Condamnation du préfet du Pas-de-Calais

Le Monde avec AFP, publié le 29 mars 20222

Le haut fonctionnaire a été reconnu coupable, mardi, de s’être affranchi de l’autorité judiciaire pour mener cette opération d’évacuation. Une décision qui remet en cause le cadre juridique de nombreuses expulsions, selon les plaignants.

Le préfet du Pas-de-Calais avait été assigné, en décembre 2020, par onze exilés et huit associations de défense des migrants – dont le Secours catholique et l’Auberge des migrants. Les requérants demandaient que soit jugée « illégale » l’évacuation menée le 29 septembre de la même année lors du démantèlement d’un campement de migrants à Calais.

Le préfet a été condamné pour s’être affranchi de l’autorité judiciaire sur la zone dite « du Virval », où campaient plus de 800 candidats au passage en Grande-Bretagne, une décision qui remet en cause le cadre juridique de nombreuses expulsions selon les plaignants. La préfecture, qui a quinze jours pour contester cet arrêt de la cour d’appel de Douai (Nord), n’a pas souhaité réagir à la décision.

Dans son arrêt du 24 mars, dont l’Agence France-Presse a obtenu copie, la cour condamne le préfet pour « voie de fait », lui reprochant d’avoir pris l’initiative de l’expulsion et temporairement privé de liberté les occupants du site, sans cadre juridique adéquat.

Cette décision met à mal l’utilisation récurrente par l’Etat pour procéder à des expulsions de campements migratoires sur le littoral Nord du cadre juridique de la « flagrance » – applicable lorsqu’un délit est constaté depuis moins de quarante-huit heures –, selon l’avocate des plaignants, Me Eve Thieffry. « Le juge confirme ce que disent les associations depuis des années : que le préfet n’a aucun pouvoir personnel à évacuation des personnes sur le littoral et à déplacement sous la contrainte », a-t-elle commenté. Cela « interdit le processus utilisé par la préfecture ».

Absence d’autorisation

Le préfet a assuré avoir agi sur décision du procureur, au lendemain de l’ouverture d’une enquête en « flagrance » sur la présence de 450 tentes. Le tribunal estime, au contraire, qu’il a agi de sa propre initiative, s’appuyant sur un tweet du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, qui disait son « soutien à la Préfecture 62 » pour l’opération.

Le communiqué préfectoral alors publié précisait aussi que les tentes étaient installées depuis « plusieurs semaines », tandis que l’importance des moyens mis en œuvre – dont trente bus – confirmait une organisation en amont. « Ces éléments viennent contredire l’hypothèse de la découverte de l’infraction la veille » de l’évacuation, souligne la cour. Or, « la préfecture du Pas-de-Calais n’a requis aucune autorisation du juge administratif, afin de procéder à l’évacuation », comme exigé pour une opération hors du cadre de la flagrance.

En outre, la préfecture a outrepassé ses prérogatives en privant temporairement de liberté les migrants escortés vers des bus, sous pression de la police, tranche la cour. La présence de nombreux fonctionnaires encerclant les exilés lors de cette évacuation, la plus importante de ce type depuis 2016, était « de nature à constituer une contrainte », relève-t-elle.

Les requérants ont demandé 5 000 euros de dommages pour chacun des exilés et 1 000 euros par association. Sauf recours de la préfecture, une audience doit trancher, le 23 mai, sur ces dommages. En première instance, le 6 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer s’était déclaré incompétent, la préfecture ayant requis la saisine du tribunal administratif. « Les témoignages produits ne permettent pas de conclure à l’emploi de la contrainte durant la phase de mise à l’abri », avait notamment jugé le tribunal.

Le Monde avec AFP

A Calais, des boîtes aux lettres pour éviter les expulsions arbitraires de migrants

« Libération », 2 avril 2022

A l’entrée des campements, des associations ont installé des boîtes portant les noms et numéros de téléphone de migrants pour rappeler aux autorités qu’elles doivent leur permettre de faire valoir leurs droits avant de procéder à des expulsions

par Stéphanie Maurice (Lille)

Des boîtes métalliques, destinées à recevoir du courrier, devant la jungle de Calais. C’est la nouvelle initiative portée par les associations d’aide aux exilés pour tenter de limiter les expulsions de ces campements précaires. En tout cas celles qui, se produisant en moyenne une fois par mois, peuvent vider entièrement un terrain, selon l’association Human Rights Observers (HRO), qui documente les actions de l’Etat envers les exilés. Aujourd’hui, ces derniers seraient 1 600 à Calais, estiment les associatifs. Ils fuient en majorité des pays en guerre, Soudan, Erythrée, Afghanistan, et veulent rejoindre la Grande-Bretagne.

Ces expulsions massives doivent suivre le circuit légal classique : « Le propriétaire du terrain mandate un huissier, pour aller constater l’installation, et recueillir l’identité des personnes, pour les assigner en justice, explique une juriste de HRO. Mais celui-ci y va sans interprète, et demande en français l’identité des personnes ». Ce qui donne des procès-verbaux empreint d’incompréhension mutuelle. Par exemple ce référé affiché avant expulsion devant des ponts de Calais, sous lesquels dorment des exilés, relayé sur Twitter par l’Auberge des Migrants : « Je constate la présence de neuf personnes et de douze tentes. Un feu de camp est allumé. Plusieurs personnes viennent à notre rencontre. Je leur décline mes nom, prénom, qualité et objet de ma mission, et leur demande si elles parlent le français. Ces personnes ne semblent pas comprendre et pour unique réponse, j’obtiens  »Arabic » ».

Conséquence, notent les associations d’aide aux exilés dans leur communiqué de presse, « les habitant.es de ces lieux sont sinistrement considéré.es par les autorités comme des “personnes non-dénommées” », impossibles à identifier, et donc à assigner en justice. « On passe donc à une autre procédure, celle d’une ordonnance sur requête devant le tribunal compétent », explique HRO. « Un juge va statuer, avec les éléments d’une seule des parties ». Le seul point de vue du propriétaire, sans entendre celui des exilés.

« On leur enlève leur humanité »

« C’est horrible de dire qu’ils n’ont pas d’identité, réagit Marguerite Combes, coordinatrice de l’association Utopia 56 à Calais, on leur enlève leur humanité. Les personnes exilées ont un nom, et il est possible de leur parler, à condition d’avoir un interprète ». Les boîtes aux lettres, fabriquées avec des portes métalliques de récup, ont déjà été installées devant trois campements de Calais, dans le quartier de Beau-Marais, et portent les prénoms et noms d’exilés volontaires. « Ce serait désormais de très mauvaise foi de dire qu’ils ne sont pas identifiables », estime Pierre Roques, coordinateur de l’Auberge des migrants. Sollicitée, la préfecture du Pas-de-Calais n’a pas encore réagi à cette initiative.

Les associations espèrent ainsi limiter les expulsions les plus importantes. Restent les évacuations habituelles, qui visent toutes les 36 ou 48 heures les mêmes lieux, une rotation policière qui rythme les matins calaisiens. « C’est quasi quotidien », note Pierre Roques. Les exilés doivent alors déplacer leur tente, par exemple en la posant sur le trottoir. Objectif : repérer les tentes sans occupants, et les enlever. « La police fait un tour, ensuite les gens remettent tout en place », explique le militant associatif. Ces opérations ont comme base légale la flagrance, à condition que l’installation illégale ait été constatée moins de 48 heures avant.

Ces offensives contre la légalité des expulsions menées à Calais ont déjà remporté un succès : la cour d’appel de Douai a condamné le préfet du Pas-de-Calais la semaine dernière pour avoir avoir pris l’initiative de procéder au démantèlement d’un camp d’exilés, en septembre 2020, sans autorisation du juge, normalement nécessaire. La préfecture n’a pas encore indiqué si elle souhaitait faire appel de cette décision.

https://www.liberation.fr/societe/a-calais-des-boites-aux-lettres-pour-eviter-les-expulsions-arbitraires-de-migrants-20220402_RZUETN7LYJF3VDAUOI5C5LUC6E/

Les demandeurs d’asile reçoivent-ils tous 430 euros par mois, comme l’affirme Eric Zemmour?

