Rapport sur le droit d’asile en rétention

Le rapport Le droit d’asile en rétention : l’analyse d’une chimère vient de sortir.

Il a été réalisé dans le cadre du partenariat 2017-2018 entre La Cimade et le programme Migrations de la Clinique de l’École de droit de Sciences Po, avec notamment le concours de l’équipe salariée de La Cimade au centre de rétention du Mesnil-Amelot.

 Pour cette deuxième année de partenariat entre les deux institutions, les étudiant·e·s, Marcela Delgado, Sonia Liang et Pierre Rabourdin, également bénévoles pour La Cimade, ont étudié le droit d’asile en rétention. Leurs travaux de terrain et de recherche, issus d’observations et d’entretiens menés dans le centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne), ont permis une analyse précise des conditions d’exercice du droit d’asile dans ce lieu d’enfermement.

Alors que le droit d’asile devrait prévaloir sur les politiques d’expulsion, la politique migratoire actuelle dans les centres de rétention semble renverser ce principe. Entre procédure complexe, analyse des textes et de la jurisprudence, ce rapport révèle les tensions entre l’exercice d’un droit fondamental, celui de solliciter une protection internationale, et la volonté politique du gouvernement de poursuivre les expulsions.

 

Le rapport est à télécharger sur le site de la Cimade, dans les publications partenaires.

Une table ronde accompagnera la sortie du rapport, le 26 juin, à Sciences Po Paris (Þ agenda)

 

Voix du Nord // Droit des étrangers: face à l’afflux de migrants, comment concilier justice et humanité?

http://www.lavoixdunord.fr/391644/article/2018-06-06/droit-des-etrangers-face-l-afflux-de-migrants-comment-concilier-justice-et

La justice lilloise subit de plein fouet la crise des migrants. L’Europe attire des jeunes gens prêts à prendre tous les risques pour un avenir meilleur. Avant, souvent, d’échouer face à des magistrats de plus en plus sollicités. Au moment où Emmanuel Macron durcit la loi, ambiance et décryptage.

Lakhdar Belaïd | 06/06/201814h00

Les juges des libertés et de la détention et le tribunal administratif sont saisis par des étrangers, souvent retenus au centre de rétention administrative de Lesquin, et voulant retrouver la liberté ou faire annuler des obligations de quitter le territoire.

Un lieu très particulier au sein du palais de justice. Une salle où, souvent, les personnes présentées au magistrat ne sont coupables que d’avoir cherché à échapper à la guerre, à la misère. Voire aux deux. Le matin, souvent, très souvent, les juges des libertés et de la détention (JLD) du tribunal de grande instance de Lille doivent traiter jusqu’à quinze, vingt, voire davantage, dossiers de migrants.

Des juges très sollicités

 

Les JLD sont chargés, en outre, des prolongations de garde à vue ou de détention provisoire pour les affaires correctionnelles et criminelles, des autorisations d’écoutes téléphoniques ou de géolocalisation ou encore du contentieux des hospitalisations d’office. Depuis novembre 2016, leur champ d’action a été étendu à la contestation des placements en rétention administrative des étrangers et leurs prolongations, qui étaient auparavant de la compétence du tribunal administratif. Ce dernier ne demeure pas en reste. Les sans-papiers le saisissent notamment pour tenter d’invalider les Obligations de quitter le territoire français (OQTF) pouvant les viser.

Une salle qui ne désemplit pas

Depuis novembre 2016, la principale salle d’audience des JLD du tribunal de grande instance ne désemplit plus. Un sentiment de mythe de Sisyphe où, tous les jours, des représentants préfectoraux demandent la prolongation de rétention pour des sans-papiers interpellés par la police, le temps de pouvoir les éloigner du territoire français. Les étrangers, souvent assistés par des avocats et par l’association Ordre de Malte, contestent, eux, leur placement au centre de rétention administrative de Lesquin. «  L’Ordre de Malte soulève des moyens (motifs) d’annulation, explique Olivier Cardon, avocat spécialisé dans le droit des étrangers. Le JLD, lui, doit motiver ses décisions.  » Le tout dans des délais très courts.

Au sein de cette mini-tour de Babel, les souffrances se décrivent en arabe, en farsi, en afghan ou en érythréen.

Malgré ces parcours du combattant rigoureux sur l’application des lois, le ton des débats « étrangers » est rarement comparable à celui des audiences correctionnelles voisines. Ici, les prises de bec entre justiciables et magistrats sont rares. Dans le public, se côtoient militants associatifs, amis régularisés ou relations familiales. Au sein de cette mini-tour de Babel, les souffrances se décrivent en arabe, en farsi, en afghan ou en érythréen. Comme dans les autres enceintes de justice, on applique la loi. Certains étrangers repartiront libres, profitant de failles juridiques dans leur dossier. Quant aux autres…

Des chiffres éloquents

Entre 2016 et 2017, le contentieux « étrangers » a augmenté de 53 % au tribunal de grande instance de Lille. En 2017, 2 194 dossiers concernant des rétentions administratives ont été traités. Contre 1 438 affaires jugées en 2016.

De son côté, le tribunal administratif est également fortement sollicité. Cette juridiction peut également être sollicitée par des « Dublinés » (lire ci-dessous). Elle est également chargée de la contestation des Obligations de quitter le territoire français (OQTF).

En 2010, le tribunal administratif de Lille a traité 1 936 dossiers « étrangers ». Ce contentieux représentait 26 % de son activité. En 2017, il a fallu en gérer 4 901. Le contentieux des étrangers y représente maintenant 44 % des affaires totales. Et ce après le transfert aux juges des libertés et de la détention du traitement de la contestation de la rétention administrative.

De plus en plus de « Dublinés » en rétention

Abbas Adjar est le parfait exemple du « Dubliné ». Cet Érythréen de bientôt 40 ans est arrivé en Europe par l’Italie, où il a dû laisser ses empreintes digitales. Auparavant, il a connu des magistrats allemands et norvégiens. En vertu du règlement européen dit « Dublin III », Abbas Adjar aurait dû voir sa demande d’asile être traitée en Italie. C’est ce qu’ont considéré l’Allemagne et la Norvège, où l’Érythréen a visiblement deux enfants. Le voici devant un juge des libertés et de la détention (JLD) lillois. «  Vous avez essayé l’Allemagne, la Norvège et la France, lui explique le plus doucement possible le juge Ludovic Dupré. L’Europe dit que votre place est en Italie. La procédure est régulière.  » Abbas Adjar sera donc maintenu en rétention, le temps d’être renvoyé.

«  Depuis le 15 mars, la loi autorise la rétention des «Dublinés», dénonce l’avocat Olivier Cardon. En septembre 2016, la Cour de Cassation l’avait stoppée. Et des textes pouvaient favoriser les assignations à résidence avec pointage.  » Pour ce spécialiste du droit des étrangers, la charge des magistrats lillois est due à une préfecture qui «  n’arrête pas  » d’interpeller des migrants. À ses yeux, concernant les rétentions de « Dublinés », «  ça va tomber !  » Le barreau de Lille compte une commission totalement consacrée au droit des étrangers.

Le nouveau projet de loi arrive au Sénat

À partir du 19 juin, le Sénat examinera le projet de loi Asile et Immigration défendu par Gérard Collomb, le ministre de l’Intérieur. Ce texte prévoit notamment de faire passer de 45 à 90 jours la durée maximale de rétention administrative d’un étranger. Le délai accordé à un JLD pour rendre une décision passerait, lui, de 24 à 48 heures

Soutien aux associations hongroises de défense des personnes étrangères

1er juin 2018

 

Soutenons les associations hongroises de défense des droits de l’Homme et des personnes étrangères, soutenons la démocratie en Europe

 

La victoire du Fidesz et de son leader, Viktor Orban, aux élections législatives hongroises du mois d’avril 2018, ouvre une nouvelle page noire pour les associations hongroises. Les menaces dont elles font l’objet de la part du gouvernement depuis plusieurs mois et la publication dans un journal proche du Premier ministre d’une liste de 200 militants et membres d’associations qualifiés de « mercenaires de Soros » ont pour objectif de créer un climat de peur et de faire taire les associations. L’adoption annoncée d’une loi intitulée « Stop Soros » vise plus particulièrement, dans sa version dévoilée le 29 mai, les associations de défense des personnes migrantes et réfugiées. Elle introduit des sanctions pénales, allant jusqu’à des peines d’emprisonnement, pour « aide à l’immigration illégale ». Seront ainsi pénalisées des activités telles qu’aider une personne à déposer une demande d’asile, distribuer des supports d’information sur la procédure d’asile ou d’organiser des réseaux (y compris d’avocats spécialisés). Cette loi, qui s’inscrit dans la continuité d’une première législation de juin 2017, constitue une attaque sans précédent dans l’Union européenne contre la liberté d’association, le pluralisme et la liberté d’expression.

