A la frontière avec la Turquie,

A la frontière avec la Turquie, des migrants enrôlés de force par la police grecque pour refouler d’autres migrants

Une enquête du « Monde » et de « Lighthouse Reports », « Der Spiegel », « ARD Report München » et « The Guardian » montre que la police grecque utilise des migrants pour renvoyer les nouveaux arrivants en Turquie.

Par Marina Rafenberg, Tomas Statius 

Publié le 28 juin 2022

Dans le village de Neo Cheimonio, situé à dix minutes de l’Evros, le fleuve qui sépare la Grèce et la Turquie, les refoulements de réfugiés, une pratique contraire au droit international, sont un secret de polichinelle. A l’heure de pointe, au café, les habitants, la cinquantaine bien passée, évoquent la reprise des flux migratoires. « Chaque jour, nous empêchons l’entrée illégale de 900 personnes », a affirmé, le 18 juin, le ministre grec de la protection civile, Takis Theodorikakos, expliquant l’augmentation de la pression migratoire exercée par Ankara.

« Mais nous ne voyons pas les migrants. Ils sont enfermés, sauf ceux qui travaillent pour la police », lance un retraité. Son acolyte ajoute : « Eux vivent dans les conteneurs du commissariat et peuvent aller et venir. Tu les rencontres à la rivière, où ils travaillent, ou à la tombée de la nuit lorsqu’ils vont faire des courses. » Ces nouvelles « recrues » de la police grecque ont remplacé les fermiers et les pêcheurs qui barraient eux-mêmes la route, il y a quelques années, à ceux qu’ils nomment « les clandestins ».

« Esclaves » de la police grecque

D’après les ONG Human Rights Watch ou Josoor, cette tendance revient souvent depuis 2020 dans les témoignages des victimes de pushbacks (les refoulements illégaux de migrants). A la suite des tensions à la frontière en mars 2020, lorsque Ankara avait menacé de laisser passer des milliers de migrants en Europe, les autorités grecques auraient intensifié le recours à cette pratique pour éviter que leurs troupes ne s’approchent trop dangereusement du territoire turc, confirment trois policiers postés à la frontière. Ce travail forcé des migrants « bénéficie d’un soutien politique. Aucun policier n’agirait seul », renchérit un gradé.

Athènes a toujours démenti avoir recours aux refoulements illégaux de réfugiés. Contacté par Le Monde et ses partenaires, le ministère grec de la protection civile n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Au cours des derniers mois, Le Monde et ses partenaires de Lighthouse Reports – Der Spiegel, ARD Report München et The Guardian, avec l’aide de la page Facebook « Consolidated Rescue Group » – ont pu interviewer six migrants qui ont raconté avoir été les « esclaves » de la police grecque, contraints d’effectuer des opérations de pushback secrètes et violentes. En échange, ces petites mains de la politique migratoire grecque se sont vu promettre un permis de séjour d’un mois leur permettant d’organiser la poursuite de leur voyage vers le nord de l’Europe.

Au fil des interviews se dessine un mode opératoire commun à ces renvois. Après leur arrestation à la frontière, les migrants sont incarcérés plusieurs heures ou plusieurs jours dans un des commissariats. Ils sont ensuite transportés dans des camions en direction de l’Evros, où les « esclaves » les attendent en toute discrétion. « Les policiers m’ont dit de porter une cagoule pour ne pas être reconnu », avance Saber, soumis à ce travail forcé en 2020. Enfin, les exilés sont renvoyés vers la Turquie par groupes de dix dans des bateaux pneumatiques conduits par les « esclaves ».

Racket, passage à tabac des migrants

Le procédé n’est pas sans violence : tous confirment les passages à tabac des migrants par la police grecque, le racket, la confiscation de leur téléphone portable, les fouilles corporelles, les mises à nu.

Dans cette zone militarisée, à laquelle journalistes, humanitaires et avocats n’ont pas accès, nous avons pu identifier six points d’expulsion forcée au niveau de la rivière, grâce au partage des localisations par l’un des migrants travaillant aux côtés des forces de l’ordre grecques. Trois autres ont aussi fourni des photos prises à l’intérieur de commissariats de police. Des clichés dont nous avons pu vérifier l’authenticité et la localisation.

A Neo Cheimonio, les « esclaves » ont fini par faire partie du paysage. « Ils viennent la nuit, lorsqu’ils ont fini de renvoyer en Turquie les migrants. Certains restent plusieurs mois et deviennent chefs », rapporte un commerçant de la bourgade.

L’un de ces leaders, un Syrien surnommé « Mike », a tissé des liens privilégiés avec les policiers et appris quelques rudiments de grec. « Son visage n’est pas facile à oublier. Il est passé faire des emplettes il y a environ cinq jours », note le négociant.

Mike, mâchoire carrée, coupe militaire et casque de combattant spartiate tatoué sur le biceps droit, a été identifié par trois anciens « esclaves » comme leur supérieur direct. D’après nos informations, cet homme originaire de la région de Homs serait connu des services de police syriens pour des faits de trafic d’essence et d’être humains. Tout comme son frère, condamné en 2009 pour homicide volontaire.

