La Commission européenne présente une directive destinée à pallier le manque de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs, comme la santé.
La Commission européenne présente, mercredi 27 avril, un projet de directive visant à faciliter l’arrivée « de compétences et de talents » en Europe. En clair, favoriser une migration légale de travailleurs et de jeunes pour répondre au défi démographique et pallier le manque de main-d’œuvre dans des secteurs comme la santé, la technologie, la construction ou le transport. Le projet évoque aussi la création d’un « pôle de talents » qui permettrait, dès l’été, aux réfugiés ukrainiens, puis aux ressortissants d’autres Etats tiers, de faire connaître leurs diplômes et leur expérience afin d’intégrer plus facilement le marché de l’emploi.
La Commission choisit de relancer le vieux débat sur la migration dite « de travail » dans un contexte plus favorable que celui de la crise de 2015-2016, qui avait opposé les pays favorables à l’accueil de demandeurs d’asile à ceux qui y étaient résolument hostiles. La guerre en Ukraine a radicalement changé la donne, et les questions de l’accueil et de la migration ne sont, désormais, plus taboues pour la plupart des capitales. L’exécutif européen voulait aussi attendre le résultat de la présidentielle française pour ne pas courir le risque d’une instrumentalisation de ces questions par l’extrême droite. Enfin, le constat, fermement appuyé par les fédérations patronales, que plusieurs Etats membres souffrent d’une pénurie de main-d’œuvre pouvant entraver les politiques de relance a constitué une autre incitation pour l’exécutif européen.
La Commission, qui affirme vouloir présenter « un plan ambitieux et durable », précise toutefois qu’aucun pays membre ne sera forcé de l’appliquer. Pas question d’un nouveau « suicide politique », indique un diplomate en faisant référence au projet de quotas obligatoires de réfugiés à accueillir qu’avait évoqué le collège, dirigé à l’époque par Jean-Claude Juncker. Il avait entraîné une grave crise et créé une césure entre les Etats fondateurs et les pays d’Europe centrale et orientale. Il s’agit bien, cette fois, de respecter la compétence des Etats membres, souligne la Commission. « Chacun décidera et l’Union soutiendra les Etats, sur le plan pratique et opérationnel, à affronter les défis de la démographie et de la migration », insiste-t-on à Bruxelles. En 2021, c’est le Parlement qui l’avait invitée à proposer des mesures visant à harmoniser les conditions d’accueil, à simplifier les procédures et à lutter contre le travail clandestin.
Rééquilibrage
Il reste à convaincre les pays tiers que le « partenariat » évoqué recoupe bien leurs intérêts. Reprenant un de ses vieux slogans, la Commission assure qu’elle vise non pas à un « brain drain » – un « exode des cerveaux » – mais à un « brain gain » – une « croissance des cerveaux ». Qu’il ne s’agit donc pas de priver les pays concernés de leurs meilleurs éléments, les plus formés, mais, au contraire, de leur permettre de se former davantage et d’être, à terme, utiles à leur pays. En lui apportant des devises, mais aussi une expérience et une formation supplémentaires. L’initiative sera d’ailleurs replacée, promet Bruxelles, dans le cadre de l’aide au développement.
Elle devrait concerner d’abord la Tunisie, le Maroc et l’Egypte, ensuite le Sénégal, le Nigeria, le Pakistan et le Bangladesh. Des pays qui sont déjà liés à l’UE par divers accords dans le domaine de l’immigration, mais qui fournissent également des contingents importants de clandestins. De quoi confirmer que le projet vise en priorité à un rééquilibrage de la relation entre les pays concernés et l’Europe, et à une sorte de donnant-donnant : l’Europe offrirait plus d’ouverture à une migration régulée en échange d’un meilleur contrôle de l’immigration illégale.
C’était l’un des objectifs du « pacte migratoire » défini par Bruxelles, dont l’adoption se heurte toujours à une série de difficultés. Sous l’impulsion de la présidence française de l’Union, qui s’achèvera le 30 juin, il a dès lors été convenu entre les Vingt-Sept qu’il fallait privilégier une avancée par étapes, dont cette initiative fait partie.
Mobilité plus aisée
Il reste à savoir si les pays tiers, qui rechignent souvent à accepter le retour de leurs nationaux privés d’un titre de séjour dans un pays de l’Union, se résoudront à faciliter les réadmissions en échange de mesures pour leurs citoyens les mieux formés. Ceux-ci devraient bénéficier de décisions plus souples en matière de permis de travail, de droits de résidence et de respect des droits fondamentaux. La Commission insiste aussi sur sa volonté de permettre à des jeunes, peut-être moins formés, de voyager et de travailler plus facilement dans l’Union. Et de favoriser également l’accès d’autres à l’entrepreneuriat, notamment dans le secteur-clé des nouvelles technologies. La mobilité de tous au sein de l’espace européen devrait également être rendue plus aisée.
Si la politique migratoire est bloquée depuis plusieurs années en raison des divisions entre les Etats membres, la Commission espère avancer en évoquant des données objectives : il manque des centaines de milliers de personnes dans le domaine de la santé, des dizaines de milliers d’ingénieurs et, en 2030, la population européenne en âge de travailler aura diminué de 12 %. L’immigration ne serait donc pas une menace, mais une chance. Rendue légale, elle serait, par ailleurs, le meilleur moyen de lutter contre la migration clandestine.