumard

Dans les deux villes, il n’y aura « plus personne à la rue à la fin de l’année », comme le souhaite le chef de l’Etat, si la chasse à l’homme et la dispersion continue.

Un, deux, trois… huit. Huit camionnettes de CRS se garent devant le centre humanitaire de la Porte de la Chapelle. Il est 14 heures, l’heure de la relève, jeudi 5 septembre. Comme chaque jour depuis le 18 août, trois véhicules se positionnent devant l’entrée face à une petite centaine d’Afghans et d’Africains venus chercher un ticket leur donnant droit à quelques nuits au chaud dans trois semaines, faute de places avant.

Deux véhicules s’installent sur le boulevard Ney, de chaque côté de la Porte et deux autres rejoignent le point où des distributions citoyennes ont lieu, pendant que le dernier se positionne sous le nœud des autoroutes.

Les cinquante membres des forces de l’ordre présents là vingt-quatre heures sur vingt-quatre ont pour consigne d’éviter la moindre installation de rue. Alors, par petits groupes, armés et gantés, les CRS assurent leurs promenades dissuasives, s’arrêtant face à tout ce qui s’apparente à une sédentarisation.

« Ils nous disent toutes les heures de partir »

« Depuis ce matin ils nous disent toutes les heures de partir », commente Hissène un jeune Tchadien assis avec son copain sur les pelouses boulevard Ney. Hissène surveille sa lessive sur les blocs de béton rouge et blanc qui empêchent le stationnement. Cent mètres plus loin, dans une rue perpendiculaire, un Soudanais s’étire sur le banc d’un arrêt de bus. « J’ai dû dormir deux heures… La nuit dernière j’ai été sans cesse réveillé par la police », se plaint-il.

Ce même après-midi, ils sont au moins 150 dans le jardin d’Eole, plus au sud du 18e arrondissement. Un groupe d’Afghans y joue au volley pendant que des Africains squattent tables et gradins de pierre. « On va d’un endroit à l’autre. On cherche des coins où la police nous laisse tranquilles », observe un Ethiopien ravi d’avoir obtenu un morceau de pain et une timbale de lait des mains de Tata Zenab. Installée rue Pajol, cette banlieusarde pleure en voyant s’allonger la file de jeunes affamés qu’elle ne pourra pas tous satisfaire.

A Paris, se faire une place à la rue est devenu tout un art. La chasse à l’homme et à l’installation de campements a disséminé les migrants en plus de 40 points sur le nord-est de la capitale. Mais si l’interdiction des campements masque les arrivées, elle ne les réduit pas.

Les statistiques montrent la même traîne de 50 à 60 arrivées quotidiennes ; de 700 à la fin de la semaine dernière ils vont passer le cap des 1 000 qui traînent dans Paris cette fin de semaine, à ajouter aux 300 qui attendent dans un gymnase un examen de leur dossier depuis la dernière évacuation de rue du 18 août. Entre le 4 et le 9 septembre, seuls 150 d’entre eux ont pu entrer dans le centre humanitaire que l’Etat n’a plus guère vidé, considérant que Paris devait se débrouiller avec ses migrants. Jeudi 7, pourtant, la doctrine a changé et il a été décidé d’orienter à nouveau vers la province.

Eviter le centre humanitaire et son contrôle administratif

Aujourd’hui, une partie des Afghans, Soudanais ou Erythréens ne veulent plus pénétrer dans le centre humanitaire pour éviter le contrôle administratif qui va avec. Electricien érythréen, Ghezal erre sur le boulevard Ney. « J’ai été hébergé au centre cet été et on m’a dit que je serais renvoyé en Italie où j’ai laissé mes empreintes. Je devais avoir un avion le 8, mais je ne suis pas allé chercher le billet », insiste celui qui s’apprête à entrer en clandestinité, bien décidé à ne pas retourner en Italie.

Reza, un Afghan de Kaboul, revient juste de Rome. Il est sur une piste pour des chantiers en banlieue, mais ne demandera plus asile à la France qui, au nom des accords de Dublin – en vertu desquels les migrants enregistrés dans un autre pays européen doivent y être transférés pour leur demande d’asile –, l’a déjà renvoyé.

La machine administrative tente comme elle peut de dissuader de venir en France, comme si elle n’avait pas entendu que le président Macron voyait dans l’accueil de réfugiés « l’honneur de la France ». Dans les Alpes-Maritimes, le préfet a été condamné le 4 septembre pour la deuxième fois pour avoir empêché de déposer en France une demande d’asile… 574 personnes ont déjà été renvoyées depuis Paris depuis janvier selon la préfecture de police, alors que sur toute l’année 2016, 1 293 avaient été expulsés depuis la France entière pour avoir laissé trace de leur passage ailleurs.

« Les fonctionnaires perdent beaucoup de temps sur ces dossiers alors qu’ils pourraient l’utiliser pour traiter plus vite la demande d’asile comme le gouvernement s’y est engagé », observe Gérard Sadik de la Cimade. « Une partie de ceux qui sont renvoyés reviennent, les autres redéposeront une demande sous six ou dix-huit mois, après avoir occupé des places d’hébergement pendant tout ce temps, alors qu’on en manque », rappelle un autre acteur du secteur.

