Un policier du val de Marne dénonce les dérives de la lutte contre l’immigration illégale

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12 septembre 2017

Bois de Vincennes. Le centre de rétention administrative de Paris où sont conduits les étrangers en situation irrégulière.

Politique du chiffre, infractions prétextes, ciblage des centres d’hébergement : un officier spécialisé qui travaillait à l’unité de Cachan vient d’envoyer un courrier circonstancié au Parquet de Créteil. Nous avons pu le consulter.

Comment lutter contre l’immigration irrégulière en faisant preuve d’efficacité, en respectant la loi et en évitant les dérives ? La question est épineuse si l’on en croit le courrier que vient d’envoyer au Parquet de Créteil un ancien officier de police judiciaire (OPJ) de l’unité de lutte contre l’immigration irrégulière du Val-de-Marne. L’activité de ce service basé à Cachan, qui a été rattaché comme ses homologues de la petite couronne à une nouvelle sous-direction de la Préfecture de police, consiste principalement depuis les attentats à effectuer dans les gares des contrôles d’identité deux fois par semaine.

Le prétexte des infractions. On ne contrôle pas les gens sans motif. Ce cadre juridique, délivré par le Parquet, est motivé par la recherche d’infractions (vol à la roulotte, par effraction…). Pourtant, constate le policier, «l’objet réel de ces contrôles d’identité est le contrôle de régularité du séjour des étrangers et non la recherche d’infractions.» «Les flux migratoires constatés sur la capitale et en banlieue, sont tels qu’ils donnent lieu à l’interpellation d’étrangers en infraction aux règles du séjour […], justifie la Préfecture de police. Ces contrôles […] concernent toutes les personnes, sans distinction, présentes dans le lieu visé par la réquisition».

Des objectifs chiffrés. Ces contrôles d’identité doivent aboutir à de plus en plus de conduites au poste, assure le policier. Selon lui, elles étaient de 5 «initialement», avant «de passer à 7 puis à 10 actuellement». Le fonctionnaire assure avoir «dû justifier à plusieurs reprises du nombre insuffisant d’étrangers en séjour irrégulier conduits au poste». «Aucun objectif chiffré n’est fixé aux policiers en matière de lutte contre l’immigration irrégulière», assure de son côté la Préfecture de police.

«Remplir le Centre jusqu’à ce qu’il déborde». L’OPJ garde en travers de la gorge la demande formulée en juin par le sous-directeur de la lutte contre l’immigration irrégulière de «remplir le centre de rétention [de femmes] jusqu’à ce qu’il déborde». La raison ? Peu remplie à l’époque, la partie réservée aux femmes du Centre de rétention administrative de Paris, situé dans le Bois de Vincennes, risquait de fermer si bien qu’il aurait fallu «aller les coucher au Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne)», d’où «une perte de temps». «Le CRA femme va fermer ses portes dans quelques semaines. Son taux d’occupation inférieur à 30 % est très faible. Ceci démontre qu’aucune instruction n’est donnée pour augmenter le nombre de femmes conduites au CRA», assure la Préfecture de police malgré le document que nous reproduisons.

«Tenter de remplir ce CRA jusqu’à ce qu’il déborde»

L’e-mail du sous-directeur de la lutte contre l’immigration irrégulière. qui réclame de remplir le CRA de Vincennes «jusqu’à ce qu’il déborde.»

Cibler les sans-papiers expulsables. Difficile d’obtenir des résultats pour les reconduites à la frontière. Si un étranger conduit au poste a une demande de titre de séjour en cours d’examen ou même un rendez-vous en préfecture, aucune mesure d’éloignement n’est prévue. Pour «des résultats probants», il leur est donc demandé de cibler les «Dublinais», ces étrangers qui ont déposé une demande d’asile dans un autre Etat. Ceux-là peuvent être reconduits à la frontière et intégrer les statistiques officielles. Ils sont interpellés lors d’opérations ciblées notamment dans les centres d’hébergement d’urgence ou au guichet de la préfecture. «Comment peut-on cibler des Dublinais lors d’un contrôle d’identité ? s’interroge la Préfecture de police. A supposer que ce soit légalement possible, ce qui n’est pas le cas, c’est en tout état de cause, impossible dans la réalité».

«Il est facile de donner des leçons sur la lutte contre l’immigration irrégulière, s’énerve un gradé de la police» qui reconnaît toutefois que «tout n’est pas faux dans ce que dit ce fonctionnaire». «Mais quelles autres solutions nous propose-t-on ?», soupire-t-il.