CheckNews par Marie Thimonnier,  publié le 7 février 2022 dans Libération

Election Présidentielle 2022 dossier

L’aide aux demandeurs d’asile s’élève en moyenne à 206 euros par mois pour les personnes bénéficiant par ailleurs d’un hébergement gratuit. Ce qui contrevient à ce qu’a dit le candidat d’extrême droite, lors de son meeting à Lille.

Question posée par Célia le 7 février,

Vous nous interrogez au sujet d’une déclaration d’Eric Zemmour à propos des aides distribuées aux demandeurs d’asile. Lors de son meeting à Lille, le 6 février, Eric Zemmour a clamé : «Savez-vous qu’en plus d’un hébergement gratuit et de soins gratuits, nous donnons à chaque demandeur d’asile pendant près d’un an une carte bancaire créditée de 430 euros par mois.» Une déclaration publiée et largement reprise par les soutiens du candidat sur les réseaux sociaux.

Le candidat d’extrême droite évoque ici l’allocation pour demandeur d’asile (ADA), mise en place en novembre 2015. Cette aide financière de l’Etat est versée à une personne majeure ayant déposé une demande d’asile auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) ou disposant d’un titre de séjour délivré en qualité de bénéficiaire de la protection temporaire ou d’étranger victime de proxénétisme ou de la traite des êtres humains. L’Ofpra a enregistré 132 614 demandes d’asile en 2019, selon les chiffres du ministère de l’intérieur.

Le versement de l’ADA est conditionné au fait d’accepter les modalités matérielles d’accueil de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), parmi lesquelles un hébergement dans une structure d’accueil. L’ADA prend la forme d’une carte bancaire sur laquelle un montant est déposé tous les mois.

L’ADA est, depuis des années, l’objet de nombreuses contre-vérités de la part de l’extrême droite. CheckNews y a déjà consacré de nombreux articles

Environ 206 euros par mois

En France, le montant forfaitaire journalier de l’allocation varie en fonction de la composition familiale. Une personne sans enfant bénéficie de 6,80 euros par jour, soit 206,83 euros en moyenne par mois. Ce montant atteint 37,80 euros journaliers pour un foyer composé de 10 personnes.

A cela peut s’ajouter un autre montant lié au logement. Un demandeur peut en bénéficier s’il a «accepté l’offre de prise en charge, a manifesté un besoin d’hébergement» mais «n’a pas bénéficié gratuitement d’un hébergement (ou logement)», peut-on lire sur le site du gouvernement. Ce soutien journalier supplémentaire s’élève à 7,40 euros et vient compléter le premier montant. En revanche il reste fixe, peu importe le nombre de personnes dans le foyer.

Un demandeur peut donc toucher jusqu’à 14,20 euros par jour, s’il n’a pas pu être hébergé dans le cadre du dispositif d’accueil. Soit 431 euros par mois. Cette aide est versée jusqu’à la décision définitive concernant la demande d’asile.

111 901 allocataires en 2021

Contrairement à ce que dit Eric Zemmour, qui affirme que ces 430 euros mensuels s’ajoutent à un hébergement gratuit, le montant n’est versé que quand le demandeur, précisément, n’a pas pu bénéficier d’un logement gratuit. A l’inverse, dès lors qu’un demandeur d’asile s’est vu fournir un logement gratuit, l’aide aux demandeurs d’asile se cantonne au premier montant forfaitaire, soit environ 206 euros par mois.

Selon Didier Leschi, directeur général de l’Ofii, «au maximum 30 % des demandeurs d’asile bénéficient de l’aide maximale». Au 31 décembre 2021, le nombre d’allocataires de l’ADA était de 111 901, selon les données transmises par l’Ofii à CheckNews. Parmi les bénéficiaires, «seuls 33 % étaient non hébergés dans le dispositif national d’accueil qui constitue le parc d’hébergement dédié à l’accueil des demandeurs d’asile», détaille Didier Leschi.

Selon les données de la Drees pour 2019, le montant moyen perçu par foyer bénéficiaire au titre de l’ADA était d’environ 400 euros. Ce montant intègre l’aide de base, l’éventuelle aide complémentaire de logement, mais aussi l’éventuelle majoration du montant selon la composition du foyer.

Directive européenne

A noter que l’aide aux demandeurs d’asile n’a rien d’une spécificité française, et que les Etats membres de l’Union européenne sont soumis à des normes communes en matière de politique d’asile, depuis l’entrée en vigueur du régime d’asile européen commun (Raec) en 1999. La directive 2013/33/EU, en date du 26 juin 2013, encadre les conditions d’accueil des demandeurs d’asile et conditionne notamment l’aide matérielle.

«Les Etats membres font en sorte que les demandeurs aient accès aux conditions matérielles d’accueil lorsqu’ils présentent leur demande de protection internationale. Lorsque les Etats membres octroient les conditions matérielles d’accueil sous forme d’allocations financières ou de bons, le montant de ceux-ci est fixé en fonction du ou des niveaux établis dans l’Etat membre concerné, soit par le droit, soit par la pratique, pour garantir un niveau de vie adéquat à ses ressortissants», dispose ainsi l’article 17 de la directive.

Lettre d’info de la Plateforme des Soutiens aux Migrant.e.s n°62

La lettre d’info de la Plateforme des Soutiens aux Migrant.e.s

n°62  // 8 mars 2022
Réseau d’associations intervenant dans les camps d’exilé.e.s de passage
du Nord de la France et du littoral de la Manche

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Infos des lieux de vie 

à la frontière franco-britannique

  • A Calais, de bons et de mauvais réfugié.es ? La maire de Calais a réservé un bel accueil à une famille de réfugiés ukrainiens. « Il faut bien qu’ils aient un hébergement » a-t-elle déclaré. Et puis on se souvient qu’il y a pas si longtemps elle avait protesté publiquement contre l’ouverture, envisagée par l’autorité préfectorale, d’un bâtiment permettant de mettre à l’abri des réfugiés, en situation de grand froid ou de tempête. Ellen Salvi pour Médiapart souligne l’indignité derrière la solidarité. « Pour justifier leur soudain élan d’humanité, certains éditorialistes et responsables politiques n’ont rien trouvé de mieux que de distinguer les bons et les mauvais réfugiés. Ils convoquent leur  » ressemblance » avec les Ukrainiens, mais n’expriment rien d’autre que leur racisme« .  Karen Akoka, sociologue, a travaillé sur l’évolution des politiques d’asile au cours de l’histoire selon la nationalité des demandeurs et des besoins politiques du moment. » Y a-t-il de vrais et de faux réfugiés « , un entretien à voir sur Arte 

  • A Calais, une nouvelle victime de la frontière : une personne vivant sur le terrain Old lidl qui jouxte une voie ferrée, est décédée, percutée par un train le 28 février. Des rassemblements ont eu lieu, comme toujours depuis plusieurs années, le lendemain de l’annonce dans la presse, à 18h30 au parc Richelieu, mais aussi le jour d’après, commémoraction lors de laquelle le frère de la victime a pu s’exprimer. Une lettre à trouver ici, rédigée avec l’aide de ses proches, revient sur les circonstances de son décès.
  • A Cherbourg, en janvier, le CCAS a mené une action dans le campement des personnes en exil pour éradiquer une épidémie de gale. L’association  Itinérance avec l’aide de La Croix Rouge a profité de cette opportunité pour réaménager les installations afin de rendre les conditions de vie plus dignes. Les abris vétustes ont été détruits et remplacés par six grands abris dans lesquels sont installées de petites tentes pour préserver l’intimité de chacun. Un dispositif qui permet d’assurer davantage de protection contre les intempéries.
  • A Grande-Synthe, une expulsion après un mois de « répit ». Le 2 mars sur le campement de Pont à Roseaux : une mise à l’abri selon la police ;  une expulsion du lieu de vie, basée sur une ordonnance sur requête puisqu’il y a un huissier, selon le HRO. Comme trop souvent : un convoi de  26 fourgons et deux bateaux de CRS sur le canal, 3 voitures de la Police Nationale et quatre banalisées, un fourgon de la PAF, 5 personnes de l’AFEJI avec deux bus, deux petits tracteurs Loxam, 2 grandes bennes Ramery, un tractopelle, l’équipe de nettoyage du port autonome, un huissier. Les personnes déplacent leur matériel hors du site. Départ de deux bus, le premier avec 8 personnes, le deuxième avec 2. Au moins 165 tentes et bâches sont emmenées.

