La Voix du Nord // Au-delà de la jungle de Calais

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Au-delà de la « jungle » de Calais

À Saint-Martin-lez-Tatinghem, entre 30 et 50 migrants vivent dans un campement fait de bric et de broc aménagé dans un fossé. PHOTO FLORENT MOREAU

À Saint-Martin-lez-Tatinghem, entre 30 et 50 migrants vivent dans un campement fait de bric et de broc aménagé dans un fossé. PHOTO FLORENT MOREAU

Saint-Martin-lez-Tatinghem

C’est un fossé, un vulgaire fossé entre deux champs qui appartient à l’Association française de remembrement. Depuis au moins dix ans y vivent entre 30 et 50 migrants, pour la plupart afghans. C’est un amas de cabanes faites de bric et de broc, de palettes et de bâches. Un petit potager, un coin feu, un autre vaisselle, une mosquée, et au fond deux blocs béton qui font office de latrines.

Un mini mini Calais. Et justement, au lendemain du démantèlement à Calais, le maire de Saint-Martin-lez-Tatinghem et conseiller départemental socialiste Bertrand Petit saisit la balle au bond pour demander que ce camp disparaisse : «  J’ai dit au sous-préfet, si l’État a su trouver des solutions d’hébergement pour les milliers de personnes qui s’y trouvaient, il doit pouvoir le faire pour les quelques personnes du camp de Tatinghem  », déclare-t-il en novembre. Et il encourage le propriétaire du terrain à porter plainte.

Huit mois se passent et, en juillet, la situation n’a pas changé. Alors l’édile s’associe à son homologue de la commune voisine, Longuenesse, pour adresser une demande directe au préfet. En début de ce même mois, Steenvoorde avait été démanteléNorrent-Fontes va suivre en septembreGrande-Synthe a brûlé et l’État refuse un nouveau camp en dur. Des migrants vivent à côté, dans le bois du Puythouck. Restent Angres et sa communauté vietnamienne et donc Saint-Martin-lez-Tatinghem où la vie toutes ces années s’est organisée grâce aux bénévoles d’Emmaüs.

42 % des migrants ayant demandé l’asile l’ont obtenu. 7 % ont été déboutés et 46 % attendent toujours une décision définitive. INFOGRAPHIE JEAN-PHILIPPE DERVAUX.
42 % des migrants ayant demandé l’asile l’ont obtenu. 7 % ont été déboutés et 46 % attendent toujours une décision définitive. INFOGRAPHIE JEAN-PHILIPPE DERVAUX.

Maurice, 76 ans, achemine chaque jour la citerne d’eau qu’il attelle vaillamment à la remorque malgré son âge et charge des caisses de nourriture ramassées auprès des supermarchés et des boulangeries. Les migrants refusent de nous raconter leur parcours. Mais on les sait jonchés d’épreuves. Alors Michelle, qu’ils appellent « madame gentille », leur apporte un peu d’affection. C’est simple : des gestes, des regards, les photos des enfants. Et quand l’un d’eux passera de l’autre côté en sautant dans un camion au péage de l’A26 situé à quelques kilomètres, il enverra peut-être, par SMS, un laconique « England ».

Les voisins, eux, se sont habitués à cette présence « très discrète ». Les deux propriétaires des maisons les plus proches ne s’en plaignent pas. En dix ans, ils n’ont eu peur qu’une fois, quand des coups de feu ont été tirés. Sinon, ils n’ont jamais eu d’ennuis, n’ont jamais été volés, y compris dans leurs jardins sans clôtures. Sans véhémence, les agriculteurs à qui appartiennent les terres qui bordent le camp se plaignent que des sacs de couchage ou des couvertures se prennent dans l’enfileuse à maïs. Pas de hauts cris à part cette voisine : «  Quand je les croise, je laisse aboyer mon chien, je me méfie toujours. Je suis un peu raciste  », sourit-elle.

Bertrand Petit plaide pour un démantèlement et un hébergement en CAO. Sauf que, comme l’a montré la récente évacuation de Norrent-Fontes, ceux qui ne veulent pas demander l’asile en France ou craignent d’être « dublinés » (renvoyés dans le premier pays européen dans lequel leurs empreintes ont été relevées) quittent le centre et reviennent. Après le démantèlement de Calais, ils avaient reçu la garantie de ne pas l’être et ne l’ont pas été, la différence est d’importance. À Norrent-Fontes, donc, ils sont désormais dans un bois appartenant à un médecin, à 3 km de là, à Quernes, tandis qu’à Steenvoorde, idem, une trentaine de migrants sont le long de l’A25. Ce bois comme un symbole alors qu’Emmanuel Macron a justement déclaré ne plus vouloir d’hommes et de femmes «  dans la rue, dans les bois  ».