Communiqué // La Cimade // Etat d’urgence permanent, contrôles au faciès partout

http://www.lacimade.org/etat-durgence-permanent-controles-facies-partout/

11 septembre 2017

Le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, examiné le 12 septembre 2017 par la Commission des lois de l’Assemblée nationale, reprend de nombreuses dispositions de l’état d’urgence. La Cimade et de nombreuses organisations de la société civile dénoncent un texte qui permettrait d’instaurer un état d’urgence permanent, des contrôles d’identité sans motif sur quasiment tout le territoire : un très net recul des libertés publiques.

L’une des promesses de campagne d’Emmanuel Macron était de mettre fin à l’état d’urgence instauré en novembre 2015 et qui doit se terminer en novembre 2017. Pourtant, durant l’été, le gouvernement a présenté un projet de loi qui entérinerait les principales mesures de ce dispositif et les aggraverait. Adopté en procédure accélérée par le Sénat en juillet, c’est désormais au tour de la Commission des lois de l’Assemblée nationale de se pencher sur ce texte.

Les dispositions contenues dans ce projet de loi sont symptomatiques d’une volonté de restreindre encore davantage les libertés publiques de manière permanente.

DES CONTRÔLES D’IDENTITÉ AUX FRONTIÈRES ÉTENDUS SUR UNE GRANDE PARTIE DU TERRITOIRE : LÉGALISATION DU CONTRÔLE AU FACIÈS ?

Présente à la frontière franco-italienne depuis le rétablissement des contrôles en novembre 2015, La Cimade dénonce régulièrement les pratiques illégales des forces de l’ordre qui, sous prétexte de lutte anti-terroriste, refoulent des milliers de personnes en quête de protection vers l’Italie et poursuivent les  citoyennes et citoyens qui leur viennent en soutien. L’article 10 du présent projet de loi viendrait installer cette situation dans la durée et serait une véritable atteinte au principe de liberté de circulation à l’intérieur de l’espace Schengen.

La Cimade, de par son engagement auprès des personnes étrangères, s’inquiète tout particulièrement de la volonté de l’État français d’étendre considérablement les possibilités spatio-temporelles d’effectuer des contrôles dits « frontières ». Alors que la loi et la pratique permettent déjà un large éventail de situations permettant les contrôles d’identité, les contrôles dits « frontières » viennent faire sauter les derniers garde-fous juridiques. En effet, ces contrôles se font indépendamment de toute circonstance extérieure à la personne, ne sont fondés sur aucun critère et peuvent donc facilement couvrir juridiquement des contrôles aux faciès. Par ailleurs, ils empiètent sur le principe de libre circulation des personnes à l’intérieur de l’espace Schengen.

Le projet de loi prévoit ainsi de permettre les contrôles d’identité aux frontières pour une durée de 12 heures (contre 6 aujourd’hui), de les élargir « aux abords » de 373 gares, ports et aéroports, ainsi que dans un rayon de 20 km des 118 points de passages frontaliers. Bien au-delà des simples frontières de l’Hexagone, c’est presque tout le territoire qui est couvert. Le dispositif porte ainsi une atteinte disproportionnée aux droits et libertés des personnes. Des villes entières, comme Paris et toute la région Île-de-France, Lyon, Nantes, Rennes, Bordeaux, Montpellier, Toulouse ou Marseille seraient soumises à un régime de légalisation du contrôle au faciès. Des personnes assimilées par la police comme étant étrangères, quelle que soit leur situation en France, risquent ainsi d’être les victimes de ces contrôles d’identité.

La Cimade ainsi que de nombreuses organisations de la société civile appellent les député·e·s à rejeter l’ensemble des dispositions de ce texte et à envisager sérieusement de renforcer l’état de droit en arrêtant d’opposer la sécurité aux libertés publiques.

 

> Voir la carte des lieux de contrôles « frontière », sans matérialisation des zones de 20 km autour des 118 points de passages frontaliers.

Défenseur des droits // Enquête sur les relations police / population

http://www.defenseurdesdroits.fr/fr/actus/actualites/relations-policepopulation-le-defenseur-des-droits-publie-une-enquete-sur-les

Alors que le Conseil constitutionnel se prononcera le 24 janvier sur une question prioritaire de constitutionnalité relative à la question des contrôles d’identité discriminatoires, le Défenseur des droits, qui sur le même sujet, a présenté en 2016 des observations remarquées devant la Cour de cassation[i], a publié le 20 janvier les résultats d’une enquête réalisée au cours de l’année 2016 sur les relations entre la police et la population dans le cadre des contrôles d’identité.

Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a en effet souhaité disposer de connaissances fiables sur l’accès aux droits dans les situations qui relèvent de ses compétences (discriminations, droits de l’enfant, déontologie des forces de sécurité, relations avec les services publics). Il a donc réalisé une grande enquête, dénommée « Accès aux droits », dont le premier volet des résultats portant sur les rapports entre la police et la population est publié ce jour[ii].

Les autres résultats concernant les services publics, les droits de l’enfant et les discriminations seront rendus publics au cours du premier trimestre 2017.

Pour la première fois l’on dispose de données représentatives à l’échelle nationale sur les expériences de la population en matière de contrôles de police ou de gendarmerie.

Il est important de souligner que l’enquête met en évidence des relations globalement satisfaisantes entre la population et les forces de l’ordre, ainsi 82% des personnes interrogées disent faire confiance à la police.

Le contrôle d’identité apparait comme une situation sensiblement minoritaire. 84% des personnes interrogées déclarent ne jamais avoir été contrôlées dans les cinq dernières années (90% des femmes et 77% des hommes).

Les personnes contrôlées au cours des cinq dernières années (16 % des personnes interrogées) rapportent généralement peu de comportements en contradiction avec la déontologie des forces de sécurité, comme le tutoiement (16%), la brutalité (8%), les insultes (7%) ou encore le manque de politesse (29%).

Le manque d’explications sur les raisons du contrôle est cependant plus fréquent (59%), alors même que ce dernier est davantage perçu comme légitime lorsque les forces de sécurité prennent le temps d’en expliquer le motif.

Cependant, si pour la majorité des enquêtés les relations police/population sont satisfaisantes, certaines personnes caractérisées par leur âge et leur appartenance supposée à certains groupes sociaux rapportent des expériences plus contrastées.

Ainsi, près de 40 % des jeunes (18-24 ans) indiquent avoir été contrôlés dans les cinq dernières années. Parmi cette population, pour la même période, les jeunes hommes perçus comme noirs, arabes/maghrébins sont particulièrement concernés : 80 % d’entre eux rapportent avoir été contrôlés au moins une fois par les forces de l’ordre.

L’enquête révèle également que la fréquence importante des contrôles auprès d’une catégorie de la population alimente chez celles et ceux qui en font l’objet un sentiment de discrimination et de défiance envers les institutions policières et judiciaires. Cette défiance tient notamment à l’absence d’information donnée par les forces de l’ordre sur les raisons du contrôle.

Cette étude conforte la position du Défenseur des droits qui, depuis 2012, recommande d’assurer une traçabilité des contrôles[iii] afin de garantir l’accès au recours des personnes qui s’estiment victimes de discriminations et de manquements à la déontologie. Dans cette perspective, il souhaite être associé à l’expérimentation, prévue par la prochaine loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, de l’enregistrement audio-visuel systématique de chaque contrôle d’identité réalisé en application de l’article 78-2 du Code de procédure pénale. La traçabilité des contrôles constitue un enjeu de la politique de sécurité : à terme, elle permettrait d’évaluer leur efficacité et éventuellement de réajuster leur nombre et les espaces et populations ciblés, à l’instar des politiques d’évaluation mises en place à l’étranger[iv].

Les enseignements de cette enquête seront intégrés aux formations que le Défenseur des droits mène, en partenariat avec la Direction générale de la police nationale, auprès des élèves gardiens de la paix au titre de l’apprentissage des règles de déontologie professionnelle (7 300 élèves depuis 2015), pour renforcer la prévention des risques de pratiques discriminatoires et souligner l’importance de la communication lors de la réalisation des contrôles d’identité.

Le Défenseur des droits insiste sur la nécessité de conduire une réflexion partagée sur l’encadrement juridique des contrôles d’identité, sur leur efficacité et leurs effets afin de mettre en place des dispositifs permettant de mieux évaluer leur pertinence comme outil de sécurité, et ce aussi bien au bénéfice des personnes contrôlées qu’à celui des forces de l’ordre.


[i] Dans le cadre des arrêts rendus le 9 novembre 2016 par la 1è chambre civile sur la responsabilité de l’Etat en cas de contrôle discriminatoire : http://www.defenseurdesdroits.fr/actions/protection-des-droits-libertes/…

[iii] Défenseur des droits. Rapport relatif aux relations police/citoyens et aux contrôles d’identité, 2012. Avis n°16-19 sur le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté ; Avis n° 16-12 sur la proposition de loi visant à lutter contre les contrôles d’identité abusifs ; Avis n° 15-25 et 15-27 sur la proposition de loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs.

[iv] Cf. Défenseur des droits, Relations police-citoyens et contrôles d’identité, 2014