Face à la criminalisation de la solidarité à Calais, lancement du #SolidaritéEntravée
Sur les différentes périodes de confinement pour raison de Covid, au moins 130 verbalisations pour « déplacement illicite” ont été dressées à l’encontre des membres de Human Rights Observers (projet soutenu par L’Auberge des Migrants) et d’Utopia 56 – deux associations opérant auprès des personnes exilées à Calais – les condamnant ainsi à payer près de 20 000 € d’amende cumulés.
Ces contraventions dressées alors que les membres de ces associations étaient dans l’exercice de leur activité professionnelle ont été contestées, sachant que ces membres étaient toujours munis de l’attestation de déplacement professionnel requise, avec pour motif dérogatoire « l’assistance aux personnes vulnérables et précaires ».
Le 20/04/2021, Mme Stella Dupont, une députée LREM, interroge le ministre de l’Intérieur, M. Gérald Darmanin, sur la base légale de ces verbalisations. Un an plus tard, le 19/04/2022, le ministre de l’Intérieur présente sa réponse, dans laquelle il avance “qu’il est arrivé […] que le motif de déplacement, à savoir « l’assistance aux personnes vulnérables et précaires », soit manifestement détourné”. Selon lui, “les membres d’associations n’exerçaient aucune action humanitaire mais se posaient en revanche en « censeurs » d’opérations de police, pourtant menées en application et dans le respect de la loi”.
Or l’observation, la documentation et la dénonciation des expulsions de terrain où sont installées les personnes exilées est essentielle et leur donne accès au droit de se défendre face aux violences d’Etat que sont ces expulsions, par ailleurs illégales. A titre d’exemple, dans une affaire toute récente, la Cour d’appel de Douai a pu qualifier de voie de fait une opération d’expulsion à Calais grâce aux attestations et aux vidéos établies lors de l’expulsion par les stagiaires et bénévoles de HRO (Arrêt de la Cour d’appel de Douai du 24 mars 2022).
Aussi, une part importante des verbalisations a visé des membres d’associations qui menaient des maraudes d’accès au droit et à l’information ou dans le cadre de distributions alimentaires et matérielles, ainsi que d’accompagnements vers des services essentiels d’accès au soin, à la santé, à l’hébergement ou encore à la protection de l’enfance, ce que M. Darmanin fait semblant d’ignorer.
Que M. Darmanin se rassure, toutes ces contraventions ont effectivement été contestées malgré une procédure légale particulièrement dissuasive pour des associations ayant peu de moyens. La première audience pour s’opposer à la culpabilité de deux membres de Human Rights Observers a d’ailleurs eu lieu le 9 mai et le verdict est attendu pour le 20 juin.
Ces contraventions abusives s’inscrivent dans un contexte général d’entraves et d’intimidations policières et institutionnelles contre les associations et leurs membres, condamnant l’aide aux personnes exilées précaires et dégradant toujours plus leurs conditions de vie. À croire qu’il existe une volonté politique de maintenir le statuquo à Calais, zone de non-droit en France. Nous avons lancé sur nos réseaux un #SolidaritéEntravée afin de visibiliser les entraves subies par les associations au quotidien, qui constituent des atteintes à la liberté d’association, impensables dans un État de droit.
Le Conseil grec pour les réfugiés a saisi la CEDH, qui impose aux autorités grecques de protéger les migrants laissés pendant plusieurs jours sans eau ni nourriture sur des îlots au milieu de l’Evros.
Par Marina Rafebnberg pour Le Monde, le 4 juin 2022
Alors qu’il tentait de traverser la rivière Evros, qui marque la frontière entre la Turquie et la Grèce, avec trente-huit compatriotes, le 17 avril, M. A., un jeune Syrien, est repéré par les gardes-frontières turcs. Son groupe est alors obligé d’accoster sur un îlot situé entre les deux pays.
Le lendemain, le Conseil grec pour les réfugiés (CGR), qui représente légalement les réfugiés, saisit la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ; cette dernière impose dans la foulée à l’Etat grec des mesures provisoires de protection pour ces exilés bloqués pendant plusieurs jours sans eau, nourriture ni aide médicale. Les autorités grecques, censées répondreà la CEDH et permettre aux réfugiés d’être mis à l’abri et de déposer une demande d’asile comme le requiert le droit européen, ne donnent pas suite.
«Après trois jours sur l’îlot, des personnes en uniforme venant du côté grec sont venues nous chercher. Elles nous ont transférés dans un centre de détention sur la rive grecque, elles nous ont tabassés, nous ont pris nos chaussures et nous ont dit qu’elles allaient nous renvoyer en Turquie. Ce qu’elles ont fait», nous explique M. A., joint par téléphone. Parmi le groupe se trouvait une femme à la santé fragile qui avait besoin d’une hémodialyse, selon le jeune homme. «Elle criait pour demander à voir un médecin (…).Personne n’est venu à son secours, ni du côté grec ni du côté turc. Elle a perdu connaissance et elle est morte sur l’îlot. Les gardes-frontières turcs ont récupéré son corps. Les enfants qui ont assisté à la scène étaient en pleurs », raconte-t-il. Une enquête préliminaire a été ouverte par le procureur d’Orestiada, une des principales villes grecques de la région frontalière.
« Jeu de ping-pong »
Le magistrat a également ouvert une enquête après la noyade dans l’Evros, mi-mars, d’un enfant de 4 ans, Ayman Al Saleh. Le garçonnet appartenait à un groupe d’une trentaine de Syriens, arrêtés et emmenés de force par la police grecque sur un îlot, où ils sont restés cinq jours avant l’intervention des secours grecs. D’après les témoignages des rescapés, l’enfant serait tombé à l’eau lors du transfert, sans que la police intervienne pour lui venir en aide. «Nous avons alors informé les autorités grecques de la présence des réfugiés sur l’îlot. Le lendemain, un commando d’hommes masqués s’est empressé de les refouler… La police grecque nous avait pourtant répondu que le groupe n’avait pas été localisé », soutient Evgenia Kouniaki, avocate pour l’ONG HumanRights360.
Face à cette nouvelle méthode de refoulement employée par les autorités d’Athènes, certains défenseurs des droits humains pensent que les Grecs ne veulent plus s’approcher de la rive de leur voisin et déposent donc les réfugiés sur ces îlots pour que les forces de l’ordre turques soient obligées de les récupérer. D’après d’autres témoignages de réfugiés, les autorités turques les pousseraient aussi sur ces bandes de terre en les menaçant de les renvoyer en Syrie s’ils ne partent pas vers l’Europe.
D’après Athènes, la Turquie ouvre sciemment les vannes pour les migrants alors que le torchon brûle de nouveau entre les deux voisins. Selon le ministère grec des migrations, sur les quatre premiers mois de l’année, près de 30 % de réfugiés supplémentaires ont voulu entrer en Grèce par rapport à l’an dernier à la même période. « Dans les quatre premiers mois de 2022, environ 40 000 migrants ont tenté d’entrer illégalement dans le pays », estime le ministre de la protection civile, Takis Theodorikakos.
