« Libération », 2 avril 2022
A l’entrée des campements, des associations ont installé des boîtes portant les noms et numéros de téléphone de migrants pour rappeler aux autorités qu’elles doivent leur permettre de faire valoir leurs droits avant de procéder à des expulsions
par Stéphanie Maurice (Lille)
Des boîtes métalliques, destinées à recevoir du courrier, devant la jungle de Calais. C’est la nouvelle initiative portée par les associations d’aide aux exilés pour tenter de limiter les expulsions de ces campements précaires. En tout cas celles qui, se produisant en moyenne une fois par mois, peuvent vider entièrement un terrain, selon l’association Human Rights Observers (HRO), qui documente les actions de l’Etat envers les exilés. Aujourd’hui, ces derniers seraient 1 600 à Calais, estiment les associatifs. Ils fuient en majorité des pays en guerre, Soudan, Erythrée, Afghanistan, et veulent rejoindre la Grande-Bretagne.
Ces expulsions massives doivent suivre le circuit légal classique : « Le propriétaire du terrain mandate un huissier, pour aller constater l’installation, et recueillir l’identité des personnes, pour les assigner en justice, explique une juriste de HRO. Mais celui-ci y va sans interprète, et demande en français l’identité des personnes ». Ce qui donne des procès-verbaux empreint d’incompréhension mutuelle. Par exemple ce référé affiché avant expulsion devant des ponts de Calais, sous lesquels dorment des exilés, relayé sur Twitter par l’Auberge des Migrants : « Je constate la présence de neuf personnes et de douze tentes. Un feu de camp est allumé. Plusieurs personnes viennent à notre rencontre. Je leur décline mes nom, prénom, qualité et objet de ma mission, et leur demande si elles parlent le français. Ces personnes ne semblent pas comprendre et pour unique réponse, j’obtiens »Arabic » ».
Conséquence, notent les associations d’aide aux exilés dans leur communiqué de presse, « les habitant.es de ces lieux sont sinistrement considéré.es par les autorités comme des “personnes non-dénommées” », impossibles à identifier, et donc à assigner en justice. « On passe donc à une autre procédure, celle d’une ordonnance sur requête devant le tribunal compétent », explique HRO. « Un juge va statuer, avec les éléments d’une seule des parties ». Le seul point de vue du propriétaire, sans entendre celui des exilés.
« On leur enlève leur humanité »
« C’est horrible de dire qu’ils n’ont pas d’identité, réagit Marguerite Combes, coordinatrice de l’association Utopia 56 à Calais, on leur enlève leur humanité. Les personnes exilées ont un nom, et il est possible de leur parler, à condition d’avoir un interprète ». Les boîtes aux lettres, fabriquées avec des portes métalliques de récup, ont déjà été installées devant trois campements de Calais, dans le quartier de Beau-Marais, et portent les prénoms et noms d’exilés volontaires. « Ce serait désormais de très mauvaise foi de dire qu’ils ne sont pas identifiables », estime Pierre Roques, coordinateur de l’Auberge des migrants. Sollicitée, la préfecture du Pas-de-Calais n’a pas encore réagi à cette initiative.
Les associations espèrent ainsi limiter les expulsions les plus importantes. Restent les évacuations habituelles, qui visent toutes les 36 ou 48 heures les mêmes lieux, une rotation policière qui rythme les matins calaisiens. « C’est quasi quotidien », note Pierre Roques. Les exilés doivent alors déplacer leur tente, par exemple en la posant sur le trottoir. Objectif : repérer les tentes sans occupants, et les enlever. « La police fait un tour, ensuite les gens remettent tout en place », explique le militant associatif. Ces opérations ont comme base légale la flagrance, à condition que l’installation illégale ait été constatée moins de 48 heures avant.
Ces offensives contre la légalité des expulsions menées à Calais ont déjà remporté un succès : la cour d’appel de Douai a condamné le préfet du Pas-de-Calais la semaine dernière pour avoir avoir pris l’initiative de procéder au démantèlement d’un camp d’exilés, en septembre 2020, sans autorisation du juge, normalement nécessaire. La préfecture n’a pas encore indiqué si elle souhaitait faire appel de cette décision.