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Réfugiés: aux sources d’une hospitalité sélective

Libération, 20 mars 2022, par Delphine Diaz,  Université de Reims Champagne-Ardenne, membre junior de l’Institut universitaire de France (IUF)

L’accueil favorable réservé aux Ukrainiens fait contraste avec le traitement dégradant reçu par ceux appelés «les migrants» depuis dix ans. Cette réception à géométrie variable n’est pas neuve et s’observe au tournant des XIXe et XXe siècles, souligne l’historienne Delphine Diaz.

En près de trois semaines, l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Vladimir Poutine a forcé plus de trois millions de civils à traverser les frontières orientales  de l’Union européenne. De tels chiffres, pourtant sidérants, ne tiennent pas compte des personnes déplacées qui ont quitté les villes les plus ciblées par les crimes de guerre de l’armée russe. Par sa brutalité et son ampleur, cet exode à la fois intérieur et international ravive le triste souvenir d’autres épisodes migratoires qu’a connus l’Europe dans son passé, que l’on pense aux centaines de milliers de civils belges et français jetés sur les routes à partir de l’été 1914, aux quelque 475 000 républicains espagnols qui se sont pressés à la frontière pyrénéenne en 1939, ou aux millions de «personnes déplacées» pendant et après la Seconde Guerre mondiale.

Mais comparaison n’est pas raison, et l’exil ukrainien a ses caractéristiques propres : constitué de civils – essentiellement de femmes, d’enfants (1,5 million selon l’Unicef ) et de personnes âgées des deux sexes –, il se dirige vers plusieurs pays frontaliers de l’Ukraine et suscite, à travers tout le continent, manifestations de solidarité et d’émotion. Tandis que l’Union européenne a décidé d’appliquer une directive de 2001 sur la protection temporaire pour en faire bénéficier le peuple ukrainien en exil, les initiatives émanant de la société civile se multiplient pour soutenir ces membres de la «famille européenne» : accueil de réfugiés à domicile, manifestations et collectes de vivres et de vêtements.

Cet accueil favorable réservé aux Ukrainiens, dont on ne peut que se réjouir tant il redonne son sens à la notion d’hospitalité, fait néanmoins contraste avec le traitement dégradant reçu par ceux qui sont plus volontiers appelés «les migrants» depuis la dernière décennie. Parmi ces derniers, pourtant, se trouvaient aussi des civils qui avaient fui les bombardements russes à Alep mais les assignations identitaires dont les exilés issus du Moyen-Orient ou de la Corne d’Afrique ont fait l’objet dans l’Union européenne montrent, à l’œuvre, la construction culturelle et raciale de la figure du réfugié acceptable.

Un regard porté sur l’histoire de l’Europe

Si l’on peut, à juste raison, s’indigner du traitement sélectif des personnes en situation d’exil, dans le débat public comme dans les politiques mises en œuvre par l’Union européenne et ses Etats membres, cette hospitalité à géométrie variable n’est pourtant pas tout à fait neuve. Un regard porté sur l’histoire contemporaine de l’Europe permet de mieux la comprendre, sans la justifier. Au XIXe siècle, les guerres civiles, insurrections et révolutions réprimées ont poussé des groupes forts de plusieurs dizaines de milliers de personnes à quitter leur pays. Sous la monarchie de Juillet (1830-1848), pour répondre à ce qui était alors vécu par la société française comme une «crise des réfugiés» avant la lettre, a été adoptée la toute première loi française sur les «étrangers réfugiés» – un texte court accompagné d’un lourd appareil réglementaire visant à déterminer qui pouvait ou non bénéficier de «secours». Ces aides financières alors octroyées par le ministère de l’Intérieur aux réfugiés étaient graduées selon leur statut social mais aussi selon leur appartenance nationale.

Ainsi, les Polonais de la «Grande Emigration», commencée après la terrible répression russe de la révolution de Varsovie en 1831, ont-ils été systématiquement privilégiés par rapport à d’autres groupes nationaux réfugiés en France, Italiens et Espagnols qui partageaient pourtant au seuil des années 1830 des mêmes convictions libérales. De la même manière, la société française a fait montre d’un incroyable enthousiasme lorsqu’il s’est agi d’accueillir les proscrits polonais, organisant pour ces «Français du Nord» des comités et des banquets, levant pour eux des sommes importantes par le biais de souscriptions relayées dans la presse.

Mais c’est assurément au tournant du XIXe et du XXe siècles que l’on observe une approche de plus en plus sélective et négative de l’accueil des «exilés» et des «émigrants» en Europe, pour reprendre le vocabulaire de l’époque. Les migrations des minorités juives issues des confins de l’Empire russe, frappées par les pogroms à partir de 1881, ont conduit certains grands pays d’accueil d’Europe de l’Ouest à interroger et à délimiter leur politique d’asile. En Grande-Bretagne, les exilés issus de l’Empire tsariste étaient de plus en plus considérés par l’opinion publique comme inassimilables car de confession juive, et l’on s’interrogeait sur les motifs réels de leur départ : s’agissait-il d’un véritable exil ou d’une migration économique déguisée ?

Les femmes en exil bénéficient d’un avantage

Si la proximité culturelle et linguistique ou l’appartenance religieuse sont des variables cruciales pour comprendre l’accueil – positif ou négatif – réservé aux exilés, à partir de la fin du XIXe siècle, d’autres considérations ont aussi commencé à entrer en ligne de compte. Les assignations raciales expliquent le caractère de plus en plus sélectif de l’accueil des exilés en Europe. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le traitement des «personnes déplacées» (displaced persons, DPs), une catégorie composite forgée par les Alliés pour rassembler tous les déracinés qui circulaient à travers le continent depuis la fin de la guerre, montre la puissance de ces préjugés. Certains groupes nationaux ont été avantagés au motif de leur «blanchité». Dans les camps de DPs de la zone d’occupation américaine, les Baltes, mis en valeur à ce titre, ont été plus aisément «réinstallés» dans des pays d’accueil que d’autres groupes nationaux. Parmi ceux qui rechignaient à rentrer dans leur patrie annexée par l’URSS, se trouvaient de nombreuses femmes, appréciées en Grande-Bretagne comme travailleuses.

En creux, cet exemple nous livre un autre précieux indice : dans l’histoire contemporaine de l’asile en Europe, les femmes en exil ont bénéficié d’un avantage par rapport aux hommes, une perspective de genre qui permet de mieux comprendre l’élan de solidarité envers les exilés ukrainiens. Les précédents historiques sont nombreux : au moment de la Retirada, dans la France de 1939, les hommes d’âge adulte ont été internés dans les «camps» formés en urgence sur les plages du Roussillon, tandis que les femmes, les enfants et les personnes âgées des deux sexes étaient transférés dans des «centres d’hébergement» aux conditions plus clémentes. Le temps présent nous éclaire aussi sur la dimension genrée de l’hospitalité ou de l’inhospitalité : depuis 2015, si les mouvements migratoires depuis le sud du bassin méditerranéen vers l’Union européenne ont fait l’objet de phénomènes de rejet, c’est aussi parce qu’ils ont été considérés comme trop menaçants car trop masculins, même si cette vision simpliste a été corrigée par les chercheurs en sciences sociales.

Analyser les prismes de l’accueil au regard de l’histoire ne changera sans doute rien, en pratique, aux biais des politiques européennes et des réactions de la société civile. Au moins cette réflexion sur la sélectivité de l’asile dans la longue durée permettra-t-elle de questionner ses critères mais aussi d’identifier les préjugés récurrents qui imprègnent le débat public face aux multiples défis de l’hospitalité.

