La Voix du Nord // Au-delà de la jungle de Calais
Au-delà de la « jungle » de Calais
Saint-Martin-lez-Tatinghem
C’est un fossé, un vulgaire fossé entre deux champs qui appartient à l’Association française de remembrement. Depuis au moins dix ans y vivent entre 30 et 50 migrants, pour la plupart afghans. C’est un amas de cabanes faites de bric et de broc, de palettes et de bâches. Un petit potager, un coin feu, un autre vaisselle, une mosquée, et au fond deux blocs béton qui font office de latrines.
Un mini mini Calais. Et justement, au lendemain du démantèlement à Calais, le maire de Saint-Martin-lez-Tatinghem et conseiller départemental socialiste Bertrand Petit saisit la balle au bond pour demander que ce camp disparaisse : « J’ai dit au sous-préfet, si l’État a su trouver des solutions d’hébergement pour les milliers de personnes qui s’y trouvaient, il doit pouvoir le faire pour les quelques personnes du camp de Tatinghem », déclare-t-il en novembre. Et il encourage le propriétaire du terrain à porter plainte.
Huit mois se passent et, en juillet, la situation n’a pas changé. Alors l’édile s’associe à son homologue de la commune voisine, Longuenesse, pour adresser une demande directe au préfet. En début de ce même mois, Steenvoorde avait été démantelé. Norrent-Fontes va suivre en septembre. Grande-Synthe a brûlé et l’État refuse un nouveau camp en dur. Des migrants vivent à côté, dans le bois du Puythouck. Restent Angres et sa communauté vietnamienne et donc Saint-Martin-lez-Tatinghem où la vie toutes ces années s’est organisée grâce aux bénévoles d’Emmaüs.
Maurice, 76 ans, achemine chaque jour la citerne d’eau qu’il attelle vaillamment à la remorque malgré son âge et charge des caisses de nourriture ramassées auprès des supermarchés et des boulangeries. Les migrants refusent de nous raconter leur parcours. Mais on les sait jonchés d’épreuves. Alors Michelle, qu’ils appellent « madame gentille », leur apporte un peu d’affection. C’est simple : des gestes, des regards, les photos des enfants. Et quand l’un d’eux passera de l’autre côté en sautant dans un camion au péage de l’A26 situé à quelques kilomètres, il enverra peut-être, par SMS, un laconique « England ».
Les voisins, eux, se sont habitués à cette présence « très discrète ». Les deux propriétaires des maisons les plus proches ne s’en plaignent pas. En dix ans, ils n’ont eu peur qu’une fois, quand des coups de feu ont été tirés. Sinon, ils n’ont jamais eu d’ennuis, n’ont jamais été volés, y compris dans leurs jardins sans clôtures. Sans véhémence, les agriculteurs à qui appartiennent les terres qui bordent le camp se plaignent que des sacs de couchage ou des couvertures se prennent dans l’enfileuse à maïs. Pas de hauts cris à part cette voisine : « Quand je les croise, je laisse aboyer mon chien, je me méfie toujours. Je suis un peu raciste », sourit-elle.
Bertrand Petit plaide pour un démantèlement et un hébergement en CAO. Sauf que, comme l’a montré la récente évacuation de Norrent-Fontes, ceux qui ne veulent pas demander l’asile en France ou craignent d’être « dublinés » (renvoyés dans le premier pays européen dans lequel leurs empreintes ont été relevées) quittent le centre et reviennent. Après le démantèlement de Calais, ils avaient reçu la garantie de ne pas l’être et ne l’ont pas été, la différence est d’importance. À Norrent-Fontes, donc, ils sont désormais dans un bois appartenant à un médecin, à 3 km de là, à Quernes, tandis qu’à Steenvoorde, idem, une trentaine de migrants sont le long de l’A25. Ce bois comme un symbole alors qu’Emmanuel Macron a justement déclaré ne plus vouloir d’hommes et de femmes « dans la rue, dans les bois ».
À Croisilles, le pari gagné de l’intégration des Soudanais
L’affaire était mal embarquée, pourtant. Il y a un an, trente-six Soudanais (et un Nigérien) arrivent de Calais dans une atmosphère étouffante, menaçante. Une partie des 2 000 habitants du village situé près d’Arras s’oppose bruyamment à l’ouverture du seul centre d’accueil de migrants (CAO) du Pas-de-Calais. Il y a des manifestations nocturnes, le maire est vigoureusement pris à partie… Mais l’émoi retombe vite face à une véritable lame de fond : des dizaines de bénévoles se pressent dans l’ancienne maison de retraite où sont logés les Africains, pour les aider.
S’enclenche, avec les associatifs de La Vie Active, qui gère le CAO, un énorme travail d’accompagnement. Des cours de français ont lieu chaque jour, des sorties sont organisées… Le footballeur Lilian Thuram y passe une journée. Fin décembre, bonne nouvelle : tous ces jeunes hommes obtiennent l’asile. L’horizon se dégage. Un forum de l’emploi est organisé, les projets s’affinent. Les 37 résidants ont quitté Croisilles. La plupart sont restés dans l’Arrageois, dans le parc social à Béthune ou Arras. Un est parti à Bordeaux, un autre est logé dans une famille avec laquelle il s’est lié d’amitié. Ils parlent correctement le français, cherchent du travail ou sont scolarisés à l’école de la deuxième chance… Sacrés défis, relevés en un temps record ! Le CAO s’est transformé en CAES, sas plus court vers d’autres lieux. Il accueille des Érythréens, Soudanais, Afghans…
Lille, Paris, la Normandie…
Le seul campement véritablement nouveau dans la région depuis le démantèlement de celui de Calais s’est constitué peu avant l’été à la gare Saint-Sauveur à Lille. Actuellement y vivent entre 150 et 200 migrants. Contrairement à Calais, la plupart sont originaires d’Afrique noire francophone et ne cherchent pas à aller en Angleterre.
Autre point de fixation : Paris, avec jusqu’à 3 000 migrants originaires de la corne de l’Afrique et d’Afghanistan, dont les campements sont sans cesse démantelés et reconstitués.
La Belgique est concernée sur sa côte et, depuis cet été à Bruxelles, où des centaines de migrants, pour la plupart érythréens et soudanais en quête d’Angleterre, vivent dans un parc. La semaine dernière, la ville a décidé d’ouvrir un centre d’accueil. Enfin, des migrants tentent d’embarquer de Normandie. Pas plus tard que jeudi, Paris Match publiait un article titré : « Ouistreham, la nouvelle route des migrants. »
25 000 mineurs étrangers isolés
Lors du démantèlement, 1 952 mineurs ont été orientés vers des centres d’accueil dédiés (CAOMI) : 515 ont été transférés vers le Royaume-Uni ou l’Irlande, 194 orientés vers l’aide à l’enfance, 333, évalués majeurs, orientés vers les CAO. Et 709 ont fugué, notamment car l’Angleterre avait promis d’accueillir ceux qui avaient de la famille chez elle. Mais, deux semaines plus tard, elle a durci ses critères.
Au-delà, le sujet des mineurs qui veulent rester en France (ce qui concerne assez peu la population des campements de la région) préoccupe : leur nombre est passé de 4 000 en France en 2010 à 25 000 cette année. Ils relèvent de l’aide sociale à l’enfance qui dépend des Départements. Lesquels, débordés, en appellent à l’État. Vendredi, Édouard Philippe a apporté des garanties, jugées insuffisantes.
Mineur.e.s isolé.e.s : les annonces du Premier ministre préoccupent les associations
Selon plusieurs associations, le transfert à l’Etat de la prise en charge des jeunes étrangers se déclarant mineurs isolés constituerait un recul grave pour les droits de l’enfant.
