http://www.editions-legislatives.fr/content/les-demandeurs-dasile-%C2%AB-dublin%C3%A9s-%C2%BB-peuvent-%C3%AAtre-plac%C3%A9s-en-r%C3%A9tention
Suite à l’adoption de la loi « permettant une bonne application du régime d’asile européen », l’administration peut désormais recourir de manière quasi-systématique à la rétention administrative pour toutes les personnes placées en procédure « Dublin ».
Publiée après que le Conseil constitutionnel en a validé les dispositions contestées (Cons. const. déc., 15 mars 2018, n° 2018-762 DC), la loi n° 2018-187 du 20 mars 2018 « permettant une bonne application du régime d’asile européen » autorise l’administration à placer en rétention administrative les demandeurs d’asile lors de la procédure de détermination de l’État responsable de l’examen de leur demande.
Remarque : selon le rapporteur du projet de loi, à ce jour, seuls 9 % des demandeurs en procédure « Dublin » sont transférés vers l’État responsable de leur demande, les autres étant admis à déposer une demande auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), ce qui engorgerait ce dernier. Ce taux trouve sa source dans plusieurs facteurs. D’abord, comme le souligne la Commission européenne (Doc COM (2015) 675 du 15 décembre 2015) un système inadapté face à une pression migratoire pesant sur un nombre restreint d’États, qui, en conséquence, adoptent des « stratégies d’évitement » afin de ne pas avoir à réadmettre les demandeurs. Ensuite une administration qui n’arrive pas à faire face à la multiplication des procédures. Par exemple, selon les chiffres de la préfecture de police cités par le rapporteur du projet de loi devant le Sénat, l’impossibilité de placer en rétention les personnes ayant déjà fait l’objet de décisions de transfert divisait par deux le nombre d’exécution de ces décisions.
Pour remédier aux lacunes du droit positif, soulignées tour à tour par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 2e ch., 15 mars 2017, aff. C-528/15, Al Chodor), la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 27 sept. 2017, n° 17-15.160) et le Conseil d’État (CE, 5 mars 2018, n° 405474), et permettre à l’administration d’avoir les coudées franches dans la mise en œuvre des procédures « Dublin », le législateur modifie plusieurs dispositions du Ceseda et y intègre les conditions légales du recours à la rétention administrative. Désormais le placement peut intervenir avant même qu’une décision de transfert ne soit notifiée, s’il existe un « risque de fuite », notion enfin définie (de façon très large) par le législateur.
Remarque : si la loi du 20 mars 2018 entre en vigueur le lendemain de sa publication (soit le 22 mars 2018), le dispositif reste néanmoins suspendu à la publication d’un décret en Conseil d’État, non encore intervenue, qui doit préciser « les modalités de prise en compte de la vulnérabilité et, le cas échéant, des besoins particuliers des demandeurs d’asile ou des étrangers faisant l’objet d’une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge » (art. 1er, 7°). On notera également que deux dispositions n’ayant pas de lien direct avec le règlement « Dublin » ont été intégrées à la loi, la première relative à l’extension de la durée des ordonnances du juge des libertés et de la détention aux fins de visite domiciliaire (art. 1er, 11°), la seconde à l’assignation à résidence de l’étranger frappé d’une interdiction du territoire ou d’une interdiction de retour (art. 4).
Modification du régime juridique des décisions de transfert pour un délai de recours écourté
Ce n’était pas l’objet de la proposition de loi, mais les sénateurs ont profité d’un effet d’aubaine pour raccourcir le délai de recours contre les décisions de transfert (fixé à quinze jours par la loi du 29 juillet 2015) à sept jours lorsque le demandeur ne fait l’objet d’aucune mesure de surveillance (C. étrangers, art. L. 742-4-I). Un délai jugé conforme au droit à un recours juridictionnel effectif par le Conseil constitutionnel.
Par ailleurs, lorsque la décision de transfert est notifiée alors que l’intéressé est déjà en rétention, le délai de recours est fixé à quarante-huit heures (C. étrangers, art. L. 742-4-II). Pendant ce délai, la décision ne peut pas être exécutée (C. étrangers, art. L. 742-5).
Remarque : le législateur a omis de coordonner les modifications concernant le délai de recours et celui concernant l’exécution d’office, de sorte que, si le délai de recours est de sept jours, la décision ne peut toujours pas être exécutée d’office avant l’expiration d’un délai de quinze jours (C. étrangers art. L. 742-5, al. 2).
Possibilité de placement en rétention au cours du processus de détermination
Avant la réforme, et comme l’avait précisé le Conseil d’État (CE, avis, 19 juill. 2017, n° 408919), seule une mesure d’assignation à résidence pouvait être prononcée à l’encontre d’un demandeur d’asile placé en procédure « Dublin ».
Suite à la publication de la loi du 20 mars 2018, le placement en rétention au cours de la procédure de détermination est désormais possible et, « au nom de l’intérêt général comme de l’efficacité », ainsi que le soulignait l’auteur de la proposition de loi, de nature à donner « au gouvernement les moyens d’action nécessaires pour accroître le nombre de transfert ».