Delphine Diaz est l’autrice de En exil. Les réfugiés en Europe, de la fin du XVIIIème à nos jours

« Des droits pour tous » : une centaine d’exilés occupe un bâtiment au cœur de Paris

Médiapart, Nejma Brahim, le 18 avril 2022

Le collectif La Chapelle debout, qui vient en aide aux exilés à Paris, a décidé lundi d’occuper un bâtiment vide de la capitale pour héberger une centaine de personnes à la rue. À travers cette action, programmée dans l’entre-deux-tours, l’organisation veut créer un « rapport de force » avec les autorités.

Rue de la Grange-aux-Belles, dans le Xe arrondissement de Paris, une centaine d’exilé·es déboulent dans la petite salle du siège du syndicat Solidaires, à 12 h 45. Une partie d’entre eux viennent du Soudan, d’autres de Somalie, d’Éthiopie, d’Érythrée, de Mauritanie, de Djibouti, du Mali, du Tchad ou encore du Maroc.

Dans le lot, des réfugiés, des demandeurs et des demandeuses d’asile, des « dubliné·es » (que la France invite à demander l’asile dans le premier pays par lequel ils sont arrivés dans l’Union européenne), des primo-arrivants et des sans-papiers. Tous survivent à la rue depuis des mois, voire des années. « Ça fait un an et demi que je suis dehors », lâche Mzaffar, un jeune Soudanais.

Une vingtaine de membres du collectif La Chapelle debout, qui vient en aide aux personnes exilées à Paris depuis 2015, mais aussi de Solidarité Migrants Wilson, Paris d’exil, Dom’asile et de l’Intersquat Paris, sont présents ce lundi 18 avril pour accompagner l’action à venir. Cet après-midi, bénévoles et exilé·es s’apprêtent à occuper un bâtiment situé en plein cœur de Paris, vide depuis trois ans, pour obtenir une égalité de traitement pour le logement, le travail, les titres de séjour ou le regroupement familial.

Une action de « désobéissance civile » qui tombe à point nommé, à quelques jours du second tour d’une élection présidentielle sous tension, marquée par la guerre en Ukraine et les obsessions de certains candidats sur l’immigration.

« Toutes ces personnes, de différentes nationalités, ont constaté qu’il y avait un traitement spécifique réservé aux Ukrainiens en ce moment et ont eu le courage de s’organiser pour agir. En parallèle, il y a aussi des Français, de différentes organisations, qui ont choisi de se regrouper pour réclamer l’égalité des droits à leurs côtés », détaille un membre de La Chapelle debout. Les explications sont traduites en arabe et en anglais.

La règle : toujours rester groupés, ne jamais se disperser et risquer d’être à l’écart. Le collectif est en lien permanent avec des avocats et a listé le nom et la date de naissance de chacune des personnes exilées participant à l’action en cas d’ennuis avec les autorités.

Deux heures plus tard, le groupe s’extirpe discrètement de la bouche de métro Cadet (IXe arrondissement). À vive allure, il gagne la rue Saulnier, située à quelques mètres de là, puis s’infiltre dans l’immeuble du numéro 17, appartenant à la société d’assurance Sedgwick, sous le regard interloqué de certains passants. Tout doit aller très vite.

Certains bloquent les portes d’entrée, tandis que d’autres grimpent aux étages pour y aménager ce qui doit être leur futur lieu de vie. Le sol est déjà recouvert de matelas gonflables et de couvertures, mais aussi d’ustensiles de cuisine. Cinq minutes plus tard, plusieurs voitures de police sont là et un agent demande qui est le « porte-parole » afin de « négocier ».

Ils sont vite rejoints par des activistes d’Extinction Rebellion ou du Front uni des immigrations et des quartiers populaires (FUIQP). « El pueblo, unido, jamás será vencido ! », scande le petit groupe à l’intention des exilés qui observent, depuis les fenêtres, en hauteur, leur comité de soutien improvisé.

Un lieu devant permettre aux immigrés de s’organiser

Filimon, un Érythréen âgé de 32 ans, évoque une vie de « zigzag » depuis qu’il a quitté son pays en 2014, laissant derrière lui femme et enfant, à l’abri en Éthiopie. « Je suis passé par le Soudan, l’Égypte, la Libye. J’ai ensuite traversé la Méditerranée, gagné l’Italie puis la France », relate-t-il. Lui et ses amis dormaient un temps à Porte de la Chapelle, avant d’être « chassés par la police »« Ils nous ont dit qu’on ne pouvait pas rester là. »

Le problème qu’on a, c’est qu’on ne connaît pas la loi pour pouvoir se défendre.

Filimon, un réfugié érythréen

Filimon a obtenu le statut de réfugié. Après avoir été pris en charge, durant sa demande d’asile, dans un centre d’hébergement de l’association Aurore à Paris, il a dû quitter le foyer et dit s’être retrouvé à la rue. « Le problème qu’on a, c’est qu’on ne connaît pas la loi pour pouvoir se défendre. La vie à Paris est si difficile, je n’imaginais pas que ce serait comme ça. Tout ce qu’on demande, c’est l’égalité. Que tout le monde soit traité de la même façon », souligne-t-il.

Un voisin ajoute, contrarié : « Les personnes qui ont fui la Syrie ou l’Ukraine, on leur donne tout à leur arrivée en France. Nous aussi, on a quitté notre pays pour fuir les problèmes et les conflits. » C’est l’un des mots d’ordre de la lettre rédigée par La Chapelle debout : l’égalité de traitement pour tous les exilés, peu importe leur pays d’origine.

« Nous nous battons : pour des papiers, des visas et la nationalité française pour n’importe qui veut. Pour un logement digne pour toutes et tous, qu’on réquisitionne les vides et qu’on en construise de nouveaux. Ce sera l’égalité ou rien ! » Le projet, mûri depuis trois mois, est parti d’un coup de fil de plusieurs exilés, explique un membre du collectif, qui ont rapporté ne pas pouvoir dormir, sans cesse réveillés par la police la nuit.

« Un Tchadien, qui parle français, a répondu un jour lorsqu’un policier l’a insulté. Il s’est fait défoncer et avait le bras cassé le lendemain. » « À Juvisy, un centre de jour de l’association Aurore, qui accueillait des exilés subsahariens, est devenu un centre d’hébergement pour les Ukrainiens, explique une autre. Ce qu’on veut, c’est la liberté de circulation, des papiers et un logement pour tous. »

Dans une lettre ouverte aux autorités, le collectif La Chapelle Debout réclame l’égalité pour tous les exilés. © Document La Chapelle Debout

Le bâtiment occupé n’est en revanche qu’un « outil », une « condition matérielle » devant servir à créer une base d’organisation pour une centaine d’immigrés – pas plus, au risque de détériorer les conditions de vie sur place –, où pourraient naître de futures actions. Un lieu « ouvert sur l’extérieur », où des démarches administratives pourront être effectuées et des ateliers numériques proposés aux occupants. Rediat, 25 ans, a laissé son enfant de trois ans à La Chapelle, avec une personne de confiance.

Je suis revenue à Paris avec mon bébé et j’ai vécu dehors. Depuis peu, une dame nous héberge de temps en temps.

Rediat, 25 ans, vit à la rue avec son bébé âgé de trois ans.

« J’aimerais pouvoir ramener mon fils ce soir », confie-t-elle tout en jetant un œil depuis la fenêtre, les yeux entourés de khôl. Elle espère obtenir des papiers prochainement et pouvoir inscrire son fils à l’école : « Il faut qu’il grandisse en sécurité, qu’il ait une aide psychologique. Pour l’instant, j’attends encore une réponse pour l’asile », dit-elle, expliquant avoir été « dublinée », puis avoir réussi à passer en « procédure normale » avec l’aide d’un avocat.