« C’est un jeu de ping-pong entre les deux pays, qui ne veulent pas accueillir les demandeurs d’asile. Ces îlots ne sont pas très bien définis territorialement. Est-ce qu’ils relèvent de l’autorité grecque ou turque ? Selon la saison, ils sont même recouverts par la rivière, mais d’après la CEDH, ils appartiennent bien à la Grèce », souligne Evgenia Kouniaki. En avril, l’ONG Human Rights Watch (HRW) avait aussi révélé que des migrants étaient utilisés par la police grecque pour effectuer les refoulements vers la Turquie des nouveaux arrivants. En échange, les autorités grecques leur promettaient des titres de séjour, selon HRW.
Entre janvier et fin avril, le CGR a alerté les autorités grecques sur la nécessité de secourir au moins 230 migrants originaires de Syrie, Turquie, Afghanistan et Irak bloqués au milieu de la rivière Evros. « Entre fin avril et mi-mai, nous avons déjà demandé par cinq fois à la CEDH d’intervenir pour fournir une aide humanitaire à des réfugiés syriens, parmi lesquels 44 enfants. Pour les derniers cas que nous avons observés, la CEDH a imposé à l’Etat grec de prendre des mesures provisoires de protection, mais les autorités ne sont pas intervenues »,note Alkistis Agrafioti, avocate pour le CGR.
Démenti constant
En dépit des multiples enquêtes des ONG et des médias, Athènes dément toujours avoir recours aux « pushbacks » (renvois de migrants), une pratique contraire au principe de non-refoulement inscrit dans la convention de Genève sur les réfugiés. Fin mars, l’Autorité grecque de transparence, chargée par le gouvernement d’enquêter sur ces refoulements, a déclaré n’avoir trouvé « aucune preuve » permettant d’affirmer que des officiers grecs sont impliqués. Sous pression croissante de la société civile et de Bruxelles, l’instance a publié l’enquête début mai.
Mais lechercheur spécialisé sur les questions d’open source Phevos Simeonidis a révélé que l’Autorité s’est appuyée à 45 % sur des entretiens réalisés avec la police et les gardes-côtes grecs, pourtant accusés d’être à l’origine des « pushbacks ». Sur 75 personnes interrogées, une seule était issue d’une ONG, et quatre seulement étaient des migrants. Aucun responsable du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés n’a été questionné.
« L’Union européenne doit maintenant prendre ses responsabilités par rapport à ces crimes commis aux frontières extérieures de l’Europe, estime Alkistis Agrafioti. La démission du directeur de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, Frontex, ne suffit pas à résoudre le problème [ le Français Fabrice a quitté la tête de Frontex le 29 avril ]. Il faut garantir qu’une enquête efficace soit ouverte concernant ces allégations de “pushbacks” perpétrés par les autorités grecques et que des mesures soient prises. »
Début mai, deux activistes anglais du squat de la rue Sauvage ont été expulsés. Ils dénoncent une action répressive de la préfecture contre leur militantisme.
Sonia Chemaa, publié le 20 mai 2022
Ils sont deux. Deux Britanniques, Nik* et Olive*, à avoir été sommés de quitter le territoire français entre mars et avril. Les deux hommes ont un point commun : tous deux logeaient dans le squat de la rue Frédéric-Sauvage – leurs noms figurent dans le procès en cours concernant le squat – lorsque leurs titres de séjour de cinq ans leur ont été retirés. Selon eux, la préfecture du Pas-de-Calais tente ainsi de faire pression sur les militants, défenseurs des exilés.
Envoyé en centre de rétention
C’est lors d’un contrôle routier, alors qu’Olive était le passager d’un véhicule, quevle militant est contrôlé par les forces de l’ordre. « On était à trois rues du squat. Ils m’ont dit que la PAF voulait parler avec moi », raconte l’Anglais. Nous sommes au mois de mai, il dit ignorer alors qu’une OQTF (obligation de quitter le territoire français) ainsi qu’une IRTF d’un an (Interdiction de retour sur le territoire français) ont été prononcées à son encontre deux mois plus tôt. « L’OQTF, je ne l’ai jamais reçue », argumente-t-il. Il est emmené au centre de rétention de Coquelles puis à celui de Lesquin. « Parce qu’à Calais, j’ai beaucoup de soutiens », suppose Olive.
L’activiste logeait au squat de la rue Sauvage depuis son ouverture mais disposait d’une autre adresse à Calais lui permettant de récupérer son courrier. Le 3 mars, une convocation de la préfecture lui était envoyée par lettre recommandée. Un courrier dont Olive dit n’avoir jamais eu connaissance. Cinq jours plus tard, le 8 mars, la sanction tombait : une OQTF lui était adressée pour « défaut d’accès ou d’adressage ». Là aussi, la lettre ne lui serait pas parvenue. « Ils pouvaient me contacter par mail ou par téléphone. J’avais même été contacté quelques mois plus tôt par la préfecture pour une amende », se désole le militant.
« On ne lâche pas l’affaire »
Inquiété par le sort de son ami, Nik – un autre militant anglais vivant aussi au squat et disposant de la même seconde adresse qu’Olive – prend les devants et envoie un mail à la préfecture le 3 mai afin de savoir si sa situation a changé. La réponse de la préfecture ne se fait pas tarder : « Je ne vois rien sur votre applicatif. En cas de changement, un courrier vous sera adressé à Calais », pouvons-nous lire sur le mail envoyé. Rassuré, le Britannique programme alors des vacances en Angleterre. Mais après plus d’une demi-heure d’attente au contrôle aux frontières, Nik n’a toujours pas embarqué dans son ferry et apprend que, comme Olive, une obligation de quitter le territoire français a été ordonnée à son encontre.
Appels rejetés par le tribunal
Depuis, les deux militants sont retournés d’eux-mêmes vers la Grande-Bretagne et ont fait appel de cette décision. Un appel rejeté par le tribunal administratif. « On va faire appel contre ce jugement. On ne lâche pas l’affaire. On porte la responsabilité pour tous les militants étrangers en France. Le Calaisis a toujours été un laboratoire de répression », commente Olive.
*Il s’agit de pseudonymes, les militants ont souhaité préserver leur anonymat.
Un rapport du Sénat dresse un constat sévère sur le manque de moyens de l’administration pour traiter les demandes. Dans le but d’ordonner aux préfectures de leur donner un rendez-vous, les étrangers saisissent de plus en plus la justice de référés dits « mesures utiles ».
Par Julia Pascual, publié le 25 mai 2022
Des moyens « insuffisants », des services « saturés », des juridictions « au bord de l’embolie »… La commission des lois du Sénat s’est penchée sur les politiques publiques d’immigration et son rapport d’information, rendu public le 10 mai, dresse un constat très sévère sur le fonctionnement des services de l’Etat.