Engorgement

A Calais, la politique de dissuasion est aussi forte qu’à Paris, mais elle s’exprime différemment. Cinquante-deux jours après la décision du conseil d’Etat (28 juillet) enjoignant l’Etat et la Ville de Calais de « créer plusieurs dispositifs d’accès à l’eau permettant aux migrants de boire, de se laver et de laver leurs vêtements, ainsi que des latrines, et d’organiser un dispositif adapté d’accès à des douches », ces dernières devraient arriver.

Rue des Garennes, mercredi 6 à 12 h 30, une camionnette de CRS, partie intégrante des 1 081 policiers affectés là, roule au pas, au rythme de la marche d’un groupe d’une trentaine de jeunes Erythréens. « Quand ils nous suivent comme ça, on risque toujours d’être gazé », raconte l’un d’eux, qui confirme que le harcèlement n’a pas décru en même temps que la température.

Pourtant en dépit de la dureté de vie, l’engouement pour les deux centres d’hébergement des Hauts-de-France n’est pas au rendez-vous. Depuis juillet, seuls 139 exilés y sont partis, selon la préfecture. Vingt-six ont fui après quelques nuits au chaud et seuls quinze ont été orientés vers un dispositif plus pérenne. C’est l’engorgement puisque la préfecture de Lille ne propose que treize rendez-vous par semaine pour déposer sa demande d’asile.

« De toute manière, nous ne faisons pas la promotion de ces centres où l’on trie les gens avec objectif de les dubliner », rappelle Vincent de Coninck du Secours catholique « et nous, on est là pour passer en Grande-Bretagne », ajoute Razoul, qui n’a jamais quitté la ville-frontière depuis le démantèlement de la « jungle » il y a dix mois et croit toujours que sa chance viendra.

« On oblige les migrants à se cacher »

Paris, Calais… les logiques de « dispersion » se ressemblent. « On oblige l

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es migrants à se cacher pour faire disparaître le sujet des yeux des citoyens et des journalistes », dénonce Louis Barda, le responsable du sujet à Paris pour Médecins du Monde.

Aujourd’hui les humanitaires sont de plus en plus convaincus que le « d’ici la fin de l’année, je ne veux plus personne dans les rues, dans les bois »lancé par Emmanuel Macron le 27 juillet à Orléans ne se réalisera pas par une mise à l’abri mais par une invisibilisation.

« Au rythme des opérations de dispersion, il n’y aura sans doute plus personne de visible », renchérit Maya Konforti, de l’Auberge des Migrants. Pour elle, la phrase du président de la République n’avait qu’une visée internationale. « Sinon il ne laisserait pas faire ce que les exilés subissent tous les jours à Paris ou Calais », estime-t-elle. La militante juge comme le chef de l’Etat que « l’honneur de la France est d’accueillir les réfugiés », mais observe que 80 % de ceux qui ont été évacués de la « jungle » en octobre ont obtenu le statut de réfugiés… et que la vague suivante de ce même public est aujourd’hui inlassablement pourchassée..

Chassée et dispersée au point qu’un membre de l’encadrement des CRS déplore « cette large dispersion des migrants sur toute l’agglomération de Calais ». À Paris aussi, la préfecture de police exécute certes les ordres du ministère de l’intérieur, mais en s’inquiétant de cette stratégie de court terme.

Communiqué // La Cimade // Etat d’urgence permanent, contrôles au faciès partout

http://www.lacimade.org/etat-durgence-permanent-controles-facies-partout/

11 septembre 2017

Le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, examiné le 12 septembre 2017 par la Commission des lois de l’Assemblée nationale, reprend de nombreuses dispositions de l’état d’urgence. La Cimade et de nombreuses organisations de la société civile dénoncent un texte qui permettrait d’instaurer un état d’urgence permanent, des contrôles d’identité sans motif sur quasiment tout le territoire : un très net recul des libertés publiques.

L’une des promesses de campagne d’Emmanuel Macron était de mettre fin à l’état d’urgence instauré en novembre 2015 et qui doit se terminer en novembre 2017. Pourtant, durant l’été, le gouvernement a présenté un projet de loi qui entérinerait les principales mesures de ce dispositif et les aggraverait. Adopté en procédure accélérée par le Sénat en juillet, c’est désormais au tour de la Commission des lois de l’Assemblée nationale de se pencher sur ce texte.

Les dispositions contenues dans ce projet de loi sont symptomatiques d’une volonté de restreindre encore davantage les libertés publiques de manière permanente.

DES CONTRÔLES D’IDENTITÉ AUX FRONTIÈRES ÉTENDUS SUR UNE GRANDE PARTIE DU TERRITOIRE : LÉGALISATION DU CONTRÔLE AU FACIÈS ?