Remarque : conformément aux dispositions de l’article 28 du règlement, l’administration aura, dans ce cas, un délai de trente jours pour transmettre la demande et l’État requis un délai de quinze jours pour y répondre.
Toutefois, le placement en rétention ne peut être décidé à l’occasion du premier rendez-vous au guichet unique. Le cinquième alinéa de l’article L. 741-1 précise en effet qu’au moment de sa présentation à l’administration en vue de l’enregistrement d’une première demande d’asile, l’étranger ne peut être regardé comme présentant le risque non négligeable de fuite défini aux 1° à 10 du II de l’article L. 551-1 du Ceseda (C. étrangers, art. L. 741-1).
Remarque : en tout état de cause, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel, le fait que le second alinéa de l’article L. 554-1 précise que le placement ou le maintien dure le temps strictement nécessaire à la détermination de l’État responsable (ce qui pouvait laisser penser qu’il pouvait être décidé dès le début de la procédure), « n’a pas pour effet de permettre à l’autorité administrative de prendre cette mesure avant la requête de prise en charge ou de reprise en charge », dès lors que le 1 bis de l’article L. 561-2 (auquel renvoi l’article L. 551-1 modifié), ne concerne que les demandeurs d’asile « faisant l’objet soit d’une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge […] soit d’une décision de transfert ».
La restriction concernant les parents d’enfants mineurs (C. étrangers, art. L. 551-1, III) est également applicable aux demandeurs d’asile en procédure « Dublin ».
Définition élargie de la notion de « risque non négligeable de fuite »
C’est surtout la définition du « risque non négligeable » de fuite qui constitue la clé de voûte du système dès lors qu’elle conditionne la mise en œuvre de la rétention et, selon l’étendue de son spectre, le nombre de personnes pouvant être placées. A cet égard, le législateur a retenu une définition large. Ainsi, pas moins de douze critères permettent à l’administration de prononcer le placement, le risque de fuite pouvant être regardé comme établi, « sauf circonstances particulières », si l’étranger :
– s’est déjà soustrait, dans un autre État membre, à la détermination de l’État responsable de l’examen de sa demande d’asile ou à l’exécution d’une décision de transfert (C. étrangers, art. L. 551-1, II, 1°) ;
– a été débouté de sa demande d’asile dans l’État membre responsable (C. étrangers, art. L. 551-1, II, 2°) ;
– est de nouveau présent en France après l’exécution effective d’une mesure de transfert (C. étrangers, art. L. 551-1, II, 3°) ;
– s’est soustrait à l’exécution d’une précédente mesure d’éloignement (C. étrangers, art. L. 551-1, II, 4°) ;
– refuse de se soumettre au relevé de ses empreintes digitales ou les altère pour empêcher leur enregistrement (C. étrangers, art. L. 551-1, II, 5°) ;
– aux fins de se maintenir sur le territoire, a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d’identité ou de voyage (C. étrangers, art. L. 551-1, II, 6°) ;
– a dissimulé des éléments de son identité, de son parcours migratoire, de sa situation familiale ou de ses demandes antérieures d’asile, le fait qu’il ne peut justifier de la possession de documents d’identité ou de voyage en cours de validité ne pouvant suffire à établir la dissimulation (C. étrangers, art. L. 551-1, II, 7°) ;
– qui ne bénéficie pas des conditions matérielles d’accueil ne peut justifier du lieu de sa résidence effective ou permanente (C. étrangers, art. L. 551-1, II, 8°) ;
– qui a refusé le lieu d’hébergement proposé en application de l’article L. 744-7 ne peut justifier du lieu de sa résidence effective ou permanente ou, s’il a accepté le lieu d’hébergement proposé, l’a abandonné sans motif légitime (C. étrangers, art. L. 551-1, II, 9°) ;
– ne se présente pas aux convocations de l’administration, ne répond pas aux demandes d’information et ne se rend pas aux entretiens prévus dans le cadre de la procédure de détermination ou de l’exécution de la décision de transfert sans motif légitime (C. étrangers, art. L. 551-1, II, 10°) ;
– s’est déjà soustrait aux obligations prévues aux articles L. 513-4, L. 552-4, L. 561-1, L. 561-2 et L. 742-2 du Ceseda (C. étrangers, art. L. 551-1, II, 11°) ;
– a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à la procédure de détermination de l’État responsable de l’examen de sa demande d’asile ou à la procédure de transfert (C. étrangers, art. L. 551-1, II, 12°).
Remarque : à l’instar de l’appréciation du risque de fuite en matière de retour, l’administration n’est pas liée par ces critères et, comme l’e rappelle le Conseil constitutionnel, leur mise en œuvre doit s’opérer « sur la base d’une évaluation individuelle prenant en compte l’état de vulnérabilité de l’intéressé et de tenir compte d’éventuelles circonstances particulières », sous le contrôle du juge.