Les déclarations du Premier ministre relatives aux mineurs non accompagnés dans son discours de clôture du congrès de l’Assemblée des départements de France le 20 octobre ont suscité une vague d’inquiétude au sein du monde associatif. Dans un courrier adressé à Edouard Philippe le 5 octobre dernier, plusieurs associations redoutaient déjà une possible reprise en main par l’Etat de la prise en charge de ces jeunes qui « pourrait être lourd[e] de conséquences sur les droits de l’enfant ». Or, lors de son intervention, le chef du gouvernement a justement annoncé que « l’Etat assumera[it] l’évaluation et l’hébergement d’urgence des personnes se déclarant mineurs entrants dans le dispositif jusqu’à ce que leur minorité soit confirmée« . Cette annonce fait suite à la demande des départements, traditionnellement compétents en la matière au titre de leur mission d’aide sociale à l’enfance, que l’Etat assume dorénavant la totalité des dépenses liées aux mineurs non accompagnés qu’ils estiment à un milliard d’euros par an.
Un « recul grave » pour les droits de l’enfant
Dans un communiqué de presse publié le 26 octobre, 17 associations, parmi lesquelles la Cimade, la Ligue des droits de l’Homme, Médecins du monde et le Secours catholique, rappellent leur « opposition à ce que l’accueil, la mise à l’abri, l’évaluation ou l’accompagnement des mineurs non accompagnés soient organisés dans le cadre des politiques publiques liées à l’immigration ». Elles estiment au contraire que l’évaluation de l’isolement et de la situation sociale de ces jeunes « relève des compétences d’action sociale et de protection de l’enfance des conseils départementaux ». Par ailleurs, « ces enfants, du fait de leur vulnérabilité et de leur minorité […] ne sauraient être pris en charge en hébergement d’urgence, ou accueillis dans les mêmes dispositifs que des adultes ». Ces organisations, pour qui cette annonce « constitue un recul grave pour les droits de l’enfant dans notre pays », demandent à être entendues collectivement « et à ce que les acteurs de la protection de l’enfance soient intégrés dans l’ensemble des concertations en cours ».
Parallèlement, un collectif d’avocats et de juristes intervenant auprès de mineurs non accompagnés a adressé, le 24 octobre, une lettre ouverte à Emmanuel Macron. Il juge les annonces du Premier ministre « extrêmement préoccupantes dès lors que le gouvernement aurait l’intention de valider et consolider les discriminations existantes en pratique et ce, sur le seul fondement de l’extranéité des enfants migrants ». Il lui demande au contraire de considérer ces jeunes « comme des enfants, et non comme des étrangers ».
ASH, 27 octobre 2017
Lettre ouverte à Monsieur le Président de la République Française
« Monsieur le Président de la République,
Nous sommes des Avocat•e•s et des Juristes intervenant quotidiennement auprès de mineur•e•s isolé•e•s étranger•e•s dans différents départements du territoire français.
Nous avons appris ce 20 octobre 2017par un discours de Monsieur Le Premier Ministre devant le congrès de l’Assemblée des départements de France que l’Etat a décidé d’assumer l’évaluation de leur âge et leur hébergement d’urgence jusqu’à ce que leur minorité soit confirmée.
Le Premier Ministre a précisé que « cet accueil d’urgence et cette capacité à dire si, oui ou non, nous sommes en face de mineur•e•s ou de majeur•e•s, doit relever de la responsabilité de l’Etat ».
Il a ajouté qu’il faudrait à cet effet « mettre en place des dispositifs d’accueil et un processus de prise en charge spécifiques, adapter les dispositions législatives » et « clarifier la question des coûts », étant précisé que « c’est le rôle de l’Etat d’accueillir dignement une personne étrangère sur notre territoire, de lui assurer la protection correspondant à son statut. »
Enfin, il a prévu « d’engager une mission d’expertise » qui pourrait rendre ses conclusions « d’ici à la fin de l’année ».
Or la Loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfance, complétée par le Décret du 24 juin 2016 et les Arrêtés du 28 juin et du 17 novembre 2016, a réaffirmé la place des mineur•e•s isolé•e•s étranger•e•s au sein du droit commun de la protection de l’enfance et a donc déjà mis en place un dispositif spécifique d’évaluation et d’accueil en urgence des enfants migrants non accompagnés.
Dans notre exercice quotidien, nous constatons sur l’ensemble du territoire français de très nombreuses défaillances dans la mise en œuvre de ce dispositif, que ce soit au stade de la mise à l’abri immédiate du/de lamineur•e isolé•e, lors de l’évaluation de la minorité et de l’isolement puis au niveau de la prise en charge de ces jeunes vulnérables au sein des services de protection de l’enfance.Cet état de fait est d’autant plus choquant que la situation des mineur•e•s isolé•e•s étranger•e•s les rend particulièrement vulnérables et les expose aux abus et à la maltraitance (racket par les passeurs, mendicité et délinquance forcées, ateliers clandestins, prostitution, etc.), ce qui devrait au contraire inciter les autorités à les protéger au moins autant, sinon plus, que les autres enfants. Ce constat des dysfonctionnements du dispositif mis en place ne saurait appeler un glissement vers un cadre juridique spécial, hors du droit commun de la protection de l’enfance.
Nous sommes conscient•e•s que ces défaillances sont principalement liées aux difficultés financières générales des départements et nous nous sommes réjoui•e•s à l’annonce par le Gouvernement de sa décision d’allouer davantage de ressources à la protection des mineur•e•s isolé•e•s étranger•e•s, répondant ainsi à l’une des observations formulées par le Comité des droits de l’enfant le 23 février 2016.
En revanche, les déclarations faites par le Premier Ministre ce 20 octobre 2017 nous semblent extrêmement préoccupantes dès lors que le Gouvernement aurait l’intention de valider et consolider les discriminations existantes en pratique et ce, sur le seul fondement de l’extranéité des enfants migrants.
La création d’un dispositif de prise en charge spécifique, discriminatoire, serait contraire aux engagements internationaux de la France et en particulier, à la Convention Internationale des Droits de l’Enfant et notamment, à ses articles 2 (non-discrimination), 3-1 (prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant), 3-2 (obligation d’assurer à tout enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être en cas d’incapacité de ses responsables légaux) et 20 aux termes duquel l’enfant migrant non accompagné doit se voir accorder « la même protection que tout autre enfant définitivement ou temporairement privé de son milieu familial pour quelque raison que ce soit ».
Concernant la phase d’évaluation et de mise à l’abri, nous pensons que le financement par l’État du coût réel de l’évaluation et de la mise à l’abri serait une solution davantage conforme au principe de non-discrimination et aux droits de l’enfant, ainsi que le préconise le Défenseur des droits dans son avis n°17-10 du 11 octobre 2017. En effet, la mise à l’abri et l’évaluation des vulnérabilités et dangers, dont la minorité et l’isolement font partie, sont les premières mesures de protection de l’enfance.
Ces jeunes doivent être considéré•e•s comme des enfants, et non comme des étranger•e•s.
C’est pourquoi nous vous demandons solennellement de réaffirmer l’attachement de la France à la protection de tous les enfants présents sur son territoire, de réaffirmer le rôle de notre système de protection de l’enfance vis-à-vis de tou•te•s les mineur•e•s en danger, quels que soient leur nationalité, leur origine ou leur statut administratif, et ce dès leur arrivée sur le territoire français
Nous appelons à ce que la mission d’expertise en cours de création rassemble également avocat•e•s, magistrat•e•s du siège et associations de défense des droits, afin d’établir un diagnostic précis, améliorer la mise en œuvre du dispositif existant et faire en sorte que tous les enfants présents sur le sol français bénéficient de la même protection, quel que soit le département où ils/elles se trouvent. Nous nous tenons à votre disposition pour partager par ailleurs nos constats.