Présente à la frontière franco-italienne depuis le rétablissement des contrôles en novembre 2015, La Cimade dénonce régulièrement les pratiques illégales des forces de l’ordre qui, sous prétexte de lutte anti-terroriste, refoulent des milliers de personnes en quête de protection vers l’Italie et poursuivent les  citoyennes et citoyens qui leur viennent en soutien. L’article 10 du présent projet de loi viendrait installer cette situation dans la durée et serait une véritable atteinte au principe de liberté de circulation à l’intérieur de l’espace Schengen.

La Cimade, de par son engagement auprès des personnes étrangères, s’inquiète tout particulièrement de la volonté de l’État français d’étendre considérablement les possibilités spatio-temporelles d’effectuer des contrôles dits « frontières ». Alors que la loi et la pratique permettent déjà un large éventail de situations permettant les contrôles d’identité, les contrôles dits « frontières » viennent faire sauter les derniers garde-fous juridiques. En effet, ces contrôles se font indépendamment de toute circonstance extérieure à la personne, ne sont fondés sur aucun critère et peuvent donc facilement couvrir juridiquement des contrôles aux faciès. Par ailleurs, ils empiètent sur le principe de libre circulation des personnes à l’intérieur de l’espace Schengen.

Le projet de loi prévoit ainsi de permettre les contrôles d’identité aux frontières pour une durée de 12 heures (contre 6 aujourd’hui), de les élargir « aux abords » de 373 gares, ports et aéroports, ainsi que dans un rayon de 20 km des 118 points de passages frontaliers. Bien au-delà des simples frontières de l’Hexagone, c’est presque tout le territoire qui est couvert. Le dispositif porte ainsi une atteinte disproportionnée aux droits et libertés des personnes. Des villes entières, comme Paris et toute la région Île-de-France, Lyon, Nantes, Rennes, Bordeaux, Montpellier, Toulouse ou Marseille seraient soumises à un régime de légalisation du contrôle au faciès. Des personnes assimilées par la police comme étant étrangères, quelle que soit leur situation en France, risquent ainsi d’être les victimes de ces contrôles d’identité.

La Cimade ainsi que de nombreuses organisations de la société civile appellent les député·e·s à rejeter l’ensemble des dispositions de ce texte et à envisager sérieusement de renforcer l’état de droit en arrêtant d’opposer la sécurité aux libertés publiques.

 

> Voir la carte des lieux de contrôles « frontière », sans matérialisation des zones de 20 km autour des 118 points de passages frontaliers.

La Voix du Nord // Damien Carême obtient un « entretien décisif » avec Gérard Collomb sur l’avenir de la Linière

http://www.lavoixdunord.fr/215641/article/2017-09-09/damien-careme-obtient-un-entretien-decisif-avec-gerard-collomb-sur-l-avenir-de

Le maire de Grande-Synthe, Damien Carême, a toujours dans l’idée de rouvrir le camp de la Linière d’ici la fin du mois. «  J’y pense  », confie-t-il, et il estime pouvoir le faire. Mais l’édile attend encore un rendez-vous «  décisif  », ce lundi, à 11 h, avec le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb. Un entretien qu’il n’a eu de cesse de réclamer depuis la nomination du gouvernement Philippe.

«  Je veux en sortir avec une solution à mettre en œuvre, explique-t-il fermement. Très vite après, je déciderai de ce qu’il faut faire. Je ne supporterai pas d’attendre encore plus longtemps et de laisser 350 réfugiés vivre dans des conditions inhumaines dans les bois du Puythouck. Ce ne sont pas des animaux. Je ne peux pas rester sans rien faire.  »

« Je ne peux pas rester sans rien faire »

Sur ce point, le maire insiste : «  Je ne veux pas être un jour condamné par la justice pour n’avoir rien fait ! Si à l’issue de ce rendez-vous avec Gérard Collomb, l’État ne prend pas de décision, j’en prendrai une.  » À savoir, la réouverture d’un lieu d’accueil. À la Linière ? «  Bien sûr, je ne vois pas d’autres endroits à Grande-Synthe  », rétorque Damien Carême, assuré d’avoir le soutien logistique de nombreuses ONG et associations humanitaires comme Médecins sans frontières, Emmaüs, Gynécologie sans frontières, Médecins du monde ou le Secours populaire. Surtout, le maire a «  tout gardé : les sanitaires, les douches, les connexions électriques sont toujours là. Tout est sur place  ».

« C’est le job de l’État »

Pour financer le fonctionnement du camp, le maire compte bien convaincre l’État de mettre la main à la poche, encouragé par son bras de fer victorieux en mai 2016. Le maire avait alors réussi à faire financer le fonctionnement de la Linière à hauteur de 3,9 millions d’euros par an. «  C’est à l’État de prendre en charge. C’est son job  ».

Et Damien Carême prévient : «  Si le ministre de l’Intérieur me dit non, il faut qu’il me le mette par écrit et je l’attaque au tribunal  ».

La rencontre s’annonce tendue. Le maire de Grande-Synthe a d’ores et déjà annoncé que «  la seule possibilité pour accueillir les réfugiés, c’est Grande-Synthe, pas Bailleul, ni Troisvaux. Les migrants sont ici  ».