En contact avec un passeur basé à Istanbul, l’homme recruterait ses serviteurs, en leur faisant croire qu’il les aidera à rester en Grèce en échange d’environ 5 000 euros, selon le récit qu’en fait Farhad, un Syrien qui a vite déchanté en apprenant qu’il devrait expulser des compatriotes en Turquie. « L’accord était que nous resterions une semaine dans le poste de police pour ensuite continuer notre voyage jusqu’à Athènes. Quand on m’a annoncé que je devais effectuer les refoulements, j’ai précisé que je ne savais pas conduire le bateau. Mike m’a répondu que, si je n’acceptais pas, je perdrais tout mon argent et que je risquerais de disparaître à mon retour à Istanbul », glisse le jeune homme.

Les anciens affidés de Mike se souviennent de sa violence. « Mike frappait les réfugiés et il nous disait de faire de même pour que les commandos [unité d’élite de la police grecque] soient contents de nous », confie Hussam, un Syrien de 26 ans.

De 70 à 100 refoulements par jour

Saber, Hussam ou Farhad affirment avoir renvoyé entre 70 et 100 personnes par jour en Turquie et avoir été témoins d’accidents qui auraient pu mal tourner. Comme ce jour où un enfant est tombé dans le fleuve et a été réanimé de justesse côté turc… Au bout de quarante-cinq jours, Hussam a reçu un titre de séjour temporaire que nous avons retrouvé dans les fichiers de la police grecque. Théoriquement prévu pour la Grèce, ce document lui a permis de partir s’installer dans un autre pays européen.

Sur l’une des photos que nous avons pu nous procurer, Mike prend la pose en treillis, devant un mobile-home, dont nous avons pu confirmer la présence dans l’enceinte du commissariat de Neo Cheimonio. Sur les réseaux sociaux, l’homme affiche un tout autre visage, bien loin de ses attitudes martiales. Tout sourire dans les bras de sa compagne, une Française, en compagnie de ses enfants ou goguenard au volant de sa voiture. C’est en France qu’il a élu domicile, sans éveiller les soupçons des autorités françaises sur ses activités en Grèce.

Le Monde et ses partenaires ont repéré deux autres postes de police où cette pratique a été adoptée. A Tychero, village d’environ 2 000 habitants, c’est dans le commissariat, une bâtisse qui ressemble à une étable, que Basel, Saber et Suleiman ont été soumis au même régime.

C’est par désespoir, après neuf refoulements par les autorités grecques, que Basel avait accepté la proposition de « collaboration » faite par un policier grec, « parce qu’il parlait bien anglais ». Apparaissant sur une photographie prise dans le poste de police de Tychero et partagée sur Facebook par un de ses collègues, cet officier est mentionné par deux migrants comme leur recruteur. Lors de notre passage dans ce commissariat, le 22 juin, il était présent.

Basel soutient que les policiers l’encourageaient à se servir parmi les biens volés aux réfugiés. Le temps de sa mission, il était enfermé avec les autres « esclaves » dans une chambre cachée dans une partie du bâtiment qui ne communique pas avec les bureaux du commissariat, uniquement accessible par une porte arrière donnant sur la voie ferrée. Après quatre-vingts jours, Basel a obtenu son sésame, son document de séjour qu’il a gardé, malgré les mauvais souvenirs et les remords. « J’étais un réfugié fuyant la guerre et, tout à coup, je suis devenu un bourreau pour d’autres exilés, avoue-t-il. Mais j’étais obligé, j’étais devenu leur esclave. »

Une enquête réalisée avec Bashar Deeb, Klaas van Dijken, Jack Sapoch (« Lighthouse Reports ») et Mohannad Al-Najjar (« Der Spiegel »)

La justice donne raison à Human Rights Observers

Communiqué de presse du 22 juin 2022

 

La justice donne raison à Human Rights Observers : ses membres pouvaient légalement se déplacer pour mener ses activités d’accès au droit pendant les confinements

 

 

Human Rights Observers a contesté toutes les verbalisations pour non-respect des couvre-feux et confinements. Nous les considérions abusives sur le fond et la forme. Lundi, le tribunal de Boulogne-sur-Mer nous a donné raison, prouvant que ces verbalisations étaient arbitraires.

Sur les différentes périodes de confinement pour raison de Covid, au moins 130 verbalisations pour « déplacement illicite” avaient été dressées à l’encontre des membres de Human Rights Observers (projet soutenu par L’Auberge des Migrants) et d’Utopia 56 – deux associations opérant auprès des personnes exilées à Calais – les condamnant ainsi à payer près de 20 000 € d’amende cumulés.

Toutes ces contraventions avaient été contestées et, le 9 mai, s’est tenu la première audience devant le tribunal de police de Boulogne-sur-Mer, où la culpabilité de deux membres d’Human Rights Observers était mise en cause pour 3 de ces verbalisations. Le verdict est tombé ce lundi 20 juin, et la décision de justice nous est favorable : en effet, selon le tribunal de Boulogne-sur-Mer, les deux membres d’Human Rights Observers avaient bien présenté un justificatif de déplacement professionnel valide aux forces de l’ordre, qui les ont malgré tout verbalisés. Cette décision vient confirmer le caractère abusif et infondé des verbalisations reçues par nos associations, que nous dénoncions déjà le 2 juin dernier à travers un communiqué de presse (disponible sur notre site).