Les associations françaises sont extrêmement préoccupées pour l’avenir de leurs collègues hongrois du Comité Helsinki de Hongrie, d’Amnesty International et des autres organisations non gouvernementales qui œuvrent sur le terrain pour la défense des droits de l’Homme et de la démocratie. Elles souhaitent exprimer leur soutien et leur solidarité avec les associations hongroises dont elles connaissent, à travers les nombreux réseaux européens, l’engagement et le professionnalisme. Ces associations mènent un travail de terrain quotidien pour soutenir les personnes étrangères en Hongrie et aux frontières, alors que plusieurs lois répressives ont été adoptées, permettant les refoulements vers la Serbie et la détention automatique des demandeurs d’asile.

S’attaquer à la liberté d’association, c’est s’attaquer à un des fondements de l’Europe. Les associations sont des acteurs majeurs de la démocratie. Elles sont garantes du respect des droits de l’homme, du pluralisme et de la citoyenneté. Lors de son discours devant le Parlement européen le 17 avril 2018, le président de la République française a rappelé son engagement pour la démocratie et contre les populismes. Cependant, aucune parole forte de la France n’est venue condamner les attaques contre les associations hongroises, alors que des pays comme les États-Unis, le Canada et la Suède leur ont exprimé leur soutien.

Par conséquent, les associations françaises demandent aux autorités françaises de donner tout son sens au discours du président de la République en utilisant les moyens à sa disposition pour condamner la politique du gouvernement Orban et apporter un soutien aux associations hongroises. Parmi ces moyens, figurent le soutien à la proposition de la Commission européenne de lier, dans la programmation financière 2021-2027, l’octroi des crédits européens à une conditionnalité liée au respect de l’état de droit, mais aussi l’activation des dispositions du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne sanctionnant la violation de l’état de droit. En effet, on ne peut pas appartenir à une union politique et bénéficier de la solidarité financière de ses membres sans partager et respecter pleinement l’état de droit, les droits de l’Homme et la démocratie.

 

SIGNATAIRES :

 

Thierry Le Roy, Président et Pierre Henry, Directeur général – France terre d’asile

Malik Salemkour, Président – Ligue des Droits de l’Homme

Geneviève Jacques, Présidente et Jean-Claude Mas, Secrétaire général – la Cimade

Dominique Sopo, Président – SOS Racisme

Marc Noailly, Président et  Jean-François Ploquin, Directeur général – Forum réfugiés-Cosi

Patrick Baudoin et Michel Tubiana, Présidents d’honneur – FIDH

Emmanuel Blanchard, Président – Migreurop

 

 

CONTACT PRESSE :

 

FRANCE TERRE D’ASILE

Danya BOUKRY

dboukry@france-terre-asile.org

01 53 04 39 93

 

attention, ne parlons pas de faits de violences à calais …

Le préfet du Pas-de-Calais menace de poursuivre en justice une bénévole pro-migrants qui accuse des CRS

Le 26 avril, Mathilde Robert a dénoncé certaines pratiques des CRS, comme le fait de jeter des affaires des réfugiés dans une mare. Le préfet conteste la véracité des faits.

Des CRS qui « déversent des seaux d’eau » dans les tentes des migrants et « jettent » leurs affaires dans une « mare attenante ». C’est ce qu’a dénoncé dans un tweet, le 26 avril, Mathilde Robert, étudiante avocate diplômée à l’automne 2017 et depuis bénévole au sein de L’Auberge des migrants, une association qui apporte aide matérielle et alimentaire aux réfugiés dans la région de Calais (Pas-de-Calais).

Sur le moment, la préfecture du Pas-de-Calais n’a pas réagi. Mais un mois plus tard, mercredi 30 mai, elle a adressé une lettre à la jeune femme, diffusée sur Twitter. « J’ai demandé au directeur départemental de la sécurité publique du Pas-de-Calais de réaliser une enquête interne », écrit le préfet. « Il ressort de cette enquête que les services de police n’ont mené aucune opération selon les modalités que vous décrivez », poursuit Fabien Sudry dans ce courrier.

« Soucieux de rétablir la vérité, je vous demande de porter à ma connaissance et à celle du procureur de la République les éléments de preuve à l’appui de vos déclarations », indique le préfet. Il estime que ces « écrits » présentent « un caractère diffamatoire à l’encontre des forces de l’ordre » et se « réserve la possibilité » de lancer des poursuites.

« Les gens sur place m’ont raconté »

Contactée par franceinfo, samedi 2 juin, Mathilde Robert se dit « choquée ». A sa connaissance, c’est la première fois que le préfet menace de poursuivre un militant pour un tweet. Elle n’a pas assisté aux agissements qu’elle impute aux CRS le 25 avril aux alentours de 19 heures, mais elle s’est rendue sur le campement en question plus tard dans la soirée, dans le cadre d’une maraude nocturne quotidienne. « Les gens sur place m’ont raconté ce qui s’est passé », assure-t-elle.

Une salariée de L’Auberge des migrants a consigné l’incident dans un rapport, après avoir recueilli les témoignages de deux migrants. Quatre CRS « ont entrepris de briser les armatures de la tente avec leurs mains ainsi qu’en donnant des coups de pieds dans celles-ci. Les fonctionnaires de police ont ensuite (…) ramassé un jerrycan d’eau potable de 15 litres (…) et ont jeté le contenu du jerrycan à l’intérieur de la tente, sur les duvets et couvertures, ainsi que sur les personnes installées à l’intérieur », affirme ce document, que franceinfo a consulté.

Toujours selon ce récit, contesté donc par la préfecture, les agents auraient répété la même opération sur une autre tente, puis jeté des chaussures et une tente dans une des mares de la zone.

Des photos à l’appui

Arrivée sur place une heure plus tard, une volontaire d’Utopia 56, autre association d’aide aux migrants, a pris des photos. Mathilde Robert a diffusé ces clichés sur son compte Twitter samedi. Elle a également rédigé une saisine au Défenseur des droits sur ces faits.

De son côté, la préfecture, contactée par franceinfo samedi, ne sait pas encore si elle va déposer plainte : « On s’en tient à ce courrier pour l’instant. »

Communiqué sur l’affaire Martine Landry: le parquet requiert la relaxe

http://www.anafe.org/spip.php?article474

La décision sera rendue le 13 juillet 2018

[Communiqué de presse AIF / Anafé]

Mercredi 30 mai 2018

Le tribunal correctionnel de Nice a mis son jugement en délibéré dans l’affaire des poursuites engagées à l’encontre de Martine Landry, pour ‘délit de solidarité’. Suite à l’audience qui s’est tenue aujourd’hui, le parquet a requis la relaxe de Martine. La décision sera rendue le 13 juillet 2018.

Amnesty International France (AIF) et l’Anafé (Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers) réitèrent leur soutien à leur militante.

« Cette décision est très attendue à l’heure où nous sommes régulièrement alertés par des citoyens et des organisations sur les entraves que les autorités françaises mettent à leurs actions d’aide humanitaire et de défense de droits des personnes migrantes et réfugiées. De Calais, de Briançon ou de Gap – où trois personnes seront jugées demain pour « aide à l’entrée irrégulière » – certains témoignent d’entreprises délibérées de dissuasion mises en place par l’Etat français pour freiner ou leur faire abandonner leurs actions », souligne Laure Palun, Coordinatrice associative de l’Anafé.

« Même avec les modifications apportées par l’Assemblée nationale à l’occasion de l’examen du projet de loi ‘asile- immigration’ la législation française souffre d’imperfections et le ‘délit de solidarité’ subsiste. Des poursuites injustes comme celles qui visent Martine Landry continueront d’être possibles si la loi est adoptée en ces termes », déclare Jean-François Dubost, Responsable du programme Protection des populations d’AIF.

Pourtant, le protocole de Palerme, ratifié en 2002 par la France, exclut que des actions pénales soient engagées à l’encontre de personnes ou d’organismes qui apportent une aide à des migrants en situation irrégulière, sans rechercher aucun avantage financier ni matériel, qu’il s’agisse de l’entrée ou du séjour de personnes sur le territoire d’un Etat. Ce protocole, par l’effet de la Constitution française, a une autorité supérieure à la loi.