La situation au Puythouck
Plus de 350 migrants vivent actuellement au Puythouck. Leur nombre avait diminué cet été avec les opérations de mise à l’abri dans les centres d’accueil et d’orientation. Des réfugiés ont aussi été accueillis dans les centres d’accueil et d’examen des situations (CAES) de Bailleul et Troivaux, ouverts cet été. «  Mais ils reviennent, note Claire Millot, de Salam, parce qu’ils ont peur d’être dublinés* (et donc renvoyés dans un autre pays européen) en CAES.  » Les associations attendent beaucoup de l’entretien entre Damien Carême et Gérard Collomb. «  Je n’ose pas espérer grand-chose mais c’est notre seul espoir  », souffle Claire Millot.

* Un réfugié doit effectuer sa demande d’asile dans le premier pays européen où il a été enregistré.

Tribune dans Libération // L’accueil des réfugié.e.s et la ville de demain

http://www.liberation.fr/debats/2017/08/24/l-accueil-des-refugies-et-la-ville-de-demain_1591718

Dans la chambre d'un mineur isolé au foyer Bellevue, à Châlons-en-Champagne, en février.
Dans la chambre d’un mineur isolé au foyer Bellevue, à Châlons-en-Champagne, en février. Photo Cyril Zannettacci pour Libération

Il faut sortir l’accueil des déplacés des logiques d’urgence et favoriser une approche globale, digne et humaine. Nous pouvons construire des lieux de vie qui favorisent l’émancipation personnelle.

Alors que le président de la République a annoncé fin juillet sa volonté de ne plus voir un seul migrant dormir dans les rues d’ici la fin de l’année, et que de nouveaux types de centres sont en invention, il convient d’aborder la question de l’architecture de l’accueil avec une vision globale et de long terme. L’arrivée de personnes dans certaines cités européennes dans des proportions qui excèdent leurs capacités d’assimilation classiques ne manque pas de poser des questions sur l’urbanisme et l’architecture de celles-ci.

Si l’accueil répond à des logiques techniques et foncières différentes des approches constructives classiques, son architecture demande une grande rapidité dans son mode de production, mais ne peut faire l’économie de la réflexion sur le temps long et de son inscription dans des politiques urbaines globales. Ces lieux de vie sont insérés dans les villes et les quartiers qui les entourent et y demeurent souvent bien plus longtemps que les logiques d’urgence donnent à le penser au départ.

Penser l’accueil, c’est penser la forme de la ville de demain dans une approche qui intègre accompagnement de la mobilité, dignité, respect, émancipation humaine mais également écologie, rapidité d’installation, transformation et recyclage de l’acte constructif. Le droit à la mobilité est adossé au droit à la ville.

Six typologies architecturales sont identifiables. La première est celle de quartiers d’accueil dépassant la logique de camps puisqu’ils s’inscrivent dans des quartiers sur le long terme. Si leur mode constructif peut recourir à la préfabrication ou à l’utilisation de modules, ils n’en sont pas moins pensés avec autant et même plus d’attention que celle portée à l’architecture du logement classique. Il est également possible, comme l’Allemagne l’a fait, de construire des petits bâtiments d’accueil avec des hébergements et des services dédiés, des «Maisons de migrants» intégrées et réparties dans les villes.

Une autre option, plus complexe qu’il n’y paraît, consiste à investir des logements inoccupés ou voués à la démolition. Il est souvent plus simple, comme à Berlin ou Athènes, d’investir des bureaux abandonnés ou des usines, en centre-ville ou en proche périphérie. Une approche plus audacieuse architecturalement serait de construire des bâtiments réversibles, servant aujourd’hui à l’accueil, mais demain à des résidences services (étudiants ou personnes âgées), du logement classique, voire des bureaux. Enfin, il serait peut-être temps de reconnaître les quartiers précaires comme des établissements humains et de les sécuriser : cette approche s’opère avec succès dans de nombreux pays du monde car elle ne vient pas détruire les solidarités et les économies existantes entre des habitants aux statuts fragiles. La «question des bidonvilles» a cessé d’en être une dans nombre de lieux sur la planète pour être reconnue comme une typologie parmi d’autres, quand 30 % de la population urbaine mondiale habite dans des quartiers informels. Il s’agit alors de leur donner un statut de droit, d’y mettre en place des services communs, de faire baisser les risques, de travailler sur les sols, et de favoriser les interactions entre les quartiers.