À Croisilles, le pari gagné de l’intégration des Soudanais

En un an, les exilés soudanais et les bénévoles ont déplacé des montagnes. PHOTO PASCAL BONNIÈRE
En un an, les exilés soudanais et les bénévoles ont déplacé des montagnes. PHOTO PASCAL BONNIÈRE

L’affaire était mal embarquée, pourtant. Il y a un an, trente-six Soudanais (et un Nigérien) arrivent de Calais dans une atmosphère étouffante, menaçante. Une partie des 2 000 habitants du village situé près d’Arras s’oppose bruyamment à l’ouverture du seul centre d’accueil de migrants (CAO) du Pas-de-Calais. Il y a des manifestations nocturnes, le maire est vigoureusement pris à partie… Mais l’émoi retombe vite face à une véritable lame de fond : des dizaines de bénévoles se pressent dans l’ancienne maison de retraite où sont logés les Africains, pour les aider.

S’enclenche, avec les associatifs de La Vie Active, qui gère le CAO, un énorme travail d’accompagnement. Des cours de français ont lieu chaque jour, des sorties sont organisées… Le footballeur Lilian Thuram y passe une journée. Fin décembre, bonne nouvelle : tous ces jeunes hommes obtiennent l’asile. L’horizon se dégage. Un forum de l’emploi est organisé, les projets s’affinent. Les 37 résidants ont quitté Croisilles. La plupart sont restés dans l’Arrageois, dans le parc social à Béthune ou Arras. Un est parti à Bordeaux, un autre est logé dans une famille avec laquelle il s’est lié d’amitié. Ils parlent correctement le français, cherchent du travail ou sont scolarisés à l’école de la deuxième chance… Sacrés défis, relevés en un temps record ! Le CAO s’est transformé en CAES, sas plus court vers d’autres lieux. Il accueille des Érythréens, Soudanais, Afghans…

Lille, Paris, la Normandie…

Les migrants gare Saint-Sauveur à Lille. PHOTO SÉBASTIEN JARRY
Les migrants gare Saint-Sauveur à Lille. PHOTO SÉBASTIEN JARRY

Le seul campement véritablement nouveau dans la région depuis le démantèlement de celui de Calais s’est constitué peu avant l’été à la gare Saint-Sauveur à Lille. Actuellement y vivent entre 150 et 200 migrants. Contrairement à Calais, la plupart sont originaires d’Afrique noire francophone et ne cherchent pas à aller en Angleterre.

Autre point de fixation : Paris, avec jusqu’à 3 000 migrants originaires de la corne de l’Afrique et d’Afghanistan, dont les campements sont sans cesse démantelés et reconstitués.

La Belgique est concernée sur sa côte et, depuis cet été à Bruxelles, où des centaines de migrants, pour la plupart érythréens et soudanais en quête d’Angleterre, vivent dans un parc. La semaine dernière, la ville a décidé d’ouvrir un centre d’accueil. Enfin, des migrants tentent d’embarquer de Normandie. Pas plus tard que jeudi, Paris Match publiait un article titré : «  Ouistreham, la nouvelle route des migrants. »

25 000 mineurs étrangers isolés

Lors du démantèlement, 1 952 mineurs ont été orientés vers des centres d’accueil dédiés (CAOMI)  : 515 ont été transférés vers le Royaume-Uni ou l’Irlande, 194 orientés vers l’aide à l’enfance, 333, évalués majeurs, orientés vers les CAO. Et 709 ont fugué, notamment car l’Angleterre avait promis d’accueillir ceux qui avaient de la famille chez elle. Mais, deux semaines plus tard, elle a durci ses critères.

Au-delà, le sujet des mineurs qui veulent rester en France (ce qui concerne assez peu la population des campements de la région) préoccupe : leur nombre est passé de 4 000 en France en 2010 à 25 000 cette année. Ils relèvent de l’aide sociale à l’enfance qui dépend des Départements. Lesquels, débordés, en appellent à l’État. Vendredi, Édouard Philippe a apporté des garanties, jugées insuffisantes.