« La France doit se conformer à ses engagements et s’aligner sur le droit international en cessant de criminaliser l’action de personnes ou d’associations qui viennent en aide à des personnes migrantes ou réfugiées, dès lors que cette aide ne donne lieu à aucun avantage financier ou matériel », rappelle Jean-François Dubost.

« L’examen par le Sénat du projet de loi doit être l’occasion de supprimer le ‘délit de solidarité’ afin de rendre impossible les poursuites pénales à l’encontre de personnes dont l’aide à l’entrée ou au séjour n’a été motivée que par un élan d’humanité », précise Laure Palun.

Dans l’attente de ce jugement, les deux organisations demandent aux autorités de mettre un terme à toutes les poursuites judiciaires relevant de cette situation. AIF et l’Anafé seront présentes aux côtés de Martine le 13 juillet à Nice.

INFORMATIONS COMPLEMENTAIRES

Martine Landry est membre d’Amnesty International depuis 2002. Elle est la référente régionale Provence-Alpes-Côte d’Azur sur la question des réfugiés et migrants depuis 2011 et est chargée d’une mission d’observation en zone d’attente pour AIF. En parallèle, elle conseille les demandeurs d’asile et les accompagne dans l’accès à leurs droits, missions pour lesquelles elle a bénéficié de plusieurs formations. Martine Landry travaille avec l’Anafé depuis 2011 et en est membre depuis 2017. Dans ce cadre, elle participe activement à la mission d’observation à la frontière franco-italienne.

Il lui est reproché d’avoir « facilité l’entrée de deux mineurs étrangers en situation irrégulière ». Elle risque jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende.

Résumé des faits

Le 28 juillet 2017, la police italienne a renvoyé, à pied, deux mineurs isolés étrangers vers la France.

Martine Landry les a « récupérés » du côté français de la frontière Menton/Vintimille, au panneau « France » plus exactement, pour les accompagner à la police aux frontières (PAF), munie des documents attestant de leur demande de prise en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE). Les deux mineurs, tous deux âgés de 15 ans et d’origine guinéenne, ont par la suite été pris en charge par l’ASE.

Le 31 juillet, Martine Landry s’est rendue à la PAF de Menton suite à l’interpellation et au transfert de onze migrants. Ce jour-là, elle se voit remettre une convocation pour une audition le 2 août. Le lendemain, Martine Landry reçoit une convocation du tribunal correctionnel de Nice. Elle devait être jugée le 8 janvier pour « avoir facilité l’entrée de deux mineurs étrangers en situation irrégulière […], en ayant pris en charge et convoyé pédestrement ces deux mineurs du poste frontière côté Italie au poste frontière côté France ». Son audience a été renvoyée à trois reprises : le 14 février, le 11 avril et enfin, le 30 mai 2018.

Droit international applicable

Le 29 octobre 2002, la France a ratifié le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, mer et air, additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée. Ce texte définit le trafic illicite de migrants comme « le fait d’assurer, afin d’en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel, l’entrée illégale dans un État […] d’une personne qui n’est ni un ressortissant ni un résident permanent de cet État ». En posant la condition d’en retirer un avantage financier ou un autre avantage matériel, les auteurs de ce texte ont clairement voulu exclure les activités des personnes apportant une aide aux migrants pour des motifs humanitaires ou en raison de liens familiaux étroits. L’intention n’était pas, dans le Protocole, d’incriminer les activités de membres des familles ou de groupes de soutien tels que les organisations religieuses ou non gouvernementales. Cette intention est confirmée par les travaux préparatoires des négociations en vue de l’élaboration de la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée et des protocoles s’y rapportant (2008), p. 514 – (Office des Nations unies contre la drogue et le crime, Travaux préparatoires).

« Le délit de solidarité » dans le projet de loi asile et immigration

Lors de l’examen à l’Assemblée nationale du projet de loi, la question du « délit de solidarité » été débattue alors même qu’il n’y avait rien dans le projet initial du gouvernement.

La mobilisation de la société civile a permis une prise de conscience des députés sur les situations auxquelles sont confrontées les personnes solidaires des migrants qui sont poursuivies.

Pourtant, la rédaction de l’amendement du gouvernement adopté par l’Assemblée n’apporte pas de modification suffisante par rapport à la situation actuelle. La liste des immunités et les conditions requises pour ne pas être poursuivi feront toujours courir un risque aux militants, citoyens et organisations qui agissent pour le respect des droits humains. Enfin, ces exceptions ne concernent que le séjour et la circulation et non l’entrée sur le territoire.

Ainsi, les actions des personnes, comme Martine Landry, qui viennent en aide à des personnes à la frontière, ne seront pas concernées.

Cependant, rien n’est encore acté car le projet de loi sera, à partir de juin, entre les mains des sénateurs. AIF et l’Anafé appellent donc les sénateurs à abroger le « délit de solidarité » afin de mettre un terme à toute poursuite judiciaire relevant de situations similaires.

Enquête d’Amnesty International à la frontière franco-italienne « Des contrôles aux frontières du droit » : https://www.amnesty.fr/refugies-et-migrants/actualites/frontiere-franco-italienne-des-controles-aux-frontieres

Note de l’Anafé sur le « rétablissement des contrôles aux frontières internes et état d’urgence – Conséquences en zone d’attente » : http://www.anafe.org/spip.php?article412

Amnesty International France

Créée en 1961, Amnesty International est un mouvement mondial et indépendant de plus de 7 millions de membres et sympathisants qui œuvrent pour le respect, la défense et la promotion de tous les droits inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Amnesty International a reçu le prix Nobel de la paix en 1977. Amnesty International France (AIF) a été créée en 1971. Son financement repose sur la générosité du public (200 000 donateurs), sur les ventes de produits de soutien et les cotisations de ses 75 000 membres. AIF est agréée par le Comité de la charte du don en confiance.

www.amnesty.fr – @amnestypresse – Agir – Faire un don

Anafé (Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers)

Depuis 1989, l’Anafé (Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers) agit en faveur des droits des étrangers se présentant aux frontières françaises et européennes et dénonce les violations des droits des personnes maintenues en zones d’attente résultant des pratiques de maintien et de refoulement aux frontières. Les actions de l’Anafé sont financées notamment grâce à des subventions de fondations privées ou onusiennes, des cotisations de ses membres et des dons.

www.anafe.org – contact@anafe.org – Agir avec l’Anafé – Faire un don

Tribune dans le monde contre l’incrimination des aidant.e.s

« Nous avons aidé, nous aidons et aiderons toute personne migrante dans le besoin »

Un collectif, dont font partie Benoît Hamon, Cédric Herrou, J.M.G. Le Clézio ou François Morel, dénonce dans une tribune le procès intenté à trois personnes qui se sont montrées solidaires de migrants.

LE MONDE | 30.05.2018

Tribune. Le samedi 21 avril, quelques dizaines de militants du mouvement extrémiste Génération identitaire se retrouvent au col de l’Echelle, dans les Alpes, avec pour objectif de bloquer l’arrivée des personnes migrantes et de les renvoyer vers l’Italie, quitte à les mettre en danger. Ils déploient des banderoles haineuses et matérialisent symboliquement la frontière avec une barrière de chantier. Ils s’instaurent en milice, dont les slogans et motivations sont clairement racistes.

Nous rappelons que les provocations publiques à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale constituent un délit (art. 24, alinéa 6, loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse) punissable d’un an d’emprisonnement et/ou d’une amende de 45 000 euros au plus. Les forces de l’ordre ne sont pas intervenues pour mettre fin à cette action, la considérant donc, implicitement, comme tout à fait légale. Le ministre de l’intérieur lui-même a d’ailleurs minoré ces faits en les qualifiant de « gesticulations ».

En réaction à cela, plus de 160 personnes solidaires ont lancé un cortège spontané pour passer la frontière avec des personnes migrantes. Contrairement aux identitaires, les solidaires se sont heurtés à un cordon de gendarmes, qui ont finalement laissé la manifestation avoir lieu.

Lire aussi : Militants identitaires dans les Alpes : les autorités dénoncent « une opération de communication »

Quelques heures plus tard, alors que le cortège était terminé depuis longtemps, trois jeunes gens qui en faisaient partie, Bastien et Théo, deux Suisses, et Eleonora, une Italienne, ont été arrêtés et placés en garde à vue. Ils sont restés en détention provisoire à la maison d’arrêt des Baumettes à Marseille pendant neuf jours avant d’être libérés le 3 mai. Leur procès a été fixé à la date du 31 mai.