Espérant que la présente lettre ouverte retiendra votre attention nous vous prions de recevoir, Monsieur le Président de la République, l’assurance de notre plus haute considération. »
Premiers signataires :
- Me Fanny Audrain, Avocate au Barreau de Paris
- Me Delphine Basille-Duprey, Avocate au Barreau de Paris
- Me Ambre Benitez, Avocate au Barreau de Créteil
- Me Edouard Bera, Avocat au Barreau de Paris
- Me Brigitte Bertin, Avocate au Barreau de Besançon
- Me Laurence Bilbille Dauvois, Avocate au Barreau de Paris
- Me Sophie Binet, Avocate au Barreau de Versailles
- Me Josine Bitton, Avocate au Barreau de Bobigny
- Me Pauline Blanc, Avocate au Barreau de Paris
- Me Isabelle Bonnet, Avocate au Barreau de Paris
- Me Anita Bouix, Avocate au Barreau de Toulouse
- Me Hélène Bouly, Avocate au Barreau de Versailles
- Me Catherine Brault, Avocate au Barreau de Paris
- Me Nadine Chauvet, Avocate au Barreau de Paris
- Me Isabelle Clanet dit Lamanit, Avocate au Barreau des Hauts de Seine
- Me Yann Chaumette, Avocat au Barreau de Nantes
- Me Bertrand Couderc, Avocat au Barreau de Bourges et Président du Syndicat des Avocats de France
- Me Céline Coupard, Avocate au Barreau de Montpellier
- Me Lionel Crusoë, Avocat au Barreau de Paris
- Me Catherine Daoud, Avocate au Barreau de Paris
- Me Emmanuel Daoud, Avocat au Barreau de Paris
- Me Blandine De Blic, Avocate au Barreau de Versailles
- Me Béatrice de Vareilles-Sommières, Avocate au Barreau de Paris
- Me Eric Delbecque, Avocat au Barreau de Paris
- Me Emilie Dewaele, Avocate au Barreau de Lille
- Me Véronique Ducros, Avocate au Barreau de Paris
- Me Claire Dujardin, Avocate au Barreau de Toulouse
- Me Marie-Christiane Dupont De Ré, Avocate au Barreau de Paris
- Me Virginie Dusen, Avocate au Barreau de Paris
- Me Mélanie Duverney Prêt, Avocate au Barreau de Paris
- Me Clémentine Ebert, Avocate au Barreau de Metz
- Me Adeline Firmin, Avocate au Barreau de Lyon
- Me Hélène Gacon, Avocate au Barreau de Paris
- Me Emilie Ganem, Avocate au Barreau des Hauts de Seine
- Me Camille Gausserès, Avocate au Barreau de Bobigny
- Me Guillaume Gardet, Avocat au Barreau de Lyon
- Me Nathalie Goldberg, Avocate au Barreau de Strasbourg
- Me Hélène Gorkiewiez, Avocate au Barreau de Paris
- Me Maître Isabelle Guttadauro, Avocate au Barreau de Paris
- Me Thierry Jacqmin, Avocat au Barreau de Paris
- Me Mathilde Jay, Avocate au Barreau de Toulouse
- Me Brigitte Jeannot, Avocate au Barreau de Nancy
- Me Saker Kama, Avocat au Barreau de Paris
- Me Sara Khoury, Avocate au Barreau de Toulouse
- Me Erika Koenig, Avocate au Barreau de Paris
- Me Marianne Lagrue, Avocate au Barreau de Paris
- Me Julien Lambert, Avocat au Barreau de Lyon
- Me Delphine Lassailly, Avocate au Barreau de Paris
- Me Anne Lassalle, Avocate au Barreau de Bobigny
- Me Amandine Le Roy, Avocate au Barreau de Nantes
- Me Mélanie Le Verger, Avocate au Barreau de Rennes
- Me Anais Leonhardt, Avocate au Barreau de Marseille
- Me Frédérique Lendres, Avocate au Barreau de Paris
- Me Isabelle Lendrevie, Avocate au Barreau de Bobigny
- Me Alix Mansard, Avocate au Barreau de Paris
- Me Delphine Maréchal, Avocate au Barreau de Paris
- Me Hélène Martin-Cambon, Avocate au Barreau de Toulouse
- Me Emily Mengelle, Avocate au Barreau d’Evry
- Me Jacques Megam, Avocat au Barreau de Lyon
- Me Florence Nèple, Avocate et Présidente de la commission des mineurs du Barreau de Lyon
- Me Vanina Padovani, Avocate au Barreau de Paris
- Me Stéphanie Partouche – Kohana, Avocate au Barreau de Paris
- Me Catherine Perelmutter, Avocate au Barreau de Paris
- Me Martine Peron, Avocate au Barreau de Versailles
- Me Sabah Rahmani, Avocate au Barreau de Lyon
- Me Vanina Rochiccioli, Avocate au Barreau de Paris et Présidente du GISTI
- Me Sandrine Rodrigues, Avocate au Barreau de Lyon
- Jean-Luc Rongé, Directeur du Journal du droit des jeunes
- Me Pierre Rouanet, Avocat au Barreau de Paris
- Me Isabelle Roth, Avocate au Barreau de Paris
- Me Julie Royon, Avocate au Barreau de Saint Etienne
- Me Séverine Rudloff, Avocate au Barreau de Strasbourg
- Me Marlène Safar Gauthier, Avocate au Barreau de Paris
- Me Farid Saib, Avocat au Barreau de Paris
- Malik Salemkour, Président de la Ligue des droits de l’Homme
- Me Virginie Satorra, Avocate au Barreau de Paris
- Me Viviane Souet, Avocate au Barreau de Paris
- Me Mylène Stambouli, Avocate au Barreau de Paris
- Me Flor Tercero, Avocate au Barreau de Toulouse
- Me Elen Thoumine, Avocate au barreau de Nantes
- Me Marc Vernhes, Avocat au Barreau de Paris
- Me Anne-Caroline Vibourel, Avocate au Barreau de Lyon
- Me Laurent Vovard, Avocat au Barreau de Paris
- Me Claire Zoccali, Avocate au Barreau de Lyon
Et les associations suivantes :
- DEI-France
- Le GISTI
- La LDH
- Médecins du Monde
- Parcours d’Exil
- Le Secours Catholique – Caritas France
- Le Syndicat des Avocats de France
Pour la liste des signatures actualisée, voir sur le site d’InfoMIE
Le Monde // De la jungle de Calais à l’université de Lille
Un an après le démantèlement du campement, en octobre 2016, retour sur un programme pilote qui a vu la fac accueillir 80 réfugiés sur son campus.
Avec ses deux mains, il agrippe les cornes du taureau, l’accompagnant dans chacune de ses rebuffades. Projeté à droite, à gauche, Alam s’adapte avec souplesse à la danse folle de l’animal, sans jamais lâcher prise dans ce « Rodeo Ranch ». L’attraction fait fureur sur le campus de Lille-III, vendredi 15 septembre, défi ludique au cœur de la rentrée universitaire. Après l’estocade de trop, il s’écroule sur le tapis gonflable, sous les applaudissements. L’étudiant pakistanais aura tenu cinquante-deux secondes. Le record ! Alam a été le plus endurant de tous ceux qui, ce jour-là, se sont essayés à dompter la folle bête de plastique.
Tenir sans chuter ; ne jamais lâcher les rênes de son destin, quelles que soient les turbulences… Depuis son départ du Pakistan, en 2015, Alam s’en tient à cette ligne de conduite. S’il a failli perdre espoir dans les geôles hongroises ou bulgares, le jeune homme, pourchassé par les talibans, a toujours su relever la tête. Et ce goût de la gagne l’a finalement conduit du campement de la « jungle » de Calais à l’université de Lille.
Une université traditionnellement ouverte sur le monde
Aujourd’hui, il faut se pincer ferme pour imaginer qu’il a existé des allers simples du plus gros bidonville de France vers la fac. C’était il y a un an, quasi jour pour jour. Le gouvernement, qui avait décidé d’évacuer la « jungle » et ses 7 000 personnes, tenait à installer symboliquement quelques dizaines d’étudiants sur le campus lillois, histoire de donner des gages de sa bonne foi. Alam, Abbas, Ashraf ou Saman furent de ceux-là.