Ces scénarios ne sont pas en concurrence les uns avec les autres : ils sont appelés à être intégrés dans des démarches globales et peuvent s’additionner et se mélanger les uns aux autres en fonction des politiques et des conditions d’accueil locales, de manière synchrone, ou en se chevauchant au cours du temps. Plusieurs points demeurent néanmoins comme des constantes : l’importance des villes et des politiques municipales dans l’invention de l’accueil doit être pleinement reconnue en évitant toute pensée étatique centralisatrice sur le sujet ; c’est dans cet esprit qu’il est fondamental d’impliquer tous les acteurs locaux (administratifs, associatifs, économiques) qui doivent être parties prenantes dans la construction de cet accueil et y trouver leur compte. Il est nécessaire de laisser se mettre en place des micro-économies au sein des lieux d’accueil : dans tous les cas trop faibles pour gêner les activités économiques environnantes, elles sont des vecteurs de qualité de vie ; ces lieux doivent être pensés comme des tremplins pour aller dans le sens de l’émancipation personnelle. C’est dans cet esprit que la cogestion doit être la règle pour reconnaître les habitants comme des acteurs à part entière et non comme des personnes assistées à charge pour la société. Enfin, les lieux ne doivent pas être monofonctionnels mais bien au contraire ouverts à différents types d’activités adressées à tous. On peut penser au modèle des zones franches urbaines pour les activités économiques, les résidences artistiques peuvent par exemple se montrer fertiles dans les coexistences et la vie des lieux. L’accueil des personnes déplacées, réfugiées aujourd’hui, mais demain potentiellement victimes de catastrophes comme on l’a vu dans le Sud au début de l’été, s’inscrit dans la longue histoire des établissements humains. Penser la ville accueillante, c’est penser la ville de demain : transformable, légère, écologique, recyclable… mais avant tout humaine.

Courrier interassociatif // Lettre ouverte au Préfet du Pas de Calais

A Calais, le 25 août 2017,

 

Monsieur le Préfet du Pas-de-Calais,

Vous avez indiqué aux associations que vous avez rencontrées le jeudi 10 août que l’Etat allait se conformer aux injonctions du Tribunal administratif de Lille, confirmées par le Conseil d’Etat, concernant l’accès des exilé.e.s présent.e.s dans le Calaisis à un dispositif humanitaire.

Vous avez notamment déclaré que les douches seraient réservées aux personnes vulnérables, et avez précisé qu’il s’agissait des personnes malades, des femmes et des enfants.

Nous attirons, à titre liminaire, votre attention sur le fait que, comme le précise le considérant n° 30 de l’ordonnance du Tribunal Administratif de Lille, l’évaluation des besoins et la définition des conditions d’accès aux services créées (points d’eau et douches) doivent se faire en lien avec les associations requérantes.

Sauf à méconnaître l’ordonnance prise, il ne vous est donc pas possible de déterminer unilatéralement, comme vous l’avez fait, les modalités d’organisation de ces services, surtout si celles-ci ont finalement pour objet d’exclure plusieurs catégories de personnes.

 

Au demeurant, rien dans l’ordonnance du Tribunal Administratif de Lille, ni dans la décision du Conseil d’Etat, ne suggère que le juge administratif aurait entendu faire en sorte que seules les femmes, les enfants et les personnes malades puissent y avoir accès. Nous ne comprenons pas votre choix.

 

Surtout, en ce qu’il prévoit que seules les personnes malades, les femmes et les enfants pourraient avoir accès aux douches, le dispositif que vous avez créé ne tient pas compte des considérations qui ont conduit le juge administratif à enjoindre à votre administration d’installer des douches.

 

Pour le Tribunal Administratif de Lille et le Conseil d’Etat, l’installation de ces douches est nécessaire pour protéger les différents exilé.e.s actuellement sans abris à Calais qui se trouvent exposé.e.s aux risques sanitaires existants.

Les conséquences déplorables de cette situation ont été portées, de manière très circonstanciée, à votre connaissance tout au long de la procédure.

Le Tribunal Administratif de Lille et le Conseil d’Etat ont reconnu l’existence d’importants risques épidémiques.

Et, ils ont reconnu que l’apparition de cas de gale, d’impétigo, mais aussi de pathologies psychiatriques liées au manque d’hygiène, était due à l’absence de dispositif de prévention, et plus particulièrement, à l’absence de possibilité pour les exilé.e.s sans abris qui vivent dans un extrême dénuement de prendre une douche.

En effet, comme vous le savez, l’apparition de la gale ainsi que des nombreuses pathologies, notamment dermatologiques, dont finissent par souffrir les personnes sans-abris ne peut se combattre qu’en offrant à ce public la possibilité de garder des vêtements propres et aussi de conserver une hygiène de tout le corps.

 

Les injonctions de l’ordonnance doivent s’interpréter à la lumière des motifs de cette même décision : vous devez donc prendre en compte les objectifs avancés par le juge administratif, et donc les besoins, en termes d’accès à une douche, de toutes les personnes aujourd’hui à la rue  qui se trouvent, à Calais, en proie aux risques sanitaires identifiés.

 

Du reste, vous nous avez informés que le dispositif de douches mobiles serait géré par la Vie Active. Nous craignons que la gestion d’un tel équipement, dans le cadre restreint que vous dérivez concernant les bénéficiaires, soit impossible et débouche sur des conflits : comment les exilé.e.s vont-ils accepter que certain.e.s aient droit aux douches, et d’autres non ?