En effet, les préfectures ne sont pas en mesure de traiter les demandes de titres de séjour dont elles font l’objet. S’il n’existe pas de chiffre public sur le nombre de demandes déposées, on sait, en revanche, que le ministère de l’intérieur a délivré plus de 270 000 premiers titres en 2021. D’après les sénateurs, emmenés par leur rapporteur François-Noël Buffet (Les Républicains), environ la moitié des quelque 4 000 agents des services « étrangers » des préfectures – fonctionnaires, contractuels et vacataires – se consacrent à l’examen des demandes (le reste des effectifs gèrent les éloignements, les naturalisations ou encore le contentieux). « Les moyens humains et matériels (…) touchent à leur limite », soulignent-ils.
Ainsi, la seule prise de rendez-vous en préfecture, massivement numérisée depuis 2020, outre qu’elle est une gageure pour les usagers peu à l’aise avec le numérique, relève souvent de l’impossible. Des files d’attente virtuelles ont remplacé les files d’attente physiques devant les préfectures. « Les conditions d’accueil des étrangers et de délivrance de titres de séjour se sont dégradées au cours des dernières années », observe le rapport.
A tel point que cette carence de l’Etat a donné lieu au foisonnement d’un contentieux nouveau, « ubuesque » selon la mission, devant les tribunaux administratifs. Les étrangers saisissent de plus en plus la justice de référés dits « mesures utiles » dans le but d’ordonner aux préfectures de leur donner un rendez-vous. Il s’agit alors de « l’unique moyen » dont ils disposent pour déposer une première demande de titre.
Contentieux « parasites »
Les chiffres de la mission sont éloquents : le tribunal administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis) a été saisi, en 2021, de plus de 2 000 référés de la sorte, ce qui représente 21,4 % des affaires qu’il a enregistrées en droit des étrangers. « Ce contentieux de masse inédit se caractérise, du reste, par un taux de succès élevé », souligne le rapport sénatorial. A Paris, 90 % des plus de 2 600 procédures de référés « mesures utiles » examinées l’an passé se sont soldées par une décision enjoignant à l’administration de délivrer un rendez-vous dans un délai fixé.
Ce phénomène transforme les juges administratifs en une sorte de « secrétariat de préfecture » et alimente chez eux un « profond désarroi » et « une perte de sens ». Les associations d’aide aux étrangers sont, elles aussi, de plus en plus mobilisées dans le seul but de faire respecter l’accès au service public.
Outre les référés « mesures utiles », le juge est également saisi de recours lorsque les préfectures n’ont pas apporté de réponse à un demandeur de titre de séjour depuis quatre mois, ce silence valant rejet implicite de sa demande. « Le taux d’annulation de telles décisions est très élevé car, souvent, l’administration n’a tout simplement pas eu le temps d’examiner la situation de l’intéressé », rendent compte les sénateurs. En 2021, le temps d’examen d’une première demande de titre s’est élevé à 99 jours.
Face à ces contentieux « parasites » qui ne résultent pas de litiges sur le fond, mais ne servent qu’à combler les « lacunes » de l’Etat,et afin de « briser cette spirale délétère », les sénateurs recommandent, notamment, de fixer un délai maximal à l’administration pour accorder un rendez-vous en préfecture pour une première demande de titre de séjour. Et, pour que cela ait un sens, d’augmenter en conséquence les moyens des préfectures, notamment humains.
De même, les élus du Palais du Luxembourg préconisent une simplification du contentieux des étrangers, en suivant les préconisations d’un rapport d’octobre 2020 du Conseil d’Etat qui portait « vingt propositions » dans le but d’uniformiser davantage les délais de recours, de jugement et les procédures d’examen, « dans l’intérêt de tous ».
Le collectif a été créé en 2006 par des paroissiens de l’église de Téteghem, dont le Père Dominique Pham arrivé en France avec ce que l’on appelait les boatpeople, pour venir en aide aux exilés installés près du lac de Téteghem ( au début principalement des vietnamiens).
Les actions du collectif se sont orientées vers l’aide alimentaire et les besoins en hygiène : réalisation de repas hebdomadaire puis organisation de douches après accord avec la mairie et le club de foot de la ville.
Ce groupe de bénévoles s’est organisé en association officielle en 2011. Ce camp a existé jusqu’en 2015 où il fut soudainement détruit et rendu inaccessible.
L’association a donc continué ses actions au camp du Basroch (Grande-Synthe) et s’est coordonnée avec les nombreuses associations et actions mises en place. Puis elle a suivi la longue série de campements sur le territoire de Grande-Synthe : camp de la Linière : aide alimentaire et animations auprès des enfants
Puythouck et tous les nombreux déplacements rendant la vie des exilés de plus en plus difficile où l’association a réalisé et réalise encore des petits-déjeuners deux fois par semaine.
La force de notre association, c’est d’être présents dans la continuité avec un petit groupe de bénévoles actifs.
Le Royaume-Uni a validé, jeudi 14 avril, un plan pour « externaliser » les demandes d’asile des exilés arrivant par la mer ou par camion, en les plaçant dans des centres situés au Rwanda. Des dizaines de milliers de personnes pourraient être concernées dans les années à venir.
L’idée germait depuis quelques années déjà. Jeudi 14 avril, le Royaume-Uni a présenté son plan, à hauteur de 120 millions de livres (soit 144 millions d’euros), pour exporter une partie de ses demandeurs d’asile au Rwanda, le temps que la procédure suive son cours. Ce dernier concerne les personnes arrivées sur le territoire britannique de manière illégale, depuis le 1er janvier 2022, à bord de « small boats » (« petites embarcations ») ou de camions poids lourds, dont une majorité d’hommes. En 2021, plus de 28 000 personnes ont réussi la traversée de la Manche à bord de small boats, soit soit près de quatre fois plus qu’en 2020 (année également affectée par la pandémie de Covid-19).
Fin septembre 2020, déjà, le Financial Times et le Guardian annonçaient que le gouvernement britannique envisageait de créer un centre de traitement des demandes d’asile dans les îles de l’Ascension et de Saint-Hélène (en plein Atlantique Sud), ou encore au Maroc, en Moldavie ou en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Le gouvernement avait aussi évoqué des centres « flottants », à bord de ferries hors d’usage en mer, qui auraient pu permettre de maintenir les demandeurs d’asile au large. L’idée de déployer de gros bateaux en mer, qui auraient pu générer des vagues pour repousser les migrants vers les côtes françaises, aurait aussi été discutée.
La secrétaire d’État à l’intérieur britannique, Priti Patel, qui s’est rendue au Rwanda pour signer l’accord, a assuré qu’il s’agissait d’une « première mondiale » (alors que l’Australie externalise déjà les demandes d’asile) et que cela « changera la façon dont [le Royaume-Uni] lutte contre la migration illégale ». Dans une video de présentation postée par Priti Patel sur Twitter, Yolande Makolo, porte-parole du gouvernement rwandais, assure qu’il s’agit de « protéger » et « d’assurer le bien-être à la fois des migrants et des Rwandais au Rwanda ». « Nous estimons que les Africains et les autres devraient pouvoir avoir une vie digne en Afrique, et ne pas emprunter de dangereux parcours, qui mettent leur vie en danger, pour se créer des opportunités », ajoute-t-elle dans un message visant clairement à dissuader les candidats au départ.