Poursuivis pour « aide à l’entrée de personnes en situation irrégulière en bande organisée », ils encourent une peine allant jusqu’à dix ans de prison et 750 000 euros d’amende, assortie d’une interdiction de pénétrer sur le territoire français. Bastien, Théo et Eleonora s’ajoutent à la longue liste de ceux que les médias ont appelés « délinquants solidaires » : Pierre-Alain, Francesca, René, Dan, Sylvain, Françoise, Raphaël, Martine, Cédric… Tous condamnés selon les articles L.622-1 et L.622-4 du Ceseda (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile), communément appelé le « délit de solidarité ».

Cet article a d’ailleurs été légèrement modifié par l’Assemblée nationale française le lendemain des faits relatés ci-dessus, lors de l’adoption du controversé projet de loi « asile et immigration » en première lecture. L’aide à la circulation ou au séjour irrégulier pourrait ne plus donner lieu à des poursuites pénales si « l’acte reproché a consisté à fournir des conseils et de l’accompagnement, […] des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci, ou bien tout transport directement lié à l’une de ces exceptions, sauf si l’acte a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte ou a été accompli dans un but lucratif ».
Fraternité illégale

Force est de constater que la preuve repose sur le simple citoyen et non pas sur le parquet, et que la notion de « contrepartie directe ou indirecte » est suffisamment floue pour permettre des poursuites pénales, alors que l’action n’est dictée que par le seul souci d’humanité et mue par la mise en œuvre de la fraternité, devise de la République. Rappelons par exemple que la cour d’appel d’Aix-en-Provence a reproché à Cédric Herrou une « contrepartie militante ». C’est pourquoi cette modification est inutile, et hypocrite.

CES CITOYENS SONT POURSUIVIS POUR AIDE À L’ENTRÉE, AU SÉJOUR ET À LA CIRCULATION DE PERSONNES EN « SITUATION IRRÉGULIÈRE », TERMES D’UNE FROIDEUR DÉSHUMANISANTE

Nous rappelons que la demande d’asile à la frontière est un droit fondamental très souvent bafoué par l’Etat français, créant des situations complexes, avec des personnes qui n’ont effectivement pas accès à leurs droits et qui sont considérées « en situation irrégulière ». Des citoyens se trouvent confrontés à cette réalité, décident de les aider, et réagissent pour beaucoup impulsivement.

Ils sont poursuivis pour aide à l’entrée, au séjour et à la circulation de personnes en « situation irrégulière », termes d’une froideur déshumanisante qui invitent à considérer les personnes migrantes dépossédées de leurs droits comme des sous-hommes… Avant d’agir pour assurer la dignité de la personne en face de soi, il faudrait l’interroger sur sa situation administrative, alors même que ce contrôle ne relève pas du citoyen.

Lire aussi : Entre l’Italie et la France, la frontière de tous les dangers

Aussi, s’il devient dangereux, illégal, d’aider ces « sous-hommes », alors que devient notre devise républicaine, et que deviennent nos valeurs d’égalité et de fraternité ? Nous, citoyens de la République française, déclarons que nous avons déjà aidé, que nous aidons actuellement, et que nous aiderons à l’avenir toute personne migrante dans le besoin, même en situation irrégulière, au nom des valeurs d’égalité et de fraternité inscrites dans notre devise nationale, qui est le socle de notre République.
Liste complète des signataires

1 Cédric Herrou, Président de DTC – Défends ta citoyenneté
2 Agnès Jaoui Cinéaste, Comédienne
3 Alice de Poncheville Scenariste, Ecrivaine
4 Alice Diop Cinéaste
5 Anne Vellay Médecin
6 Annie Ernaux Ecrivaine
7 Arié Mandelbaum Peintre
8 Arno Bertina Ecrivain
9 Audrey Estrogou Cinéaste
10 Benoit Hamon Homme politique
11 Bernard Pagès Sculpteur
12 Bertrand Tavernier Cinéaste
13 Bevinda Chanteuse
14 Bruno Caliciuri (CALI) Chanteur
15 Bruno Sol Acteur
16 Médecins du Monde
17 Carmen Castillo Ecrivaine, cinéaste
18 Catherine Corsini Cinéaste
19 Catherine Withol de Wenden Chercheuse au CNRS
20 Celhia de Lavarène Journaliste
21 Céline Chapdaniel Productrice
22 Christian Guémy (C215) Street artiste
23 Christian Olivier (Têtes Raides) Chanteur
24 Christophe Ruggia Cinéaste
25 Claire Simon Cinéaste
26 Colin Lemoine Historien de l’art
27 Costa-Gavras Cinéaste
28 Cyril Celestin (Guizmo du groupe Tryo) Chanteur
29 Didier Bezace Acteur, metteur en scène
30 Didier Super Humoriste, chanteur
31 Dominique Cabrera Cinéaste
32 Edmond Baudoin Auteur et dessinateur de BD
33 Eliette Abecassis Femme de lettres, scénariste
34 Elisabeth Perceval Cinéaste
35 Emmanuel Finkiel Cinéaste
36 Eric Bellion Navigateur
37 Eric Fassin Sociologue
38 Erick Zonca Cinéaste
39 Ernest Pignon Ernest Artiste plasticien
40 Etienne Balibar Philosophe
41 Farida Rahouadj Actrice
42 François Flahault Directeur de recherche émérite au CNRS
43 François Gèze Éditeur
44 François Morel Cinéaste
45 Françoise Vergès Politologue
46 Fred Vargas Ecrivaine
47 Frédéric Lordon Économiste
48 Geneviève Brisac Ecrivaine
49 Geneviève Garrigos Ancienne présidente d’Amnesty international
50 Gérard Krawczyk Cinéaste
51 Gérard Mordillat Romancier et cinéaste
52 Gilles Perret Documentariste
53 Guillaume Meurice Humoriste et chroniqueur radio
54 Guy Baudon Documentariste
55 Henri Leclerc Avocat
56 Imhotep du groupe IAM Compositeur
57 Ingrid Metton Avocate
58 Ingrid Thobois Écrivaine
59 Jalil Lespert Acteur
60 Jean-Michel Ribes Comédien
61 JMG Le Clezio Ecrivain
62 Jonathan Zaccai Réalisateur
63 José Bové Député européen
64 Joseph Beauregard Auteur, documentariste
65 Josiane Balasko Comédienne, cinéaste
66 Juliette Binoche Comédienne
67 Juliette Kahane Ecrivaine
68 Kaddour Hadadi (HK) Chanteur

69 Kéthévane Davrichewy Ecrivaine
70 Laurence Côte Actrice
71 Laurent Cantet Cinéaste
72 Les Ogres de Barback Groupe de musique
73 Lilian Thuram Président de la Fondation Education contre le racisme
74 Lou de Fanget Signolet Scénariste
75 Lucas Belvaux Comédien
76 Magyd Cherfi Chanteur
77 Mariana Otero Cinéaste
78 Marianne Chaud Ethnologue, cinéaste
79 Marie Darrieussecq Ecrivaine
80 Marie Hélène Lafon Ecrivaine
81 Marie Payen Actrice
82 Marie-Christine Vergiat Députée européenne
83 Mark Melki Photographe
84 Martine Voyeux Photographe
85 Maryline Desbiolles Ecrivaine
86 Michel Agier Anthropologue
87 Michel Broué Mathématicien
88 Michel Toesca Cinéaste
89 Michèle Ray Gavras Productrice
90 Natacha Régnier Actrice
91 Nicolas Bancel Professeur ordinaire à l’université de Lausanne / CRHIM
92 Nicolas Bouchaud Comédien
93 Nicolas Klotz Cinéaste
94 Nicolas Philibert Cinéaste
95 Nicolas Sirkis (Indochine) Chanteur
96 Pascal Blanchard Historien
97 Pascale Dollfus Anthropologue, CNRS
98 Patrick Pelloux Syndicaliste / écrivain
99 Philippe Claudel Ecrivain
100 Philippe Faucon Cinéaste
101 Philippe Poutou Ouvrier, syndicaliste
102 Philippe Torreton Comédien
103 Pierre Grosz Auteur
104 Pierre Lemaitre Ecrivain
105 Pierre Salvadori Cinéaste
106 Pierre Schoeller Cinéaste
107 Rachid Oujdi Réalisateur
108 Rachida Brakni Comédienne
109 Raphaël Glucksmann Essayiste
110 Rithy Panh Cinéaste
111 Robert Guédiguian Cinéaste
112 Robin Campillo Cinéaste
113 Rokhaya Diallo Journaliste et réalisatrice
114 Sam Karmann Comédien, Réalisateur
115 Samuel Le Bihan Acteur
116 Sophie Adriansen Ecrivaine
117 Valérie Rodrigue Ecrivaine
118 Vincent Fillola Avocat, président d’Avocats Sans Frontières
119 William Karel Cinéaste
120 Yvan le Bolloc’h Acteur
121 Yves Cusset Philosophe

Avis de la CNCDH sur la loi asile et immigration

Politique migratoire et d’asile Le gouvernement doit revoir sa copie.