Album photos et textes de Laurent Prum. https://laurentprum.typepad.com/

  • A Ouistreham, une cinquante d’exilés soudanais survivent dans des abris de fortune, au milieu des arbres. Contrairement aux campements de Calais  il n’y a pas de « harcèlement policier » quotidien. Installé loin des plages et du centre-ville, le campement est « invisible » aux touristes et aux habitants. Cet isolement leur garantit au moins la tranquillité, et par la même occasion une certaine stabilité. A lire ici. Un squat à Ouistreham ouvert depuis janvier, qui permet l’accès à l’eau et à du répit pour les personnes du campement, est menacé d’expulsion avec une audience le 10 mars à 8h30, voir le communiqué de presse et l’appel à se rassembler devant le Tribunal judiciaire de Caen ici.

et ailleurs

  • Espagne, en deux jours plus de 800 personnes ont  réussi à entrer à Melilla, contre 1 092 sur l’ensemble de l’année 2021, selon les chiffres du ministère espagnol de l’Intérieur. A Melilla, la frontière entre le Maroc et l’Espagne est matérialisée par une triple clôture grillagée pouvant atteindre une dizaine de mètres de haut et d’une longueur d’environ 12 km. Comme celle de Ceuta, elle est équipée de caméras de vidéo-surveillance et de miradors.  A retrouver avec Courrier International

Infos de la PSM

  • Appel à candidatures : la Plateforme des Soutiens aux Migrant.e.s recrute ! L’offre de poste est prolongée jusqu’au 28 mars à minuit. C’est un poste de Chargé.e de mission en charge des formations, et de la valorisation et mobilisation des outils et expériences du réseau associatif à la frontière franco-britannique. Si, vous avez le goût de vous engager dans le soutien d’un réseau associatif en soutien aux personnes exilées bloquées à la frontière, l’offre de poste complète est à trouver ici. Les candidatures sont à envoyer à cette adresse mail : coordination@psmigrants.org
  • La PSM organisait une conférence « Sécurisation de la frontière : des barrières à la privatisation » le 25 février dernier, . Les ressources ont été compilées dans un livret à trouver ici.

Infos des assos

  • Cérémonie des Barbelés awards. Organisée par les 39 organisations du Collectif des Associations Unies (CAU) et les associations locales d’aide aux personnes migrantes, cette remise de prix satirique vise à sensibiliser l’opinion publique à l’hostilité urbaine organisée par les pouvoirs publics pour faire fuir les exilé-es à Calais et Grande-Synthe, par le biais d’innombrables dispositifs dissuasifs. Rendez-vous à Calais, au cinéma l’Alhambra, le 17 mars de 18h à 20h. Inscrivez-vous !
  • France UK Border Research, une bibliothèque de recherches et de sources de base sur la situation des personnes exilées à la frontière franco-britannique. Rassembler ces ressources sur un seul site Web accessible aide les universitaires, les journalistes, les militant.e.s et le public à trouver plus facilement des informations fiables pour informer, orienter ou inspirer leur travail vers la résolution positive de la situation inhumaine dans laquelle les personnes exilées à la frontière sont contraintes.
  • Des bénévoles épuisé.e.s, en souffrance, à Calais mais pas seulement. Jour et nuit, beaucoup d’associatifs travaillent dans l’urgence et même dans leurs moments de répit, leur esprit reste occupé. «  Toi, ça va ? «  «  Comment ça pourrait aller, ici ? « . C’est presque devenu une boutade. Dans les associations, la question de la prise en charge psychologique des bénévoles commence à être prise au sérieux.  Aujourd’hui, un protocole de soutien psychologique est en place qui permet autant aux bénévoles qu’aux salariés des associations de préparer leur venue et leur départ du terrain.  A retrouver avec ASH, Actualités Sociales Hebdomadaires. 

Faire et dire, les personnes premières concernées

  • Abdul Saboor photographie inlassablement le quotidien des personnes exilées à Calais.  Grâce à ses photos, il documente leur vie, les camps, leurs tentatives pour passer en Angleterre. Réfugié afghan, il a lui-même connu cette dure réalité avant d’obtenir le droit d’asile en France. A découvrir un reportage et certaines de ses photos

  • Femmes et frontières. En Europe, la moitié des personnes migrantes sont en réalité des femmes. Pourtant, on ne les entend presque jamais. Partant de ce constat, la journaliste Romane Frachon s’est penchée sur l’invisibilisation de ces survivantes qui fuient leur pays en quête de jours meilleurs dans un podcast  produit par Sphera. Quelles sont les femmes qui migrent ? Quelles sont leurs réalités vécues dans l’UE ? Quel est notre rapport à elles ? Pourquoi sont-elles invisibilisées ? A écouter !

Envie d’agir

  • Appel à une grande maraude solidaire le 12 mars, à Briançon. Un collectif d’organisations organise une journée d’action en soutien aux personnes exilées qui débutera à 14H à la MJC du Briançonnais et se poursuivra à partir de 18H par une grande maraude solidaire au départ de Montgenèvre et des locaux de la Police des frontières locale. Plus d’infos ici.

Belles échappées

  • Une collection d’objets associés au célèbre street artist Banksy est exposé à Sète. Les bénéfices de l’exposition seront versés à l’ONG SOS Méditerrannée. A revoir l’œuvre située sur le poste de secours à Calais. A découvrir « Les vivants, les morts et les marins » écrit par Pia Klemp aux commandes du bateau le « Louise Michel » en 2020, financé par Banksi et destiné à sauver des personnes qui se noient en Méditerranée.

 

 

Parlons-en : échanges, débats, conférences, formations

  • Jeudi 17 mars, séminaire en ligne à 17h : La situation dans les centres de rétention administrative en France. Fortes de leur travail quotidien d’accompagnement juridique des personnes étrangères dans les centres de rétention administrative (CRA), cinq associations (Forum Réfugiés-Cosi, France terre d’asile, le Groupe SOS Solidarités – Assfam, La Cimade et Solidarité Mayotte) constatent et rendent compte des situations dans ces lieux de privation de liberté. Comme chaque année, à l’occasion de la sortie de leur rapport sur l’année 2021, elles  organisent  un webinaire afin de présenter leurs observations et analyses. Pensez à vous inscrire pour y participer !
    Au programme : Présentation du rapport 2021 par les cinq associations présentes dans les CRA // La rétention, késako ? // 2021 en quelques chiffres // Le cas particulier de l’Outre-Mer // Le non-respect par l’administration des décisions de justice // La rétention au temps de la Covid-19 // Et pour finir « Un autre regard » : intervention de Madame Dominique SIMONNOT, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté.
  • « Déconstruire la frontière et bâtir des ponts : vers une analyse critique commune de la frontière France-Belgique-Royaume-Uni ». Cette journée d’étude a été organisée le 10 novembre 2021,  par le « Crossborder forum », un collectif d’organisations du Royaume-Uni, de France et de Belgique qui travaillent sur les questions d’exil et de politiques migratoires. L’objectif de cet évènement a été, d’une part, de déconstruire collectivement les fondements juridiques et politiques de cette frontière et, d’autre part, de bâtir des ponts au-delà celle-ci. Les interventions et les échanges, qui ont été enregistrés et sont disponibles en vidéo, ont été résumés dans le document téléchargeable sur le site de Migreurop

Désinfox, outils pour lutter contre les idées reçues

  • De Facto. A découvrir si ce n’est déjà fait cette plateforme de vérification des faits  qui s’attaque aux fausses informations ! Que penser de l’affirmation de Valérie Pécresse, candidate du parti de droite les républicains à la présidentielle, selon laquelle 40 millions de migrants sont entrés dans l’UE sans contrôle ? Explication !