 

Enfin, et en tout état de cause, le Tribunal Administratif de Lille a retenu que l’ensemble des points d’eau installés devaient, au moins, permettre aux personnes de s’hydrater, de laver leurs vêtements et de se laver. Cela signifie que le préfet et la commune doivent, au minimum, prévoir les aménagements nécessaires à ces points d’eau pour rendre possible ces trois prestations et les offrir à tous. Or les robinets et les éviers aujourd’hui installés peuvent probablement permettre aux personnes de s’hydrater. Par contre, il n’est pas sérieux de dire qu’ils permettraient aux personnes de se laver. Il apparait très difficile de croire que les personnes pourraient se déshabiller ou se laver en plein air à l’aide de ces éviers. Le service tel qu’il est conçu ne prévoit donc pas les aménagements nécessaires.

 

Deux mois après la notification de l’ordonnance du tribunal, l’injonction n’est donc toujours pas respectée.

Nous ne voulons pas croire que votre intention soit de ne pas suivre les injonctions du Tribunal Administratif.

 

Dans le cas où vous n’élargiriez pas le dispositif douches à l’ensemble des personnes vivant dans la rue à Calais et dans celui où vous ne modifieriez pas les aménagements des points d’eau, nous nous réservons, avec nos avocat.e.s, l’éventualité de repartir devant le Conseil d’Etat en procédure d’exécution, afin de faire constater le non-respect des injonctions du Tribunal Administratif et de demander de mettre en œuvre tout moyen légal pour vous y conformer, y compris en demandant une importante augmentation du montant de l’astreinte par jour de retard.

 

Dans l’attente d’une réponse de votre part, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Préfet du Pas-de-Calais, l’expression de notre considération respectueuse.

 

Les associations signataires :

 

L’Auberge des Migrants

Care4Calais

La Cimade

Gynécologie Sans Frontières

Help Refugees

La Ligue des droits de l’homme

Médecins du Monde

Refugee Youth Service

Le Réveil Voyageur

Salam Nord Pas de Calais

Secours Catholique / Délégation du Pas de Calais

Utopia 56

 

 

François Gemenne // Revue Projet // « Réfugié.e.s: une Convention vaut mieux que deux tu l’auras »

Par François Gemenne, Chercheur, 13 juin 2017
On aurait d’un côté les réfugiés, fuyant la guerre, de l’autre des migrants venus chercher fortune ? La distinction, née après-guerre, ne résiste pas à l’analyse, d’autant qu’aux motifs politiques et économiques se conjuguent désormais les facteurs environnementaux. Mais il est urgent de n’y rien changer : sur elle, repose le droit international.Le besoin de simplification conduit à vouloir faire entrer les choses dans des catégories bien définies. Les distinctions sont nécessaires pour penser les migrations et pour organiser les politiques, mais elles sont souvent mal comprises : on tente de superposer des catégories juridiques avec des catégories empiriques ; on continue à employer toute une série de catégories profondément inadaptées aux migrations actuelles.

Aussi vais-je ajouter un peu de confusion à ces flous catégoriels, en montrant en quoi les déplacements liés aux dégradations de l’environnement interrogent les catégories autour desquelles se sont organisées notre pensée sur les migrations mais aussi nos politiques d’asile et d’immigration.

Réfugiés : naissance d’une catégorie

La dichotomie est devenue classique. D’un côté, il y aurait ceux qui sont contraints de se déplacer en raison de violences ou de persécutions. On a imaginé pour eux un régime international de protection, formalisé dans la convention de Genève de 1951. De l’autre, ceux qui décident de se déplacer de leur propre chef, dans le but d’améliorer leur vie – et d’abord leur salaire – et de fournir ainsi des revenus complémentaires à leur famille : ils sont considérés comme des migrants volontaires de type économique. Privés d’un droit à un régime international de protection, ils sont laissés à la bonne volonté des États et des gouvernements qui peuvent choisir de les accepter sur leur territoire ou, au contraire, les renvoyer à l’expéditeur comme des marchandises. Même la recherche a, en un sens, accepté cette dichotomie…

C’est autour d’elle que la convention de Genève s’est construite, devenant la pierre angulaire du droit international des réfugiés et le principal instrument de leur protection. Pourtant ses rédacteurs, au sortir de la seconde guerre mondiale, n’avaient pas du tout imaginé la portée universelle qu’elle a acquise aujourd’hui. Les quatre grandes puissances de l’époque (Royaume-Uni, Russie, États-Unis, France) négociaient là un arrangement pour régler le problème du déplacement de millions de personnes en Europe suite à la guerre. Au cours des années vingt et trente, lorsqu’il y avait une crise de réfugiés, on négociait entre pays concernés un arrangement ad hoc, une sorte de petit traité pour résoudre le problème. La convention de Genève s’inscrivait dans cette lignée : elle avait vocation à s’appliquer de façon circonscrite géographiquement (en Europe) et temporellement (pour les réfugiés déplacés par la seconde guerre mondiale). Un petit secrétariat fut créé pour délivrer les documents et superviser son application. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) est initialement institué pour trois ans : on estime alors qu’en 1954 la question sera réglée et la nécessité de la Convention disparaîtra d’elle-même, faute d’objet.