Bien que nous nous réjouissions de cette victoire, de nombreuses ressources ont dû être mobilisées pour l’obtenir, nous handicapant dans la réalisation de nos actions d’accès au droit à destination des personnes en situation d’exil. En effet, il a fallu contester chacune de ces verbalisations une par une selon les procédures légales, qui sont particulièrement dissuasives, ce qui a supposé une charge de travail conséquente pour notre équipe, qui aurait pu se focaliser sur ses activités propres directement utiles aux personnes vulnérables. A notre sens, ces verbalisations n’avaient pour but que d’entraver nos actions et de nuire au bon fonctionnement de notre structure, et s’inscrivent dans un contexte général d’entraves et d’intimidations policières et institutionnelles envers les associations et leurs membres.

C’est une victoire symbolique et encourageante pour les 50 autres contraventions visant HRO et Utopia 56 qui sont en attente d’audience, mais qui n’efface pas la politique d’entrave et de harcèlement menée par les forces de l’ordre et les autorités publiques à l’encontre des associations à la frontière franco-britannique qui pourtant viennent quotidiennement combler les manquements de l’Etat dans le soutien aux personnes exilées et vulnérables.

 

 

 

 

Contacts presse :

Pablo Ovan – Coordinateur Communication Human Rights Observers : 06 71 04 23 87

Léa Poncelet – Coordinatrice Juridique Human Rights Observers : 07 65 19 69 61

 

 

Signataires : Human Rights Observers (HRO) et L’Auberge des Migrants

 

Démarches en ligne pour les étrangers : le Conseil d’Etat retoque le gouvernement

L’institution demande à l’exécutif de proposer des solutions de substitution et de mieux accompagner les usagers qui maîtrisent mal les outils numériques.

Par Julia Pascual, Le Monde

Publié le 03 juin 2022  

C’est un bémol apporté à la dématérialisation de toutes les démarches concernant les étrangers en France, en cours depuis plusieurs années. Dans une décision du 3 juin, le Conseil d’Etat a imposé au gouvernement de prévoir une solution de substitution au tout-numérique.

La plus haute juridiction administrative avait été saisie par plusieurs associations et syndicats, dont La Cimade, la Ligue des droits de l’homme ou encore le Syndicat des avocats de France. Ces derniers contestaient notamment le décret du 24 mars 2021, qui prévoit que toutes les démarches de demandes de titres de séjour se fassent progressivement par Internet.

Le Conseil d’Etat a considéré que ce décret est illégal

. « Le pouvoir réglementaire ne saurait édicter une telle obligation qu’à la condition de permettre l’accès normal des usagers au service public » et, pour ce faire, il lui incombe « de garantir la possibilité de recourir à une solution de substitution », notamment pour pallier les cas de « défaillance » du téléservice. Un étranger doit pouvoir déposer une demande de titre autrement qu’en ligne. En outre, les usagers qui n’ont pas d’outils numériques ou ne maîtrisent pas leur usage « doivent pouvoir être accompagnés ».

Files d’attente virtuelles

La numérisation des démarches pour les étrangers fait l’objet de vives critiques, en particulier du fait des difficultés de prise de rendez-vous en ligne face à des préfectures saturées. Sur ce point précis, le Conseil d’Etat dit, dans un avis du même jour, que la prise de rendez-vous en ligne ne peut pas être rendue obligatoire. « On se félicite que le Conseil d’Etat nous donne raison, réagit Lise Faron, de La Cimade. Les préfectures ne pourront plus imposer la prise de rendez-vous par Internet pour les demandes de titres. »

Alors que le ministère de l’intérieur vante « la fin des files d’attente » et une « démarche simplifiée », sur le terrain, le constat est beaucoup plus mitigé. Un rapport d’information  du 10 mai de la commission des lois du Sénat a d’ailleurs estimé que des files d’attente virtuelles ont remplacé les files d’attente physiques devant les préfectures et que « les conditions d’accueil des étrangers et de délivrance de titres de séjour se sont dégradées au cours des dernières années ». En cause : un manque de moyens matériels et humains.

« Tant qu’il n’y a pas suffisamment de moyens consacrés au traitement des demandes, la situation d’engorgement des préfectures va perdurer, met en garde Lise Faron. On va espérer que les gens soient moins bloqués, seuls, derrière leur ordinateur. C’est un pas important. »

Face à la criminalisation de la solidarité à Calais, lancement du #SolidaritéEntravée

