Médiapart, Nejma Brahim, le 18 avril 2022
Le collectif La Chapelle debout, qui vient en aide aux exilés à Paris, a décidé lundi d’occuper un bâtiment vide de la capitale pour héberger une centaine de personnes à la rue. À travers cette action, programmée dans l’entre-deux-tours, l’organisation veut créer un « rapport de force » avec les autorités.
Rue de la Grange-aux-Belles, dans le Xe arrondissement de Paris, une centaine d’exilé·es déboulent dans la petite salle du siège du syndicat Solidaires, à 12 h 45. Une partie d’entre eux viennent du Soudan, d’autres de Somalie, d’Éthiopie, d’Érythrée, de Mauritanie, de Djibouti, du Mali, du Tchad ou encore du Maroc.
Dans le lot, des réfugiés, des demandeurs et des demandeuses d’asile, des « dubliné·es » (que la France invite à demander l’asile dans le premier pays par lequel ils sont arrivés dans l’Union européenne), des primo-arrivants et des sans-papiers. Tous survivent à la rue depuis des mois, voire des années. « Ça fait un an et demi que je suis dehors », lâche Mzaffar, un jeune Soudanais.
Une vingtaine de membres du collectif La Chapelle debout, qui vient en aide aux personnes exilées à Paris depuis 2015, mais aussi de Solidarité Migrants Wilson, Paris d’exil, Dom’asile et de l’Intersquat Paris, sont présents ce lundi 18 avril pour accompagner l’action à venir. Cet après-midi, bénévoles et exilé·es s’apprêtent à occuper un bâtiment situé en plein cœur de Paris, vide depuis trois ans, pour obtenir une égalité de traitement pour le logement, le travail, les titres de séjour ou le regroupement familial.
Une action de « désobéissance civile » qui tombe à point nommé, à quelques jours du second tour d’une élection présidentielle sous tension, marquée par la guerre en Ukraine et les obsessions de certains candidats sur l’immigration.
« Toutes ces personnes, de différentes nationalités, ont constaté qu’il y avait un traitement spécifique réservé aux Ukrainiens en ce moment et ont eu le courage de s’organiser pour agir. En parallèle, il y a aussi des Français, de différentes organisations, qui ont choisi de se regrouper pour réclamer l’égalité des droits à leurs côtés », détaille un membre de La Chapelle debout. Les explications sont traduites en arabe et en anglais.
La règle : toujours rester groupés, ne jamais se disperser et risquer d’être à l’écart. Le collectif est en lien permanent avec des avocats et a listé le nom et la date de naissance de chacune des personnes exilées participant à l’action en cas d’ennuis avec les autorités.
Deux heures plus tard, le groupe s’extirpe discrètement de la bouche de métro Cadet (IXe arrondissement). À vive allure, il gagne la rue Saulnier, située à quelques mètres de là, puis s’infiltre dans l’immeuble du numéro 17, appartenant à la société d’assurance Sedgwick, sous le regard interloqué de certains passants. Tout doit aller très vite.
Certains bloquent les portes d’entrée, tandis que d’autres grimpent aux étages pour y aménager ce qui doit être leur futur lieu de vie. Le sol est déjà recouvert de matelas gonflables et de couvertures, mais aussi d’ustensiles de cuisine. Cinq minutes plus tard, plusieurs voitures de police sont là et un agent demande qui est le « porte-parole » afin de « négocier ».
Ils sont vite rejoints par des activistes d’Extinction Rebellion ou du Front uni des immigrations et des quartiers populaires (FUIQP). « El pueblo, unido, jamás será vencido ! », scande le petit groupe à l’intention des exilés qui observent, depuis les fenêtres, en hauteur, leur comité de soutien improvisé.
Un lieu devant permettre aux immigrés de s’organiser
Filimon, un Érythréen âgé de 32 ans, évoque une vie de « zigzag » depuis qu’il a quitté son pays en 2014, laissant derrière lui femme et enfant, à l’abri en Éthiopie. « Je suis passé par le Soudan, l’Égypte, la Libye. J’ai ensuite traversé la Méditerranée, gagné l’Italie puis la France », relate-t-il. Lui et ses amis dormaient un temps à Porte de la Chapelle, avant d’être « chassés par la police ». « Ils nous ont dit qu’on ne pouvait pas rester là. »
Filimon a obtenu le statut de réfugié. Après avoir été pris en charge, durant sa demande d’asile, dans un centre d’hébergement de l’association Aurore à Paris, il a dû quitter le foyer et dit s’être retrouvé à la rue. « Le problème qu’on a, c’est qu’on ne connaît pas la loi pour pouvoir se défendre. La vie à Paris est si difficile, je n’imaginais pas que ce serait comme ça. Tout ce qu’on demande, c’est l’égalité. Que tout le monde soit traité de la même façon », souligne-t-il.