Son mari les a laissés, elle et son fils, pour tenter seul la traversée vers l’Angleterre. « J’étais pendant un an dans un foyer à Bourg-en-Bresse. Mais c’était très loin de la ville, je devais prendre un bus et marcher ensuite trente minutes pour m’y rendre. » Une fois qu’elle est estampillée « dublinée », l’Office français de l’immigration et l’intégration lui « coupe tout ». Plus d’hébergement, plus d’allocation pour demandeur d’asile. « Je suis revenue à Paris avec mon bébé et j’ai vécu dehors. Depuis peu, une dame nous héberge de temps en temps chez elle. »

À ses côtés, deux Soudanais lâchent, dépités : « Le problème ici, c’est les papiers, la préfecture qui fait blocage. Ça fait six mois qu’on n’a ni logement, ni allocation, ni le droit de travailler. » Eux aussi ont été dublinés, l’un renvoyé en Italie, l’autre en Espagne.

« On est tous les deux revenus en France, parce que c’est ici qu’on veut vivre, qu’on a des attaches. C’est un État de droit, on veut l’égalité », concluent-ils. À 17 h 30, les membres de La Chapelle debout organisent une réunion pour rassurer les occupants. « Tout s’est bien passé, la police veut bien nous laisser rester en respectant certaines conditions. »

Puisque le second tour approche, le collectif entend « s’en saisir » pour revendiquer des droits. « Si le racisme est un danger, il faut être aux côtés des immigrés et résister. C’est aussi une manière de voter pour ceux qui ne le peuvent pas. On veut créer un rapport de force avec l’État », résume une membre qui préfère garder l’anonymat. En fin de journée, les bénévoles doivent calmer quelques tensions naissantes. L’électricité rétablie, il est temps d’organiser la préparation des repas avant la tombée de la nuit.

Plusieurs collectivités normandes s’acharnent à expulser des personnes soudanaises

Le 10 avril 2022, Rémi Yang, pour le Poulpe, partenaire de Mediapart

Depuis qu’une cinquantaine  d’exilés ont établi un camp sur une parcelle boisée à Ouistreham, dans le Calvados, les procédures d’expulsion à leur égard se succèdent. Du côté de Ports de Normandie, 11 000 euros de frais de justice ont déjà été dépensés.

Ouistreham (Calvados).– À l’extrême sud de Ouistreham (Calvados), le quai Charcot court le long du canal de Caen. Au bout de la voie, un chemin de halage longe le cours d’eau en face d’une parcelle boisée. Derrière les arbres, le terrain abrite un camp d’exilés soudanais. Ils sont plusieurs dizaines de jeunes hommes à s’être installés ici dès 2017, après le démantèlement de la « jungle de Calais ». Mais le camp vit dans l’angoisse perpétuelle de l’expulsion.

Le 25 juin 2021, le tribunal administratif a débouté le syndicat mixte Ports de Normandie, alors que sa demande était soutenue par la préfecture du Calvados. « Le préfet fait valoir [qu’il] est nécessaire de mettre fin à une situation de trouble à l’ordre public [et que] l’État mène des actions continues sur les lieux pour proposer des solutions d’hébergement », peut-on lire dans la décision de justice.

Dans ce même jugement, la juridiction estime que « cet espace boisé, alors même qu’il est situé dans les limites administratives du port de Caen-Ouistreham, n’apparaît manifestement pas relever du domaine public naturel maritime ou fluvial ». À la suite de ce revers, les Ports de Normandie ont annoncé leur intention de se tourner vers le tribunal judiciaire.

« Il n’y a aucun doute que c’est de l’acharnement, considère un administrateur de Ports de Normandie. Et cet acharnement a un coût. » Une dépense chiffrée à 11 000 euros par Hervé Morin, président du comité syndical de la structure, entre « les procédures judiciaires, avocats, huissiers, Conseil d’État ». La structure vit principalement de ses retours sur investissement et des subventions publiques de la région.

« Lorsqu’on pose des questions [en conseil syndical] sur la parcelle, à savoir s’il y a une nécessité de service, un projet ou un besoin d’extension particulier à cet endroit-là, on n’a absolument aucune réponse, déplore le membre du comité syndical, également conseiller régional. Pour voir les projets de Ports de Normandie sur Caen-Ouistreham, il n’y a aucun intérêt [à libérer la parcelle]. » Contacté, Ports de Normandie confirme qu’aucun projet n’est prévu sur ce terrain.

Aux côtés d’Hervé Morin, président de la région Normandie, siègent plusieurs représentants de collectivités : conseillers régionaux, départementaux (Calvados, Manche et Seine-Maritime) et représentants de collectivités territoriales. Ports de Normandie revendique d’être le « fruit d’une alliance entre la région Normandie, les départements du Calvados, de la Manche et de Seine-Maritime et les agglomérations de Caen la Mer, Le Cotentin et Dieppe Maritime ».

Pourtant, Nicolas Langlois, l’un des 14 vice-présidents de l’agglomération de Dieppe Maritime, membre du conseil syndical et par ailleurs maire PCF de Dieppe, affirme n’avoir pas connaissance du combat qui se livre devant les tribunaux pour la parcelle de Ouistreham. Contacté à ce sujet, il explique que « les choses qui ne concernent pas Dieppe ne [le] regardent pas », avant de renvoyer vers son attachée de presse. Le département du Calvados, quant à lui, se refuse à tout commentaire, estimant que l’affaire dépasse ses compétences.

Plusieurs lieux de vie expulsés

Outre la parcelle de terrain de Ouistreham, Ports de Normandie a également évacué deux maisons dont il a la propriété à Ranville, inoccupées depuis 2015, où les exilés avaient installé un lieu de vie depuis le 2 mai 2020. Pendant plus d’un an, le lieu a servi de point de repos aux habitants du campement. Ils s’y sont douchés, ont eu accès à l’eau potable, à l’électricité, de quoi cuisiner et y passer quelques nuits.

Le matin du 19 octobre 2021, à 8 heures, les maisons de Ranville ont été évacuées. « Dispositif des forces de l’ordre démesuré (plus de 50 agents) pour l’expulsion des squats de Ranville, situés aux 1 et 3 impasse Pegasus […]. Présence de la PAF (police aux frontières), de la gendarmerie nationale, du sous-préfet (chef de cabinet du préfet et responsable de la sécurité dans le département du Calvados), de l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration) et d’une association agréée de sécurité civile », listent dans un communiqué plusieurs collectifs de soutien aux migrants. Pour eux, l’expulsion était « d’autant plus injustifiée que le propriétaire des lieux (Syndicat mixte régional des ports normands) n’a à ce jour aucun projet imminent sur ces maisons ».

Le président du syndicat mixte souligne « le risque grave » de cette « occupation », les deux maisons étant « manifestement inadaptées pour accueillir des dizaines de personnes ».

Lors d’une réunion du comité syndical, un administrateur a interrogé cette décision de vendre les maisons de Ranville, rappelant qu’elles sont inoccupées depuis 2015. Le PV d’assemblée note qu’« il lui est précisé que depuis la décision de déclassement des maisons en 2015, des travaux de réhabilitation ont été effectués dans les logements. Ces travaux désormais effectués, il convient de vendre rapidement pour éviter de nouveaux squats dans des locaux inadaptés à une occupation collective ».

« Il y a une volonté de mettre en œuvre des justifications a posteriori pour expulser, considère le conseiller régional membre du syndicat mixte. La vente des maisons, c’est un truc fait à l’arrache. »

Le jour de l’expulsion, « dix personnes ont été recensées », indique la préfecture du Calvados dans un communiqué. Toutes étaient demandeuses d’asile, à l’exception d’« une personne mineure […], réorientée vers les services d’aide sociale à l’enfance ».