A la veille du début de la discussion au Sénat sur le projet de loi « pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif », la Commission nationale consultative des droits de l’homme dénonce un texte à la fois inadapté au regard des objectifs poursuivis et dangereux au regard du respect des droits et des libertés fondamentales des personnes étrangères présentes sur le territoire français.

La France ne fait pas face à une crise de l’asile ni de l’immigration mais à une crise de ses politiques d’asile et d’immigration qui n’ont cessé de se complexifier depuis le début de années 80, au détriment du respect des droits et des libertés fondamentales de milliers de femmes, d’enfants et d’hommes, qui arrivent, le plus souvent démunis, en France métropolitaine et dans les Outre-mer, affirme Christine Lazerges, présidente de la CNCDH. Tout en voulant tranquilliser une partie de la population, le gouvernement a élaboré un texte inutile qui, bien loin de contribuer à une meilleure intégration, fragilise la cohésion nationale, et n’exprime en rien les valeurs essentielles de notre République.

Les aménagements prévus par le projet de loi sont contraires aux fondements de la procédure d’asile Les modifications de la procédure d’asile envisagées par le gouvernement ne répondent qu’aux seuls objectifs de célérité et de rendement au détriment de la protection des demandeurs. Le développement de la procédure accélérée devant l’OFPRA, la réduction du délai de recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) de 30 à 15 jours, la suppression dans certains cas du caractère suspensif de ce recours sont autant d’atteintes portées au droit d’asile, au droit à un recours effectif et à l’égalité de traitement. La CNCDH déplore que le projet de loi n’évoque pas la procédure d’enregistrement en préfecture, pourtant source d’engorgement et de nombreux retards, malgré le rôle considérable joué en amont par les associations auxquelles ont été confiées, sans moyens suffisants, la gestion des plates-formes d’accueil des demandeurs d’asile (PADA). La CNCDH dénonce en outre la réduction des garanties procédurales. Elle s’inquiète en particulier d’un risque de recours abusif à la vidéo-audience devant la CNDA, ou le cas échéant, devant le tribunal administratif ou le juge des libertés et de la détention.

Le durcissement du régime d’éloignement confine au bannissement des étrangers en situation irrégulière La volonté d’harmoniser le droit français avec le droit européen et les pratiques européennes au-delà de ce qui est nécessaire ne peut justifier un nivellement par le bas de certaines procédures du régime d’obligations de quitter le territoire français pour les étrangers en situation irrégulière. La CNCDH dénonce en particulier l’extension des situations permettant à l’administration de refuser un délai pour quitter le territoire français, ou de prononcer automatiquement une interdiction de retour sur le territoire, et la réduction des délais de recours. Ces modifications fragilisent encore plus des personnes vulnérables, notamment les victimes de traite des êtres humains.

Les mesures privatives de liberté (rétention administrative et assignation à résidence) sont renforcées. La CNCDH considère qu’aucune raison rationnelle ne permet de justifier l’allongement de la durée maximale de placement en Centre de rétention administrative (CRA). Elle déplore que la rétention administrative soit appliquée de plus en plus comme une mesure punitive, sans respect du principe de proportionnalité, et que les étrangers ainsi privés de liberté ne jouissent pleinement de leur droit de contester ce placement en CRA ou sa prolongation, ou une obligation de quitter le territoire français. La CNCDH dénonce en outre une dérive de la mise en œuvre de l’assignation à résidence des étrangers en attente d’éloignement du territoire vers le régime de l’assignation à résidence appliquée dans le cadre de l’état d’urgence, alors même que ces personnes ne présentent aucun risque pour l’ordre public.

La vulnérabilité spécifique des mineurs, accompagnés ou non accompagnés, et des jeunes majeurs isolés est un des grands oublis du texte. A de très nombreuses reprises, la CNCDH a alerté l’Etat sur la grande vulnérabilité des mineurs étrangers présents sur le territoire français. Il n’est pas tolérable que certains d’entre eux soient enfermés en zone d’attente ou en centre de rétention administrative. La CNCDH demande que de les placements de mineurs, qu’ils soient accompagnés ou non, soient interdits. Elle réaffirme que les mineurs doivent bénéficier des dispositifs de la protection de l’enfance et alerte également sur la situation critique des jeunes majeurs isolés.

Le délit de solidarité existe toujours. Certes de nouvelles exemptions au « délit de solidarité » ont été ajoutées par les députés, mais la CNCDH réaffirme que, même dans sa nouvelle mouture, l’article L.622-4 du CESEDA ne supprime en rien le risque que des personnes ayant apporté une aide soient poursuivies alors même qu’elles ont agi par fraternité et solidarité, sans aucune contrepartie. La CNCDH invite les sénateurs à s’appuyer sur son avis de mai 2017 pour proposer une nouvelle formulation de l’article L. 622-1 qui permettrait une réelle abrogation du délit de solidarité.

L’évolution de la politique européenne d’asile est très inquiétante La CNCDH s’inquiète des orientations prises par l’Union européenne en matière de politique migratoire et d’asile. La CNCDH appelle la France à mobiliser ses partenaires européens pour que soit mise en place une politique européenne en matière d’asile respectueuse des droits fondamentaux, et en particulier en demandant l’abandon des concepts de « pays d’origine sûr » et « pays tiers sûr ».

Retrouvez l’avis de la CNCDH ici

 

intox // Non! Monsieur Collomb n’a pas assoupli le délit de solidarité!

 

Collectif « Délinquants solidaires »

Examen du projet de loi asile/immigration par l’Assemblée nationale
NON ! Monsieur Collomb n’a pas assoupli le délit de solidarité !

Rarement un sujet absent d’un projet de loi n’aura mobilisé tant de députés lors de son examen. Lors de la discussion par l’assemblée nationale du projet de loi « pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie », ils étaient nombreux, dans chacun des groupes parlementaires, à avoir déposé des amendements portant sur le « délit de solidarité » : pour mieux le sanctionner sur les bancs situés le plus à droite de l’hémicycle, pour le supprimer sur tous les autres, majorité comprise.

La longue histoire du « délit d’aide directe ou indirecte » commis par une personne ayant « facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France » [1] a amplement démontré toute son ambivalence. Censé pénaliser les « passeurs » qui tirent profit des obstacles à l’entrée et au séjour en France pour maltraiter et exploiter les migrant⋅e⋅s, on a vu comment il peut devenir un « délit de solidarité » c’est à dire permettre de poursuivre une personne « coupable » d’une action désintéressée et solidaire.

Les ministres de l’intérieur successifs n’ont pas cessé de proclamer que le délit de solidarité n’existe pas. « J’observe qu’en 65 années d’application de cette loi, personne en France n’a jamais été condamné pour avoir seulement accueilli, accompagné ou hébergé un étranger en situation irrégulière » (Eric Besson, 23 mars 2009). En 2012, Manuel Valls affirmait à son tour avoir mis « fin au délit de solidarité qui permet de poursuivre l’aide désintéressée, apportée […] à des étrangers en situation irrégulière ». Dès le début de l’examen du projet de loi (mardi 19 avril) Gérard Collomb éludait le sujet : « vous avez soulevé en particulier la question du délit de solidarité. Je veux d’ores et déjà souligner ici que ce délit n’existe pas ».

Pourtant, à plusieurs reprises, des vagues de poursuites et de condamnations d’aidant⋅e⋅s ont provoqué de larges mobilisations contre le délit de solidarité. Des réformes successives ont prétendu répondre à cette émotion en dressant des catalogues d’immunités : lois « Chevènement » de 1998, « Sarkozy » de 2003 et 2009, « Besson » de 2011 et « Valls » de 2012. À chaque fois, la fin du délit de solidarité était annoncée… Mais le catalogue d’exemptions prévues par la loi [2] a à chaque fois conservé toutes ses ambiguïtés au dispositif [3].


