Titres de séjour : des préfectures et des tribunaux administratifs exsangues

Un rapport du Sénat dresse un constat sévère sur le manque de moyens de l’administration pour traiter les demandes. Dans le but d’ordonner aux préfectures de leur donner un rendez-vous, les étrangers saisissent de plus en plus la justice de référés dits « mesures utiles ».

Par Julia Pascual, publié le 25 mai 2022

Des moyens « insuffisants », des services « saturés », des juridictions « au bord de l’embolie »… La commission des lois du Sénat s’est penchée sur les politiques publiques d’immigration et son rapport d’information, rendu public le 10 mai, dresse un constat très sévère sur le fonctionnement des services de l’Etat.

En effet, les préfectures ne sont pas en mesure de traiter les demandes de titres de séjour dont elles font l’objet. S’il n’existe pas de chiffre public sur le nombre de demandes déposées, on sait, en revanche, que le ministère de l’intérieur a délivré plus de 270 000 premiers titres en 2021. D’après les sénateurs, emmenés par leur rapporteur François-Noël Buffet (Les Républicains), environ la moitié des quelque 4 000 agents des services « étrangers » des préfectures – fonctionnaires, contractuels et vacataires – se consacrent à l’examen des demandes (le reste des effectifs gèrent les éloignements, les naturalisations ou encore le contentieux). « Les moyens humains et matériels (…) touchent à leur limite », soulignent-ils.

Ainsi, la seule prise de rendez-vous en préfecture, massivement numérisée depuis 2020, outre qu’elle est une gageure pour les usagers peu à l’aise avec le numérique, relève souvent de l’impossible. Des files d’attente virtuelles ont remplacé les files d’attente physiques devant les préfectures. « Les conditions d’accueil des étrangers et de délivrance de titres de séjour se sont dégradées au cours des dernières années », observe le rapport.

A tel point que cette carence de l’Etat a donné lieu au foisonnement d’un contentieux nouveau, « ubuesque » selon la mission, devant les tribunaux administratifs. Les étrangers saisissent de plus en plus la justice de référés dits « mesures utiles » dans le but d’ordonner aux préfectures de leur donner un rendez-vous. Il s’agit alors de « l’unique moyen » dont ils disposent pour déposer une première demande de titre.

Contentieux « parasites »

Les chiffres de la mission sont éloquents : le tribunal administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis) a été saisi, en 2021, de plus de 2 000 référés de la sorte, ce qui représente 21,4 % des affaires qu’il a enregistrées en droit des étrangers. « Ce contentieux de masse inédit se caractérise, du reste, par un taux de succès élevé », souligne le rapport sénatorial. A Paris, 90 % des plus de 2 600 procédures de référés « mesures utiles » examinées l’an passé se sont soldées par une décision enjoignant à l’administration de délivrer un rendez-vous dans un délai fixé.

Ce phénomène transforme les juges administratifs en une sorte de « secrétariat de préfecture » et alimente chez eux un « profond désarroi » et « une perte de sens ». Les associations d’aide aux étrangers sont, elles aussi, de plus en plus mobilisées dans le seul but de faire respecter l’accès au service public.

Outre les référés « mesures utiles », le juge est également saisi de recours lorsque les préfectures n’ont pas apporté de réponse à un demandeur de titre de séjour depuis quatre mois, ce silence valant rejet implicite de sa demande. « Le taux d’annulation de telles décisions est très élevé car, souvent, l’administration n’a tout simplement pas eu le temps d’examiner la situation de l’intéressé », rendent compte les sénateurs. En 2021, le temps d’examen d’une première demande de titre s’est élevé à 99 jours.

Face à ces contentieux « parasites » qui ne résultent pas de litiges sur le fond, mais ne servent qu’à combler les « lacunes » de l’Etat, et afin de « briser cette spirale délétère », les sénateurs recommandent, notamment, de fixer un délai maximal à l’administration pour accorder un rendez-vous en préfecture pour une première demande de titre de séjour. Et, pour que cela ait un sens, d’augmenter en conséquence les moyens des préfectures, notamment humains.

De même, les élus du Palais du Luxembourg préconisent une simplification du contentieux des étrangers, en suivant les préconisations d’un rapport d’octobre 2020 du Conseil d’Etat qui portait « vingt propositions » dans le but d’uniformiser davantage les délais de recours, de jugement et les procédures d’examen, « dans l’intérêt de tous ».