Un an plus tard, si ce n’était ce brin de timidité à investir certains lieux, rien ne les distingue des 8 170 étudiants internationaux qu’accueille cette université de 66 500 jeunes, traditionnellement ouverte sur le monde.. Mais, sur eux, la force d’attraction de Lilliad, la bibliothèque design du campus, ou la « coolitude » du Café culture, n’ont pas de prise. Comme pour compenser leurs longs mois sans toit, ils surinvestissent depuis un an les six mètres carrés de leur chambre, cocon où ils se reconstruisent avant de reprendre leur envol, chacun à son rythme.
La chambre 213 est le repaire de Khalid. C’est aussi son point de repère, comme le fut hier sa cabane dans la « jungle ». Cet ancien journaliste soudanais reconnaît avoir du mal à s’en extraire. Son errance a commencé quand il a quitté son pays pour fuir la torture. Elle l’a d’abord mené en Ukraine, où il a vécu neuf ans, devenant comédien. Aujourd’hui, une tasse de café cardamome-cannelle à portée de main, il y écrit son histoire, en espérant être prêt à intégrer la licence cinéma de l’université dans un an. Et à investir davantage l’espace public.
Dans sa chambre, chaque objet a une étiquette sur laquelle est inscrit le mot français qui le désigne ; son emploi du temps est collé avec du ruban adhésif près du traditionnel tableau noir. Lui y écrit les conjugaisons, d’autres y listent du vocabulaire ou y notent des phrases fortes dans cette langue qui se dérobe encore un peu, mais dans laquelle certains ont suffisamment progressé pour entamer un vrai cursus.
Pour certains, une validation des compétences
Ashraf est inscrit en licence d’informatique, Abbas en mathématiques et informatique, Saman en lettres modernes et Alam va suivre une licence de sciences exactes et sciences de l’ingénieur. Les aînés du groupe, qui avaient exercé comme professeur ou avocat au Soudan, vétérinaire au Pakistan ou architecte en Iran, ont fait valider leurs compétences pour reprendre directement en master.
A la veille de leur première vraie rentrée à l’université française, ce mois de septembre, une bonne partie d’entre eux a quitté la résidence Evariste-Galois, un bâtiment qui leur était alloué sur le campus scientifique, pour se disperser dans les cités U, voire en coloc, en ville. La plupart ont opté pour le premier prix : un 6 mètres carrés à 160 euros, puisqu’il leur fallait sortir de l’immeuble désaffecté du centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) qui avait été transformé à la va-vite en centre d’accueil et d’orientation (CAO) il y a un an. Un CAO sur le campus !
Les étudiants sont particulièrement attachés à leur chambre de 6 m2, qui constitue leur premier logement stable depuis des mois. | JEAN LARIVE / MYOP
« Aujourd’hui, on en rigole, mais au début on a halluciné quand la préfecture a voulu interdire les visites et les sorties des étudiants en soirée, sous prétexte de leur statut : ils devaient être traités comme tous les demandeurs d’asile de France », se rappelle Judith Hayem, anthropologue et maître de conférences à Lille. Elle a tout de suite vu en eux des étudiants classiques. « On est une université, pas la succursale du ministère de l’intérieur », ajoute un brin agacée celle qui a à son actif un passé de militante auprès des sans-papiers des coordinations parisiennes.
L’année écoulée, ils sont beaucoup restés entre eux, liés par une épreuve commune, même s’ils étaient séparés en quatre groupes de niveau pour leurs trois cent quinze heures de cours de français. « Il fallait qu’on travaille seul le soir, à revoir les cours, parce que le français est difficile, explique Ashraf, même si les étudiants et les professeurs nous ont bien aidés, notamment avec les cours de conversation. »
Indispensable, la maîtrise du français
Les mois se sont écoulés au rythme de leurs progrès linguistiques et des paperasses administratives. Et cette rentrée, le groupe initial est divisé en trois : ceux qui ont un niveau de français suffisant pour intégrer une formation sans aménagement, comme Yaya, avocat au Soudan, qui passe en master de droit. Ceux qui intègrent un cursus aménagé pour pouvoir poursuivre en parallèle les leçons de français. Et ceux qui ont besoin d’une nouvelle année pleine de français avant de se lancer.
Pour tous, la rentrée 2017 est difficile. Lunettes colorées sur le nez, sourire enfantin aux lèvres, en dépit de ses 29 ans, Ashraf s’avoue découragé. « Je ne comprends rien aux cours », se désole-t-il en s’affalant sur le lit de son ami Abbas, après deux semaines d’amphi. Ashraf a déjà étudié l’informatique au Soudan, il aime la discipline, il sait qu’elle offre des débouchés solides, pourtant il pense à changer d’orientation. Lui qui parle déjà un anglais courant se demande s’il ne va pas passer en fac d’anglais. « Pour quoi faire… J’en sais rien… Mais pour ne pas me sentir largué en cours », soupire-t-il. Abbas, fort en maths, s’arrache également les cheveux : « Je comprends les concepts, mais pas ce que dit le prof », se désole-t-il.
Pour Ashraf, l’année passée a été consacrée aux cours de français et aux formalités administratives pour obtenir le statut de demandeur d’asile. | JEAN LARIVE / MYOP
Une épreuve de plus pour ce Soudanais de 30 ans qui n’a toujours pas de papiers. « On me balade, on me dit à chaque fois d’attendre un peu », s’inquiète-t-il. L’impossibilité pour lui de vivre à Khartoum n’a pas été reconnue lors de sa demande d’asile. Dans le groupe, trois sont dans son cas et treize attendent encore une décision de la Cour nationale du droit d’asile. Promesse avait été faite de les régulariser lorsqu’ils ont quitté la « jungle ». Mais, en attendant, l’angoisse plane, doublée du sentiment de n’être nulle part vraiment bienvenu..
Une nouvelle promotion avec six filles
Même s’il a été répété à ces étudiants qu’ils sont un exemple, qu’ils font partie d’un projet pilote destiné à en inspirer d’autres en France, l’expérience tarde à se transformer en politique. Seules quelques universités, comme celles de Strasbourg ou Créteil, se sont aussi lancées, mais à plus petite échelle. A Lille, une nouvelle promotion de 50 étudiants est en train d’arriver, plus jeune, plus francophone, avec six jeunes filles, alors qu’une seule était présente parmi les 80 premiers.
« Le 15 septembre, nous avons créé un réseau des étudiants migrants dans l’enseignement supérieur, soutenu par la Conférence des présidents d’université », rappelle Emmanuelle Jourdan-Chartier. Si cela permet la mutualisation des expériences, en revanche, un financement national se fait toujours attendre. « Il nous faudrait inventer un statut d’étudiant réfugié », pointe la vice-présidente chargée de la vie étudiante de Lille-III, réfléchir aussi à un référentiel national des équivalences de diplômes.
Kaleem profite du terrain de cricket, sport national au Pakistan. | JEAN LARIVE / MYOP
Tant reste à faire. En attendant, une partie des 80 étudiants cherchent un petit boulot ou un service civique pour financer leurs études. « Comme les Français », soupire Alam, inquiet de devoir mener de front l’apprentissage du français, ses cours de licence et son job. « L’année sera dure », estime-t-il, avant qu’un autre ancien de la « jungle » lui rétorque un imparable « moins que l’an dernier ».
« La jungle… » Kaleem soupire, ne s’autorisant que deux mots : « cauchemar » et « inhumanité ». Ce grand gars carré de 32 ans, qui a travaillé comme vétérinaire pour une ONG au Pakistan et retrouve doucement le plaisir du cricket sur le campus, ne s’étend pas sur la dureté de ses huit mois sous une tente aux côtés de huit autres exilés.