Comment le ministre a neutralisé la dynamique parlementaire pour une suppression du délit de solidarité…

La loi « Collomb » de 2018 serait-elle la bonne ? Les circonstances s’y prêtaient. Les fortes solidarités récentes dans le Calaisis, à Paris, dans la vallée de la Roya, dans le Briançonnais ou ailleurs et les multiples poursuites judiciaires engagées contre des aidant⋅e⋅s avaient eu de larges échos. Plusieurs rédactions de la loi avaient été suggérées afin de supprimer ce délit tout en restant en conformité avec le droit européen [4] et bon nombre des amendements proposés s’en inspiraient.

Lors de la séance matinale de l’Assemblée nationale du dimanche 22 avril, quatre intervenant⋅e⋅s – membres du Modem, de l’UDI, de LREM et de la GDR – ont présenté leurs amendements visant à la suppression du délit [5]. Le ministre de l’intérieur a alors annoncé que le gouvernement déposait une proposition de rédaction destinée à « aménager le régime d’exemption pénale » de ce délit dont, quelques jours plus tôt, il niait l’existence. Entre temps Macron avait établi la feuille de route : pénaliser les « gens qui aident, consciemment ou inconsciemment, les passeurs. Ceux-là, je ne veux pas les affranchir du délit de solidarité car ce qu’ils font est grave » (BFM-TV, 15 avril).

L’amendement du gouvernement, est-il annoncé, adopte « une ligne juste et responsable » entre l’immunité des aides quotidiennes et la sanction de « toutes celles qui voudraient détourner la volonté de l’État de contrôler les frontières ». Que ceux qui s’inquiètent de la difficulté à discerner ces intentions se rassurent : une circulaire adressée aux instances judiciaires en précisera les contours.

Puisque ce qu’il faut protéger c’est le contrôle des frontières – et non les migrants exploités –, l’amendement purement destiné à étouffer la contestation reprend la tradition des remèdes cosmétiques au catalogue des immunités : les exemptions à l’aide au séjour s’appliqueront aux déplacements en France aux fins d’apporter certaines aides, auxquelles est ajouté l’accompagnement « linguistique et social » ; tout cela « sauf si l’acte a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte ou a été accompli dans un but lucratif ». Or la jurisprudence sait hélas se montrer inventive en matière de contrepartie directe ou indirecte, ou, à l’inverse, tatillonne quand il faut caractériser les atteintes à l’intégrité physique, devenues « conditions de vie dignes et décentes ».

Le combat pour en finir avec le délit de solidarité avait été bien engagé : il se solde pour celles et ceux qui ont tenté de le porter au sein de l’assemblée nationale par une amère défaite en rase campagne. Seul a survécu l’amendement dérisoire du gouvernement, enrobé de beaux discours et sous les applaudissements de la majorité. Le délit de solidarité a de beaux jours devant lui.

Paris, le 23 avril 2018

 

LE TEXTE

L. 622-1
(Loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 – art. 11)
Sous réserve des exemptions prévues à l’article L. 622-4, toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 €. (…)

EXTRAIT DU CESEDA DANS SA RÉDACTION ACTUELLE…

L. 622-4
Sans préjudice des articles L. 621-2, L. 623-1, L. 623-2 et L. 623-3, ne peut donner lieu à des poursuites pénales sur le fondement des articles L. 622-1 à L. 622-3 l’aide au séjour irrégulier d’un étranger lorsqu’elle est le fait :

  • 1o Des ascendants ou descendants de l’étranger, de leur conjoint, des frères et sœurs de l’étranger ou de leur conjoint ;
  • 2o Du conjoint, de l’étranger de la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui, ou des ascendants, descendants, frères et sœurs du conjoint de l’étranger ou de la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui ;
  • 3o De toute personne physique ou morale, lorsque l’acte reproché n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci.

Les exceptions prévues aux 1° et 2° ne s’appliquent pas lorsque l’étranger bénéficiaire de l’aide au séjour irrégulier vit en état de polygamie ou lorsque cet étranger est le conjoint d’une personne polygame résidant en France avec le premier conjoint.

LE CESEDA DÉCOULANT DU TEXTE ADOPTÉ DIMANCHE 22 AVRIL PAR L’ASSEMBLÉE NATIONALE (qui sera donc discuté par les sénateurs courant mai/juin 2018)…

L. 622-4
Sans préjudice des articles L. 621-2, L. 623-1, L. 623-2 et L. 623-3, ne peut donner lieu à des poursuites pénales sur le fondement des articles L. 622-1 à L. 622-3 l’aide à la circulation ou au séjour irrégulier d’un étranger lorsqu’elle est le fait :

  • 1o Des ascendants ou descendants de l’étranger, de leur conjoint, des frères et sœurs de l’étranger ou de leur conjoint ;
  • 2o Du conjoint, de l’étranger de la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui, ou des ascendants, descendants, frères et sœurs du conjoint de l’étranger ou de la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui ;
  • De toute personne physique ou morale, lorsque l’acte reproché a consisté à fournir des conseils et de l’accompagnement, notamment juridiques, linguistiques ou sociaux, ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci, ou bien tout transport directement lié à l’une de ces exceptions, sauf si l’acte a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte ou a été accompli dans un but lucratif.

Les exceptions prévues aux 1° et 2° ne s’appliquent pas lorsque l’étranger bénéficiaire de l’aide au séjour irrégulier vit en état de polygamie ou lorsque cet étranger est le conjoint d’une personne polygame résidant en France avec le premier conjoint.

[1Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), art. L. 622-1.

[2Ceseda, art. L. 622-4.

[3Le dossier www.gisti.org/delits-de-solidarite créé en 2009 en présente de nombreux exemples.

[4Notamment la CNCDH (avis du 16 mai 2017, « Mettre fin au délit de solidarité ») et le Collectif Délinquants solidaires (« Pour mettre hors-la-loi le délit de solidarité », février 2018).

[5Amendements n°235, 723, 801 et 803.

 

 

Vous pouvez retrouver ce communiqué sur le site
www.delinquantssolidaires.org

 

Les demandeurs d’asile dublinés peuvent être placés en rétention

http://www.editions-legislatives.fr/content/les-demandeurs-dasile-%C2%AB-dublin%C3%A9s-%C2%BB-peuvent-%C3%AAtre-plac%C3%A9s-en-r%C3%A9tention

Suite à l’adoption de la loi « permettant une bonne application du régime d’asile européen », l’administration peut désormais recourir de manière quasi-systématique à la rétention administrative pour toutes les personnes placées en procédure « Dublin ».