Communiqué de presse 02/06/2022

Face à la criminalisation de la solidarité à Calais, lancement du #SolidaritéEntravée
Sur les différentes périodes de confinement pour raison de Covid, au moins 130 verbalisations pour « déplacement illicite” ont été dressées à l’encontre des membres de Human Rights Observers (projet soutenu par L’Auberge des Migrants) et d’Utopia 56 – deux associations opérant auprès des personnes exilées à Calais – les condamnant ainsi à payer près de 20 000 € d’amende cumulés.
Ces contraventions dressées alors que les membres de ces associations étaient dans l’exercice de leur activité professionnelle ont été contestées, sachant que ces membres étaient toujours munis de l’attestation de déplacement professionnel requise, avec pour motif dérogatoire « l’assistance aux personnes vulnérables et précaires ».
Le 20/04/2021, Mme Stella Dupont, une députée LREM, interroge le ministre de l’Intérieur, M. Gérald Darmanin, sur la base légale de ces verbalisations. Un an plus tard, le 19/04/2022, le ministre de l’Intérieur présente sa réponse, dans laquelle il avance “qu’il est arrivé […] que le motif de déplacement, à savoir « l’assistance aux personnes vulnérables et précaires », soit manifestement détourné”. Selon lui, “les membres d’associations n’exerçaient aucune action humanitaire mais se posaient en revanche en « censeurs » d’opérations de police, pourtant menées en application et dans le respect de la loi”.
Or l’observation, la documentation et la dénonciation des expulsions de terrain où sont installées les personnes exilées est essentielle et leur donne accès au droit de se défendre face aux violences d’Etat que sont ces expulsions, par ailleurs illégales. A titre d’exemple, dans une affaire toute récente, la Cour d’appel de Douai a pu qualifier de voie de fait une opération d’expulsion à Calais grâce aux attestations et aux vidéos établies lors de l’expulsion par les stagiaires et bénévoles de HRO (Arrêt de la Cour d’appel de Douai du 24 mars 2022).
Aussi, une part importante des verbalisations a visé des membres d’associations qui menaient des maraudes d’accès au droit et à l’information ou dans le cadre de distributions alimentaires et matérielles, ainsi que d’accompagnements vers des services essentiels d’accès au soin, à la santé, à l’hébergement ou encore à la protection de l’enfance, ce que M. Darmanin fait semblant d’ignorer.
Que M. Darmanin se rassure, toutes ces contraventions ont effectivement été contestées malgré une procédure légale particulièrement dissuasive pour des associations ayant peu de moyens. La première audience pour s’opposer à la culpabilité de deux membres de Human Rights Observers a d’ailleurs eu lieu le 9 mai et le verdict est attendu pour le 20 juin.
Ces contraventions abusives s’inscrivent dans un contexte général d’entraves et d’intimidations policières et institutionnelles contre les associations et leurs membres, condamnant l’aide aux personnes exilées précaires et dégradant toujours plus leurs conditions de vie. À croire qu’il existe une volonté politique de maintenir le statuquo à Calais, zone de non-droit en France. Nous avons lancé sur nos réseaux un #SolidaritéEntravée afin de visibiliser les entraves subies par les associations au quotidien, qui constituent des atteintes à la liberté d’association, impensables dans un État de droit.

A la frontière gréco-turque, des réfugiés abandonnés au milieu de la rivière

 Le Conseil grec pour les réfugiés a saisi la CEDH, qui impose aux autorités grecques de protéger les migrants laissés pendant plusieurs jours sans eau ni nourriture sur des îlots au milieu de l’Evros.

Par Marina Rafebnberg pour Le Monde, le 4 juin 2022

Des migrants se tiennent sur les rives du fleuve Evros, frontière naturelle entre la Turquie et la Grèce, près d’Edirne, en Turquie, le 2 mars 2020.

Alors qu’il tentait de traverser la rivière Evros, qui marque la frontière entre la Turquie et la Grèce, avec trente-huit compatriotes, le 17 avril, M. A., un jeune Syrien, est repéré par les gardes-frontières turcs. Son groupe est alors obligé d’accoster sur un îlot situé entre les deux pays.

Le lendemain, le Conseil grec pour les réfugiés (CGR), qui représente légalement les réfugiés, saisit la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ; cette dernière impose dans la foulée à l’Etat grec des mesures provisoires de protection pour ces exilés bloqués pendant plusieurs jours sans eau, nourriture ni aide médicale. Les autorités grecques, censées répondre à la CEDH et permettre aux réfugiés d’être mis à l’abri et de déposer une demande d’asile comme le requiert le droit européen, ne donnent pas suite.

« Après trois jours sur l’îlot, des personnes en uniforme venant du côté grec sont venues nous chercher. Elles nous ont transférés dans un centre de détention sur la rive grecque, elles nous ont tabassés, nous ont pris nos chaussures et nous ont dit qu’elles allaient nous renvoyer en Turquie. Ce qu’elles ont fait », nous explique M. A., joint par téléphone. Parmi le groupe se trouvait une femme à la santé fragile qui avait besoin d’une hémodialyse, selon le jeune homme. « Elle criait pour demander à voir un médecin (…). Personne n’est venu à son secours, ni du côté grec ni du côté turc. Elle a perdu connaissance et elle est morte sur l’îlot. Les gardes-frontières turcs ont récupéré son corps. Les enfants qui ont assisté à la scène étaient en pleurs », raconte-t-il. Une enquête préliminaire a été ouverte par le procureur d’Orestiada, une des principales villes grecques de la région frontalière.

« Jeu de ping-pong »

Le magistrat a également ouvert une enquête après la noyade dans l’Evros, mi-mars, d’un enfant de 4 ans, Ayman Al Saleh. Le garçonnet appartenait à un groupe d’une trentaine de Syriens, arrêtés et emmenés de force par la police grecque sur un îlot, où ils sont restés cinq jours avant l’intervention des secours grecs. D’après les témoignages des rescapés, l’enfant serait tombé à l’eau lors du transfert, sans que la police intervienne pour lui venir en aide. « Nous avons alors informé les autorités grecques de la présence des réfugiés sur l’îlot. Le lendemain, un commando d’hommes masqués s’est empressé de les refouler… La police grecque nous avait pourtant répondu que le groupe n’avait pas été localisé », soutient Evgenia Kouniaki, avocate pour l’ONG HumanRights360.