« C’est une immigration maîtrisée, par des voies sûres et légales, qui nous permet de faire des offres généreuses d’asile tout en gérant les pressions inévitables sur nos services publics de manière à donner à tous ceux qui viennent ici le soutien dont ils ont besoin pour reconstruire leur vie, s’intégrer et de prospérer, a justifié de son côté le premier ministre britannique, Boris Johnson, dans un discours jeudi 14 avril. Mais la contrepartie de cette générosité, c’est que nous ne pouvons pas maintenir un système illégal parallèle. Notre compassion est peut-être infinie, mais notre capacité d’aider les gens ne l’est pas. » Boris Johnson et Priti Patel ont tous deux pointé la responsabilité des passeurs, dont il faut, selon eux, « briser le modèle économique ».
« Il est frappant de constater qu’environ sept sur dix de ceux qui sont arrivés dans de petites embarcations l’année dernière étaient des hommes de moins de 40 ans, payant des passeurs pour éviter les files d’attente et mobilisant notre capacité d’aider les véritables femmes et enfants réfugiés. Ceci est particulièrement pervers car ceux qui tentent de traverser ne fuient pas directement un péril imminent, raison d’être de notre système d’asile. Ils sont passés par des pays manifestement sûrs, dont beaucoup en Europe, où ils auraient pu – et auraient dû – demander l’asile », a ajouté Boris Johnson.
Un accord contraire au droit international
« Envoyer des personnes dans un autre pays – a fortiori un pays avec un bilan aussi lamentable en matière de droits de l’homme – pour le “traitement” de l’asile est le summum de l’irresponsabilité et montre à quel point le gouvernement est désormais éloigné de l’humanité et de la réalité sur la question de l’asile », a réagi Steve Valdez-Symonds, directeur des droits des réfugiés et des migrants d’Amnesty International Royaume-Uni, estimant que cette idée, « scandaleusement mal conçue », infligera surtout des souffrances aux demandeurs d’asile et induira un « énorme gaspillage d’argent public ».
Ce plan sordide serait une manière lâche, barbare et inhumaine de traiter les personnes fuyant la persécution et la guerre.
Tim Naor Hilton, directeur général de Refugee Action« Avec sa rhétorique usée sur la lutte contre les gangs criminels de passeurs, le gouvernement ignore le fait que très peu de personnes demandent l’asile au Royaume-Uni, comparé d’autres pays, tout en poursuivant des politiques qui permettent à ces gangs de faire des profits », a-t-il poursuivi dans un communiqué. Le directeur général de Refugee Action, Tim Naor Hilton, a accusé le gouvernement britannique de « délocaliser ses responsabilités sur les anciennes colonies européennes au lieu de faire [sa] juste part pour aider certaines des personnes les plus vulnérables de la planète ». « Ce plan sordide serait une manière lâche, barbare et inhumaine de traiter les personnes fuyant la persécution et la guerre », a-t-il poursuivi, tout en rappelant le bilan du Rwanda en matière de droits de l’homme.
Outre son aspect inhumain, le plan pourrait par ailleurs ne pas entrer en conformité avec le droit international. « Les propositions du Royaume-Uni visant à réformer son système d’asile risquent de violer les engagements juridiques internationaux, de saper la coopération légale en matière de réfugiés et de provoquer des effets néfastes sur les demandeurs d’asile », avait déjà alerté la chercheuse Michelle Pace, spécialiste des migrations, en juillet dernier. Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International, confirme : « Si les personnes sont arrivées sur le territoire britannique, le droit international doit obliger le Royaume-Uni à étudier leur demande sur place. Ces méthodes sont donc contraires aux obligations du Royaume-Uni s’appliquant aux conventions relatives aux droits des réfugiés. »
Et d’ajouter que les conséquences de ces violations ont déjà pu être observées en Australie, qui « parque » ses demandeurs d’asile sur l’île papouasienne de Manus et à Nauru depuis les années 2000 : « Des situations de torture ont été décrites par des experts onusiens et une plainte a été déposée auprès de la Cour pénale internationale pour “crimes contre l’humanité”. Déjà plus de 1 000 personnes ont été rapatriées sur le territoire australien car elles sont tombées malades et ne pouvaient plus rester sur ces îles. C’est l’exemple dont s’inspire le Royaume-Uni, qui a échoué sur tous les plans. »
Le mois dernier, la Nouvelle-Zélande a obtenu l’accord de l’Australie pour récupérer plusieurs centaines de réfugiés de Nauru d’ici trois ans. « C’est bien la preuve que ces mécanismes n’apportent rien », résume Agnès Callamard, qui dénonce la « cruauté » de l’accord signé entre le Royaume-Uni et le Rwanda.
« Nous sommes convaincus que notre nouveau partenariat sur la migration est pleinement conforme à nos obligations juridiques internationales, mais nous nous attendons néanmoins à ce qu’il soit contesté devant les tribunaux.Je sais donc que ce système n’entrera pas en vigueur du jour au lendemain », a reconnu Boris Johnson cet après-midi.
Le projet de loi sur la nationalité et les frontières, examiné en première lecture au Parlement en juillet dernier, doit donc valider l’externalisation d’une partie des demandes d’asile, celles jugées illégitimes, et faire la distinction entre les personnes « venant [au Royaume-Uni] légalement et illégalement ». Le Rwanda pourrait ainsi récupérer des dizaines de milliers de personnes dans les années à venir, selon Boris Johnson.
Le projet de loi doit aussi permettre au Royaume-Uni de réduire, à l’instar de la France avec les pays du Maghreb, l’octroi de visas aux pays refusant de reprendre leurs ressortissants criminels ou déboutés de l’asile. Dans le même temps, plus d’un demi-milliard de livres est investi pour agrandir les centres de détention pour migrants, « afin d’aider à l’expulsion de ceux qui n’ont pas le droit de rester au Royaume-Uni ».
Libération, 20 mars 2022, par Delphine Diaz, Université de Reims Champagne-Ardenne, membre junior de l’Institut universitaire de France (IUF)
L’accueil favorable réservé aux Ukrainiens fait contraste avec le traitement dégradant reçu par ceux appelés «les migrants» depuis dix ans. Cette réception à géométrie variable n’est pas neuve et s’observe au tournant des XIXe et XXe siècles, souligne l’historienne Delphine Diaz.
En près de trois semaines, l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Vladimir Poutine a forcé plus de trois millions de civils à traverser les frontières orientales de l’Union européenne. De tels chiffres, pourtant sidérants, ne tiennent pas compte des personnes déplacées qui ont quitté les villes les plus ciblées par les crimes de guerre de l’armée russe. Par sa brutalité et son ampleur, cet exode à la fois intérieur et international ravive le triste souvenir d’autres épisodes migratoires qu’a connus l’Europe dans son passé, que l’on pense aux centaines de milliers de civils belges et français jetés sur les routes à partir de l’été 1914, aux quelque 475 000 républicains espagnols qui se sont pressés à la frontière pyrénéenne en 1939, ou aux millions de «personnes déplacées» pendant et après la Seconde Guerre mondiale.