Publiée après que le Conseil constitutionnel en a validé les dispositions contestées (Cons. const. déc., 15 mars 2018, n° 2018-762 DC), la loi n° 2018-187 du 20 mars 2018 « permettant une bonne application du régime d’asile européen » autorise l’administration à placer en rétention administrative les demandeurs d’asile lors de la procédure de détermination de l’État responsable de l’examen de leur demande.
Remarque : selon le rapporteur du projet de loi, à ce jour, seuls 9 % des demandeurs en procédure « Dublin » sont transférés vers l’État responsable de leur demande, les autres étant admis à déposer une demande auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), ce qui engorgerait ce dernier. Ce taux trouve sa source dans plusieurs facteurs. D’abord, comme le souligne la Commission européenne (Doc COM (2015) 675 du 15 décembre 2015) un système inadapté face à une pression migratoire pesant sur un nombre restreint d’États, qui, en conséquence, adoptent des « stratégies d’évitement » afin de ne pas avoir à réadmettre les demandeurs. Ensuite une administration qui n’arrive pas à faire face à la multiplication des procédures. Par exemple, selon les chiffres de la préfecture de police cités par le rapporteur du projet de loi devant le Sénat, l’impossibilité de placer en rétention les personnes ayant déjà fait l’objet de décisions de transfert divisait par deux le nombre d’exécution de ces décisions.
Pour remédier aux lacunes du droit positif, soulignées tour à tour par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 2e ch., 15 mars 2017, aff. C-528/15, Al Chodor), la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 27 sept. 2017, n° 17-15.160) et le Conseil d’État (CE, 5 mars 2018, n° 405474), et permettre à l’administration d’avoir les coudées franches dans la mise en œuvre des procédures « Dublin », le législateur modifie plusieurs dispositions du Ceseda et y intègre les conditions légales du recours à la rétention administrative. Désormais le placement peut intervenir avant même qu’une décision de transfert ne soit notifiée, s’il existe un « risque de fuite », notion enfin définie (de façon très large) par le législateur.
Remarque : si la loi du 20 mars 2018 entre en vigueur le lendemain de sa publication (soit le 22 mars 2018), le dispositif reste néanmoins suspendu à la publication d’un décret en Conseil d’État, non encore intervenue, qui doit préciser « les modalités de prise en compte de la vulnérabilité et, le cas échéant, des besoins particuliers des demandeurs d’asile ou des étrangers faisant l’objet d’une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge » (art. 1er, 7°). On notera également que deux dispositions n’ayant pas de lien direct avec le règlement « Dublin » ont été intégrées à la loi, la première relative à l’extension de la durée des ordonnances du juge des libertés et de la détention aux fins de visite domiciliaire (art. 1er, 11°), la seconde à l’assignation à résidence de l’étranger frappé d’une interdiction du territoire ou d’une interdiction de retour (art. 4).
Modification du régime juridique des décisions de transfert pour un délai de recours écourté
Ce n’était pas l’objet de la proposition de loi, mais les sénateurs ont profité d’un effet d’aubaine pour raccourcir le délai de recours contre les décisions de transfert (fixé à quinze jours par la loi du 29 juillet 2015) à sept jours lorsque le demandeur ne fait l’objet d’aucune mesure de surveillance (C. étrangers, art. L. 742-4-I). Un délai jugé conforme au droit à un recours juridictionnel effectif par le Conseil constitutionnel.
Par ailleurs, lorsque la décision de transfert est notifiée alors que l’intéressé est déjà en rétention, le délai de recours est fixé à quarante-huit heures (C. étrangers, art. L. 742-4-II). Pendant ce délai, la décision ne peut pas être exécutée (C. étrangers, art. L. 742-5).
Remarque : le législateur a omis de coordonner les modifications concernant le délai de recours et celui concernant l’exécution d’office, de sorte que, si le délai de recours est de sept jours, la décision ne peut toujours pas être exécutée d’office avant l’expiration d’un délai de quinze jours (C. étrangers art. L. 742-5, al. 2).
Possibilité de placement en rétention au cours du processus de détermination
Avant la réforme, et comme l’avait précisé le Conseil d’État (CE, avis, 19 juill. 2017, n° 408919), seule une mesure d’assignation à résidence pouvait être prononcée à l’encontre d’un demandeur d’asile placé en procédure « Dublin ».
Suite à la publication de la loi du 20 mars 2018, le placement en rétention au cours de la procédure de détermination est désormais possible et, « au nom de l’intérêt général comme de l’efficacité », ainsi que le soulignait l’auteur de la proposition de loi, de nature à donner « au gouvernement les moyens d’action nécessaires pour accroître le nombre de transfert ».
Remarque : conformément aux dispositions de l’article 28 du règlement, l’administration aura, dans ce cas, un délai de trente jours pour transmettre la demande et l’État requis un délai de quinze jours pour y répondre.
Toutefois, le placement en rétention ne peut être décidé à l’occasion du premier rendez-vous au guichet unique. Le cinquième alinéa de l’article L. 741-1 précise en effet qu’au moment de sa présentation à l’administration en vue de l’enregistrement d’une première demande d’asile, l’étranger ne peut être regardé comme présentant le risque non négligeable de fuite défini aux 1° à 10 du II de l’article L. 551-1 du Ceseda (C. étrangers, art. L. 741-1).
Remarque : en tout état de cause, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel, le fait que le second alinéa de l’article L. 554-1 précise que le placement ou le maintien dure le temps strictement nécessaire à la détermination de l’État responsable (ce qui pouvait laisser penser qu’il pouvait être décidé dès le début de la procédure), « n’a pas pour effet de permettre à l’autorité administrative de prendre cette mesure avant la requête de prise en charge ou de reprise en charge », dès lors que le 1 bis de l’article L. 561-2 (auquel renvoi l’article L. 551-1 modifié), ne concerne que les demandeurs d’asile « faisant l’objet soit d’une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge […] soit d’une décision de transfert ».
La restriction concernant les parents d’enfants mineurs (C. étrangers, art. L. 551-1, III) est également applicable aux demandeurs d’asile en procédure « Dublin ».
Définition élargie de la notion de « risque non négligeable de fuite »
C’est surtout la définition du « risque non négligeable » de fuite qui constitue la clé de voûte du système dès lors qu’elle conditionne la mise en œuvre de la rétention et, selon l’étendue de son spectre, le nombre de personnes pouvant être placées. A cet égard, le législateur a retenu une définition large. Ainsi, pas moins de douze critères permettent à l’administration de prononcer le placement, le risque de fuite pouvant être regardé comme établi, « sauf circonstances particulières », si l’étranger :
– s’est déjà soustrait, dans un autre État membre, à la détermination de l’État responsable de l’examen de sa demande d’asile ou à l’exécution d’une décision de transfert (C. étrangers, art. L. 551-1, II, 1°) ;
– a été débouté de sa demande d’asile dans l’État membre responsable (C. étrangers, art. L. 551-1, II, 2°) ;
– est de nouveau présent en France après l’exécution effective d’une mesure de transfert (C. étrangers, art. L. 551-1, II, 3°) ;
– s’est soustrait à l’exécution d’une précédente mesure d’éloignement (C. étrangers, art. L. 551-1, II, 4°) ;
– refuse de se soumettre au relevé de ses empreintes digitales ou les altère pour empêcher leur enregistrement (C. étrangers, art. L. 551-1, II, 5°) ;
– aux fins de se maintenir sur le territoire, a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d’identité ou de voyage (C. étrangers, art. L. 551-1, II, 6°) ;
– a dissimulé des éléments de son identité, de son parcours migratoire, de sa situation familiale ou de ses demandes antérieures d’asile, le fait qu’il ne peut justifier de la possession de documents d’identité ou de voyage en cours de validité ne pouvant suffire à établir la dissimulation (C. étrangers, art. L. 551-1, II, 7°) ;
– qui ne bénéficie pas des conditions matérielles d’accueil ne peut justifier du lieu de sa résidence effective ou permanente (C. étrangers, art. L. 551-1, II, 8°) ;
– qui a refusé le lieu d’hébergement proposé en application de l’article L. 744-7 ne peut justifier du lieu de sa résidence effective ou permanente ou, s’il a accepté le lieu d’hébergement proposé, l’a abandonné sans motif légitime (C. étrangers, art. L. 551-1, II, 9°) ;
– ne se présente pas aux convocations de l’administration, ne répond pas aux demandes d’information et ne se rend pas aux entretiens prévus dans le cadre de la procédure de détermination ou de l’exécution de la décision de transfert sans motif légitime (C. étrangers, art. L. 551-1, II, 10°) ;
– s’est déjà soustrait aux obligations prévues aux articles L. 513-4, L. 552-4, L. 561-1, L. 561-2 et L. 742-2 du Ceseda (C. étrangers, art. L. 551-1, II, 11°) ;
– a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à la procédure de détermination de l’État responsable de l’examen de sa demande d’asile ou à la procédure de transfert (C. étrangers, art. L. 551-1, II, 12°).
Remarque : à l’instar de l’appréciation du risque de fuite en matière de retour, l’administration n’est pas liée par ces critères et, comme l’e rappelle le Conseil constitutionnel, leur mise en œuvre doit s’opérer « sur la base d’une évaluation individuelle prenant en compte l’état de vulnérabilité de l’intéressé et de tenir compte d’éventuelles circonstances particulières », sous le contrôle du juge.
Une rétention pour un temps strictement nécessaire
Aux termes de la loi, le placement en rétention n’est autorisé que pour le temps strictement nécessaire à la procédure de détermination de l’État responsable et de l’exécution de la décision de transfert.
Remarque : lorsque la personne est placée en rétention, le délai de saisine de l’État responsable est d’un mois à compter de l’introduction de la demande de protection (Règl. no (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil 26 juin 2013, art. 28.3, al. 2). Si l’État ne répond pas dans un délai de deux semaines, il a l’obligation de reprendre en charge le demandeur. Le délai d’exécution du transfert est porté à six semaines à compter de l’acceptation expresse ou implicite de l’État requis ou du moment où le recours qui a été introduit n’a plus d’effet suspensif (art. 28.3, al. 3). Si les délais de présentation de la requête et de transfert ne sont pas respectés, il est mis fin à la rétention (art. 28.3, al. 3). Dans tous les cas, la CJUE a jugé qu’un demandeur en procédure « Dublin » ne peut être placé en rétention au-delà d’une durée de deux mois après que l’État requis a accepté le transfert, ou six semaines après que l’effet suspensif du recours a cessé (CJUE, 13 sept. 2017, aff. C-60/16, Amayry).
L’article L. 554-1 précise que lorsqu’un État requis a refusé de prendre en charge ou de reprendre en charge l’étranger, il est immédiatement mis fin à la rétention, sauf si une demande de réexamen est adressée à cet État dans les plus brefs délais ou si un autre État peut être requis. En cas d’accord d’un État requis, la décision de transfert est notifiée à l’étranger dans les plus brefs délais.
Possibilité d’appliquer la procédure « Dublin » aux demandes d’asile en rétention
Selon le rapporteur du projet de loi devant le Sénat, l’administration ne pouvait jusqu’alors pas maintenir en rétention un demandeur ayant déposé sa demande à son arrivée au centre, la loi imposant qu’une attestation de demande d’asile soit délivrée ou que la France se reconnaisse responsable, son dossier étant alors présenté à l’Ofpra.
Désormais, lorsqu’un étranger placé en rétention présente une demande d’asile, l’autorité administrative peut procéder à la détermination de l’État responsable et, « le cas échéant, à l’exécution d’office du transfert dans les conditions prévues à l’article L. 742-5 » du Ceseda (C. étrangers, art. L. 556-1). Et, si la France est l’État membre responsable de l’examen, l’administration peut décider du maintien en rétention si les conditions prévues par cette même disposition sont réunies.
Remarque : l’articulation des différents régimes risque d’être source de confusion. En effet, la procédure « Dublin » doit précéder la décision de maintien en rétention mais, au stade de la détermination, le « maintien » doit être justifié par un risque de fuite. Le préfet doit-il alors prendre une décision de maintien en rétention spécifique à la procédure de détermination, puis une nouvelle décision de maintien une fois l’État responsable déterminé ? Une telle succession de décisions serait une option protectrice des droits des personnes, mais provoquerait une multiplication des recours.
Unification du régime de l’assignation à résidence
A travers la loi du 20 mars 2018, le législateur a également entendu simplifier le régime de l’assignation à résidence de courte durée en autorisant à y recourir, sur ce fondement, au cours de la procédure de détermination de l’État responsable et après la notification de la décision de transfert (C. étrangers, art. L. 561-2).
Toutefois, par dérogation au droit commun, la durée maximale de l’assignation à résidence peut être renouvelée deux fois pour les personnes en procédure « Dublin », ce qui la porte à une durée de cent trente-cinq jours (C. étrangers, art. L. 561-2, 10e al.)
Intégration surabondante de garanties préexistantes
Le législateur a assorti le processus décisionnel de deux garanties. Ainsi :
– l’autorité administrative doit prendre en compte la vulnérabilité du demandeur et l’évaluer avant le placement en rétention. Un décret en Conseil d’État doit encore préciser les modalités de cette évaluation (C. étrangers, art. L. 553-6) ;
– au moment de l’enregistrement de la demande d’asile, le demandeur doit recevoir, « dans une langue qu’il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu’il la comprend, une information sur ses droits et obligations en application [du règlement], dans les conditions prévues à son article 4 ».
Remarque : ces précisions sont en réalité sans portée, la vulnérabilité faisant l’objet d’une évaluation dès le premier entretien (et il est peu probable que l’état de la personne évolue entre cet entretien et le rendez-vous précédant le placement) et les intéressés étant informés de leurs droits et obligations dès le début de la procédure par la remise de deux brochures.
Pas de transfert en cas de défaillances systémiques
Enfin, profitant de la proposition de loi, le législateur a intégré la dérogation à l’application des critères du règlement en cas de défaillances systémiques dans la procédure d’asile de l’État responsable (C. étranges, art. L. 742-7).
Remarque : si, comme le rappellent ces dispositions, la procédure de transfert ne peut être engagée vers cet État, le règlement précise toutefois que, dans ce cas, l’État membre doit poursuivre la procédure de détermination afin de confier, le cas échéant, la responsabilité de l’examen de la demande à un autre État membre.