En quête de droit(s) – Outils et infos juridiques

  • La Défenseure des droits s’inquiète des barrières liées au tout numérique. Dans son rapport, Claire Hédon alerte sur les difficultés auxquelles près de 10 millions de personnes sont confrontées dans leurs démarches numériques.  Les personnes étrangères font partie des personnes particulièrement vulnérables aux effets de cette dématérialisation. Faute de parvenir à décrocher un rendez-vous en préfecture pour le renouvellement d’un titre de séjour, certaines se retrouvent sans récépissé et ont pu perdre leur emploi.  Elle pointe l’insuffisance des réponses de l’État. A lire avec Mediapart.
  • Demandes d’asile rejetées, réunifications familiales et rapatriements à la traîne : le désarroi des Afghans de France. Les premières décisions de rejet de demandes d’asile d’Afghans sont tombées. En parallèle, les demandes de réunification familiale ou de rapatriement formulées par des réfugiés déjà protégés en France n’aboutissent pas, laissant les requérants imaginer le pire pour leurs proches restés dans le pays. Selon une avocate spécialisée en droit d’asile «  dans des dossiers où il ne conteste pas la nationalité afghane ni même parfois l’origine du requérant, l’Ofpra commence à considérer qu’il n’y a pas forcément la nécessité de protéger les Afghans face au régime taliban, et estime donc que l’on peut vivre en tant que civil sous ce régime. C’est quand même un sacré positionnement. » A lire le reportage de Nejma Brahim pour Médiapart.
  • Un projet de l’association Safe Passage France sur la problématique spécifique que rencontrent les personnes de nationalité afghane : un soutien est à trouver via cette adresse mail projet-afghanistan@safepassage.fr .La présentation de l’accompagnement réalisé par l’association est à trouver ici.

Pour comprendre / pour cogiter

  • « Fermons les zones d’attente «  ! En zone d’attente, on applique un triptyque : trier, enfermer, expulser. Des milliers de personnes sont enfermées dans des espaces clos aux frontières de la France. Adultes et enfants y sont triés avant d’être, pour la plupart, renvoyés dans leurs pays. Une pratique qui viole les droits fondamentaux, alerte un collectif d’intellectuels, d’associatifs et de personnalités du monde culturel. A lire la tribune dans Libération
  • L’Etat dépense un demi-milliard d’euros d’argent public par an pour harceler quelques milliers de personnes exilées. Déploiement incessant de forces de l’ordre supplémentaires, inflation de barbelés, caméras, murs ou drones… « Comment se fait-il que l’urgence actuelle, le dénuement de ces migrants en mal de traversée de la Manche, ne trouve pas dans ces millions d’euros quelques-uns qu’on appellerait les euros de la dignité ? » écrit le député Sébastien Nadot (Libertés et Territoires) en introduction du rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les migrations, paru en novembre 2021. basta! a enquêté sur le coût d’une politique répressive aberrante.
  • Travail des immigré.e.s, l’hypocrisie française. Alors qu’une entreprise sur deux a du mal à recruter, beaucoup d’étranger.e.s ont du mal à obtenir un visa de travail. Le volet emploi de l’immigration pêche par son inadéquation aux besoins du marché. Ils et elles sont artisan.e.s, boulanger.e.s, restaurateurs, boucher.e.s, soignant.e.s. Et toujours un peu plus nombreux à se mobiliser pour empêcher l’expulsion d’un.e employé.e.s immigré.e. sur lequel ces entreprises savent compter. Elles et ils sont aussi étranger.e.s mais diplômé.e.s en France, parfois chercheurs ou chercheuses dans des laboratoires prestigieux, sans pour autant parvenir à renouveler leur titre de séjour condition sine qua non pour pouvoir travailler. Un dossier de Marjorie Cessac pour Le Monde

 

Demandes d’asile rejetées, rapatriements et réunifications familiales à la traîne : le désarroi des Afghans de France

Les premières décisions de rejet de demandes d’asile d’Afghans sont tombées. En parallèle, les demandes de réunification familiale ou de rapatriement formulées par des réfugiés déjà protégés en France n’aboutissent pas, laissant les requérants imaginer le pire pour leurs proches restés dans le pays.

Nejma Brahim, Mediapart, 25 décembre 2021

Depuis la chute de Kaboul et la prise de pouvoir par les talibans en Afghanistan en août dernier, certains organismes – français et internationaux – estiment qu’il n’y a plus de conflit armé, réduisant ainsi les chances pour les Afghans d’obtenir une protection.

Au lendemain d’un attentat revendiqué par l’État islamique le 26 août, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), chargée d’étudier les recours des personnes ayant vu leur demande d’asile rejetée en premier lieu par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), suggérait ainsi aux juges de réduire la protection des Afghans, considérant qu’il était « permis de conclure à la cessation du conflit armé ».

« À cet égard, les deux attentats revendiqués par l’organisation État islamique le jeudi 26 août ne remettent pas en cause cet état de fait », pouvait-on lire dans un mail interne que s’était procuré Mediapart fin août . Dans les semaines qui suivent, les premiers rejets pour des demandes d’asile formulées par des requérants afghans tombent.

Mediapart a pu consulter une quinzaine de décisions de la CNDA, datées entre le 15 septembre et le 3 décembre, dans lesquelles la cour évoque des déclarations « très peu circonstanciées ou personnalisées »« confuses ou incohérentes »« lacunaires »« sommaires et peu substantielles » ou encore des propos « superficiels ».

Une décision de rejet de la CNDA concernant un demandeur d’asile afghan. © Capture d’écran.

La plupart du temps, la cour souligne que les déclarations du requérant « n’ont pas permis d’établir la réalité des faits à l’origine de son départ d’Afghanistan ni d’établir le bien-fondé et l’actualité de ses craintes en cas de retour dans son pays d’origine ». En balayant ainsi les craintes de persécutions ou de menaces graves – pouvant émaner d’une opposition d’ordre politique ou religieux, par exemple –, les juges de l’asile refusent d’accorder le statut de réfugié au requérant.

À chaque fois, ils reconnaissent toutefois que « les talibans contrôlent aujourd’hui la quasi-totalité du territoire afghan », mais estiment que la situation prévalant dans ce pays, et notamment dans la province du requérant, « ne peut plus être regardée comme une situation de conflit armé caractérisée par une violence aveugle ». Autrement dit, le degré de violence n’est pas suffisant pour justifier une protection pour les requérants afghans, qui n’encourent, selon les juges, plus de risques en cas de retour sur place. De quoi provoquer l’ire des avocats qui accompagnent les demandeurs d’asile afghans.

La demande d’asile devenue une « vraie loterie »

Dans son cabinet situé en région parisienne, Myriam*, avocate spécialisée en droit d’asile, épluche ses dossiers. Elle compte une vingtaine de rejets de la CNDA depuis la chute de Kaboul. Et depuis le 13 décembre, au moins dix rejets de l’Ofpra. « Après la prise du pouvoir par les talibans, on a senti que l’Ofpra jouait la prudence, qu’il temporisait un peu afin de voir l’évolution de la situation. Mais là, on voit qu’il y a une accélération. L’Office commence à rejeter les demandes, ce qu’il ne faisait pas jusqu’ici : soit il protégeait via le statut de réfugié, comme pour les évacués, soit il accordait une protection subsidiaire », commente-t-elle.

L’OFPRA commence à considérer qu’il n’y a pas forcément la nécessité de protéger les Afghans face au régime taliban […]. C’est quand même un sacré positionnement.

Une avocate spécialisée en droit d’asile

Et d’ajouter : « Dans des dossiers où il ne conteste pas la nationalité afghane ni même parfois l’origine du requérant, l’Ofpra commence à considérer qu’il n’y a pas forcément la nécessité de protéger les Afghans face au régime taliban, et estime donc que l’on peut vivre en tant que civil sous ce régime. C’est quand même un sacré positionnement. »

Pourtant, un rapport de l’ONG Human Rights Watch datant du 30 novembre documente l’exécution sommaire ou la disparition forcée de plus de cent anciens agents de la police et du renseignement dans quatre provinces depuis la prise de pouvoir par les talibans le 15 août dernier, et ce « en dépit de l’amnistie proclamée ».

À la CNDA, où le positionnement n’a pas tardé à être formulé aux juges, cela dépend, assure l’avocate, des juges et des chambres. « On a aussi des décisions positives, où les juges considèrent que même si les faits allégués à l’origine de l’exil ne sont pas établis, la simple présence sur le territoire suffit à exposer à une menace ou à de mauvais traitements, et où ils donnent le statut de réfugié ou la protection subsidiaire. » Cela devient une « vraie loterie », regrette-t-elle.

Une fois leur demande d’asile rejetée, ils se retrouvent en situation d’errance, sans prise en charge ni solution d’hébergement.