Mais comparaison n’est pas raison, et l’exil ukrainien a ses caractéristiques propres : constitué de civils – essentiellement de femmes, d’enfants (1,5 million selon l’Unicef ) et de personnes âgées des deux sexes –, il se dirige vers plusieurs pays frontaliers de l’Ukraine et suscite, à travers tout le continent, manifestations de solidarité et d’émotion. Tandis que l’Union européenne a décidé d’appliquer une directive de 2001 sur la protection temporaire pour en faire bénéficier le peuple ukrainien en exil, les initiatives émanant de la société civile se multiplient pour soutenir ces membres de la «famille européenne» : accueil de réfugiés à domicile, manifestations et collectes de vivres et de vêtements.
Cet accueil favorable réservé aux Ukrainiens, dont on ne peut que se réjouir tant il redonne son sens à la notion d’hospitalité, fait néanmoins contraste avec le traitement dégradant reçu par ceux qui sont plus volontiers appelés «les migrants» depuis la dernière décennie. Parmi ces derniers, pourtant, se trouvaient aussi des civils qui avaient fui les bombardements russes à Alep mais les assignations identitaires dont les exilés issus du Moyen-Orient ou de la Corne d’Afrique ont fait l’objet dans l’Union européenne montrent, à l’œuvre, la construction culturelle et raciale de la figure du réfugié acceptable.
Un regard porté sur l’histoire de l’Europe
Si l’on peut, à juste raison, s’indigner du traitement sélectif des personnes en situation d’exil, dans le débat public comme dans les politiques mises en œuvre par l’Union européenne et ses Etats membres, cette hospitalité à géométrie variable n’est pourtant pas tout à fait neuve. Un regard porté sur l’histoire contemporaine de l’Europe permet de mieux la comprendre, sans la justifier. Au XIXe siècle, les guerres civiles, insurrections et révolutions réprimées ont poussé des groupes forts de plusieurs dizaines de milliers de personnes à quitter leur pays. Sous la monarchie de Juillet (1830-1848), pour répondre à ce qui était alors vécu par la société française comme une «crise des réfugiés» avant la lettre, a été adoptée la toute première loi française sur les «étrangers réfugiés» – un texte court accompagné d’un lourd appareil réglementaire visant à déterminer qui pouvait ou non bénéficier de «secours». Ces aides financières alors octroyées par le ministère de l’Intérieur aux réfugiés étaient graduées selon leur statut social mais aussi selon leur appartenance nationale.
Ainsi, les Polonais de la «Grande Emigration», commencée après la terrible répression russe de la révolution de Varsovie en 1831, ont-ils été systématiquement privilégiés par rapport à d’autres groupes nationaux réfugiés en France, Italiens et Espagnols qui partageaient pourtant au seuil des années 1830 des mêmes convictions libérales. De la même manière, la société française a fait montre d’un incroyable enthousiasme lorsqu’il s’est agi d’accueillir les proscrits polonais, organisant pour ces «Français du Nord» des comités et des banquets, levant pour eux des sommes importantes par le biais de souscriptions relayées dans la presse.
Mais c’est assurément au tournant du XIXe et du XXe siècles que l’on observe une approche de plus en plus sélective et négative de l’accueil des «exilés» et des «émigrants» en Europe, pour reprendre le vocabulaire de l’époque. Les migrations des minorités juives issues des confins de l’Empire russe, frappées par les pogroms à partir de 1881, ont conduit certains grands pays d’accueil d’Europe de l’Ouest à interroger et à délimiter leur politique d’asile. En Grande-Bretagne, les exilés issus de l’Empire tsariste étaient de plus en plus considérés par l’opinion publique comme inassimilables car de confession juive, et l’on s’interrogeait sur les motifs réels de leur départ : s’agissait-il d’un véritable exil ou d’une migration économique déguisée ?
Les femmes en exil bénéficient d’un avantage
Si la proximité culturelle et linguistique ou l’appartenance religieuse sont des variables cruciales pour comprendre l’accueil – positif ou négatif – réservé aux exilés, à partir de la fin du XIXe siècle, d’autres considérations ont aussi commencé à entrer en ligne de compte. Les assignations raciales expliquent le caractère de plus en plus sélectif de l’accueil des exilés en Europe. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le traitement des «personnes déplacées» (displaced persons, DPs), une catégorie composite forgée par les Alliés pour rassembler tous les déracinés qui circulaient à travers le continent depuis la fin de la guerre, montre la puissance de ces préjugés. Certains groupes nationaux ont été avantagés au motif de leur «blanchité». Dans les camps de DPs de la zone d’occupation américaine, les Baltes, mis en valeur à ce titre, ont été plus aisément «réinstallés» dans des pays d’accueil que d’autres groupes nationaux. Parmi ceux qui rechignaient à rentrer dans leur patrie annexée par l’URSS, se trouvaient de nombreuses femmes, appréciées en Grande-Bretagne comme travailleuses.
En creux, cet exemple nous livre un autre précieux indice : dans l’histoire contemporaine de l’asile en Europe, les femmes en exil ont bénéficié d’un avantage par rapport aux hommes, une perspective de genre qui permet de mieux comprendre l’élan de solidarité envers les exilés ukrainiens. Les précédents historiques sont nombreux : au moment de la Retirada, dans la France de 1939, les hommes d’âge adulte ont été internés dans les «camps» formés en urgence sur les plages du Roussillon, tandis que les femmes, les enfants et les personnes âgées des deux sexes étaient transférés dans des «centres d’hébergement» aux conditions plus clémentes. Le temps présent nous éclaire aussi sur la dimension genrée de l’hospitalité ou de l’inhospitalité : depuis 2015, si les mouvements migratoires depuis le sud du bassin méditerranéen vers l’Union européenne ont fait l’objet de phénomènes de rejet, c’est aussi parce qu’ils ont été considérés comme trop menaçants car trop masculins, même si cette vision simpliste a été corrigée par les chercheurs en sciences sociales.
Analyser les prismes de l’accueil au regard de l’histoire ne changera sans doute rien, en pratique, aux biais des politiques européennes et des réactions de la société civile. Au moins cette réflexion sur la sélectivité de l’asile dans la longue durée permettra-t-elle de questionner ses critères mais aussi d’identifier les préjugés récurrents qui imprègnent le débat public face aux multiples défis de l’hospitalité.
Delphine Diaz est l’autrice de En exil. Les réfugiés en Europe, de la fin du XVIIIème à nos jours
Le collectif La Chapelle debout, qui vient en aide aux exilés à Paris, a décidé lundi d’occuper un bâtiment vide de la capitale pour héberger une centaine de personnes à la rue. À travers cette action, programmée dans l’entre-deux-tours, l’organisation veut créer un « rapport de force » avec les autorités.