La préfecture assume sa détermination « à mettre fin à ces occupations illicites et à procéder à l’évacuation des squats », justifiant une nouvelle fois son action par l’augmentation de « 36 % » de « l’offre d’hébergement d’urgence dans le Calvados » depuis 2016.

Un constat loin d’être partagé par l’avocat défendant les exilés : « La situation d’hébergement d’urgence s’est dégradée ces dernières années dans l’agglomération caennaise et à Ouistreham, contraignant de nombreuses personnes de nationalité étrangère à occuper des squats […] », peut-on lire dans ses conclusions. 

« Alors, monsieur le préfet, comment est-il possible qu’une cinquantaine de jeunes vivent dans un campement sur les bords du canal de l’Orne sans aucun moyen de satisfaire leurs besoins fondamentaux, qu’ils dépendent des citoyen·nes, des collectifs et des associations pour survivre et qu’ils soient soumis à des expulsions régulières de leur lieu de vie ? », questionne La Cimade, association d’aide aux migrants et aux déplacés. 

Après l’expulsion des exilés des maisons de Ranville, Ports de Normandie estime à 5 000 euros le nettoyage des maisons, imputant cette somme à l’occupation des lieux par les exilés. Du côté des associations de défense des exilés, Alain* a remarqué la présence d’un agent de sécurité posté « nuit et jour pendant deux mois » devant l’ancien squat.

Ports de Normandie confirme avoir mandaté un vigile, chiffrant la dépense à 1 800 euros par mois : « Si, depuis l’expulsion, nous les faisons gardienner, c’est parce que nous avons fait les travaux nécessaires et vendu ces logements à nos agents. La transaction est en cours. »

La municipalité de Ouistreham réclame des loyers

Le 22 janvier 2022, les associations de défense des migrants ont ouvert un nouveau lieu de vie dans une maison inoccupée depuis deux ans à Ouistreham, en face du canal de l’écluse. « Un petit escalier à l’extérieur conduit à la pièce de vie, où sont disposés des fauteuils et un canapé-lit. Sur deux étages, 25 couchages au total sont répartis sur des lits superposés, décrit Infomigrants.  Une dizaine de personnes, emmitouflées dans des duvets, profitent ce jour-là du chauffage, des toilettes et des douches du lieu de vie. Quelques téléphones sont branchés ici et là dans les chambres. Dans la cuisine, les étagères sont fournies en pâtes, farine, thé et filtres à café. »

Une nouvelle fois, l’expulsion menace les exilés. Le 31 mars dernier, le tribunal judiciaire de Caen a rendu son avis sur la demande d’expulsion formulée par la mairie de Ouistreham. À l’heure de mettre en ligne cet article, notre rédaction n’a pas pu prendre connaissance du sens de cette décision de justice.

Dans la saisine au tribunal judiciaire, la municipalité avait pointé du doigt les risques de « troubles à l’ordre public » et rappelle avoir signé une convention pour transformer la maison en bureaux et les louer 500 euros par mois à la société Éoliennes Offshore du Calvados. La ville réclame notamment aux migrants le montant des loyers qu’elle aurait dû percevoir depuis janvier 2022.

Le maire de Ouistreham, Romain Bail, a déjà été condamné en septembre 2019 pour avoir verbalisé de manière abusive des bénévoles qui venaient en aide aux réfugiés sur le territoire de sa commune. En octobre, l’élu a annoncé avoir quitté Les Républicains pour rejoindre Horizons, le nouveau parti fondé par Édouard Philippe.

Rémi Yang (Le Poulpe)

Est-il vrai qu’un tiers des immigrés occupent des HLM, comme l’affirme le RN ?

Libération, par Anaïs Condomines

publié le 22 avril 2022

La statistique, si elle est exacte, ne permet pas d’étayer la supposée «préférence étrangère» dans le logement social dénoncée par le parti d’extrême droite.

Lors du débat de l’entre-deux tours, Marine Le Pen a rappelé sa volonté de mettre «en œuvre la priorité nationale au logement et à l’emploi», détaillant que «les Français ne seront pas exclusivement mais prioritairement bénéficiaires de l’accès aux logements sociaux». Un point central du programme du Rassemblement national faisant écho à la rhétorique d’une supposée «préférence étrangère», qui serait actuellement de mise en France. Le président du RN, Jordan Bardella, rappelle ainsi ce chiffre à longueur d’interviews (pas plus tard que le 18 avril dernier sur LCI, face à Olivier Véran) : un tiers des immigrés occupent des logements sociaux ou HLM.

Ce chiffre n’est pas faux. Mais il ne suffit pas, en soi, à démontrer une «préférence étrangère» dans le logement social. D’abord parce qu’un ménage immigré ne peut être confondu avec un ménage « étranger » : sur les 7 millions d’immigrés que compte la France en 2021, 36 % sont en effet de nationalité française..

On retrouve le pourcentage cité par Marine Le Pen dans une fiche du ministère de l’intérieur intitulée «L’essentiel de l’immigration, données de cadrage» publiée en 2020 par le département des statistiques, des études et de la documentation. On peut y lire que 31 % des ménages immigrés sont locataires HLM en 2017, contre 13 % des ménages non immigrés. A l’inverse, 36 % des ménages immigrés sont propriétaires, contre 60 % des ménages non immigrés.

Le ministère de l’Intérieur lui-même indique que cette proportion n’est en rien liée à une «préférence étrangère» (sic), puisqu’elle s’explique essentiellement par les revenus et la taille des ménages. On lit ainsi dans le document : «La surreprésentation des immigrés dans les logements HLM peut être liée à leurs plus faibles revenus, mais aussi à la plus grande taille de leur ménage.»

On peut aussi, pour être complet, rapporter ce pourcentage aux données en valeur absolue. Nos confrères de France Inter  ont opéré ce calcul sur la base de chiffres de 2013, établis dans une précédente étude de l’Insee sur le logement et les ménages. A l’époque, la répartition locataires /propriétaires entre ménages immigrés et non immigrés était sensiblement la même, à savoir que 34 % des ménages immigrés étaient locataires d’un HLM, contre 15 % des ménages non immigrés.

Le document indiquait alors qu’en 2013, selon l’enquête logement, il y avait en France métropolitaine «2,7 millions de ménages immigrés et 25,3 millions de ménages non immigrés». Cela signifie que cette année-là, environ 918 000 ménages immigrés étaient locataires d’un HLM (34 % de 2,7 millions) contre un peu moins de 3,8 millions de ménages non immigrés. Pour le dire autrement, 20 % des logements sociaux étaient occupés par des «ménages immigrés». Une proportion qui diminue si on se focalise sur les seuls étrangers. En 2013, selon les données de l’Insee, les étrangers représentaient 12 % des locataires du secteur social.

Il y a cinq ans, CheckNews avait enquêté sur le fantasme de cette «préférence étrangère» dans le logement social, déjà brandi par la candidate Marine Le Pen, en comparant, selon la nationalité des demandeurs, les demandes de logement social émises, et les demandes satisfaites.

Le débat sur la migration légale vers l’UE rouvert par Bruxelles

La Commission européenne présente une directive destinée à pallier le manque de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs, comme la santé.

Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen) 

Le Monde, publié le 27 avril 2022  

La Commission européenne présente, mercredi 27 avril, un projet de directive visant à faciliter l’arrivée « de compétences et de talents » en Europe. En clair, favoriser une migration légale de travailleurs et de jeunes pour répondre au défi démographique et pallier le manque de main-d’œuvre dans des secteurs comme la santé, la technologie, la construction ou le transport. Le projet évoque aussi la création d’un « pôle de talents » qui permettrait, dès l’été, aux réfugiés ukrainiens, puis aux ressortissants d’autres Etats tiers, de faire connaître leurs diplômes et leur expérience afin d’intégrer plus facilement le marché de l’emploi.