Reza Jafari, président de l’association Enfants d’Afghanistan et d’ailleurs

« Tous ces rejets sont absurdes et insensés », s’insurge Reza Jafari, président de l’association Enfants d’Afghanistan et d’ailleurs qui accompagne de nombreux exilés afghans en France et dans le monde. « Pour ne pas accorder de protection subsidiaire, on dit qu’il n’y a plus de conflit interne, alors que le ministère de l’intérieur avait annoncé suspendre les expulsions vers l’Afghanistan juste avant la chute de Kaboul. Pour le statut de réfugié, on demande aux personnes de prouver leur religion, leur ethnie ou leur opposition politique et disent qu’ils manquent de preuves. Mais les gens sont partis avec un sac à dos ! Une fois leur demande d’asile rejetée, ils se retrouvent en situation d’errance, sans prise en charge ni solution d’hébergement », détaille-t-il.

Tout récemment, à la CNDA, le recours d’un demandeur d’asile afghan est passé en ordonnance, c’est-à-dire sans audience et donc sans possibilité de s’exprimer devant un juge. Depuis plusieurs mois, les avocats de la cour sont en grève pour dénoncer un ensemble de « dysfonctionnements », dont les ordonnances de tri font partie, les renvois (qui rallongent les délais pour les demandeurs d’asile), l’influence du Centre de recherche et de documentation sur les décisions (à l’origine du mail interne évoqué plus haut) et le manque d’indépendance et d’impartialité des juges . Les discussions en cours avec la présidence de la cour n’ont toujours pas abouti. Une mission d’inspection doit, dans ce contexte houleux, avoir lieu en janvier.

Basira, 18 ans, et Muslima, 37 ans, deux Afghanes, se mobilisent pour que les demandes de réunification familiale soient prises en compte. © NB.

Ces premiers rejets viennent remettre en cause les beaux discours tenus par l’État français sur l’accueil des Afghans en quête de protection durant les mois qui ont suivi la prise de pouvoir par les talibans. Dans le même temps, les demandes de réunification familiale patinent et sont sources d’anxiété pour les Afghans déjà protégés en France, qui attendent des mois, voire des années, avant d’obtenir une réponse.

Les réfugiés afghans de France se mobilisent pour faire respecter le droit

Au centre d’accueil pour réfugiés de la Cimade, à Massy-Verrières (Essonne), Basira et Muslima terminent, penchées au-dessus de la table, la confection de l’une des banderoles commencées en septembre. Consciencieusement, Muslima perce le tissu à l’aide d’une aiguille, encore et encore, pour unir le drapeau afghan au texte inscrit au feutre. « Migration forcée par les talibans »« Nouvelle génération sacrifiée »« Nous voulons que le monde nous soutienne », peut-on lire sur la banderole, une fois celle-ci dépliée et suspendue au mur. Et au centre de l’affiche, bien en évidence : « Pourquoi les personnes réfugiées ne peuvent pas obtenir de visas pour leurs familles ? »

Les démarches ont pris presque trois ans, c’était très long, d’autant que nous étions en danger là-bas.

Muslima, une exilée afghane

« Lorsque les talibans ont pris le pouvoir en août, ils étaient tous abattus, explique Lætitia, travailleuse sociale. Des cercles de parole se sont mis en place et cela les a vraiment soudés, même s’ils ne parlent pas tous la même langue. L’idée des banderoles est venue pour leur permettre de faire passer des messages. »

Arrivé en France en 2014 après avoir fui les talibans, le mari de Muslima obtient d’abord la protection subsidiaire avant de lancer une demande de réunification familiale. « On est allés à l’ambassade de France trois ou quatre fois pour les passeports, l’entretien, la prise d’empreintes et les photos », relate Muslima, un tissu traditionnel vert émeraude autour de la tête.

« Les démarches ont pris presque trois ans, c’était très long, d’autant que nous étions en danger là-bas. » « On a dû cacher notre départ aux proches et aux voisins, car si les talibans l’apprenaient, on risquait d’être enlevés », ajoute dans un français parfait Intizar, son fils âgé de 16 ans, aujourd’hui inscrit au lycée.

En cause, derrière ces délais, une « politique de suspicion » généralisée et intrusive, selon les travailleuses sociales, visant à sans cesse remettre en doute les liens familiaux avec le conjoint ou les enfants, mais aussi une multitude de documents à fournir, souvent banals en France, mais peu communs dans le pays d’origine. Lorsque la demande est rejetée, les réfugiés peuvent contester la décision auprès de la Commission des recours pour les refus de visa (CRRV), puis, dans un second temps, saisir le tribunal administratif – une autre procédure « longue et pénible » pour les familles.

« Le moindre décalage, un seul document manquant fait perdre encore six mois dans la procédure. » L’un des cas les plus marquants est celui d’une réfugiée dont le recours au tribunal administratif a été rejeté et qui fait aujourd’hui appel de la décision. « C’est la première fois que l’on va aussi loin dans la procédure », soupire Lætitia.

Abdelhamid, père de famille afghan, a attendu près de trois ans pour que ses proches puissent le rejoindre en France. © NB.

En fin d’après-midi, Abdelhamid, 49 ans, vient rejoindre le groupe. Un feutre rouge à la main, le père de famille repasse sur chaque lettre pour former le mot « Liberté ». Sa fille Basira, 18 ans, ses deux autres enfants, son épouse et sa mère ont pu le rejoindre en France en octobre dernier après plus de deux ans de démarches. « J’ai dû envoyer ma famille en Iran car il n’y avait plus d’ambassade de France en Afghanistan. Ça a été très difficile pour eux là-bas car ils ont souffert de racisme. » La famille a dû composer avec les délais. « Pas le choix. »

Les personnes devaient donc se rendre au Pakistan ou en Iran afin d’effectuer leurs démarches. « Sauf que l’Iran demandait une carte de résident. [L’ambassade] du Pakistan a fermé pendant un an. Après la chute de Kaboul, elle a enfin rouvert, mais elle a annoncé dernièrement que seuls 600 visas avaient été délivrés. C’est très peu quand on sait le retard accumulé », pointe-t-il.

La procédure retarde tout et rend les gens malades.

Lætitia, travailleuse sociale au centre d’accueil de la Cimade

Dans le même temps, des Afghans en quête de protection se sont retrouvés bloqués à l’aéroport en Iran alors même que leur demande de réunification familiale a été acceptée : « C’est le cas d’un journaliste ou encore d’une dame et ses deux enfants que j’accompagne. Ils sont allés en Iran avec un visa, mais le temps d’obtenir celui pour la France, le premier pour l’Iran avait expiré. Les autorités ne les ont pas laissés prendre l’avion pour la France », relate-t-il.

Si Abdelhamid, le père de Basira, se dit soulagé de savoir ses proches en sécurité à ses côtés, il reste très préoccupé par la situation dans son pays d’origine : « Physiquement je suis là, mais mentalement, je suis toujours là-bas. » « L’Afghanistan a besoin de liberté et les droits des femmes doivent pouvoir être respectés », complète Basira, un foulard noir entourant la moitié de sa chevelure.

Laetitia, travailleuse sociale, aide un réfugié qui souhaite faire venir un proche d’Afghanistan.

En attendant, Abdelhamid a le bras gauche paralysé depuis que son véhicule a roulé sur un engin explosif. Il garde aussi des séquelles psychologiques et voit un psychologue tous les jours. Selon l’une des travailleuses sociales qui les accompagnent, beaucoup ne sont pas venus à l’atelier ce soir car leur histoire est « trop douloureuse ».

Certains sont suivis pour un syndrome post-traumatique, d’autres sont rongés par la peur que leur proche, journaliste ou ex-auxiliaire de l’armée française, soit tué. « La procédure retarde tout et rend les gens malades. On attend de ces personnes de s’intégrer, mais comment voulez-vous qu’elles le fassent sans leur famille et alors qu’elles sont plongées dans l’angoisse ? », interroge Lætitia.

Plusieurs réfugiés du centre ont perdu des membres de leur famille, pour lesquels ils avaient demandé un rapatriement, depuis la prise du pouvoir par les talibans.

Charlotte, travailleuse sociale au centre d’accueil de la Cimade

À l’annonce de la chute de Kaboul, les équipes du centre se sont activées pour réunir les documents nécessaires aux demandes de rapatriement dans le cadre de la cellule de crise mise en place par le ministère des affaires étrangères. À ce jour, aucun des trente résidents concernés n’a eu de retour. Pourtant, nombre d’entre eux sont aujourd’hui menacés par les talibans, comme les frères et sœurs de Muslima, enseignants ayant participé à des programmes internationaux pour favoriser l’éducation des filles, qui vivent désormais cachés.