Rue de la Grange-aux-Belles, dans le Xe arrondissement de Paris, une centaine d’exilé·es déboulent dans la petite salle du siège du syndicat Solidaires, à 12 h 45. Une partie d’entre eux viennent du Soudan, d’autres de Somalie, d’Éthiopie, d’Érythrée, de Mauritanie, de Djibouti, du Mali, du Tchad ou encore du Maroc.
Dans le lot, des réfugiés, des demandeurs et des demandeuses d’asile, des« dubliné·es » (que la France invite à demander l’asile dans le premier pays par lequel ils sont arrivés dans l’Union européenne), des primo-arrivants et des sans-papiers. Tous survivent à la rue depuis des mois, voire des années. « Ça fait un an et demi que je suis dehors », lâche Mzaffar, un jeune Soudanais.
Une vingtaine de membres du collectif La Chapelle debout, qui vient en aide aux personnes exilées à Paris depuis 2015, mais aussi de Solidarité Migrants Wilson, Paris d’exil, Dom’asile et de l’Intersquat Paris, sont présents ce lundi 18 avril pour accompagner l’action à venir. Cet après-midi, bénévoles et exilé·es s’apprêtent à occuper un bâtiment situé en plein cœur de Paris, vide depuis trois ans, pour obtenir une égalité de traitement pour le logement, le travail, les titres de séjour ou le regroupement familial.
Une action de « désobéissance civile » qui tombe à point nommé, à quelques jours du second tour d’une élection présidentielle sous tension, marquée par la guerre en Ukraine et les obsessions de certains candidats sur l’immigration.
« Toutes ces personnes, de différentes nationalités, ont constaté qu’il y avait un traitement spécifique réservé aux Ukrainiens en ce moment et ont eu le courage de s’organiser pour agir. En parallèle, il y a aussi des Français, de différentes organisations, qui ont choisi de se regrouper pour réclamer l’égalité des droits à leurs côtés », détaille un membre de La Chapelle debout. Les explications sont traduites en arabe et en anglais.
La règle : toujours rester groupés, ne jamais se disperser et risquer d’être à l’écart. Le collectif est en lien permanent avec des avocats et a listé le nom et la date de naissance de chacune des personnes exilées participant à l’action en cas d’ennuis avec les autorités.
Deux heures plus tard, le groupe s’extirpe discrètement de la bouche de métro Cadet (IXe arrondissement). À vive allure, il gagne la rue Saulnier, située à quelques mètres de là, puis s’infiltre dans l’immeuble du numéro 17, appartenant à la société d’assurance Sedgwick, sous le regard interloqué de certains passants. Tout doit aller très vite.
Certains bloquent les portes d’entrée, tandis que d’autres grimpent aux étages pour y aménager ce qui doit être leur futur lieu de vie. Le sol est déjà recouvert de matelas gonflables et de couvertures, mais aussi d’ustensiles de cuisine. Cinq minutes plus tard, plusieurs voitures de police sont là et un agent demande qui est le « porte-parole » afin de « négocier ».
Ils sont vite rejoints par des activistes d’Extinction Rebellion ou du Front uni des immigrations et des quartiers populaires (FUIQP). « El pueblo, unido, jamás será vencido ! », scande le petit groupe à l’intention des exilés qui observent, depuis les fenêtres, en hauteur, leur comité de soutien improvisé.
Un lieu devant permettre aux immigrés de s’organiser
Filimon, un Érythréen âgé de 32 ans, évoque une vie de « zigzag » depuis qu’il a quitté son pays en 2014, laissant derrière lui femme et enfant, à l’abri en Éthiopie. « Je suis passé par le Soudan, l’Égypte, la Libye. J’ai ensuite traversé la Méditerranée, gagné l’Italie puis la France », relate-t-il. Lui et ses amis dormaient un temps à Porte de la Chapelle, avant d’être « chassés par la police ». « Ils nous ont dit qu’on ne pouvait pas rester là. »
Filimon a obtenu le statut de réfugié. Après avoir été pris en charge, durant sa demande d’asile, dans un centre d’hébergement de l’association Aurore à Paris, il a dû quitter le foyer et dit s’être retrouvé à la rue. « Le problème qu’on a, c’est qu’on ne connaît pas la loi pour pouvoir se défendre. La vie à Paris est si difficile, je n’imaginais pas que ce serait comme ça. Tout ce qu’on demande, c’est l’égalité. Que tout le monde soit traité de la même façon », souligne-t-il.
Un voisin ajoute, contrarié : « Les personnes qui ont fui la Syrie ou l’Ukraine, on leur donne tout à leur arrivée en France. Nous aussi, on a quitté notre pays pour fuir les problèmes et les conflits. » C’est l’un des mots d’ordre de la lettre rédigée par La Chapelle debout : l’égalité de traitement pour tous les exilés, peu importe leur pays d’origine.
« Nous nous battons : pour des papiers, des visas et la nationalité française pour n’importe qui veut. Pour un logement digne pour toutes et tous, qu’on réquisitionne les vides et qu’on en construise de nouveaux. Ce sera l’égalité ou rien ! » Le projet, mûri depuis trois mois, est parti d’un coup de fil de plusieurs exilés, explique un membre du collectif, qui ont rapporté ne pas pouvoir dormir, sans cesse réveillés par la police la nuit.
« Un Tchadien, qui parle français, a répondu un jour lorsqu’un policier l’a insulté. Il s’est fait défoncer et avait le bras cassé le lendemain. »« À Juvisy, un centre de jour de l’association Aurore, qui accueillait des exilés subsahariens, est devenu un centre d’hébergement pour les Ukrainiens, explique une autre. Ce qu’on veut, c’est la liberté de circulation, des papiers et un logement pour tous. »
Le bâtiment occupé n’est en revanche qu’un « outil », une « condition matérielle » devant servir à créer une base d’organisation pour une centaine d’immigrés – pas plus, au risque de détériorer les conditions de vie sur place –, où pourraient naître de futures actions. Un lieu « ouvert sur l’extérieur », où des démarches administratives pourront être effectuées et des ateliers numériques proposés aux occupants. Rediat, 25 ans, a laissé son enfant de trois ans à La Chapelle, avec une personne de confiance.
« J’aimerais pouvoir ramener mon fils ce soir », confie-t-elle tout en jetant un œil depuis la fenêtre, les yeux entourés de khôl. Elle espère obtenir des papiers prochainement et pouvoir inscrire son fils à l’école : « Il faut qu’il grandisse en sécurité, qu’il ait une aide psychologique. Pour l’instant, j’attends encore une réponse pour l’asile », dit-elle, expliquant avoir été « dublinée », puis avoir réussi à passer en « procédure normale » avec l’aide d’un avocat.