La Commission choisit de relancer le vieux débat sur la migration dite « de travail » dans un contexte plus favorable que celui de la crise de 2015-2016, qui avait opposé les pays favorables à l’accueil de demandeurs d’asile à ceux qui y étaient résolument hostiles. La guerre en Ukraine a radicalement changé la donne, et les questions de l’accueil et de la migration ne sont, désormais, plus taboues pour la plupart des capitales. L’exécutif européen voulait aussi attendre le résultat de la présidentielle française pour ne pas courir le risque d’une instrumentalisation de ces questions par l’extrême droite. Enfin, le constat, fermement appuyé par les fédérations patronales, que plusieurs Etats membres souffrent d’une pénurie de main-d’œuvre pouvant entraver les politiques de relance a constitué une autre incitation pour l’exécutif européen.

La Commission, qui affirme vouloir présenter « un plan ambitieux et durable », précise toutefois qu’aucun pays membre ne sera forcé de l’appliquer. Pas question d’un nouveau « suicide politique », indique un diplomate en faisant référence au projet de quotas obligatoires de réfugiés à accueillir qu’avait évoqué le collège, dirigé à l’époque par Jean-Claude Juncker. Il avait entraîné une grave crise et créé une césure entre les Etats fondateurs et les pays d’Europe centrale et orientale. Il s’agit bien, cette fois, de respecter la compétence des Etats membres, souligne la Commission. « Chacun décidera et l’Union soutiendra les Etats, sur le plan pratique et opérationnel, à affronter les défis de la démographie et de la migration », insiste-t-on à Bruxelles. En 2021, c’est le Parlement qui l’avait invitée à proposer des mesures visant à harmoniser les conditions d’accueil, à simplifier les procédures et à lutter contre le travail clandestin.

Rééquilibrage

Il reste à convaincre les pays tiers que le « partenariat » évoqué recoupe bien leurs intérêts. Reprenant un de ses vieux slogans, la Commission assure qu’elle vise non pas à un « brain drain » – un « exode des cerveaux » – mais à un « brain gain » – une « croissance des cerveaux ». Qu’il ne s’agit donc pas de priver les pays concernés de leurs meilleurs éléments, les plus formés, mais, au contraire, de leur permettre de se former davantage et d’être, à terme, utiles à leur pays. En lui apportant des devises, mais aussi une expérience et une formation supplémentaires. L’initiative sera d’ailleurs replacée, promet Bruxelles, dans le cadre de l’aide au développement.

Elle devrait concerner d’abord la Tunisie, le Maroc et l’Egypte, ensuite le Sénégal, le Nigeria, le Pakistan et le Bangladesh. Des pays qui sont déjà liés à l’UE par divers accords dans le domaine de l’immigration, mais qui fournissent également des contingents importants de clandestins. De quoi confirmer que le projet vise en priorité à un rééquilibrage de la relation entre les pays concernés et l’Europe, et à une sorte de donnant-donnant : l’Europe offrirait plus d’ouverture à une migration régulée en échange d’un meilleur contrôle de l’immigration illégale.

C’était l’un des objectifs du « pacte migratoire » défini par Bruxelles, dont l’adoption se heurte toujours à une série de difficultés. Sous l’impulsion de la présidence française de l’Union, qui s’achèvera le 30 juin, il a dès lors été convenu entre les Vingt-Sept qu’il fallait privilégier une avancée par étapes, dont cette initiative fait partie.

Mobilité plus aisée

Il reste à savoir si les pays tiers, qui rechignent souvent à accepter le retour de leurs nationaux privés d’un titre de séjour dans un pays de l’Union, se résoudront à faciliter les réadmissions en échange de mesures pour leurs citoyens les mieux formés. Ceux-ci devraient bénéficier de décisions plus souples en matière de permis de travail, de droits de résidence et de respect des droits fondamentaux. La Commission insiste aussi sur sa volonté de permettre à des jeunes, peut-être moins formés, de voyager et de travailler plus facilement dans l’Union. Et de favoriser également l’accès d’autres à l’entrepreneuriat, notamment dans le secteur-clé des nouvelles technologies. La mobilité de tous au sein de l’espace européen devrait également être rendue plus aisée.

Si la politique migratoire est bloquée depuis plusieurs années en raison des divisions entre les Etats membres, la Commission espère avancer en évoquant des données objectives : il manque des centaines de milliers de personnes dans le domaine de la santé, des dizaines de milliers d’ingénieurs et, en 2030, la population européenne en âge de travailler aura diminué de 12 %. L’immigration ne serait donc pas une menace, mais une chance. Rendue légale, elle serait, par ailleurs, le meilleur moyen de lutter contre la migration clandestine.

« À Loon-Plage, la débrouille n’a pas de limite pour apporter l’eau aux exilés »

Voix du Nord – 20-04-22 – « À Loon-Plage, la débrouille n’a pas de limite pour apporter l’eau aux exilés »

Arnaud Stoerkler – 20 Avril 2022 à 10h36

Plusieurs centaines d’exilés fuyant des pays étrangers ont rétabli à Loon-Plage un camp de fortune, toujours dénué d’accès à l’eau courante. Entre citernes et camions douches, les associations veillent à leur apporter cet or bleu au quotidien.

Fonctionnel depuis le mois de février, le camion-douche de Help 4 Dunkerque reste sur le Dunkerquois malgré le départ de l’association.Fonctionnel depuis le mois de février, le camion-douche de Help 4 Dunkerque reste sur le Dunkerquois malgré le départ de l’association. – VDNPQR

Alors que de nombreux réfugiés ukrainiens ont été accueillis au domicile d’habitants du Dunkerquois, d’autres venus du Kurdistan, de Syrie ou encore d’Iran continuent de dormir sous les tentes et cabanes d’un camp de fortune érigé le long d’une voie ferrée à Loon-Plage. Malgré un récent changement de lieu,  les conditions de vie y sont toujours difficiles, sans « toilettes ni eau courante », rappelait récemment Claire Millot, secrétaire générale de l’association Salam, qui leur apporte des repas chauds plusieurs fois par semaine.

 

Olivier Schittek fait le trajet chaque semaine depuis Villeneuve-d’Ascq avec son camping-car, pour proposer sa douche aux réfugiés.

Olivier Schittek fait le trajet chaque semaine depuis Villeneuve-d’Ascq avec son camping-car, pour proposer sa douche aux réfugiés. – VDNPQR

Si deux gymnases (Dessinguez à Dunkerque, Buffon à Grande-Synthe) ouvrent leurs douches aux exilés le week-end, plusieurs initiatives ont émergé sur le terrain pour leur permettre de se laver au quotidien : Olivier Schittek, un particulier domicilié à Villeneuve-d’Ascq, vient chaque semaine à la rencontre des migrants du Dunkerquois pour leur proposer la douche de son camping-car, depuis un an. « Je leur mets aussi à disposition des vêtements propres en échange des leurs, que je lave chez moi », confie le Nordiste.

 

Après avoir subi un énième démantèlement, les exilés présents sur le Dunkerquois ont réinstallé un camp de fortune, toujours aussi précaire, sur le ban de Loon-Plage.Après avoir subi un énième démantèlement, les exilés présents sur le Dunkerquois ont réinstallé un camp de fortune, toujours aussi précaire, sur le ban de Loon-Plage.