Face à cette nouvelle méthode de refoulement employée par les autorités d’Athènes, certains défenseurs des droits humains pensent que les Grecs ne veulent plus s’approcher de la rive de leur voisin et déposent donc les réfugiés sur ces îlots pour que les forces de l’ordre turques soient obligées de les récupérer. D’après d’autres témoignages de réfugiés, les autorités turques les pousseraient aussi sur ces bandes de terre en les menaçant de les renvoyer en Syrie s’ils ne partent pas vers l’Europe.

D’après Athènes, la Turquie ouvre sciemment les vannes pour les migrants alors que le torchon brûle de nouveau entre les deux voisins. Selon le ministère grec des migrations, sur les quatre premiers mois de l’année, près de 30 % de réfugiés supplémentaires ont voulu entrer en Grèce par rapport à l’an dernier à la même période. « Dans les quatre premiers mois de 2022, environ 40 000 migrants ont tenté d’entrer illégalement dans le pays », estime le ministre de la protection civile, Takis Theodorikakos.

« C’est un jeu de ping-pong entre les deux pays, qui ne veulent pas accueillir les demandeurs d’asile. Ces îlots ne sont pas très bien définis territorialement. Est-ce qu’ils relèvent de l’autorité grecque ou turque ? Selon la saison, ils sont même recouverts par la rivière, mais d’après la CEDH, ils appartiennent bien à la Grèce », souligne Evgenia Kouniaki. En avril, l’ONG Human Rights Watch (HRW) avait aussi révélé que des migrants étaient utilisés par la police grecque pour effectuer les refoulements vers la Turquie des nouveaux arrivants. En échange, les autorités grecques leur promettaient des titres de séjour, selon HRW.

Entre janvier et fin avril, le CGR a alerté les autorités grecques sur la nécessité de secourir au moins 230 migrants originaires de Syrie, Turquie, Afghanistan et Irak bloqués au milieu de la rivière Evros. « Entre fin avril et mi-mai, nous avons déjà demandé par cinq fois à la CEDH d’intervenir pour fournir une aide humanitaire à des réfugiés syriens, parmi lesquels 44 enfants. Pour les derniers cas que nous avons observés, la CEDH a imposé à l’Etat grec de prendre des mesures provisoires de protection, mais les autorités ne sont pas intervenues », note Alkistis Agrafioti, avocate pour le CGR.

Démenti constant

En dépit des multiples enquêtes des ONG et des médias, Athènes dément toujours avoir recours aux « pushbacks » (renvois de migrants), une pratique contraire au principe de non-refoulement inscrit dans la convention de Genève sur les réfugiés. Fin mars, l’Autorité grecque de transparence, chargée par le gouvernement d’enquêter sur ces refoulements, a déclaré n’avoir trouvé « aucune preuve » permettant d’affirmer que des officiers grecs sont impliqués. Sous pression croissante de la société civile et de Bruxelles, l’instance a publié l’enquête début mai.

Mais le chercheur spécialisé sur les questions d’open source Phevos Simeonidis a révélé que l’Autorité s’est appuyée à 45 % sur des entretiens réalisés avec la police et les gardes-côtes grecs, pourtant accusés d’être à l’origine des « pushbacks ». Sur 75 personnes interrogées, une seule était issue d’une ONG, et quatre seulement étaient des migrants. Aucun responsable du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés n’a été questionné.

« L’Union européenne doit maintenant prendre ses responsabilités par rapport à ces crimes commis aux frontières extérieures de l’Europe, estime Alkistis Agrafioti. La démission du directeur de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, Frontex, ne suffit pas à résoudre le problème [  le Français Fabrice a quitté la tête de Frontex le 29 avril ]. Il faut garantir qu’une enquête efficace soit ouverte concernant ces allégations de “pushbacks” perpétrés par les autorités grecques et que des mesures soient prises. »

A Calais : deux militants britanniques obligés de quitter la France

https://www.lavoixdunord.fr/1182822/article/2022-05-22/calais-deux-britanniques-impliques-dans-le-squat-sauvage-obliges-de-quitter-la

Début mai, deux activistes anglais du squat de la rue Sauvage ont été expulsés. Ils dénoncent une action répressive de la préfecture contre leur militantisme.

 

Sonia Chemaa, publié le 20 mai 2022

 

Ils sont deux. Deux Britanniques, Nik* et Olive*, à avoir été sommés de quitter le territoire français entre mars et avril. Les deux hommes ont un point commun : tous deux logeaient dans le squat de la rue Frédéric-Sauvage – leurs noms figurent dans le procès en cours concernant le squat – lorsque leurs titres de séjour de cinq ans leur ont été retirés. Selon eux, la préfecture du Pas-de-Calais tente ainsi de faire pression sur les militants, défenseurs des exilés.

Envoyé en centre de rétention

C’est lors d’un contrôle routier, alors qu’Olive était le passager d’un véhicule, quevle militant est contrôlé par les forces de l’ordre. « On était à trois rues du squat. Ils m’ont dit que la PAF voulait parler avec moi », raconte l’Anglais. Nous sommes au mois de mai, il dit ignorer alors qu’une OQTF (obligation de quitter le territoire français) ainsi qu’une IRTF d’un an (Interdiction de retour sur le territoire français) ont été prononcées à son encontre deux mois plus tôt. « L’OQTF, je ne l’ai jamais reçue », argumente-t-il. Il est emmené au centre de rétention de Coquelles puis à celui de Lesquin. « Parce qu’à Calais, j’ai beaucoup de soutiens », suppose Olive.