« Cela représente une centaine de proches coincés sur place. Plusieurs réfugiés du centre ont perdu des membres de leur famille, pour lesquels ils avaient demandé un rapatriement, depuis la prise du pouvoir par les talibans. Un réfugié arrivé au centre en 2016 a même anticipé, voyant la progression des talibans, et a décidé de partir chercher sa femme et ses quatre enfants en Afghanistan », rapporte Charlotte, une travailleuse sociale. Sa conjointe a finalement perdu la vie dans un attentat. Il avait lui aussi lancé les démarches pour une réunification familiale, qui n’avait toujours pas abouti.

Abdulzahed, 30 ans, espère pouvoir faire venir ses parents restés en Afghanistan et menacés par les talibans. © NB.

Les récits se suivent et se ressemblent. Abdulzahed, 30 ans, attend que ses parents puissent le rejoindre en France. Il fait partie de celles et ceux qui, constatant les délais de la demande de réunification familiale, ont tenté une demande de rapatriement fin août.

« Les talibans ont tiré sur mon père et il a été blessé au bras », confie-t-il en ouvrant une photo sur son smartphone pour prouver ses dires. Sur le bras de son père apparaît un cratère large de plusieurs centimètres.

Je pense à mes parents tout le temps, je m’inquiète énormément pour eux.

Abdulzahed, réfugié afghan en France

Le mécanicien, désolé de se montrer en bleu de travail de retour du garage, passe une main dans ses cheveux épars pour paraître « plus présentable ». Il affirme ne plus pouvoir se concentrer. « Je pense à mes parents tout le temps, je m’inquiète énormément pour eux. La procédure est trop longue. Rien que pour obtenir l’acte de naissance, ça a pris beaucoup de temps », déplore-t-il.

Un peu avant 21 heures, Basira, Abdelhamid, Abdulzahed, Jumakhan et Lætitia reposent les feutres. Les banderoles sont presque prêtes et seront accrochées à l’entrée du centre en janvier, pour que l’Afghanistan ne tombe pas dans l’oubli, mais aussi pour alerter sur les difficultés rencontrées pour faire rapatrier leurs proches. Timidement, le mari de Muslima s’approche de Lætitia, un téléphone à la main. « J’ai la photocopie du passeport de mon oncle, si tu peux l’ajouter aux demandes de rapatriement… »

Services publics : la Défenseure des droits s’alarme des barrières liées au tout-numérique

Dans un rapport publié mardi soir, Claire Hédon alerte sur les difficultés auxquelles près de 10 millions de personnes sont confrontées dans leurs démarches numériques. Soulignant sa « forte inquiétude », elle pointe l’insuffisance des réponses de l’État.

Faïza Zerouala, Mediapart, 15 février 2022

Il ne faut pas attendre de Claire Hédon, Défenseure des droits, à l’orée de l’élection présidentielle, un commentaire cinglant et frontal envers la politique de dématérialisation engagée par Emmanuel Macron pour « simplifier » officiellement 250 démarches permettant d’accéder aux services publics.

Mais son constat est net : si le basculement dans le tout-numérique est réussi d’un certain point de vue et sur le plan quantitatif, cette politique laisse sur le bas-côté les plus démuni·es face à la chose numérique.

C’est ce volet que l’institution indépendante a choisi d’explorer dans un rapport rendu public mardi 15 février au soir, baptisé « Dématérialisation des services publics : trois ans après, où en est-on ? ». En rebond d’un premier rapport consacré au sujet, la Défenseure des droits a en effet souhaité dresser un bilan des améliorations apportées – ou non – en matière d’accès des citoyennes et citoyens les plus fragiles et précaires aux services publics numériques. Elle en tire une « forte inquiétude » et regrette l’insuffisance des réponses de l’État.

À Gap, dans les Hautes-Alpes, une conseillère de Pôle emploi aide un demandeur d’emploi sur un ordinateur, le 25 mars 2021. © Thibaut Durand / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

En creux, Claire Hédon pointe tous les défauts d’une stratégie qui fragilise une large partie de la population : quelque 10 millions de personnes, selon ses estimations, rencontrent des obstacles pour faire valoir leurs droits. Lors de la présentation de cette étude à la presse, la Défenseure des droits a expliqué que « la dématérialisation est une chance et simplifie pour un grand nombre de personnes l’accès à un certain nombre de droits. Mais pour un certain nombre de personnes, ça va être compliqué, ça les éloigne à cause de difficultés techniques. » Sachant que 15 % des foyers ne sont pas équipés d’Internet à domicile. La pandémie a aussi révélé l’ampleur de cette fracture numérique.

Claire Hédon a ainsi dénombré, en 2021, 90 000 saisines de son institution relatives à ces difficultés d’accès aux services publics (contre 35 000 en 2014), sur 115 000 reçues en tout.

Et de citer des exemples concrets d’entraves. « Nous avons des réclamants qui mettent six mois, un an, 18 mois à obtenir leur pension de retraite et qui se retrouvent sans rien pendant tout ce temps-là. » Alors que l’État fait tout pour encourager le dispositif Ma prim rénov’ qui vise à aider les ménages à améliorer l’efficacité énergétique de leur logement, le choix d’une procédure exclusivement numérique complique l’accès. Certaines personnes ratent des convocations de Pôle emploi, exclusivement envoyées par voie électronique, et se retrouvent radiées pour avoir manqué sans le savoir des rendez-vous avec leur conseiller ou conseillère.

La Défenseure des droits déplore qu’« on demande à l’usager de s’adapter au service public, [alors que] l’une des règles du service public, c’est de s’adapter aux usagers. Là, il y a un renversement : l’usager doit savoir faire et la responsabilité finale du bon fonctionnement de la démarche lui incombe ». 

Dans l’introduction du rapport, Claire Hédon rappelle un autre paradoxe. « Les démarches numériques apparaissent comme un obstacle parfois insurmontable pour les personnes en situation de précarité sociale alors même que ce sont celles pour lesquelles l’accès aux droits sociaux et aux services publics revêt un caractère vital. » Le risque : aggraver encore le phénomène de « non-recours »

40 % des sites publics accessibles aux personnes en situation de handicap

Les personnes âgées, étrangères et détenues sont particulièrement vulnérables aux effets de cette dématérialisation. Faute de parvenir à décrocher un rendez-vous en préfecture pour le renouvellement d’un titre de séjour, certaines se retrouvent sans récépissé et ont pu perdre leur emploi.

Claire Hédon tient à souligner que « chacun d’entre nous peut, un jour, rencontrer un blocage incompréhensible face à un formulaire en ligne, ne pas parvenir à joindre un agent, échouer à dénouer un problème, faute de dialogue ».

Daniel Agacinski, délégué général à la médiation, relève aussi, avec malice, que les sites sont plus ou moins accessibles selon leur objet : les services fiscaux le sont davantage que les sites de prestations sociales ou des préfectures.

Claire Hédon souligne toutefois une amélioration pour les personnes en situation de handicap : « 40 % des sites internet publics leur sont accessibles, même si ça veut dire que 60 % ne le sont pas. Mais c’est un progrès par rapport à notre dernier rapport, où c’était 12 %. Mais on n’est pas du tout encore 100 % accessibles. »

La dématérialisation doit se faire au bénéfice de tous les usagers, et non au détriment d’une partie.

Claire Hédon

Des solutions contre l’exclusion ont été proposées, comme les espaces France Services, mis en place pour garantir un accès aux services publics. Mais là encore, la Défenseure des droits pointe l’un des défauts majeurs du dispositif : les agent·es présent·es ne sont pas formé·es à tous les services et peuvent se trouver démuni·es face à certaines démarches complexes. « Ce n’est pas notre rôle de les évaluer mais ce serait bien que ce soit fait… », recommande Claire Hédon.

Le manque de vacataires, pour cause de difficulté à les recruter, s’avère une source d’inquiétude. La Défenseure des droits a d’ailleurs indiqué garder un œil sur les acteurs privés qui capitalisent sur les difficultés de certain·es à réaliser des démarches . « Je suis choquée par ça, l’accès aux services publics doit rester gratuit. » Il revient à la répression des fraudes d’agir, précise Daniel Agacinski.