Un voisin ajoute, contrarié : « Les personnes qui ont fui la Syrie ou l’Ukraine, on leur donne tout à leur arrivée en France. Nous aussi, on a quitté notre pays pour fuir les problèmes et les conflits. » C’est l’un des mots d’ordre de la lettre rédigée par La Chapelle debout : l’égalité de traitement pour tous les exilés, peu importe leur pays d’origine.
« Nous nous battons : pour des papiers, des visas et la nationalité française pour n’importe qui veut. Pour un logement digne pour toutes et tous, qu’on réquisitionne les vides et qu’on en construise de nouveaux. Ce sera l’égalité ou rien ! » Le projet, mûri depuis trois mois, est parti d’un coup de fil de plusieurs exilés, explique un membre du collectif, qui ont rapporté ne pas pouvoir dormir, sans cesse réveillés par la police la nuit.
« Un Tchadien, qui parle français, a répondu un jour lorsqu’un policier l’a insulté. Il s’est fait défoncer et avait le bras cassé le lendemain. » « À Juvisy, un centre de jour de l’association Aurore, qui accueillait des exilés subsahariens, est devenu un centre d’hébergement pour les Ukrainiens, explique une autre. Ce qu’on veut, c’est la liberté de circulation, des papiers et un logement pour tous. »
Le bâtiment occupé n’est en revanche qu’un « outil », une « condition matérielle » devant servir à créer une base d’organisation pour une centaine d’immigrés – pas plus, au risque de détériorer les conditions de vie sur place –, où pourraient naître de futures actions. Un lieu « ouvert sur l’extérieur », où des démarches administratives pourront être effectuées et des ateliers numériques proposés aux occupants. Rediat, 25 ans, a laissé son enfant de trois ans à La Chapelle, avec une personne de confiance.
« J’aimerais pouvoir ramener mon fils ce soir », confie-t-elle tout en jetant un œil depuis la fenêtre, les yeux entourés de khôl. Elle espère obtenir des papiers prochainement et pouvoir inscrire son fils à l’école : « Il faut qu’il grandisse en sécurité, qu’il ait une aide psychologique. Pour l’instant, j’attends encore une réponse pour l’asile », dit-elle, expliquant avoir été « dublinée », puis avoir réussi à passer en « procédure normale » avec l’aide d’un avocat.
Son mari les a laissés, elle et son fils, pour tenter seul la traversée vers l’Angleterre. « J’étais pendant un an dans un foyer à Bourg-en-Bresse. Mais c’était très loin de la ville, je devais prendre un bus et marcher ensuite trente minutes pour m’y rendre. » Une fois qu’elle est estampillée « dublinée », l’Office français de l’immigration et l’intégration lui « coupe tout ». Plus d’hébergement, plus d’allocation pour demandeur d’asile. « Je suis revenue à Paris avec mon bébé et j’ai vécu dehors. Depuis peu, une dame nous héberge de temps en temps chez elle. »
À ses côtés, deux Soudanais lâchent, dépités : « Le problème ici, c’est les papiers, la préfecture qui fait blocage. Ça fait six mois qu’on n’a ni logement, ni allocation, ni le droit de travailler. » Eux aussi ont été dublinés, l’un renvoyé en Italie, l’autre en Espagne.
« On est tous les deux revenus en France, parce que c’est ici qu’on veut vivre, qu’on a des attaches. C’est un État de droit, on veut l’égalité », concluent-ils. À 17 h 30, les membres de La Chapelle debout organisent une réunion pour rassurer les occupants. « Tout s’est bien passé, la police veut bien nous laisser rester en respectant certaines conditions. »
Puisque le second tour approche, le collectif entend « s’en saisir » pour revendiquer des droits. « Si le racisme est un danger, il faut être aux côtés des immigrés et résister. C’est aussi une manière de voter pour ceux qui ne le peuvent pas. On veut créer un rapport de force avec l’État », résume une membre qui préfère garder l’anonymat. En fin de journée, les bénévoles doivent calmer quelques tensions naissantes. L’électricité rétablie, il est temps d’organiser la préparation des repas avant la tombée de la nuit.