Quand Maya Konforti, bénévole de L’Auberge des migrants, une des associations calaisiennes les plus présentes dans la « jungle », lui parle d’un programme d’inscription à l’université en février 2016, il n’y croit guère, d’abord. « On n’était pas loin de 10 000, l’université en prendrait moins de 100 et j’allais être dedans ? » Kaleem a surtout du mal à comprendre la logique française : après les avoir laissés des mois durant dans la boue et la misère du bidonville, le gouvernement allait tout à coup leur offrir une inscription à l’université et des papiers ?
Un étrange revirement gouvernemental
Le revirement interpelle aussi Saman, l’Iranien. Arrêté à Calais par la police, il a connu l’enfermement en centre de rétention et la menace d’expulsion, avant d’être libéré par un juge. Et on lui déroulerait le tapis rouge vers la fac ? « De toute manière, même si on doutait de l’issue, on n’avait pas d’autre solution que d’y croire », ajoute le jeune homme qui vient d’entamer une licence de lettres modernes.
Dans la « jungle », Saman passait ses journées à lire à l’école du chemin des Dunes, une classe faite de bric et de broc, où des bénévoles donnaient des cours d’anglais et de français. Il a avalé tout Camus et pas mal de Victor Hugo. Abbas, lui, a relu L’Amour au temps du choléra, de Gabriel GarcÍa Márquez, sur le banc de la bicoque de bois… C’est là que tous deux ont été repérés pour cette initiative née à la croisée de deux volontés.
Khalid a étiqueté chaque meuble ou objet de sa chambre de sa dénomination française. | JEAN LARIVE / MYOP
Depuis des mois, en effet, L’Auberge des migrants n’en pouvait plus du gâchis de talents et de compétences dans cette Calais bis où vivotaient jusqu’à 10 000 migrants. L’asso compilait les CV dans l’espoir d’affréter un jour un charter pour l’enseignement supérieur. En parallèle, depuis le printemps 2016, une équipe d’enseignants, d’administratifs et d’étudiants de l’université de Lille venait régulièrement dans la « jungle » avec la même idée en tête.
C’est Anne Gorouben, une artiste engagée auprès des exilés de Calais, qui a servi de guide à Giorgio Passerone, emblématique professeur de littérature italienne, accompagné d’étudiants. Caroline Hache, professeure des écoles, a rejoint le dispositif et restera « un de nos meilleurs soutiens », comme le résume Abbas, un an après.
Une sortie « par le haut » de l’indignité
En avril 2016, ces deux mondes coorganisent une journée de débats à la fac à laquelle participent des migrants. Un pas est franchi qui sera suivi d’un autre en juin, quand trois vice-présidents de l’université de Lille rencontrent la préfecture. Entraînée par le volontarisme des universitaires, la machine administrative se met en branle et le Crous met rapidement à disposition un immeuble inoccupé de 80 chambres sur le campus de la Cité scientifique, à Villeneuve-d’Ascq. L’organisme Adoma en assurera la gestion, pour en faire un CAO.
Mais, si tout était dans les tuyaux, le véritable feu vert n’est tombé que quelques jours avant le grand démantèlement de la « jungle ». La cinquantaine de Soudanais, la dizaine d’Afghans, les cinq Iraniens, quatre Pakistanais, trois Syriens, mais aussi l’Albanais, l’Érythréen et le Gambien n’ont eu la confirmation ferme de leur acceptation dans le programme qu’à ce moment-là.
Il fallait que l’opération serve l’image du ministre de l’intérieur et illustre la grandeur d’âme de la France en montrant une sortie « par le haut »de l’indignité où certains croupissaient depuis des mois. D’ailleurs, c’est à ce moment-là que la préfecture décide de passer la liste de 40 à 80, afin que la belle histoire compte assez de pages.
Les étudiants de l’université lilloise ont eux aussi tissé des liens avec les réfugiés et les aident au quotidien, notamment grâce à des cours de conversation. | JEAN LARIVE / MYOP
Dans les couloirs de l’université, on se raconte encore un an après la rocambolesque opération d’exfiltration durant laquelle les universitaires ont récupéré dans leurs véhicules personnels ceux que L’Auberge des migrants et l’école laïque du chemin des Dunes avaient présélectionnés. Comme la préfecture avait supprimé depuis des jours tous les départs organisés de la « jungle » afin de susciter un rush vers les premiers bus qui s’approcheraient au matin du démantèlement le lundi 24, il n’était pas question d’envoyer un autocar une semaine avant à la sortie du bidonville. Humanitaires et enseignants ont donc assuré la noria entre la « jungle » et l’entrepôt de L’Auberge, où un bus les attendait pour les emmener vers leur nouvelle vie, souvent sans bagage ni parfois même de chaussures.
Leur niveau de français évalué, une clé de chambre en poche, deux couvertures, des draps et un oreiller dans les bras, les 80 réfugiés ont revu un lit, un vrai, avant de recevoir la visite le lendemain du préfet de région et le surlendemain du ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve.
L’importance des bénévoles
Pris en charge dans le cadre de la législation sur les demandeurs d’asile, le groupe a vu son hébergement, sa nourriture, son accompagnement social et administratif financés toute l’année passée par la puissance publique, à raison de 25 euros par jour. L’université de Lille, elle, a offert l’exonération des droits d’inscription et les cours. Le reste a été possible grâce aux bénévoles qui n’ont compté ni leur temps ni leurs efforts pour aider ces jeunes hommes un peu perdus.
Le 15 septembre, c’est l’heure des embrassades de rentrée entre Alam et trois étudiantes qui l’ont aidé en français l’année passée. « Retrouvailles entre amis », sourit Camille Doré, 23 ans. Avec Ghésia Hoeel, étudiante en droit comme elle, et Claire Dubocquet, étudiante en psychologie, elles ont commencé par assurer du soutien en français. « Puis on a invité le groupe des Afghans et des Pakistanais au bowling. En retour, ils nous ont préparé un repas tradi. C’est une rencontre vraiment riche », observe la jeune femme, qui, comme tant d’autres à Lille, a joué la carte de l’accueil.
Abdul. Si d’autres universités ont lancé des initiatives du même type, le financement national se fait toujours attendre. | JEAN LARIVE / MYOP
Face à cet élan de générosité, les étudiants ont répondu par un volontarisme qui force l’admiration de ceux qui les côtoient. « Il est clair qu’ils savent pourquoi ils sont là », souligne Isabelle Lamarre, agente de service du Crous à la résidence Galois, qui joue parfois les mamans de substitution. Ce courage a aussi touché le préfet de région qui a récompensé plusieurs d’entre eux dans le cadre d’une cérémonie de mise à l’honneur des « prodiges de la République ».
Les 80 étudiants de Lille peuvent à nouveau rêver d’avenir, mais leurs anciens compagnons de « jungle » n’en sont pas tous là. Sur les 8 000 évacués de Calais, huit sur dix ont obtenu le statut de réfugiés. Ce n’est que le premier pas de la longue course d’obstacles qui les attend, lorsqu’ils arrivent sur le marché du travail sans diplôme français
Paris Match // Ouistreham, la nouvelle route des migrant.e.s
Ouistreham: la nouvelle route des migrants
Paris Match|
Près de Caen, sur les plages du Débarquement, des dizaines de migrants cherchent à embarquer pour l’Angleterre.
Céline a commencé à les apercevoir dans une station-service à l’entrée de la ville, lorsque son fils lui a lancé : « Regarde, maman, les gendarmes font des pompes. » Comment expliquer à un enfant que l’agent n’est pas en plein exercice physique mais à la recherche d’un passager clandestin sous un camion ? « Ça nous perturbe, on ne sait pas quoi faire », commente la jeune femme. Dans les fossés, entre les platanes, des réfugiés sont assis sur leurs talons. Seules leurs têtes dépassent. Ils fixent les camions. En ville, d’autres se regroupent ou se cachent derrière des voitures, côte à côte dans le dernier virage emprunté par les routiers avant le ferry. Prêts à bondir au moindre ralentissement.