L’activiste logeait au squat de la rue Sauvage depuis son ouverture mais disposait d’une autre adresse à Calais lui permettant de récupérer son courrier. Le 3 mars, une convocation de la préfecture lui était envoyée par lettre recommandée. Un courrier dont Olive dit n’avoir jamais eu connaissance. Cinq jours plus tard, le 8 mars, la sanction tombait : une OQTF lui était adressée pour « défaut d’accès ou d’adressage ». Là aussi, la lettre ne lui serait pas parvenue. « Ils pouvaient me contacter par mail ou par téléphone. J’avais même été contacté quelques mois plus tôt par la préfecture pour une amende », se désole le militant.

« On ne lâche pas l’affaire »

Inquiété par le sort de son ami, Nik – un autre militant anglais vivant aussi au squat et disposant de la même seconde adresse qu’Olive – prend les devants et envoie un mail à la préfecture le 3 mai afin de savoir si sa situation a changé. La réponse de la préfecture ne se fait pas tarder : « Je ne vois rien sur votre applicatif. En cas de changement, un courrier vous sera adressé à Calais », pouvons-nous lire sur le mail envoyé. Rassuré, le Britannique programme alors des vacances en Angleterre. Mais après plus d’une demi-heure d’attente au contrôle aux frontières, Nik n’a toujours pas embarqué dans son ferry et apprend que, comme Olive, une obligation de quitter le territoire français a été ordonnée à son encontre.

Appels rejetés par le tribunal

Depuis, les deux militants sont retournés d’eux-mêmes vers la Grande-Bretagne et ont fait appel de cette décision. Un appel rejeté par le tribunal administratif. « On va faire appel contre ce jugement. On ne lâche pas l’affaire. On porte la responsabilité pour tous les militants étrangers en France. Le Calaisis a toujours été un laboratoire de répression », commente Olive.

*Il s’agit de pseudonymes, les militants ont souhaité préserver leur anonymat.

Titres de séjour : des préfectures et des tribunaux administratifs exsangues

Un rapport du Sénat dresse un constat sévère sur le manque de moyens de l’administration pour traiter les demandes. Dans le but d’ordonner aux préfectures de leur donner un rendez-vous, les étrangers saisissent de plus en plus la justice de référés dits « mesures utiles ».

Par Julia Pascual, publié le 25 mai 2022

Des moyens « insuffisants », des services « saturés », des juridictions « au bord de l’embolie »… La commission des lois du Sénat s’est penchée sur les politiques publiques d’immigration et son rapport d’information, rendu public le 10 mai, dresse un constat très sévère sur le fonctionnement des services de l’Etat.

En effet, les préfectures ne sont pas en mesure de traiter les demandes de titres de séjour dont elles font l’objet. S’il n’existe pas de chiffre public sur le nombre de demandes déposées, on sait, en revanche, que le ministère de l’intérieur a délivré plus de 270 000 premiers titres en 2021. D’après les sénateurs, emmenés par leur rapporteur François-Noël Buffet (Les Républicains), environ la moitié des quelque 4 000 agents des services « étrangers » des préfectures – fonctionnaires, contractuels et vacataires – se consacrent à l’examen des demandes (le reste des effectifs gèrent les éloignements, les naturalisations ou encore le contentieux). « Les moyens humains et matériels (…) touchent à leur limite », soulignent-ils.

Ainsi, la seule prise de rendez-vous en préfecture, massivement numérisée depuis 2020, outre qu’elle est une gageure pour les usagers peu à l’aise avec le numérique, relève souvent de l’impossible. Des files d’attente virtuelles ont remplacé les files d’attente physiques devant les préfectures. « Les conditions d’accueil des étrangers et de délivrance de titres de séjour se sont dégradées au cours des dernières années », observe le rapport.

A tel point que cette carence de l’Etat a donné lieu au foisonnement d’un contentieux nouveau, « ubuesque » selon la mission, devant les tribunaux administratifs. Les étrangers saisissent de plus en plus la justice de référés dits « mesures utiles » dans le but d’ordonner aux préfectures de leur donner un rendez-vous. Il s’agit alors de « l’unique moyen » dont ils disposent pour déposer une première demande de titre.

Contentieux « parasites »

Les chiffres de la mission sont éloquents : le tribunal administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis) a été saisi, en 2021, de plus de 2 000 référés de la sorte, ce qui représente 21,4 % des affaires qu’il a enregistrées en droit des étrangers. « Ce contentieux de masse inédit se caractérise, du reste, par un taux de succès élevé », souligne le rapport sénatorial. A Paris, 90 % des plus de 2 600 procédures de référés « mesures utiles » examinées l’an passé se sont soldées par une décision enjoignant à l’administration de délivrer un rendez-vous dans un délai fixé.

Ce phénomène transforme les juges administratifs en une sorte de « secrétariat de préfecture » et alimente chez eux un « profond désarroi » et « une perte de sens ». Les associations d’aide aux étrangers sont, elles aussi, de plus en plus mobilisées dans le seul but de faire respecter l’accès au service public.

Outre les référés « mesures utiles », le juge est également saisi de recours lorsque les préfectures n’ont pas apporté de réponse à un demandeur de titre de séjour depuis quatre mois, ce silence valant rejet implicite de sa demande. « Le taux d’annulation de telles décisions est très élevé car, souvent, l’administration n’a tout simplement pas eu le temps d’examiner la situation de l’intéressé », rendent compte les sénateurs. En 2021, le temps d’examen d’une première demande de titre s’est élevé à 99 jours.