Son mari les a laissés, elle et son fils, pour tenter seul la traversée vers l’Angleterre. « J’étais pendant un an dans un foyer à Bourg-en-Bresse. Mais c’était très loin de la ville, je devais prendre un bus et marcher ensuite trente minutes pour m’y rendre. » Une fois qu’elle est estampillée « dublinée », l’Office français de l’immigration et l’intégration lui « coupe tout ». Plus d’hébergement, plus d’allocation pour demandeur d’asile. « Je suis revenue à Paris avec mon bébé et j’ai vécu dehors. Depuis peu, une dame nous héberge de temps en temps chez elle. »
À ses côtés, deux Soudanais lâchent, dépités : « Le problème ici, c’est les papiers, la préfecture qui fait blocage. Ça fait six mois qu’on n’a ni logement, ni allocation, ni le droit de travailler. » Eux aussi ont été dublinés, l’un renvoyé en Italie, l’autre en Espagne.
« On est tous les deux revenus en France, parce que c’est ici qu’on veut vivre, qu’on a des attaches. C’est un État de droit, on veut l’égalité », concluent-ils. À 17 h 30, les membres de La Chapelle debout organisent une réunion pour rassurer les occupants. « Tout s’est bien passé, la police veut bien nous laisser rester en respectant certaines conditions. »
Puisque le second tour approche, le collectif entend « s’en saisir » pour revendiquer des droits. « Si le racisme est un danger, il faut être aux côtés des immigrés et résister. C’est aussi une manière de voter pour ceux qui ne le peuvent pas. On veut créer un rapport de force avec l’État », résume une membre qui préfère garder l’anonymat. En fin de journée, les bénévoles doivent calmer quelques tensions naissantes. L’électricité rétablie, il est temps d’organiser la préparation des repas avant la tombée de la nuit.
Le 10 avril 2022, Rémi Yang, pour le Poulpe, partenaire de Mediapart
Depuis qu’une cinquantaine d’exilés ont établi un camp sur une parcelle boisée à Ouistreham, dans le Calvados, les procédures d’expulsion à leur égard se succèdent. Du côté de Ports de Normandie, 11 000 euros de frais de justice ont déjà été dépensés.
Ouistreham (Calvados).– À l’extrême sud de Ouistreham (Calvados), le quai Charcot court le long du canal de Caen. Au bout de la voie, un chemin de halage longe le cours d’eau en face d’une parcelle boisée. Derrière les arbres, le terrain abrite un camp d’exilés soudanais. Ils sont plusieurs dizaines de jeunes hommes à s’être installés ici dès 2017, après le démantèlement de la « jungle de Calais ». Mais le camp vit dans l’angoisse perpétuelle de l’expulsion.
Le 25 juin 2021, le tribunal administratif a débouté le syndicat mixte Ports de Normandie, alors que sa demande était soutenue par la préfecture du Calvados.« Le préfet fait valoir [qu’il] est nécessaire de mettre fin à une situation de trouble à l’ordre public [et que] l’État mène des actions continues sur les lieux pour proposer des solutions d’hébergement », peut-on lire dans la décision de justice.
Dans ce même jugement, la juridiction estime que « cet espace boisé, alors même qu’il est situé dans les limites administratives du port de Caen-Ouistreham, n’apparaît manifestement pas relever du domaine public naturel maritime ou fluvial ». À la suite de ce revers, les Ports de Normandie ont annoncé leur intention de se tourner vers le tribunal judiciaire.
« Il n’y a aucun doute que c’est de l’acharnement, considère un administrateur de Ports de Normandie. Et cet acharnement a un coût. » Une dépense chiffrée à 11 000 euros par Hervé Morin, président du comité syndical de la structure, entre « les procédures judiciaires, avocats, huissiers, Conseil d’État ». La structure vit principalement de ses retours sur investissement et des subventions publiques de la région.
« Lorsqu’on pose des questions [en conseil syndical] sur la parcelle, à savoir s’il y a une nécessité de service, un projet ou un besoin d’extension particulier à cet endroit-là, on n’a absolument aucune réponse, déplore le membre du comité syndical, également conseiller régional. Pour voir les projets de Ports de Normandie sur Caen-Ouistreham, il n’y a aucun intérêt [à libérer la parcelle]. » Contacté, Ports de Normandie confirme qu’aucun projet n’est prévu sur ce terrain.
Aux côtés d’Hervé Morin, président de la région Normandie, siègent plusieurs représentants de collectivités : conseillers régionaux, départementaux (Calvados, Manche et Seine-Maritime) et représentants de collectivités territoriales. Ports de Normandie revendique d’être le « fruit d’une alliance entre la région Normandie, les départements du Calvados, de la Manche et de Seine-Maritime et les agglomérations de Caen la Mer, Le Cotentin et Dieppe Maritime ».
Pourtant, Nicolas Langlois, l’un des 14 vice-présidents de l’agglomération de Dieppe Maritime, membre du conseil syndical et par ailleurs maire PCF de Dieppe, affirme n’avoir pas connaissance du combat qui se livre devant les tribunaux pour la parcelle de Ouistreham. Contacté à ce sujet, il explique que « les choses qui ne concernent pas Dieppe ne [le] regardent pas », avant de renvoyer vers son attachée de presse. Le département du Calvados, quant à lui, se refuse à tout commentaire, estimant que l’affaire dépasse ses compétences.
Plusieurs lieux de vie expulsés
Outre la parcelle de terrain de Ouistreham,Ports de Normandie a également évacué deux maisons dont il a la propriété à Ranville, inoccupées depuis 2015, où les exilés avaient installé un lieu de vie depuis le 2 mai 2020. Pendant plus d’un an, le lieu a servi de point de repos aux habitants du campement. Ils s’y sont douchés, ont eu accès à l’eau potable, à l’électricité, de quoi cuisiner et y passer quelques nuits.
Le matin du 19 octobre 2021, à 8 heures, les maisons de Ranville ont été évacuées. « Dispositif des forces de l’ordre démesuré (plus de 50 agents) pour l’expulsion des squats de Ranville, situés aux 1 et 3 impasse Pegasus […]. Présence de la PAF (police aux frontières), de la gendarmerie nationale, du sous-préfet (chef de cabinet du préfet et responsable de la sécurité dans le département du Calvados), de l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration) et d’une association agréée de sécurité civile », listent dans un communiqué plusieurs collectifs de soutien aux migrants. Pour eux, l’expulsion était « d’autant plus injustifiée que le propriétaire des lieux (Syndicat mixte régional des ports normands) n’a à ce jour aucun projet imminent sur ces maisons ».
Le président du syndicat mixte souligne « le risque grave » de cette « occupation », les deux maisons étant « manifestement inadaptées pour accueillir des dizaines de personnes ».
Lors d’une réunion du comité syndical, un administrateur a interrogé cette décisionde vendre les maisons de Ranville, rappelant qu’elles sont inoccupées depuis 2015. Le PV d’assemblée note qu’« il lui est précisé que depuis la décision de déclassement des maisons en 2015, des travaux de réhabilitation ont été effectués dans les logements. Ces travaux désormais effectués, il convient de vendre rapidement pour éviter de nouveaux squats dans des locaux inadaptés à une occupation collective ».