« Avec la gendarmerie, c’est Tom and Jerry », plaisantent-ils. Ils attendent des heures. Ahmed, 16 ans, essaie tous les jours. Coiffé d’une casquette, en vêtements sombres trop grands pour lui, l’adolescent raconte : « Tu trouves les essieux du camion, tu te glisses la tête la première… Nous, on connaît le danger. » Parfois ils se trompent de camion et se retrouvent au marché aux poissons, à 100 mètres de l’entrée du ferry. Ou encore plus loin, à Lyon. Ils connaissent les horaires de tous les bateaux : 8 h 30, 16 h 30, 23 heures. Entre 23 h 30 et 5 heures, ils rentrent dans leur bois humide, des ombres dans l’obscurité.
C’est à 4 kilomètres du ponton sur lequel s’attardent les touristes pour profiter du panorama sur les plages du débarquement. A 4 kilomètres de ces haut-parleurs qui appellent « les voyageurs à destination de Portsmouth ». Là-bas, les pêcheurs guettent le premier frémissement de l’onde, comme les cormorans qui, à cet exercice, sont plus habiles. Ici, c’est la forêt, et une traque entre êtres humains. Les gendarmes chassent une poignée d’hommes, terrés dans un petit bois. Ils se sont rassemblés autour du feu. Les traits tirés par le manque de sommeil, les vêtements sales. Ils éclatent parfois de rire. Le rire sonore de ceux qui ne s’apitoient pas sur leur sort. « C’est bon », répète l’un d’eux.
Pommettes saillantes et regard rieur, Issa, 18 ans, s’allonge sur un long sac en papier : on y voit encore un splendide labrador. Avant, on y transportait des croquettes Pedigree, à présent, il fait office de matelas. « Certains ont des sacs de couchage, d’autres de simples plastiques pour les protéger de la pluie. Dormir dehors n’est pas vraiment ma “tasse de thé” », lâche-t-il avec un humour quasi british. C’est tout ce qu’il possède. Aucun effet personnel, à part une brosse à dents dans une poche et, dans l’autre, un téléphone souvent déchargé. A quelques mètres de chevaux racés dans une prairie, deux hommes se lavent le visage au bord du canal de l’Orne. Pour la douche, il faut se rendre dans les associations de Caen, à 14 kilomètres par le chemin de halage.
Le fourgon des gendarmes a disparu. Au milieu de ses compagnons aussi inlassables que lui, Issa reprend le chemin du port. Depuis trois mois, il a appris à le connaître : « Après le Soudan, le désert, la Libye et la Méditerranée, le passage en Angleterre est la cinquième étape de notre voyage, on y arrivera », promet-il… à nous autant qu’à lui-même.
En errance depuis six mois, parfois un an, la plupart des réfugiés de Ouistreham viennent de la tribu des Zaghawa, au Darfour. Ils ont entre 15 et 26 ans et, pour la plupart, sont enfants de bergers. Nombre d’entre eux, réfugiés climatiques à cause de la sécheresse, ont perdu leurs bêtes. Victimes des Janjawids, milices tribales, ils empruntent la route de l’Europe. « On se fait aussi persécuter par Omar El-Bechir, notre président. C’est lui qui nous pousse à partir », complète Issa. Sur leurs téléphones, ils n’hésitent pas à montrer les photos de blessures de membres de leur tribu. S’ils parlent entre eux un dialecte dérivé de l’arabe, Issa pratique un parfait anglais. Il avait 14 ans quand il a décidé de partir. C’est pour cela qu’il a commencé à chercher de quoi payer la dîme des passeurs. Il a quitté le lycée, travaillé dans les mines d’or. Accroché par une corde à la taille, il s’est enfoncé dans d’étroits conduits. Depuis la séparation du Soudan du Sud et du Nord, en 2011, l’industrie aurifère est devenue le nouveau pétrole. Les effondrements dans les mines illégales sont légion et les morts nombreux. Lui a survécu et, il y a six mois, a embrassé une dernière fois Nagaw, sa mère, et ses cinq frères et sœurs.
La traversée du désert libyen, avec 26 autres personnes à l’arrière d’un véhicule, a duré six jours. « Il y avait trop de monde. On ne tenait que sur une seule fesse, la douleur était insupportable. Le soleil était si fort que ma peau a changé de couleur. On n’avait droit qu’à un verre d’eau par jour. Si le véhicule se perdait, on mourait ; s’il s’enlisait, on mourait aussi », raconte-t-il d’un trait, comme pour se débarrasser du souvenir. L’évocation de ce pays donne encore des frissons à tous ceux qui l’écoutent. Issa y a connu la prison. « Les geôliers appellent nos familles pour obtenir des rançons. Je sais que ma mère s’est endettée pour me libérer. Je dois travailler maintenant pour rembourser ma dette. » Il n’ose pas l’appeler et s’inquiète pour elle.
La suite, c’est Ali, 16 ans, qui la raconte en français, car il a appris la langue au Tchad. Comme tous, il a connu l’enfer de la traversée en Méditerranée. « Il y avait des enfants, des grands-mères, des Nigériens, des Erythréens, des Algériens, etc. Le pilote, lui, était ghanéen. » Le prix du billet varie de 150 à 1 000 euros, en fonction de la nationalité. Ali se souvient du nombre exact de passagers au départ : 152. Et du nombre exact de morts : 80. « C’était un bateau gonflable. Si tu étais sur les côtés, tu n’avais aucune chance. Les boudins se dégonflaient à gauche comme à droite. » Les appels de détresse, les heures de prières, il n’a rien oublié. « Mon ami Sidic avait 15 ans, il est mort là-bas », lâche Ali. Puis un bateau de secours est venu les sauver. En Sicile, Ali a repris la route, direction la France : Vintimille, Marseille, puis Paris. Porte de la Chapelle.
Une légère moustache vient de poindre sur son visage de poupon. Ses cheveux coupés en brosse et ses cils recourbés lui donnent un air encore plus juvénile. Hamid, 17 ans, entre, comme les autres, dans la catégorie des mineurs isolés. Il a bien essayé d’être reçu dans le centre humanitaire parisien, sans succès. Là, il entend les autres Soudanais parler de Ouistreham. « C’est devenu trop difficile de passer en Angleterre par Calais, et les tensions avec les autres réfugiés sont nombreuses. » Hamid voyage toujours avec d’autres Soudanais, rencontrés en chemin. Il se dirige vers la gare Saint-Lazare, arrive à Caen. Dans l’Intercités, il a échappé aux patrouilles de police ; sur les quais, aux contrôles d’identité. Déjà, en 2010, dans « Le quai de Ouistreham », Florence Aubenas racontait ces coins où « des étrangers circulent à pied le long des voies rapides, avec des sacs en plastique, en grappes, au bout des doigts ». Dans les squats ouverts par des associations, 150 personnes ont ainsi trouvé un abri dans la Presqu’île, à Mondeville, ou se cachent à Houlgate et Ouistreham.
Comme une légende qui circule dans les bois de Ouistreham et qu’on se répète, la nuit, à la lueur des flammes, des statistiques sortent d’on ne sait où. Sans doute de l’imagination des uns et du besoin d’espérer des autres : il se dit que trois ou quatre migrants parviennent à passer chaque mois en Angleterre. Ça suffit pour patienter. « On est partis avec l’Angleterre dans la tête, parce qu’on s’est renseignés sur Internet, mais aussi à cause du foot… on connaît les noms de tous les grands clubs », raconte Omar, 25 ans, diplômé en chimie. Lui espère travailler dans un laboratoire outre-Manche.