Face à ces contentieux « parasites » qui ne résultent pas de litiges sur le fond, mais ne servent qu’à combler les « lacunes » de l’Etat, et afin de « briser cette spirale délétère », les sénateurs recommandent, notamment, de fixer un délai maximal à l’administration pour accorder un rendez-vous en préfecture pour une première demande de titre de séjour. Et, pour que cela ait un sens, d’augmenter en conséquence les moyens des préfectures, notamment humains.

De même, les élus du Palais du Luxembourg préconisent une simplification du contentieux des étrangers, en suivant les préconisations d’un rapport d’octobre 2020 du Conseil d’Etat qui portait « vingt propositions » dans le but d’uniformiser davantage les délais de recours, de jugement et les procédures d’examen, « dans l’intérêt de tous ».

A.Mi.S, dans la région dunkerquoise

Coup d’œil sur A.Mi.S

Le collectif a été créé en 2006 par des paroissiens de l’église de Téteghem, dont le Père Dominique Pham arrivé en France avec ce que l’on appelait les boatpeople, pour venir en aide aux exilés installés près du lac de Téteghem ( au début principalement des vietnamiens).

Les actions du collectif se sont orientées vers l’aide alimentaire et les besoins en hygiène : réalisation de repas hebdomadaire puis organisation de douches après accord avec la mairie et le club de foot de la ville.

Ce groupe de bénévoles s’est organisé en association officielle en 2011. Ce camp a existé jusqu’en 2015 où il fut soudainement détruit et rendu inaccessible.

L’association a donc continué ses actions au camp du Basroch (Grande-Synthe) et s’est coordonnée avec les nombreuses associations et actions mises en place. Puis elle a suivi la longue série de campements sur le territoire de Grande-Synthe : camp de la Linière : aide alimentaire et animations auprès des enfants

Puythouck et tous les nombreux déplacements rendant la vie des exilés de plus en plus difficile où l’association a réalisé et réalise encore des petits-déjeuners deux fois par semaine.

La force de notre association, c’est d’être présents dans la continuité avec un petit groupe de bénévoles actifs.

Le Royaume-Uni prêt à envoyer ses demandeurs d’asile au Rwanda

Médiapart, 14 avril 2022, par Nejma Brahim

 

Le Royaume-Uni a validé, jeudi 14 avril, un plan pour « externaliser » les demandes d’asile des exilés arrivant par la mer ou par camion, en les plaçant dans des centres situés au Rwanda. Des dizaines de milliers de personnes pourraient être concernées dans les années à venir.

 

L’idée germait depuis quelques années déjà. Jeudi 14 avril, le Royaume-Uni a présenté son plan, à hauteur de 120 millions de livres (soit 144 millions d’euros), pour exporter une partie de ses demandeurs d’asile au Rwanda, le temps que la procédure suive son cours. Ce dernier concerne les personnes arrivées sur le territoire britannique de manière illégale, depuis le 1er janvier 2022, à bord de « small boats » (« petites embarcations ») ou de camions poids lourds, dont une majorité d’hommes. En 2021, plus de 28 000 personnes ont réussi la traversée de la Manche à bord de small boats, soit soit près de quatre fois plus qu’en 2020 (année également affectée par la pandémie de Covid-19).

Fin septembre 2020, déjà, le Financial Times et le Guardian annonçaient que le gouvernement britannique envisageait de créer un centre de traitement des demandes d’asile dans les îles de l’Ascension et de Saint-Hélène (en plein Atlantique Sud), ou encore au Maroc, en Moldavie ou en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Le gouvernement avait aussi évoqué des centres « flottants », à bord de ferries hors d’usage en mer, qui auraient pu permettre de maintenir les demandeurs d’asile au large. L’idée de déployer de gros bateaux en mer, qui auraient pu générer des vagues pour repousser les migrants vers les côtes françaises, aurait aussi été discutée.

La secrétaire d’État à l’intérieur britannique, Priti Patel, qui s’est rendue au Rwanda pour signer l’accord, a assuré qu’il s’agissait d’une « première mondiale » (alors que l’Australie externalise déjà les demandes d’asile) et que cela « changera la façon dont [le Royaume-Uni] lutte contre la migration illégale ». Dans une video de présentation postée par Priti Patel sur Twitter, Yolande Makolo, porte-parole du gouvernement rwandais, assure qu’il s’agit de « protéger » et « d’assurer le bien-être à la fois des migrants et des Rwandais au Rwanda »« Nous estimons que les Africains et les autres devraient pouvoir avoir une vie digne en Afrique, et ne pas emprunter de dangereux parcours, qui mettent leur vie en danger, pour se créer des opportunités », ajoute-t-elle dans un message visant clairement à dissuader les candidats au départ.

« C’est une immigration maîtrisée, par des voies sûres et légales, qui nous permet de faire des offres généreuses d’asile tout en gérant les pressions inévitables sur nos services publics de manière à donner à tous ceux qui viennent ici le soutien dont ils ont besoin pour reconstruire leur vie, s’intégrer et de prospérer, a justifié de son côté le premier ministre britannique, Boris Johnson, dans un discours jeudi 14 avril. Mais la contrepartie de cette générosité, c’est que nous ne pouvons pas maintenir un système illégal parallèle. Notre compassion est peut-être infinie, mais notre capacité d’aider les gens ne l’est pas. » Boris Johnson et Priti Patel ont tous deux pointé la responsabilité des passeurs, dont il faut, selon eux, « briser le modèle économique ».

