En Tunisie, des dizaines de réfugiés réclament d’être évacués
Un groupe de 150 manifestants campe depuis une semaine à Tunis, affirmant que leurs droits ne sont pas respectés dans le pays.
Des couvertures sèchent au soleil sur les grilles du local du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), dans le quartier des affaires du Lac, à Tunis. « On les a utilisées ce matin pour se protéger de la pluie », explique Souleymane, un Soudanais de 25 ans. Depuis une semaine, il campe avec plus d’une centaine d’autres réfugiés d’Afrique subsaharienne, dont une dizaine de femmes et huit enfants, sur les trottoirs qui bordent l’agence onusienne.
Ce sit-in vise à réclamer « une évacuation immédiate de la Tunisie» vers des pays tiers « qui respectent nos droits », selon Souleymane. Entre les bidons d’eau et les matelas, Bless, 26 ans, originaire du Nigeria, porte l’un de ses quatre enfants sur son dos. « Parfois, des passants nous donnent à manger, mais nous manquons de choses basiques, comme les couches pour enfants », précise-t-elle.
Parmi les manifestants, nombreux sont arrivés en Tunisie entre 2018 et 2021 après avoir fui la Libye par voie terrestre. Certains ont ensuite tenté de rejoindre les côtes européennes dans des embarcations de fortune. « Beaucoup sont des rescapés de naufrages en mer à qui nous fournissons un logement dans des abris d’urgence et un peu d’argent pendant la procédure d’enregistrement au HCR en tant que demandeur d’asile. Mais nous leur expliquons dès le début que c’est provisoire », déclare Laurent Raguin, représentant adjoint du HCR à Tunis.
Ce dernier évoque des restrictions budgétaires et une surcharge des trois centres du Haut-Commissariat dans le pays, où sont accueillies actuellement 400 personnes. L’hébergement peut durer entre trois à six mois selon le cas et la vulnérabilité de la personne – il est permanent pour les femmes et les enfants.
Une situation complexe
Début février, l’agence a demandé à un certain nombre de réfugiés de céder leur place dans ses centres du sud tunisien. Un premier sit-in a alors débuté dans les locaux de l’agence à Médenine (sud-est). Les manifestants estiment avoir été abandonnés à leur sort puisqu’ils ne souhaitent pas travailler en Tunisie ni s’y installer, seule alternative proposée par l’organisation onusienne.
Pour Laurent Raguin, l’enjeu est d’encourager ces réfugiés « à être autonomes » et de « les stabiliser en Tunisie pour éviter qu’ils ne reprennent des bateaux de fortune ou qu’ils retournent en Libye ». « La carte du HCR peut les aider à trouver du travail et elle est respectée par la police. Nous faisons tout pour qu’ils soient contractualisés et non pas exploités », poursuit-il.
Mais la situation demeure complexe, la Tunisie ne disposant d’aucune politique migratoire claire ni de loi sur l’asile, malgré les nombreux plaidoyers des ONG ces dernières années. Signataire de la Convention de 1951, le pays est censé offrir une protection aux réfugiés présents sur son sol. Mais faute de cadre législatif, c’est au HCR seul qu’il revient d’assurer cette mission. L’Etat tunisien garantit seulement un accès aux soins, à l’éducation et à certains services sociaux.
« L’absence de l’Etat fait que l’accompagnement des réfugiés est relégué à la société civile, estime aussi Sherifa Riahi, directrice du bureau tunisien de l’organisation Terre d’asile qui s’est rendue sur le lieu du campement pour évaluer les besoins. La carte de réfugié n’est pas une pièce d’identité, donc beaucoup sont freinés dans leurs démarches administratives comme la location d’un logement. »
Mauvaises conditions de travail, racisme…
Sur le sit-in, les manifestants expliquent que les mauvaises conditions de travail, les bas salaires et le racisme dont ils font souvent l’objet ne les ont pas convaincus de rester en Tunisie, pays de transit vers l’Europe. « Nous avons des amis qui ont travaillé dans les usines et qui ont été exploités, l’un d’eux est décédé sur son lieu de travail. C’est un mensonge de dire que nous pouvons travailler dignement ici », répète Souleymane.
Le pays, qui compte entre 30 000 et 50 000 migrants originaires d’Afrique subsaharienne, est régulièrement épinglé pour des cas de mauvais traitement vis-à-vis de personnes noires, y compris des étudiants en situation régulière.
Mais les options de départ sont limitées pour les participants au mouvement de protestation. « L’évacuation humanitaire » réclamée par certains ne se fait que dans des « conditions très spécifiques », rappelle le HCR, comme en Libye, pour des personnes dans des situations extrêmement vulnérables. Un tel mécanisme n’existe pas en Tunisie. Quant à la « réinstallation » dans d’autres pays, elle n’est proposée que dans des cas très rares et correspond aussi à des critères précis de grande vulnérabilité.
Actuellement, 9 500 réfugiés sont inscrits auprès du HCR, mais seuls 76 ont quitté la Tunisie en 2021 pour être réinstallés dans des pays tiers. Aswhadheya, 31 ans, originaire du Darfour, aimerait pouvoir en bénéficier à son tour. La Soudanaise, qui se prépare à rompre le jeûne du ramadan avec le peu de nourriture qu’elle a pu trouver, dit avoir fait une demande d’asile pour la France il y a deux ans, après quatre ans passés en Tunisie. Sans obtenir de réponse jusqu’à maintenant.
Le Forum des droits économiques et sociaux, une ONG tunisienne, a dénoncé dans un communiqué le 15 avril « l’escalade de la crise humanitaire des réfugiés », tenant le HCR pour responsable de ne pas avoir su leur offrir un environnement sain et respectueux de leurs droits.
Le HCR dit chercher un autre hébergement « temporaire » pour ces réfugiés, mais un dialogue de sourds s’est installé. Les autorités tunisiennes, elles, n’ont pas réagi officiellement. « Avec la fin du ramadan, les départs en mer vont reprendre, il y a donc urgence à trouver une solution avec toutes les parties », insiste Laurent Raguin.