Le 6 juin 1944, les hommes du commandant Kieffer ont libéré Ouistreham. Pendant soixante-dix-huit jours, le commando a sécurisé l’axe du canal de l’Orne. C’est celui qu’empruntent maintenant Ahmed, Issa, Omar et les autres. Pour le 70e anniversaire du débarquement, Poutine, Obama, la reine d’Angleterre ont fait la visite. Des photos, dressées comme les drapeaux, le rappellent un peu partout dans la ville. Dans cette commune de plus de 9 000 habitants, on aime l’histoire ; mais, aujourd’hui, c’est le présent qui envahit les conversations. A la vue des étrangers, un vieil homme lance aux gendarmes : « La chasse est ouverte ! » Mais les officiers restent placides. Les effectifs de la compagnie sont gonflés de 30 à 38. Romain Bail, jeune maire LR, s’égosille : « Je ne veux pas devenir le nouveau Calais ou le nouveau Sangatte ! » Dans la nuit de jeudi à vendredi, des hélicos survolent la ville et le petit bois pour appuyer les forces aux sol. Les gendarmes repoussent les réfugiés jusqu’à Caen. Peine perdue ! Le lendemain, ils sont de retour. Françoise, ancienne enseignante, a préparé du pain de mie déjà beurré et ouvert un pot de confiture pour « ces gamins ». Christian, éducateur retraité, propose du riz au lait. Un plat qui tient au corps. François et Miguel, eux, organisent un pique-nique chaque mardi et jeudi soir. Ils savent que, pour beaucoup, ce sera le seul vrai repas de la semaine. « Mais ils ne demandent jamais rien », explique Françoise.
Hamid, le regard comme hypnotisé par le feu, chuchote : « Je n’aurais peut-être pas dû partir… Mais c’est trop tard. Si on y retourne, on nous tuera. » Il ne pleure pas, mais sa tristesse est palpable. Ali poursuit : « Je n’avais pas prévu ça, répète-t-il. Non, non, je n’avais pas prévu ça. » Le silence est lourd. Le voyage au bout de l’enfer se termine à 180 kilomètres, à Portsmouth, sur les côtes anglaises. La dernière étape semble infranchissable et cruelle. n @pau_lallement Les prénoms ont été changés.
Le Monde // La CNCDH estime que le gouvernement nourrit un sentiment de xénophobie
Migrants : la CNCDH estime que le gouvernement « nourrit un sentiment de xénophobie »
C’est un véritable réquisitoire contre la politique gouvernementale envers les migrants qui se dessine entre les lignes de la déclaration adoptée mardi 17 octobre en séance plénière.
LE MONDE | | Par Maryline Baumard
La CNCDH est inquiète pour les migrants de France. La Commission nationale consultative des droits de l’homme, instance nationale de promotion et de protection des droits, « s’alarme de certaines orientations des politiques migratoires envisagées par le nouveau gouvernement et de la multiplication des violations des droits fondamentaux des personnes migrantes observées sur le terrain ».Mardi 17 octobre, elle a décidé d’adopter en séance plénière une déclaration portant sur ce sujet. Un texte fort, qui « exhorte le gouvernement à placer le respect des droits fondamentaux au cœur de sa politique migratoire ». L’instance consultative lui demande ni plus ni moins « d’abandonner une vision réductrice des phénomènes migratoires consistant à opposer les demandeurs d’asile aux autres migrants » et lui rappelle que « l’Etat se doit non seulement de protéger le droit d’asile, mais il a aussi pour devoir de garantir et de faire respecter les autres droits des personnes migrantes, et ce quel que soit leur statut ». Une vision de la migration totalement antinomique avec celle mise en œuvre depuis l’arrivée du gouvernement Edouard Philippe.
La Commission présidée par Christine Lazerges, professeur de droit et ancienne députée socialiste, articule son texte sur la réalité du terrain et sur « certaines dispositions du projet de loi » qui sera présenté en conseil des ministres à la fin de l’année, mais qui est d’ores et déjà partiellement connu. Une partie de ce texte marque pour la CNCDH « un recul sans précédent des droits fondamentaux des personnes migrantes ».
Double langage de l’Etat
Sur le terrain, l’instance déplore un double langage. Elle regrette qu’« alors que le chef de l’Etat prônait une mise à l’abri d’urgence des migrants vivant dans la rue, cela s’est traduit en pratique par des évacuations précipitées, sans solution d’hébergement pérenne, dans des lieux souvent inadaptés et sans accompagnement véritable. » Elle ajoute à cette critique le fait que « la logique de tri entre différentes catégories de personnes migrantes appliquée dans certains centres empêche un accueil inconditionnel et conduit à la fuite de certains, notamment les « dublinés », par peur d’être renvoyés à l’étranger ».
Sur Calais, mais aussi dans la Roya, la CNCDH « s’étonne de devoir rappeler à l’Etat qu’il doit exécuter les décisions de justice », que « seule cette exécution garantit le respect des libertés fondamentales dans un Etat de droit ». Or, l’instance rappelle que dans les Hauts de France l’Etat traîne des pieds à offrir des conditions de vie minimales aux migrants en dépit d’une décision du Conseil d’Etat du 31 juillet 2017 l’y enjoignant. De plus, dans la Roya il « a été condamné plusieurs fois pour violation du droit d’asile à la frontière franco-italienne, à la suite de l’interpellation en France de migrants et à leur refoulement en Italie sans leur permettre de déposer une demande d’asile ».
En plus, la CNCDH déplore que « les instructions données par le ministère de l’intérieur se sont traduites sur le terrain par des formes de harcèlement de la part des forces de l’ordre à l’encontre des personnes migrantes ». Elle s’inquiète aussi de l’« extension de ces violences aux associations et à de simples citoyens dans le but d’empêcher leurs actions humanitaires alors même qu’elles visent à pallier les carences de l’Etat. » À ce propos, elle « recommande à nouveau que les pouvoirs publics concentrent leurs moyens et leurs actions au renforcement de leur capacité d’accueil et d’accompagnement des personnes migrantes, afin de garantir l’effectivité de leurs droits fondamentaux, au lieu de concentrer leurs actions sur ceux qui leur viennent en aide ».
La situation des mineurs isolés étrangers, qui arrivent en nombre et sont souvent à la rue dans les villes de France ne laisse pas non plus la CNCDH sereine. Cette dernière déplore que « les difficultés pour faire reconnaître leur minorité sont récurrentes », que « certains départements refusent de les prendre en charge, malgré une décision du Conseil d’Etat ».
La CNCDH a jugé bon de faire cette déclaration d’alerte, peu amène, car elle estime que la politique en place contribue à « une détérioration de la confiance démocratique » et « à nourrir un sentiment de xénophobie ». Lundi 16, ce sont trois experts de l’ONU qui ont rappelé la France à ses devoirs vis-à-vis des migrants de Calais, l’exhortant à améliorer leurs conditions de vie.
La déclaration est disponible ci-dessous:
171017_declaration_alerte_sur_le_traitement_des_personnes_migrantes
Défenseur des droits // Avis au parlement sur la mission « Immigration, asile et intégration »
https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/communique-de-presse/2017/10/avis-au-parlement-du-defenseur-des-droits-sur-la-mission-immigration
AVIS AU PARLEMENT DU DEFENSEUR DES DROITS SUR LA MISSION « IMMIGRATION, ASILE ET INTEGRATION », PROJET DE LOI FINANCES 2018
Dans le cadre de la préparation de la prochaine loi de finances 2018, le Défenseur des droits a été auditionné par la commission des Finances de l’Assemblée nationale sur le volet intitulé « Immigration, asile et intégration ».
Dans cet avis au Parlement publié ci-après, les diverses observations et recommandations du Défenseur des droits portent sur les questions de l’hébergement, la prise en charge des mineurs non accompagnés, l’accueil en préfecture ou encore la réduction des délais d’instruction des demandes d’asile.
Rappelant son rapport d’observation relatif au démantèlement des campements de décembre 2016, le Défenseur des droits a réitéré sa demande de suspension de l’application du règlement « Dublin III », intrinsèquement inéquitable et parfois mal connu de ceux qui l’appliquent.