Un camion comportant quatre douches a aussi été récemment aménagé : fonctionnel depuis le mois de février, il a permis à l’association Help 4 Dunkerque (un « convoi solidaire » venu aider « les réfugiés de la jungle de Dunkerque » entre les mois de janvier et de mars) de fournir une centaine de douches par jour à la population des lieux. Notamment aux femmes et aux enfants, via des horaires spécifiques.

Entre 7 et 10 000 litres d’eau par jour

Depuis le départ de Help 4 Dunkerque, leur camion douche a été confié au collectif N2PC sans frontières. « Il sera accessible deux à trois fois par semaine, en fonction de nos moyens humains », promet l’un de ses membres.

L’eau potable, c’est l’association Roots qui la fournit aux migrants en remplissant quatre grands réservoirs installés parmi les tentes. « Entre 7 et 10 000 litres d’eau sont consommés chaque jour », confie Rachel, une bénévole de Roots. De quoi boire, mais aussi se brosser les dents ou se laver succinctement. « Nous rechargeons les cuves toute la journée, mais notre équipe est petite : avec six personnes en moyenne, c’est parfois difficile. »

 

L’association Roots approvisionne chaque jour les exilés du Dunkerquois en eau potable.L’association Roots approvisionne chaque jour les exilés du Dunkerquois en eau potable. – VDNPQR

Une difficulté intenable lorsque ces citernes sont « enlevées lors d’évacuations de camp » opérées par les forces de l’ordre, comme l’a déjà constaté Olivier Schittek. « Nous tentons de trouver une solution durable pour cet accès à l’eau avec la communauté urbaine de Dunkerque (CUD) et le Syndicat de l’eau du Dunkerquois, mais les discussions avancent très lentement », explique Rachel.

Le 15 janvier dernier, une douzaine d’associations avaient déjà interpellé « l’État, la CUD et les mairies » pour améliorer la fourniture en eau potable des exilés « survivant sur la communauté́ urbaine de Dunkerque ».

En Tunisie, des dizaines de réfugiés réclament d’être évacués

En Tunisie, des dizaines de réfugiés réclament d’être évacués

Un groupe de 150 manifestants campe depuis une semaine à Tunis, affirmant que leurs droits ne sont pas respectés dans le pays.

Par Lilia Blaise 

Le Monde,  22 avril 2022

Des couvertures sèchent au soleil sur les grilles du local du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), dans le quartier des affaires du Lac, à Tunis. « On les a utilisées ce matin pour se protéger de la pluie », explique Souleymane, un Soudanais de 25 ans. Depuis une semaine, il campe avec plus d’une centaine d’autres réfugiés d’Afrique subsaharienne, dont une dizaine de femmes et huit enfants, sur les trottoirs qui bordent l’agence onusienne.

Ce sit-in vise à réclamer « une évacuation immédiate de la Tunisie» vers des pays tiers « qui respectent nos droits », selon Souleymane. Entre les bidons d’eau et les matelas, Bless, 26 ans, originaire du Nigeria, porte l’un de ses quatre enfants sur son dos. « Parfois, des passants nous donnent à manger, mais nous manquons de choses basiques, comme les couches pour enfants », précise-t-elle.

Parmi les manifestants, nombreux sont arrivés en Tunisie entre 2018 et 2021 après avoir fui la Libye par voie terrestre. Certains ont ensuite tenté de rejoindre les côtes européennes dans des embarcations de fortune. « Beaucoup sont des rescapés de naufrages en mer à qui nous fournissons un logement dans des abris d’urgence et un peu d’argent pendant la procédure d’enregistrement au HCR en tant que demandeur d’asile. Mais nous leur expliquons dès le début que c’est provisoire », déclare Laurent Raguin, représentant adjoint du HCR à Tunis.

Ce dernier évoque des restrictions budgétaires et une surcharge des trois centres du Haut-Commissariat dans le pays, où sont accueillies actuellement 400 personnes. L’hébergement peut durer entre trois à six mois selon le cas et la vulnérabilité de la personne – il est permanent pour les femmes et les enfants.

Une situation complexe

Début février, l’agence a demandé à un certain nombre de réfugiés de céder leur place dans ses centres du sud tunisien. Un premier sit-in a alors débuté dans les locaux de l’agence à Médenine (sud-est). Les manifestants estiment avoir été abandonnés à leur sort puisqu’ils ne souhaitent pas travailler en Tunisie ni s’y installer, seule alternative proposée par l’organisation onusienne.

Pour Laurent Raguin, l’enjeu est d’encourager ces réfugiés « à être autonomes » et de « les stabiliser en Tunisie pour éviter qu’ils ne reprennent des bateaux de fortune ou qu’ils retournent en Libye »« La carte du HCR peut les aider à trouver du travail et elle est respectée par la police. Nous faisons tout pour qu’ils soient contractualisés et non pas exploités », poursuit-il.

Mais la situation demeure complexe, la Tunisie ne disposant d’aucune politique migratoire claire ni de loi sur l’asile, malgré les nombreux plaidoyers des ONG ces dernières années. Signataire de la Convention de 1951, le pays est censé offrir une protection aux réfugiés présents sur son sol. Mais faute de cadre législatif, c’est au HCR seul qu’il revient d’assurer cette mission. L’Etat tunisien garantit seulement un accès aux soins, à l’éducation et à certains services sociaux.

« L’absence de l’Etat fait que l’accompagnement des réfugiés est relégué à la société civile, estime aussi Sherifa Riahi, directrice du bureau tunisien de l’organisation Terre d’asile qui s’est rendue sur le lieu du campement pour évaluer les besoins. La carte de réfugié n’est pas une pièce d’identité, donc beaucoup sont freinés dans leurs démarches administratives comme la location d’un logement. »

Mauvaises conditions de travail, racisme…

Sur le sit-in, les manifestants expliquent que les mauvaises conditions de travail, les bas salaires et le racisme dont ils font souvent l’objet ne les ont pas convaincus de rester en Tunisie, pays de transit vers l’Europe. « Nous avons des amis qui ont travaillé dans les usines et qui ont été exploités, l’un d’eux est décédé sur son lieu de travail. C’est un mensonge de dire que nous pouvons travailler dignement ici », répète Souleymane.

Le pays, qui compte entre 30 000 et 50 000 migrants originaires d’Afrique subsaharienne, est régulièrement épinglé pour des cas de mauvais traitement vis-à-vis de personnes noires, y compris des étudiants en situation régulière.

Mais les options de départ sont limitées pour les participants au mouvement de protestation. « L’évacuation humanitaire » réclamée par certains ne se fait que dans des « conditions très spécifiques », rappelle le HCR, comme en Libye, pour des personnes dans des situations extrêmement vulnérables. Un tel mécanisme n’existe pas en Tunisie. Quant à la « réinstallation » dans d’autres pays, elle n’est proposée que dans des cas très rares et correspond aussi à des critères précis de grande vulnérabilité.

Actuellement, 9 500 réfugiés sont inscrits auprès du HCR, mais seuls 76 ont quitté la Tunisie en 2021 pour être réinstallés dans des pays tiers. Aswhadheya, 31 ans, originaire du Darfour, aimerait pouvoir en bénéficier à son tour. La Soudanaise, qui se prépare à rompre le jeûne du ramadan avec le peu de nourriture qu’elle a pu trouver, dit avoir fait une demande d’asile pour la France il y a deux ans, après quatre ans passés en Tunisie. Sans obtenir de réponse jusqu’à maintenant.

Le Forum des droits économiques et sociaux, une ONG tunisienne, a dénoncé dans un communiqué le 15 avril « l’escalade de la crise humanitaire des réfugiés », tenant le HCR pour responsable de ne pas avoir su leur offrir un environnement sain et respectueux de leurs droits.