« Il est frappant de constater qu’environ sept sur dix de ceux qui sont arrivés dans de petites embarcations l’année dernière étaient des hommes de moins de 40 ans, payant des passeurs pour éviter les files d’attente et mobilisant notre capacité d’aider les véritables femmes et enfants réfugiés. Ceci est particulièrement pervers car ceux qui tentent de traverser ne fuient pas directement un péril imminent, raison d’être de notre système d’asile. Ils sont passés par des pays manifestement sûrs, dont beaucoup en Europe, où ils auraient pu – et auraient dû – demander l’asile », a ajouté Boris Johnson.

Un accord contraire au droit international

« Envoyer des personnes dans un autre pays – a fortiori un pays avec un bilan aussi lamentable en matière de droits de l’homme – pour le “traitement” de l’asile est le summum de l’irresponsabilité et montre à quel point le gouvernement est désormais éloigné de l’humanité et de la réalité sur la question de l’asile », a réagi Steve Valdez-Symonds, directeur des droits des réfugiés et des migrants d’Amnesty International Royaume-Uni, estimant que cette idée, « scandaleusement mal conçue », infligera surtout des souffrances aux demandeurs d’asile et induira un « énorme gaspillage d’argent public ».

Ce plan sordide serait une manière lâche, barbare et inhumaine de traiter les personnes fuyant la persécution et la guerre.

Tim Naor Hilton, directeur général de Refugee Action« Avec sa rhétorique usée sur la lutte contre les gangs criminels de passeurs, le gouvernement ignore le fait que très peu de personnes demandent l’asile au Royaume-Uni, comparé d’autres pays, tout en poursuivant des politiques qui permettent à ces gangs de faire des profits », a-t-il poursuivi dans un communiqué. Le directeur général de Refugee Action, Tim Naor Hilton, a accusé le gouvernement britannique de « délocaliser ses responsabilités sur les anciennes colonies européennes au lieu de faire [sa] juste part pour aider certaines des personnes les plus vulnérables de la planète »« Ce plan sordide serait une manière lâche, barbare et inhumaine de traiter les personnes fuyant la persécution et la guerre », a-t-il poursuivi, tout en rappelant le bilan du Rwanda en matière de droits de l’homme.

Outre son aspect inhumain, le plan pourrait par ailleurs ne pas entrer en conformité avec le droit international. « Les propositions du Royaume-Uni visant à réformer son système d’asile risquent de violer les engagements juridiques internationaux, de saper la coopération légale en matière de réfugiés et de provoquer des effets néfastes sur les demandeurs d’asile », avait déjà alerté la chercheuse Michelle Pace, spécialiste des migrations, en juillet dernier. Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International, confirme : « Si les personnes sont arrivées sur le territoire britannique, le droit international doit obliger le Royaume-Uni à étudier leur demande sur place. Ces méthodes sont donc contraires aux obligations du Royaume-Uni s’appliquant aux conventions relatives aux droits des réfugiés. »

Et d’ajouter que les conséquences de ces violations ont déjà pu être observées en Australie, qui « parque » ses demandeurs d’asile sur l’île papouasienne de Manus et à Nauru depuis les années 2000 : « Des situations de torture ont été décrites par des experts onusiens et une plainte a été déposée auprès de la Cour pénale internationale pour “crimes contre l’humanité”. Déjà plus de 1 000 personnes ont été rapatriées sur le territoire australien car elles sont tombées malades et ne pouvaient plus rester sur ces îles. C’est l’exemple dont s’inspire le Royaume-Uni, qui a échoué sur tous les plans. »

Le mois dernier, la Nouvelle-Zélande a obtenu l’accord de l’Australie pour récupérer plusieurs centaines de réfugiés de Nauru d’ici trois ans. « C’est bien la preuve que ces mécanismes n’apportent rien », résume Agnès Callamard, qui dénonce la « cruauté » de l’accord signé entre le Royaume-Uni et le Rwanda.

« Nous sommes convaincus que notre nouveau partenariat sur la migration est pleinement conforme à nos obligations juridiques internationales, mais nous nous attendons néanmoins à ce qu’il soit contesté devant les tribunaux. Je sais donc que ce système n’entrera pas en vigueur du jour au lendemain », a reconnu Boris Johnson cet après-midi.

Le projet de loi sur la nationalité et les frontières, examiné en première lecture au Parlement en juillet dernier, doit donc valider l’externalisation d’une partie des demandes d’asile, celles jugées illégitimes, et faire la distinction entre les personnes « venant [au Royaume-Uni] légalement et illégalement ». Le Rwanda pourrait ainsi récupérer des dizaines de milliers de personnes dans les années à venir, selon Boris Johnson.

Le projet de loi doit aussi permettre au Royaume-Uni de réduire, à l’instar de la France avec les pays du Maghreb, l’octroi de visas aux pays refusant de reprendre leurs ressortissants criminels ou déboutés de l’asile. Dans le même temps, plus d’un demi-milliard de livres est investi pour agrandir les centres de détention pour migrants, « afin d’aider à l’expulsion de ceux qui n’ont pas le droit de rester au Royaume-Uni ».