Pour les mineurs non accompagnés (MNA), le Défenseur des droits réaffirme la nécessité de prévoir dans le Calaisis un centre d’accueil de jour où espace de repos, accès aux soins et information sur les droits des mineurs non accompagnés seraient disponibles. Pour rappel, le Défenseur des droits a été saisi de situations individuelles ou collectives concernant les mineurs non accompagnés réparties sur 56 départements ; les saisines concernant les MNA représentant 15% du total des saisines relatives aux droits des étrangers.
Au sujet de l’accueil des étrangers en préfecture, le Défenseur des droits recommande d’adapter les possibilités de rendez-vous afin d’éviter des délais supérieurs à deux mois entre la délivrance de la convocation et la date du rendez-vous lui-même. De plus, le Défenseur des droits rappelle que l’accueil dématérialisé et la mise en ligne d’une plateforme de rendez-vous ne peuvent valablement s’envisager que si la garantie est donnée que ces dispositifs ne seront pas sources de discrimination. Par ailleurs, ces mêmes dispositifs ne doivent pas conduire à une suppression de l’accueil physique. Des alternatives devront toujours être proposées aux personnes qui, par exemple, n’ont pas accès à internet ou encore ne maîtrisant pas suffisamment la langue française.
Pour la procédure d’asile, le Défenseur des droits attire l’attention sur la nécessité de ne pas trop réduire de manière excessive les délais de procédure entre l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et la Cour nationale du droit d’asile, et ce du fait même de la nature des demandes (dossiers complexes, etc.). A l’inverse, il lui semble primordial de réduire les délais actuellement observés entre l’accès à la procédure, via la plate-forme d’accueil des demandeurs d’asile, et la prise en compte des demandes par le guichet unique des demandeurs d’asile.
Le Défenseur des droits conclut cet avis en exprimant de nouveau ses vifs regrets pour la validation, par la loi du 29 juillet 2015, de la possibilité de maintenir des mineurs non accompagnés en zone d’attente et de placer des enfants en centres de rétention d’enfants. Ce dernier point consacre la présence non souhaitable d’enfants dans des lieux d’enfermement, et ce en l’inscrivant dans la loi.
Communiqué de presse // Observatoire de l’enfermement des étranger.e.s
Etrangèr-e-s : la politique du rejet
Le 27 septembre 2017, la Cour de cassation rendait un arrêt remarqué dont la solution conduit à invalider le placement en rétention administrative de nombreux demandeurs d’asile devant être renvoyés dans le premier pays d’Europe par lequel ils avaient transité, en application du règlement de Dublin.
Par l’élargissement, presque illimité, des possibilités de contrôle d’identité frontalier dans le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dont le champ géographique est étendu, tout comme la durée, passant de six heures à douze heures consécutives. La prévention de la criminalité transfrontalière sert de prétexte fort commode à cette extension incontrôlée : l’affirmation textuelle de cet objectif est de pure forme et sera vite éclipsée par les pratiques et leurs motivations évidentes, faire du chiffre migratoire.
Par la banalisation sans précédent de l’enfermement des étrangèr-e-s en situation irrégulière, qui constituerait l’une des mesures phares du projet de loi relatif à l’immigration à venir, selon l’AFP. Passant à 90 jours, voire à 135 jours en cas d’obstruction, la durée de la rétention administrative atteindrait des sommets inégalés, plus du triple de ce qu’elle était avant 2011 Le texte viserait également à contrer les effets de la jurisprudence précitée concernant les « dublinés » et à renvoyer dans des pays « tiers sûrs » un nombre important de demandeurs d’asile.
Après le drame de Marseille, Gérard Collomb vient également d’annoncer la création de 200 places supplémentaires en centre de rétention et le renforcement des services des étrangers des préfectures pour systématiser l’enfermement dans un amalgame scandaleux entre étrangèr-e-s en situation irrégulière et terroristes.
Par le développement de nouveaux dispositifs facilitant l’expulsion. La lecture du projet de loi de finances pour 2018 nous apprend la création de centres d’assignation à résidence près des aéroports et la généralisation de centres de retour un peu partout en France.
L’observatoire de l’enfermement des étrangers s’insurge contre cette quête obsessionnelle de l’enfermement des exilés, sur la seule base du caractère irrégulier de leur séjour en France. La précipitation avec laquelle ce gouvernement expulse et amplifie les dispositions passées sans discernement au nom de présupposés idéologiques, mérite la plus ferme dénonciation, afin que ce funeste brouillon ne serve de trame aux projets de lois annoncés.
Paris, le 16 octobre 2017
Voir également : http://observatoireenfermement.blogspot.fr/
Exilé.e.s de Lille // Le tribunal administratif prononce leur expulsion de la gare saint sauveur dans un délai de 8 jours
Campement de migrants à la gare Saint-Sauveur (Lille)
Les faits et la procédure :
Depuis plusieurs mois le nombre de personnes, essentiellement des étrangers en situation irrégulière, occupant le site de l’ancienne gare de marchandises Saint-Sauveur à Lille ne cesse d’augmenter pour atteindre environ 200 personnes à la fin du mois de septembre 2017.
Les occupants avaient saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lille afin d’obtenir du préfet et du département du Nord ainsi que de la ville de Lille un hébergement ou, à défaut, une amélioration de leur condition de vie (alimentation, des points d’eau, des containers, douches, toilettes…). Par deux ordonnances du 30 août 2017, le juge des référés a enjoint à l’Etat et à la ville de Lille à titre provisoire, dans l’attente de solutions d’accueil et d’orientation adaptées, de mettre en place, sur le site de la gare Saint-Sauveur, ou dans tout autre lieu qui paraîtrait adapté, des équipements provisoires d’accès à l’eau potable permettant aux requérants de boire et de se laver, ainsi que des toilettes et d’assurer en outre la collecte des déchets et le nettoyage du site.
De son côté, la ville de Lille a saisi le juge des référés afin d’obtenir l’évacuation de la gare Saint-Sauveur.
La procédure du référé prévue par l’article L. 521-3 du code de justice administrative permet au juge des référés d’ordonner « toutes mesures utiles », avant même que l’administration ait pris une décision, lorsqu’il est saisi d’une situation d’urgence.
La décision du juge des référés :
Par une ordonnance rendue ce jour, le juge des référés du tribunal administratif de Lille fait droit à la demande de la ville de Lille en enjoignant aux occupants irréguliers de la gare Saint-Sauveur de libérer les lieux dans un délai de 8 jours.
Après avoir relevé que les occupants de la gare Saint-Sauveur ne disposent d’aucun titre pour l’occuper, le juge des référés constate que les conditions de salubrité et de sécurité sont « déplorables » selon l’expression du conseil des occupants. En effet, alors que la ville de Lille procède au nettoyage des lieux deux fois par semaine, a fait installer douze containers, un point d’eau et des blocs sanitaires, le site reste jonché de détritus et il n’y a seulement que trois blocs sanitaires pour l’ensemble des occupants dont le nombre a considérablement augmenté depuis le mois d’août.
Le juge note également que l’association « Les restos du Cœur » qui fournissait déjà sur place des repas à des personnes défavorisées a été contrainte d’interrompre la distribution de repas et que cette situation est susceptible de générer des tensions. Il relève par ailleurs que les occupants allument des feux pour réchauffer leurs aliments. Un incendie s’est d’ailleurs déclaré le 7 juin 2017 nécessitant l’intervention des pompiers. Le juge souligne enfin l’absence de sortie de secours lorsque, le soir, le site est fermé.
Pour toutes ces raisons, le juge des référés estime que la gravité des risques pour la sécurité et la salubrité publiques rend utile et urgente la mesure d’évacuation des lieux demandée par la ville.
Afin de tenir compte à la fois de l’urgence de la situation et de la présence sur place de mineurs, et afin de permettre à l’Etat, qui a fait procéder à un diagnostic social d’une partie des personnes présentes, de poursuivre conjointement avec le département du Nord la recherche de solutions d’hébergement pour ces personnes, le juge accorde aux occupants irréguliers un délai de 8 jours pour libérer la gare Saint-Sauveur.