« Il y a une volonté de mettre en œuvre des justifications a posteriori pour expulser, considère le conseiller régional membre du syndicat mixte. La vente des maisons, c’est un truc fait à l’arrache. »
Le jour de l’expulsion, « dix personnes ont été recensées », indique la préfecture du Calvados dans un communiqué. Toutes étaient demandeuses d’asile, à l’exception d’« une personne mineure […], réorientée vers les services d’aide sociale à l’enfance ».
La préfecture assume sa détermination « à mettre fin à ces occupations illicites et à procéder à l’évacuation des squats », justifiant une nouvelle fois son action par l’augmentation de « 36 % » de « l’offre d’hébergement d’urgence dans le Calvados » depuis 2016.
Un constat loin d’être partagé par l’avocat défendant les exilés : « La situation d’hébergement d’urgence s’est dégradée ces dernières années dans l’agglomération caennaise et à Ouistreham, contraignant de nombreuses personnes de nationalité étrangère à occuper des squats […] », peut-on lire dans ses conclusions.
« Alors, monsieur le préfet, comment est-il possible qu’une cinquantaine de jeunes vivent dans un campement sur les bords du canal de l’Orne sans aucun moyen de satisfaire leurs besoins fondamentaux, qu’ils dépendent des citoyen·nes, des collectifs et des associations pour survivre et qu’ils soient soumis à des expulsions régulières de leur lieu de vie ? », questionne La Cimade, association d’aide aux migrants et aux déplacés.
Après l’expulsion des exilés des maisons de Ranville, Ports de Normandie estime à 5 000 euros le nettoyage des maisons, imputant cette somme à l’occupation des lieux par les exilés. Du côté des associations de défense des exilés, Alain* a remarqué la présence d’un agent de sécurité posté « nuit et jour pendant deux mois » devant l’ancien squat.
Ports de Normandie confirme avoir mandaté un vigile, chiffrant la dépense à 1 800 euros par mois : « Si, depuis l’expulsion, nous les faisons gardienner, c’est parce que nous avons fait les travaux nécessaires et vendu ces logements à nos agents. La transaction est en cours. »
La municipalité de Ouistreham réclame des loyers
Le 22 janvier 2022, les associations de défense des migrants ont ouvert un nouveau lieu de vie dans une maison inoccupée depuis deux ans à Ouistreham, en face du canal de l’écluse. « Un petit escalier à l’extérieur conduit à la pièce de vie, où sont disposés des fauteuils et un canapé-lit. Sur deux étages, 25 couchages au total sont répartis sur des lits superposés, décrit Infomigrants. Une dizaine de personnes, emmitouflées dans des duvets, profitent ce jour-là du chauffage, des toilettes et des douches du lieu de vie. Quelques téléphones sont branchés ici et là dans les chambres. Dans la cuisine, les étagères sont fournies en pâtes, farine, thé et filtres à café. »
Une nouvelle fois, l’expulsion menace les exilés. Le 31 mars dernier, le tribunal judiciaire de Caen a rendu son avis sur la demande d’expulsion formulée par la mairie de Ouistreham. À l’heure de mettre en ligne cet article, notre rédaction n’a pas pu prendre connaissance du sens de cette décision de justice.
Dans la saisine au tribunal judiciaire, la municipalité avait pointé du doigt les risques de « troubles à l’ordre public » et rappelle avoir signé une convention pour transformer la maison en bureaux et les louer 500 euros par mois à la société Éoliennes Offshore du Calvados. La ville réclame notamment aux migrants le montant des loyers qu’elle aurait dû percevoir depuis janvier 2022.
Le maire de Ouistreham, Romain Bail, a déjà été condamné en septembre 2019 pour avoir verbalisé de manière abusive des bénévoles qui venaient en aide aux réfugiés sur le territoire de sa commune. En octobre, l’élu a annoncé avoir quitté Les Républicains pour rejoindre Horizons, le nouveau parti fondé par Édouard Philippe.
La statistique, si elle est exacte, ne permet pas d’étayer la supposée «préférence étrangère» dans le logement social dénoncée par le parti d’extrême droite.
Lors du débat de l’entre-deux tours, Marine Le Pen a rappelé sa volonté de mettre «en œuvre la priorité nationale au logement et à l’emploi», détaillant que «les Français ne seront pas exclusivement mais prioritairement bénéficiaires de l’accès aux logements sociaux». Un point central du programme du Rassemblement national faisant écho à la rhétorique d’une supposée «préférence étrangère», qui serait actuellement de mise en France. Le président du RN, Jordan Bardella, rappelle ainsi ce chiffre à longueur d’interviews (pas plus tard que le 18 avril dernier sur LCI, face à Olivier Véran) : un tiers des immigrés occupent des logements sociaux ou HLM.
Ce chiffre n’est pas faux. Mais il ne suffit pas, en soi, à démontrer une «préférence étrangère» dans le logement social. D’abord parce qu’un ménage immigré ne peut être confondu avec un ménage « étranger » : sur les 7 millions d’immigrés que compte la France en 2021, 36 % sont en effet de nationalité française..
On retrouve le pourcentage cité par Marine Le Pen dans une fiche du ministère de l’intérieur intitulée «L’essentiel de l’immigration, données de cadrage» publiée en 2020 par le département des statistiques, des études et de la documentation. On peut y lire que 31 % des ménages immigrés sont locataires HLM en 2017, contre 13 % des ménages non immigrés. A l’inverse, 36 % des ménages immigrés sont propriétaires, contre 60 % des ménages non immigrés.
Le ministère de l’Intérieur lui-même indique que cette proportion n’est en rien liée à une «préférence étrangère» (sic), puisqu’elle s’explique essentiellement par les revenus et la taille des ménages. On lit ainsi dans le document : «La surreprésentation des immigrés dans les logements HLM peut être liée à leurs plus faibles revenus, mais aussi à la plus grande taille de leur ménage.»
On peut aussi, pour être complet, rapporter ce pourcentage aux données en valeur absolue. Nos confrères de France Inter ont opéré ce calcul sur la base de chiffres de 2013, établis dans une précédente étude de l’Insee sur le logement et les ménages. A l’époque, la répartition locataires /propriétaires entre ménages immigrés et non immigrés était sensiblement la même, à savoir que 34 % des ménages immigrés étaient locataires d’un HLM, contre 15 % des ménages non immigrés.
Le document indiquait alors qu’en 2013, selon l’enquête logement, il y avait en France métropolitaine «2,7 millions de ménages immigrés et 25,3 millions de ménages non immigrés». Cela signifie que cette année-là, environ 918 000 ménages immigrés étaient locataires d’un HLM (34 % de 2,7 millions) contre un peu moins de 3,8 millions de ménages non immigrés. Pour le dire autrement, 20 % des logements sociaux étaient occupés par des «ménages immigrés». Une proportion qui diminue si on se focalise sur les seuls étrangers. En 2013, selon les données de l’Insee, les étrangers représentaient 12 % des locataires du secteur social.
Il y a cinq ans, CheckNews avait enquêté sur le fantasme de cette «préférence étrangère» dans le logement social, déjà brandi par la candidate Marine Le Pen, en comparant, selon la nationalité des demandeurs, les demandes de logement social émises, et les demandes satisfaites.