Le HCR dit chercher un autre hébergement « temporaire » pour ces réfugiés, mais un dialogue de sourds s’est installé. Les autorités tunisiennes, elles, n’ont pas réagi officiellement. « Avec la fin du ramadan, les départs en mer vont reprendre, il y a donc urgence à trouver une solution avec toutes les parties », insiste Laurent Raguin.

Voix du Nord – 20-04-22 – « À Loon-Plage, la débrouille n’a pas de limite pour apporter l’eau aux exilés »

À Loon-Plage, la débrouille n’a pas de limite pour apporter l’eau aux exilés

Arnaud Stoerkler –

Plusieurs centaines d’exilés fuyant des pays étrangers ont rétabli à Loon-Plage un camp de fortune, toujours dénué d’accès à l’eau courante. Entre citernes et camions douches, les associations veillent à leur apporter cet or bleu au quotidien.

 

Alors que de nombreux réfugiés ukrainiens ont été accueillis au domicile d’habitants du Dunkerquois, d’autres venus du Kurdistan, de Syrie ou encore d’Iran continuent de dormir sous les tentes et cabanes d’un camp de fortune érigé le long d’une voie ferrée à Loon-Plage. Malgré un récent changement de lieu, les conditions de vie y sont toujours difficiles, sans « toilettes ni eau courante », rappelait récemment Claire Millot, secrétaire générale de l’association Salam, qui leur apporte des repas chauds plusieurs fois par semaine.

 

 

Si deux gymnases (Dessinguez à Dunkerque, Buffon à Grande-Synthe) ouvrent leurs douches aux exilés le week-end, plusieurs initiatives ont émergé sur le terrain pour leur permettre de se laver au quotidien : Olivier Schittek, un particulier domicilié à Villeneuve-d’Ascq, vient chaque semaine à la rencontre des migrants du Dunkerquois pour leur proposer la douche de son camping-car, depuis un an. « Je leur mets aussi à disposition des vêtements propres en échange des leurs, que je lave chez moi », confie le Nordiste.

 

 

Un camion comportant quatre douches a aussi été récemment aménagé : fonctionnel depuis le mois de février, il a permis à l’association Help 4 Dunkerque (un « convoi solidaire » venu aider « les réfugiés de la jungle de Dunkerque » entre les mois de janvier et de mars) de fournir une centaine de douches par jour à la population des lieux. Notamment aux femmes et aux enfants, via des horaires spécifiques.

Entre 7 et 10 000 litres d’eau par jour

Depuis le départ de Help 4 Dunkerque, leur camion douche a été confié au collectif N2PC sans frontières. « Il sera accessible deux à trois fois par semaine, en fonction de nos moyens humains », promet l’un de ses membres.

L’eau potable, c’est l’association Roots qui la fournit aux migrants en remplissant quatre grands réservoirs installés parmi les tentes. « Entre 7 et 10 000 litres d’eau sont consommés chaque jour », confie Rachel, une bénévole de Roots. De quoi boire, mais aussi se brosser les dents ou se laver succinctement. « Nous rechargeons les cuves toute la journée, mais notre équipe est petite : avec six personnes en moyenne, c’est parfois difficile. »

 

 

Une difficulté intenable lorsque ces citernes sont « enlevées lors d’évacuations de camp » opérées par les forces de l’ordre, comme l’a déjà constaté Olivier Schittek. « Nous tentons de trouver une solution durable pour cet accès à l’eau avec la communauté urbaine de Dunkerque (CUD) et le Syndicat de l’eau du Dunkerquois, mais les discussions avancent très lentement », explique Rachel.

Le 15 janvier dernier, une douzaine d’associations avaient déjà interpellé « l’État, la CUD et les mairies » pour améliorer la fourniture en eau potable des exilés « survivant sur la communauté́ urbaine de Dunkerque ».

6 ans de la vie d’une association d’accueil 

 

ECNOU, ( prononcez « Eux, C’est NOUs »)  à Montreuil-sur-mer et environs

Née d’un élan citoyen en octobre 2015 à propos de l’exil des Syriens fuyant la guerre, ECNOU s’est lancée, forte de plus de 80 familles dans l’accueil chez l’habitant.

Début janvier 2016, à l’époque de la Grande jungle de Calais, ECNOU s’est mise au service des associations « sur le front » : Salam ; le secours catholique ; Utopia 56 ; gynécos sans frontières ; …etc …et de certaines institutions : le CADA de Berck, la préfecture de Lille…etc…

Il s’agissait essentiellement pour les adhérents de permettre à des exilés en situation d’urgence dans la jungle de trouver un abri pour quelques temps : quelques jours, quelques semaines, quelques mois voire plus.

Cette année-là l’élan de solidarité dans l’arrondissement de Montreuil s’est concrétisé par plus de 6300 nuitées offertes aux exilés. Le territoire d’action de notre association est très large : 40 km Nord-Sud, 40 km est ouest.

Pour beaucoup d’entre nous ce fut la découverte et l’apprentissage de l’accueil dans toutes ses composantes. Le vivre ensemble s’est révélé enthousiasmant, riche, mais exigeant.

Accueillir chez soi en milieu rural nécessite non seulement une présence mais également beaucoup de déplacements pour toutes les activités (cours de français, problèmes de santé, activités sportives ou culturelles, convocation à la préfecture, rencontre avec d’autres compatriotes, aide psychologique…) . Nombreux parmi les accueillants étaient de jeunes retraités.

Puis arriva la fermeture de la jungle, le démantèlement du campement, le déplacement de nombreux exilés dans des centres d’accueil répartis dans toute la France. Pendant ce temps, la compétence des bénévoles accueillants a augmenté ce qui nous a permis d’accompagner plus loin dans le chemin de l’intégration de nombreux exilés. Monter des dossiers à présenter à l’OFPRA, accompagner les exilés lors de leur passage à la CNDA, réalisation des premières demandes de titres de séjour auprès de la préfecture etc. etc.

Au fil des mois les exilés furent de plus en plus nombreux à vouloir essentiellement aller en Grande-Bretagne plutôt que de demander un asile en France. Pour beaucoup d’entre eux, s’éloigner de la zone de traversée, ne pouvait être acceptable que pour quelques jours. Quelques membres de l’association s’inscrirent alors au collectif « Migraction ». (accueil de repos le temps d’un week-end)

Certaines associations, présentes à Calais et Grande-Synthe depuis longtemps, fermèrent. Parmi les familles accueillantes, certaines eurent du mal à gérer l’accueil 24 heures sur 24 : pour beaucoup d’accueillis, le passage de « j’ai besoin de soins » à « je veux être indépendant et gérer moi-même mon avenir » pu s’avérer particulièrement rapide et surprenant pour les familles d’accueil. Accompagner des exilés en difficultés psychiques ou en perte d’espoir fut évidemment, pour certaines familles, une épreuve. Pour d’autres familles d’accueil, ce fut aussi l’époque de devenir grands-parents et-ou la santé devenait moins florissante ce qui a restreint leurs disponibilités.

L’association, pendant ce temps, a tissé des liens de partenariat avec l’aide sociale à l’enfance (ASE) dans la Somme et dans le Pas de Calais. Ces partenariats prirent du temps et de l’énergie avant d’être actifs mais ils ouvrirent d’autres possibilités d’accueil sur des temps plus courts mais tout aussi importants car ils permirent à de jeunes mineurs isolés de se retrouver dans des ambiances familiales qu’ils ne connaissaient plus depuis longtemps.

Arriva alors le COVID qui gela pour de nombreux mois la quasi-totalité de nos activités. Période difficile pour de nombreuses associations.