La convention de Genève avait vocation à s’appliquer de façon circonscrite géographiquement et temporellement.

Les critères d’attribution du statut de réfugié sont choisis en fonction de ce qui se faisait déjà, tout en tenant compte de la situation. Les délégués russes ont tenté d’ajouter d’autres critères, en proposant que puissent bénéficier du statut de réfugié les déplacés économiques, c’est-à-dire, dans leur esprit, les victimes des persécutions du capitalisme qui viendraient trouver un asile dans la Russie bolchévique. Les trois autres puissances n’y étant pas prêtes, on s’en tiendra à des motifs strictement politiques pour l’attribution du statut.

Mais comment cette Convention, conçue au départ comme un arrangement ad hoc, pour une durée limitée, peut-elle toujours constituer la pierre angulaire de la protection des réfugiés ? Peu à peu, on a estimé que ce texte, conçu en Europe, pouvait avoir une utilité pour ceux qui se trouvaient dans des situations comparables en Afrique ou en

Asie, à la suite des processus de décolonisation et de leurs lots de violences. Face aux crises de réfugiés qui se multipliaient un peu partout autour du globe, on a jugé disposer d’un instrument. C’est en 1967 que sont levées les conditions d’application de la convention de Genève : désormais, elle s’applique partout dans le monde – du moins dans tous les pays signataires – pour tout type de réfugiés, et non uniquement aux déplacés par la seconde guerre mondiale.

Comment oublier qu’initialement la Convention n’avait pas la portée universelle qu’on lui prête aujourd’hui ?

Comment oublier, cependant, qu’initialement la Convention n’avait pas la portée universelle qu’on lui prête aujourd’hui ? Les travaux préparatoires indiquent explicitement qu’elle n’a pas vocation à s’appliquer à de futurs mouvements de réfugiés. Or nous continuons à l’appliquer alors que les flux migratoires sont devenus très différents.

Une dichotomie inopérante

Contrairement aux années cinquante ou soixante, les gens ne migrent plus d’un point A vers un point B. Les parcours migratoires sont devenus infiniment plus complexes, avec des étapes nombreuses, des retours, des diversions, des bifurcations. Au lieu de parcours linéaires, on se trouve devant des parcours fragmentés, étalés souvent sur plusieurs mois ou années. Et l’on ne migre plus pour un motif unique : les raisons se superposent les unes aux autres, s’additionnent au cours des étapes du parcours, souvent se modifient mutuellement. De façon croissante, on verra dans des parcours migratoires une influence conjointe de facteurs économiques, politiques, culturels, sociaux et, de plus en plus, environnementaux.

On ne migre plus pour un motif unique : les raisons se superposent les unes aux autres, s’additionnent au cours des étapes du parcours, souvent se modifient mutuellement.

Car les dégradations de l’environnement, qu’il s’agisse d’une catastrophe naturelle brutale ou de dégradations plus lentes (processus de désertification, de déforestation, hausse du niveau des mers…) poussent sur les routes de plus en plus d’individus. Elles deviennent ainsi un facteur majeur de déplacements dans le monde. Même si beaucoup de ces migrations restent absentes des statistiques (ce sont, pour l’essentiel, des migrations internes sur d’assez courtes distances), même si elles n’attirent guère l’attention des organisations internationales ou des ONG, elles troublent profondément deux principes fondateurs de la dichotomie sur laquelle on s’appuie pour classer les migrations.

Migrations forcées ou volontaires ?

En premier lieu, elle trouble la distinction entre migrations forcées et volontaires. Dans toute migration, il y a une part de contrainte et une part de libre arbitre, dans des proportions certes variables selon les cas.

Le vocable de « migration environnementale », en particulier, englobe des flux très différents. Va-t-on considérer comme migrants environnementaux les retraités britanniques qui achètent une maison dans le Sud de la France, parce qu’ils sont lassés de la brume et de la pluie ? Comme le sont les familles du Bangladesh dont le village a été ravagé par un cyclone ? Ces deux types de migrants n’ont rien à voir l’un avec l’autre, ne posent pas les mêmes défis politiques et n’appellent évidemment pas les mêmes réponses.

On fait pourtant comme si la migration environnementale était distincte des dynamiques migratoires mondiales. En réalité, beaucoup de ceux qui se déplacent en raison des dégradations de leur environnement (mis à part les retraités britanniques et américains) sont contraints de se déplacer. Mais ils vont aussi, dans une certaine mesure, choisir de se déplacer, par exemple, pour anticiper une situation future. Ainsi dans les petits États insulaires du Pacifique sud ou de l’océan Indien, de plus en plus d’habitants migrent vers l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, parce qu’ils savent qu’à terme leurs terres seront inondées et que leur pays risque de disparaître complètement. Évidemment, ils ne migrent pas de gaîté de cœur, c’est pour eux un déchirement, mais ils le font comme une sorte de stratégie d’assurance.