Communiqué délinquants solidaires

Auberge des migrants et Délinquants solidaires

« Délit de solidarité » : une association accusée d’avoir distribué des tentes à Calais

Vendredi 23 mars, vers 9h, le campement situé Rue des Verrotières dans la Zone industrielle des Dunes a été détruit, une fois de plus. Il n’y avait pourtant, sur ce lieu-là, pas eu d’opération d’expulsion depuis plus d’un mois. Les exilé.e.s étaient installé.e.s dans des dizaines de tentes et essayaient d’améliorer leurs conditions de survie.

Depuis l’été 2017, les autorités préfectorales du Pas-de-Calais, en lien étroit avec la municipalité de Calais, mènent une lutte contre ce qu’elles appellent des « points de fixation ». Cette politique conduit à une destruction systématique des lieux de vie des exilé.e.s bloqué.e.s à la frontière franco-britannique, et à la confiscation par la police ou les services de nettoyage privés ou municipaux de leurs effets personnels (tentes, sacs de couchage, etc.).

Tant bien que mal, les exilé.e.s essayent de poser leur tente dans des bois, des champs ou des terrain vagues. Ces campements sont alors régulièrement détruits, parfois 2 ou 3 fois par semaine. Les conséquences de cette politique sur les personnes exilées sont catastrophiques, augmentant leur état d’épuisement physique et psychologique. Les autorités, au lieu de rechercher des solutions dignes pour les personnes présentes à Calais, continuent sans relâche leur lutte contre « les points de fixations », quitte à utiliser des procédés inhumains et dégradants.

Le démantèlement du 23 mars a eu lieu pendant la distribution de repas organisée par l’État : les personnes qui étaient parties prendre leur petit déjeuner n’ont donc pas pu récupérer leurs affaires.

Le même jour, dans l’après-midi, une équipe de l’entrepôt de l’Auberge des Migrants a organisé une distribution de tentes et de sacs de couchage, pour éviter que les gens ne se retrouvent sans aucun abri et matériel pour se protéger du froid. Les bénévoles ont seulement donné les tentes (environ 150), depuis un véhicule garé sur le bord de la route. Ils n’ont pas aidé les exilés à les monter. Au cours de cette distribution, deux bénévoles ont subi un contrôle d’identité.

Quelques heures après, ces deux bénévoles, le Président et un coordinateur de l’Auberge des migrants se voyaient remettre par 3 membres de la police judiciaire des convocations en vue d’une audition libre le lundi matin suivant au commissariat de Calais. Le motif : délit d’installation en réunion sur le terrain d’autrui.

Interrogatoires très agressifs, culpabilisation, fausses informations, prises d’empreintes, photos anthropométriques… Tout cela pour avoir distribué des tentes et des sacs de couchage à des exilé⋅e⋅s. Ces auditions n’avaient en fait qu’un seul but : intimider les volontaires, ceux de l’Auberge des migrants, et plus largement tous ceux intervenant à Calais, en les criminalisant.

Pour les 2 bénévoles, c’était une première. Pour l’association, c’est la suite d’une longue série de pressions : intimidations variées sur les bénévoles et salarié.e.s, contrôles d’identité et fouilles des bénévoles, amendes répétées et sans fondement pour les véhicules aux abords des campements, convocations au commissariat etc. Ce nouvel épisode de pression et d’intimidation n’est donc que le dernier d’une trop longue série. Pourtant, face à la politique d’expulsion systématique conduisant à un épuisement généralisé des personnes exilées, la réponse des associations, collectifs et de citoyens reste la solidarité. Une solidarité qui ne faiblit pas.

Il n’est pas tolérable, quelles que soient les politiques mises en place, qu’en France, en 2018, la solidarité soit une nouvelle fois entravée. Il n’est pas tolérable que des bénévoles et militant.e.s soient intimidé.e.s, convoqué.e.s au commissariat, et peut-être poursuivi.e.s.

Nous, associations signataires, soutenons l’Auberge des migrants et l’ensemble des personnes intervenant à Calais en soutien aux personnes exilé.e.s bloqué.e.s à la frontière franco-britannique. Le délit de solidarité est inacceptable. Le délit de solidarité doit être enfin abrogé.

30 mars 2018

Signataires :

Retrouver ce communiqué sur le site du Collectif Délinquants solidaires

Vous pouvez retrouver ce communiqué sur le site
www.delinquantssolidaires.org