Début 2022, après plus de15000 nuitées offertes aux exilés, l’association ECNOU s’est retrouvée dans la situation paradoxale d’avoir acquis des compétences certaines, d’être reconnue par les instances départementales et régionales, et dans le même temps de voir ses forces vives fortement diminuées.

À l’heure présente, comme en 2015, le conflit en Ukraine a relancé un élan de solidarité nouveau au sein de l’association. De nombreuses nouvelles familles se sont rapprochées de ECNOU afin d’être accompagnées dans leur souhait de pouvoir héberger les familles ukrainiennes.

Ainsi va la vie de notre association.

contact president@ecnou.org

 

 

Les autorités algériennes érigent des murs anti-émigration sur le littoral oranais

Le Monde, 21 mars 2022, par Safia Ayache (Alger, correspondance)

Les habitants ne décolèrent pas face à ces constructions censées empêcher les jeunes de partir pour l’Europe. D’autant que les candidats à l’exil prennent la mer depuis des lieux plus discrets que les plages de ville.

Ils sont apparus en février. Des panneaux de béton de plus de deux mètres de haut installés sur le littoral d’Oran, deuxième ville d’Algérie (ouest). Depuis, les habitants d’Aïn El-Turck (appelée « Laâyoune » par les Oranais), une sous-préfecture composée de plusieurs communes balnéaires situées à 15 km à l’ouest de la ville, ne décolèrent pas. « On avait la nature pour s’aérer l’esprit, mais même cela nous est confisqué ! », s’agace un commerçant de Trouville, un quartier résidentiel.

Comme lui, les riverains doivent désormais passer par d’étroites ouvertures pour descendre les escaliers qui mènent au banc de sable. Seuls les « portes » et quelques « hublots » laissent apparaître la mer Méditerranée aux promeneurs encore rares de ce mois de mars.

Pendant plusieurs semaines, le doute a plané sur la raison de l’installation de ces murs érigés par une entreprise de construction publique à l’entrée de certaines plages. Des ouvriers, interrogés par la presse locale, ont laissé entendre que les travaux visaient à entraver l’émigration clandestine par la mer.

Dimanche 13 mars, une déclaration du wali (préfet) d’Oran a mis fin aux rumeurs. « Cette décision n’a pas été prise par une seule personne mais par la commission de sécurité de la wilaya dans l’intérêt général », a déclaré Saïd Sayoud. « La situation est arrivée à un point inacceptable, surtout du côté ouest de la wilaya », a-t-il ajouté, prenant à témoin les journalistes : « Vous savez que les départs ont diminué de 70 % et ce n’est pas seulement grâce aux barrières, mais aussi aux efforts des services de sécurité et des acteurs de la société civile », a affirmé le responsable.

Solutions alternatives

Les côtes ouest du pays sont un point de départ privilégié par les « harragas », les candidats à l’exil sans papier vers l’Europe, pour leur proximité avec le sud de l’Espagne. Selon l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes Frontex, un peu plus de 18 000 entrées illégales, majoritairement des ressortissants algériens – suivis par les Marocains –, ont été enregistrées en 2021 via la route méditerranéenne ouest.

Chiffres 2021 de l’émigration vers l’Europe de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes Frontex.

« Désormais, de puissants bateaux permettent de faire la traversée en deux heures. Les prix atteignent 800 000 dinars l’aller pour une place [environ 5 100 euros]. Les passeurs transportent les harragas et, au retour, ils ne reviennent plus à vide mais avec de la drogue », affirme Abdelkader Zouit.

Ce cadre de la Société de l’eau et de l’assainissement d’Oran (SEOR) connaît très bien Aïn El-Turck. « Laâyoune n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était. A cause, d’abord, de la multiplication des constructions sur le littoral et maintenant par la faute de ces murs », explique-t-il. Très impliqué dans la vie locale, M. Zouit chapeaute depuis quelques mois un collectif de citoyens engagés dans l’amélioration du cadre de vie dans la région oranaise. Il y a quelques jours, le collectif a adressé une lettre à l’Assemblée populaire de la wilaya pour demander l’arrêt des travaux et proposer des solutions alternatives comme la mise en place de caméras de surveillance.

« Oran est une région touristique et ce mur va nuire à son activité. S’ils veulent construire un mur pour que les passeurs ne puissent pas descendre leurs embarcations, alors qu’ils ne dépassent pas un mètre de haut et soit bâti avec des matériaux qui ne dénaturent pas le paysage », avance Abdelkader Zouit, qui rappelle que ces constructions peuvent s’avérer dangereuses compte tenu du terrain sablonneux.

Fin février, l’un des pans de béton qui filtre l’accès à la plage de Trouville s’est effondré sur les escaliers, sans faire de victimes. Kheïra (le prénom a été modifié) vit à quelques mètres de là. De sa bicoque, elle observe les ouvriers du BTP qui guident l’engin de chantier chargé de déposer les larges panneaux en haut des escaliers menant à la plage. « C’est vrai qu’on n’a pas vraiment le choix mais moi, je suis pour », affirme la mère de famille dans un haussement d’épaules.

Les escaliers qui mènent à la plage de Trouville, quartier de la commune d’Aïn El-Turck, sur la côte oranaise, dans l’ouest de l’Algérie, en févirer 2022.

La sexagénaire, foulard sur la tête et visage déjà bronzé par le soleil, explique vivre ici depuis quarante ans. En été, elle et ses garçons proposent la location de tables et de chaises de plage ainsi qu’un service de restauration aux touristes du pays qui viennent profiter de la mer. « Il y a trop d’incivilités, surtout en période estivale. Ça permettra de réguler le flux de personnes », dit-elle, avant de préciser qu’en réalité les « harragas ne partent pas en plein milieu des habitations » par peur que les riverains ne préviennent la police.

« Terrain vierge à l’abri des regards »

A quelques kilomètres à l’ouest du quartier paisible de Trouville, les entrées vers les plages blanches des Dunes sont elles aussi bloquées par des murs de béton aux ouvertures étroites. De la longue promenade qui surplombe la mer, on aperçoit le cap Falcon, « un terrain vierge, à l’abri des regards et le point le plus proche de la côte ibérique », donc privilégié par les candidats au départ, explique Fouad Hassam, militant des droits humains.

Lui qui travaille depuis plusieurs années sur la thématique de la migration et du droit d’asile reconnaît la difficulté pour les autorités de surveiller une telle zone, mais doute que la construction de murs puisse empêcher les départs. A Aïn El-Turck « les maisons sont construites à moins de dix mètres de la mer et les habitants ont souvent leur propre embarcation. Donc lorsqu’on voit quelques personnes sur une barque, on peut penser qu’il s’agit de plaisanciers ou de pêcheurs », explique-t-il, poursuivant : « Ceux qui veulent partir utilisent cette technique. Ils partent récupérer les harragas en plusieurs fois, sur les rochers, les criques, des îles ou au large. Nous ne sommes pas dans un système de plateforme où les gens feraient la queue pour monter dans un bateau à partir d’une plage. »

« Plus l’administration et l’Etat mettent de moyens pour éliminer ou réduire le phénomène, plus les gens prennent des risques en partant des zones qui sont moins surveillées », soutient le militant, qui rappelle que, ces derniers mois, des embarcations ont quitté les rivages de l’est d’Alger en direction de l’Espagne, soit plus de 400 km en mer.

Dimanche 13 mars, le wali d’Oran a précisé que les constructions représentent « une solution temporaire » et que l’installation de caméras de surveillance sera bouclée d’ici « fin avril, début mai » avant, donc, la 19e édition des Jeux méditerranéens, que la ville accueillera du 25 juin au 5 juillet 2022, et pour lesquels 4 500 athlètes sont attendus.