Plutôt que de faire des migrations forcées ou volontaires deux catégories distinctes, n’est-il pas plus utile de les concevoir comme deux extrémités d’un continuum ? Des extrémités très rarement atteintes, au demeurant, sauf dans des cas très particuliers

Le Haut Commissariat aux réfugiés n’a pas de mandat pour venir en aide aux personnes victimes de catastrophe naturelle ou de dégradation de l’environnement. Or cette distinction, que l’on peut mettre en cause théoriquement, se trouve aussi mise en cause empiriquement. Suite au tsunami qui a ravagé l’Asie du Sud et du Sud-Est, au lendemain du jour de Noël en 2004, 2 millions de personnes se sont trouvées déplacées. Or le HCR était déjà présent au Sri Lanka. Les officiels du HCR qui géraient les camps de réfugiés ont vu arriver, outre les réfugiés déplacés par la guerre civile qui ravageait le pays, ceux qui l’étaient par le tsunami. Pour des raisons de simple humanité, il était impossible de faire le tri. Et pour la première fois, un peu contraint par la réalité, le HCR déploie une opération humanitaire de grande ampleur d’assistance à des victimes de catastrophes naturelles. Cette expérience entraînera en son sein une sorte de révolution : de plus en plus, il sera amené, comme les autres organisations en charge des réfugiés, à s’occuper sur le terrain de personnes déplacées par des dégradations de leur environnement.

Migration politique ou économique ?

De même, la logique de distinction entre les facteurs politiques et économiques doit pouvoir être remise en cause. Tous deux sont profondément influencés par les facteurs environnementaux. En Afrique, par exemple, à peu près la moitié de la population dépend directement de l’agriculture pour sa subsistance. Toute variation de la température ou de la pluviométrie affecte directement les récoltes qui fournissent l’essentiel des revenus.

Pour cette moitié de la population africaine, l’environnement et l’économie, c’est la même chose. D’où des processus migratoires très importants, avec un exode rural de plus en plus marqué vers les grands centres urbains. Et parfois un prolongement par une migration internationale. Autrement dit, des migrants économiques que nous accueillons en Europe et que nous désignons comme tels sont aussi des migrants environnementaux.

Par ailleurs, les facteurs environnementaux jouent un rôle croissant dans la génération de plusieurs conflits. Qu’on pense à l’impact de la sécheresse en Syrie sur les origines du soulèvement, ou au cas du Darfour. Au fur et à mesure qu’on avancera dans le XXIe siècle, les facteurs de migration seront de plus en plus imbriqués. S’échiner à vouloir trier les migrations selon le motif sera de plus en plus artificiel, de plus en plus vain.

S’échiner à vouloir trier les migrations selon le motif sera de plus en plus artificiel, de plus en plus vain.

Pourtant, cette dichotomie entre réfugiés politiques et migrants économiques revient en force à l’occasion de ce qu’on a appelé « la crise des réfugiés ». Nombre de médias et de responsables politiques, mais aussi d’associations, insistent sur la nécessité de séparer clairement les réfugiés des migrants. Parce que, bien entendu, ils n’ont pas droit à la même protection. Des politiques différentes doivent, d’un côté, protéger les réfugiés, de l’autre, gérer les « flux de migrants ».

Cette dichotomie permet de faire face à la réticence des gouvernements et des opinions publiques. D’où l’insistance de certains sur la nécessité d’une protection des réfugiés et sur l’importance de ne pas faire des politiques d’asile des instruments de contrôle de l’immigration, de leur réserver le caractère humanitaire qu’elles n’auraient jamais dû abandonner.

Mais le problème du retour de cette dichotomie, c’est le jugement normatif qu’elle nous conduit à porter : il y aurait d’un côté des bons réfugiés, qu’il faudrait accueillir, de l’autre des mauvais migrants, qu’il faudrait renvoyer. Comme si la présence des premiers était plus légitime que celle des seconds, comme si nous pouvions, depuis nos capitales occidentales, nous ériger en juges de la légitimité de la migration des uns et des autres.

Boîte de Pandore

Serait-il donc temps d’envisager une adaptation de la convention de Genève ? Et de faire en sorte que l’instrument de protection des réfugiés, au cœur de l’organisation de l’asile, soit adapté aux réalités des migrations forcées d’aujourd’hui ?

Il y aurait de multiples raisons de la faire évoluer, pour imaginer un dispositif dynamique plutôt que statique. Mais ni les opinions publiques, ni les gouvernements ne sont prêts à réviser la Convention. Et beaucoup craignent que, si les modifications étaient envisageables, bien des États pourraient se saisir de l’occasion pour la jeter aux oubliettes, voire pour retirer leur signature.

Nous sommes ainsi tétanisés : nous avons fait de ce texte ad hoc un « talisman » intouchable, de crainte que, si jamais il était remis sur la table, on ne tente de s’en débarrasser. En tant que chercheur, je suis favorable à une révision de la convention de Genève, mais comme observateur de la vie politique et comme citoyen concerné, j’y suis tout à fait hostile ! C’est une bien triste époque.

25 mars 2017, colloque Confrontations « Accueillir l’étranger – le défi ».