Autre regret : la Plateforme Solidarité numérique  créée pour lutter contre l’illectronisme, vient de fermer ses portes. LesPasses numériques sont tout de même considérés comme une amélioration.

Pour rectifier la situation générale, la Défenseure des droits formule des préconisations et souhaite s’appuyer sur deux jambes « pour contribuer à ce que la dématérialisation se fasse au bénéfice de tous les usagers, et non au détriment d’une partie d’entre eux ».

Cela passe, selon elle, par un maintien du double accès aux services publics, le numérique ne pouvant être l’unique voie. Cet « omnicanal » (numérique, téléphone, courrier, guichet) n’est pas assez développé. Il faudrait également associer les usagers et usagères précaires à la conception des sites internet pour qu’ils soient accessibles à tous et toutes, engager un travail collectif pour « le droit à la connexion », renforcer les effectifs dans les préfectures débordées, permettre à chacun·e de se rétracter sur la dématérialisation des échanges avec les administrations.

La Défenseure préconise aussi de maintenir un contact sous forme de papier pour les démarches comportant des délais ou des notifications d’attribution, de révision ou de retrait de droits pour qu’aucun choix ne reste figé.

07-03-2021 « Appel à rassemblement jeudi 10 mars à 10h30 devant le tribunal judiciaire de Caen »

Appel à rassemblement jeudi 10 mars à 8h30 devant le tribunal judiciaire de Caen!
Communiqué de presse de l’AG de lutte contre toutes les expulsions :
« Défendons le premier squat à Ouistreham !
L’audience, prévue jeudi 10 mars à 9h au tribunal judiciaire de Caen, aura lieu dans un contexte politique local de chasse aux exilé.es.
Romain Bail, le maire de Ouistreham, n’ayant jamais caché son hostilité quant à la présence d’exilés sur le territoire de sa commune. Pour preuve, il n’a jamais répondu aux sollicitations de plusieurs collectifs et associations lui demandant l’installation d’un point d’eau potable à proximité du campement où survivent les exilés. En refusant cet accès au premier des droits humains fondamentaux, Bail s’oppose aux textes internationaux que la France a pourtant signés et met gravement en danger la vie d’une population particulièrement vulnérable. Par ailleurs, l’édile a profité du premier confinement pour disposer d’énormes pierres sur le rond-point du débarquement afin de rendre impossible la réinstallation de l’ancien campement des exilés. Coût de l’opération : 25.000 euros pour les contribuables ouistrehamais ! Quand Bail ne s’en prend pas directement aux exilés, il met la pression sur les personnes qui les soutiennent. Cette attitude lui a d’ailleurs valu une condamnation en 2019 pour verbalisations abusives.
La préfecture du Calvados a aussi une grande part de responsabilité dans la mise sous tension permanente des exilés de Ouistreham. A tel point que l’été dernier, le préfet a usé de tout son pouvoir pour tenter de renvoyer au Darfour un jeune soudanais du campement, région où celui-ci risque sa vie. En lui accordant récemment le statut de réfugié, la Cour Nationale du Droit d’Asile a heureusement désavoué le préfet.
C’est donc dans cette ambiance locale nauséabonde que l’avocat des exilés va défendre le squat de Ouistreham. Un lieu de vie que l’Union Communiste Libertaire, Citoyen.nes en Lutte Ouistreham et l’Assemblée Générale de Lutte Contre toutes les Expulsions ont officialisé le 22 janvier 2022 pour les exilés de Ouistreham, afin de leur offrir un abri, un accès à l’eau potable et aux sanitaires. Des droits humains fondamentaux qui leur ont toujours été refusés par la préfecture et les collectivités territoriales.
Appel à rassemblement jeudi 10 mars à 8h30 devant le tribunal judiciaire de Caen, 11 rue Dumont d’Urville (sur la presqu’île), en soutien au squat de Ouistreham dont la mairie demande l’expulsion.
Venez nombreux.ses !
Liberté de circulation et d’installation ! »

Travail des immigrés, l’hypocrisie française

 

Par Marjorie Cessac, Le Monde du 16 février

Alors qu’une entreprise sur deux a du mal à recruter, beaucoup d’étrangers ont du mal à obtenir un visa de travail. Le volet emploi de l’immigration pèche par son inadéquation aux besoins du marché.

Ils sont artisans, boulangers, restaurateurs, bouchers, soignants. Et toujours un peu plus nombreux à se mobiliser pour empêcher l’expulsion d’un employé immigré sur lequel ils savent compter. Ils sont aussi étrangers mais diplômés en France, parfois chercheurs dans des laboratoires prestigieux, sans pour autant parvenir à renouveler leur titre de séjour condition sine qua non pour pouvoir travailler.

A quelques semaines de l’élection présidentielle, quand les questions identitaires et sécuritaires se mélangent et hystérisent les débats sur l’immigration, ces récits disent une autre histoire : celle de la pénurie de main-d’œuvre, des freins administratifs kafkaïens et de la contribution des immigrés – qu’ils soient diplômés ou pas – à l’économie. Ils racontent leur présence essentielle, comme ces aides-soignantes en « première ligne » applaudies au début de la pandémie. Ils montrent, en creux, à l’autre bout du spectre, la faible affluence des étrangers plus qualifiés. « Ainsi la France, 6puissance économique mondiale, n’est que 19e au classement mondial “compétitivité et talents” élaboré par [l’école privée de management] l’Insead, qui mesure la capacité d’un pays à attirer, produire et retenir des talents », constatent des économistes dans une note du Conseil d’analyse économique de novembre 2021.

Main-d’œuvre peu qualifiée

L’immigration a toujours rempli un rôle de compensation là où il y avait un vide, où les besoins n’étaient pas satisfaits par la population locale. A la fois sur les métiers pour lesquels la demande s’accroît brusquement et sur ceux qui sont en déclin comme l’artisanat en voie d’être mécanisé ou délocalisé. Certes, depuis l’époque des ouvriers spécialisés (OS) de Renault à Boulogne-Billancourt décrits par le sociologue Abdelmalek Sayad en 1986, le profil des immigrés de travail s’est diversifié. De plus en plus exercent une profession qualifiée, à l’instar des 11,5 % de médecins formés à l’étranger, ou des nombreux ingénieurs informatiques tunisiens.

Mais les étrangers restent surreprésentés dans les métiers les plus difficiles : la moitié d’entre eux travaillent dans le bâtiment et les travaux publics ou dans les services aux particuliers et aux collectivités. Ce sont ces emplois précaires qui ont le plus de mal à recruter à l’heure de la reprise. Exemple, dans les emplois de maison où un poste sur cinq est occupé par une personne étrangère non originaire de l’Union européenne. Et où près de la moitié des employés devrait partir à la retraite avant 2030. « Il ne faudra pas moins de 600 000 recrutements pour compenser ces cessations d’activités », prévenait Marie-Béatrice Levaux, présidente de la Fédération des particuliers employeurs de France (Fepem), dans le cadre de l’enquête parlementaire sur les migrations, en juillet 2021.

Certes tous ces postes ne seront pas pourvus par des immigrés. Mais force est de constater qu’en dépit du chômage, certaines fonctions, pourtant indispensables, ne parviennent plus à attirer les Français. En raison de la précarité grandissante des emplois, de leur longue dévalorisation ou du fait qu’ils sont perçus comme trop contraignants au regard des aspirations nouvelles. « En Europe, le besoin de travailleurs n’est pas seulement lié au vieillissement de la population, souligne Jérôme Vignon, conseiller à l’Institut Jacques Delors, mais aussi à la montée en gamme des qualifications de la population résidente qui, du coup, engendre une baisse de la main-d’œuvre peu qualifiée. »

A la merci des employeurs

Dans ce contexte tendu, la France est régulièrement pointée du doigt pour ne pas avoir suffisamment soigné le volet travail de son immigration. . Face à la montée du chômage, d’autres lois ont poursuivi le même objectif. Entamée en 2019 en vue de fluidifier le recrutement des étrangers, la dernière réforme souffre d’une inadéquation aux besoins immédiats. Si la liste des métiers en tension ouverts aux étrangers a été réactualisée au printemps 2021 – une première depuis quatorze ans –, elle reste très incomplète.

Cette même réforme entend promouvoir le recrutement à l’étranger sans toutefois aborder la question cruciale de l’embauche en France. Attablé devant un café, dans son restaurant Baltard au Louvre, en plein cœur de Paris, Vincent Sitz le déplore : « Embaucher en France est déjà compliqué alors je ne vais pas m’amuser à recruter un plongeur au Mali ou au Sénégal. Ce n’est pas juste une personne pour une tâche, c’est aussi une question de feeling, d’affinité », explique celui qui est aussi président de la commission emploi-formation du Groupement national des indépendants de l’hôtellerie-restauration.

Le secteur compte 220 000 postes vacants : « Nous avons besoin de réactivité, qu’il y ait des courroies de transmission préfectures, ambassades, personnes dédiées à nos secteurs à Pôle emploi pour repérer ces profils et nous mettre en lien avec eux. Nous devons aussi absolument développer les formations courtes », insiste-t-il en citant l’exemple réussi de Mariam, en train de dresser une table dans la même salle.

Arrivée de Dakar en France en janvier 2018, cette jeune chef de rang a entamé dès février ce type d’apprentissage rapide avant d’être recrutée à sa sortie, en stage puis comme commis de salle dans cette même entreprise. « Cela fera bientôt quatre ans », calcule-t-elle, consciente que « d’autres n’ont pas eu cette chance ». Comme les nombreux sans-papiers qu’elle connaît.

Adama (le prénom a été changé) était, encore il y a peu, dans ce cas. Ripeur, ce Malien a vécu six ans tapi dans la clandestinité sous l’identité d’un autre avant d’être régularisé lors d’une grève fin octobre à Sepur, une entreprise de collecte des déchets alors sous le coup d’une enquête de l’inspection du travail. « J’ai travaillé dans plein de domaines, surtout dans la sécurité vu mon gabarit, raconte-t-il, mais avec Sepur, j’ai connu le pire. » « Horaires de repos jamais respectés », « un salaire jamais exact » : « Chaque fois que je réclamais mon dû, ils me menaçaient, ou ils me renvoyaient vers l’agence d’intérim que personne ne connaissait, j’étais obligé de me taire », poursuit-il.

Certains employeurs abusent de ces irréguliers qui, la peur au ventre, n’ont d’autre choix que d’être corvéables à merci. D’autres craignent un « appel d’air » s’ils procèdent à des régularisations. Nombre redoutent tout bonnement de voir le salarié leur échapper une fois qu’ils l’auront fait, sachant que la législation leur donne la possibilité de demander sa régularisation.

« C’est un point primordial, note Marilyne Poulain, pilote du collectif Immigration à la CGT. Si l’employeur a tissé un lien privilégié avec son salarié ou son apprenti, il lui arrive de se mobiliser pour lui. En revanche, dans les grosses boîtes d’intérim, les géants du nettoyage ou du BTP, qui brassent le plus de main-d’œuvre étrangère, ces travailleurs régularisés ou sans papiers continuent de n’être que des pions subordonnés à l’employeur qui a tout pouvoir sur lui. » Les rares employeurs à vouloir adopter une démarche légaliste se heurtent « à une forme d’impasse », « à des préfectures complètement engorgées et inaccessibles », ajoute celle qui soutient de nombreuses grèves en faveur des sans-papiers.

Former les réfugiés

Si les travailleurs sans-papiers constituent un sujet hautement politique et miné, il est un statut qui bénéficie d’une protection administrative, qui rassure les employeurs, et pour lequel le Medef s’est impliqué, c’est celui de réfugié. Dès 2015, quand plus de 1 million de migrants sont arrivés en Europe à la suite du conflit syrien notamment, plusieurs initiatives ont émergé en vue de leur intégration professionnelle.

Des fédérations professionnelles comme celle du bâtiment ont lancé, en 2018, des projets comme le plan « 15 000 bâtisseurs » visant à recruter des jeunes, des demandeurs d’emploi mais aussi des réfugiés. Des programmes public-privé comme celui de HOPE ( Hébergement, orientation, parcours vers l’emploi)  ont également vu le jour à leur attention.

Sayed et Berhane ont pu en bénéficier. Les deux hommes n’ont pas suivi les mêmes routes migratoires, mais leurs chemins se sont croisés au centre de formation professionnelle pour adulte (AFPA) de Grenoble, où ils suivaient des cours de français et apprenaient un métier en tension. « Nous avons suivi la formation de maçon “VRD”, épelle Berhane, 43 ans. Voirie et réseaux divers. Pour moi, c’était assez simple, car en Erythrée, j’étais dans l’armée et déjà dans la construction. »

A ses côtés, Sayed, 30 ans, a dû reprendre tout à zéro. « Moi, j’ai étudié l’hydrométéorologie. En Afghanistan, je faisais des statistiques pour l’ONU. A présent, ma priorité est de bien parler français », poursuit le jeune homme qui a fui l’avancée talibane. Tous deux sont en contrat de professionnalisation auprès d’une agence d’intérim.

Ces initiatives, qui se comptent seulement en milliers, remportent l’adhésion des employeurs. Un succès sans commune mesure avec les résultats de l’Allemagne, qui, en 2021, avait réussi, grâce à l’apprentissage, à faire employer la moitié du 1,6 million de réfugiés. « Au départ, les entreprises étaient frileuses, reconnaît Pascale Gerard, directrice diversité et intégration à l’AFPA. Mais aujourd’hui, elles sont de plus en plus nombreuses à venir vers nous pour recruter. » L’objectif, pour 2022, est d’embaucher 1 500 réfugiés.

Certaines multinationales se mobilisent publiquement. Douze d’entre elles comme Sodexo, L’Oréal, Ipsos ou Accor, ont rejoint le réseau international Tent Partnership for Refugees  qui promeut les talents et le profil singulier de ces étrangers. « Celles que nous avons interrogées ne se sont toutefois pas encore livrées à de réels engagements chiffrés d’embauches », relèvent Sophie Bilong et Frédéric Salin, deux chercheurs qui ont mené une étude pour l’Institut français des relations internationales auprès de dix-huit d’entre elles.

« Celles qui en font le plus ne sont pas forcément dans cette coalition », rappellent-ils, comme certaines PME particulièrement actives dans l’embauche des femmes. Après avoir enquêté auprès de réfugiés ayant acquis un titre de séjour depuis un an, ils ont constaté que leurs conditions de travail restaient encore « précaires, instables, insatisfaisantes ». Elles sont souvent marquées par un « déclassement professionnel » par rapport à leur situation dans leur pays d’origine.

Attirer sans conditions

Faute de ne pas suffisamment valoriser les qualifications des étrangers, la France se priverait d’une immigration économique optimale, d’autant que sa politique est implicitement pensée pour le court terme, selon les experts. « S’il faut faciliter l’obtention de visas sur ces métiers en tension, sur lesquels les natifs ne veulent plus aller, comme l’ont fait les Anglais lorsqu’ils ont accordé 10 000 visas à des chauffeurs routiers, pour éviter des pertes, des désorganisations et des délocalisations, cela ne saurait suffire, reconnaît Jérôme Valette, économiste et maître de conférences à la Sorbonne. Il faut aussi, sur le long terme, être en mesure d’attirer des immigrés très qualifiés sans condition d’emploi car c’est l’immigration la plus à même d’avoir des effets bénéfiques sur l’économie dans son ensemble, en favorisant l’innovation et la création d’entreprise notamment. »

Pour ce faire, François Hollande avait créé le « passeport talent », destiné aux plus hautement qualifiés. Le dispositif, renforcé, a ­bénéficié à 9 552 étrangers en 2019, dont 53 % de scientifiques. Mais certains économistes comme ceux du Conseil d’analyse économique engagent à plus d’efforts. Y compris à destination des étudiants : « En étendant, écrivent-ils, l’octroi d’un titre de séjour à l’issue des études, notamment des très qualifiés, sans y adjoindre des critères de salaire minimum, ni d’adéquation du travail aux qualifications. » Dans bien des pays, nombre de prix Nobel n’auraient pu être décrochés sans ces scientifiques ou artistes venus d’ailleurs. Ainsi au Royaume-Uni : sur les 45 primés depuis 1969, quinze étaient nés à l’étranger !