Une rétention pour un temps strictement nécessaire
Aux termes de la loi, le placement en rétention n’est autorisé que pour le temps strictement nécessaire à la procédure de détermination de l’État responsable et de l’exécution de la décision de transfert.
Remarque : lorsque la personne est placée en rétention, le délai de saisine de l’État responsable est d’un mois à compter de l’introduction de la demande de protection (Règl. no (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil 26 juin 2013, art. 28.3, al. 2). Si l’État ne répond pas dans un délai de deux semaines, il a l’obligation de reprendre en charge le demandeur. Le délai d’exécution du transfert est porté à six semaines à compter de l’acceptation expresse ou implicite de l’État requis ou du moment où le recours qui a été introduit n’a plus d’effet suspensif (art. 28.3, al. 3). Si les délais de présentation de la requête et de transfert ne sont pas respectés, il est mis fin à la rétention (art. 28.3, al. 3). Dans tous les cas, la CJUE a jugé qu’un demandeur en procédure « Dublin » ne peut être placé en rétention au-delà d’une durée de deux mois après que l’État requis a accepté le transfert, ou six semaines après que l’effet suspensif du recours a cessé (CJUE, 13 sept. 2017, aff. C-60/16, Amayry).
L’article L. 554-1 précise que lorsqu’un État requis a refusé de prendre en charge ou de reprendre en charge l’étranger, il est immédiatement mis fin à la rétention, sauf si une demande de réexamen est adressée à cet État dans les plus brefs délais ou si un autre État peut être requis. En cas d’accord d’un État requis, la décision de transfert est notifiée à l’étranger dans les plus brefs délais.
Remarque : le projet de loi « pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif » prévoit une durée maximale de rétention de soixante jours, dans tous les cas, pouvant être augmenté de quinze à quarante-cinq jours en cas d’obstruction à l’exécution d’office de la mesure.
Possibilité d’appliquer la procédure « Dublin » aux demandes d’asile en rétention
Selon le rapporteur du projet de loi devant le Sénat, l’administration ne pouvait jusqu’alors pas maintenir en rétention un demandeur ayant déposé sa demande à son arrivée au centre, la loi imposant qu’une attestation de demande d’asile soit délivrée ou que la France se reconnaisse responsable, son dossier étant alors présenté à l’Ofpra.
Désormais, lorsqu’un étranger placé en rétention présente une demande d’asile, l’autorité administrative peut procéder à la détermination de l’État responsable et, « le cas échéant, à l’exécution d’office du transfert dans les conditions prévues à l’article L. 742-5 » du Ceseda (C. étrangers, art. L. 556-1). Et, si la France est l’État membre responsable de l’examen, l’administration peut décider du maintien en rétention si les conditions prévues par cette même disposition sont réunies.
Remarque : l’articulation des différents régimes risque d’être source de confusion. En effet, la procédure « Dublin » doit précéder la décision de maintien en rétention mais, au stade de la détermination, le « maintien » doit être justifié par un risque de fuite. Le préfet doit-il alors prendre une décision de maintien en rétention spécifique à la procédure de détermination, puis une nouvelle décision de maintien une fois l’État responsable déterminé ? Une telle succession de décisions serait une option protectrice des droits des personnes, mais provoquerait une multiplication des recours.
Unification du régime de l’assignation à résidence
A travers la loi du 20 mars 2018, le législateur a également entendu simplifier le régime de l’assignation à résidence de courte durée en autorisant à y recourir, sur ce fondement, au cours de la procédure de détermination de l’État responsable et après la notification de la décision de transfert (C. étrangers, art. L. 561-2).
Remarque : l’avis du Conseil d’État (CE, 28 nov. 2017, n° 411820) qui avait dit pour droit que le contentieux des assignations à résidence décidées avant la décision de transfert relevait de la procédure de droit commun, devient caduc.
Toutefois, par dérogation au droit commun, la durée maximale de l’assignation à résidence peut être renouvelée deux fois pour les personnes en procédure « Dublin », ce qui la porte à une durée de cent trente-cinq jours (C. étrangers, art. L. 561-2, 10e al.)
Intégration surabondante de garanties préexistantes
Le législateur a assorti le processus décisionnel de deux garanties. Ainsi :
– l’autorité administrative doit prendre en compte la vulnérabilité du demandeur et l’évaluer avant le placement en rétention. Un décret en Conseil d’État doit encore préciser les modalités de cette évaluation (C. étrangers, art. L. 553-6) ;
– au moment de l’enregistrement de la demande d’asile, le demandeur doit recevoir, « dans une langue qu’il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu’il la comprend, une information sur ses droits et obligations en application [du règlement], dans les conditions prévues à son article 4 ».
Remarque : ces précisions sont en réalité sans portée, la vulnérabilité faisant l’objet d’une évaluation dès le premier entretien (et il est peu probable que l’état de la personne évolue entre cet entretien et le rendez-vous précédant le placement) et les intéressés étant informés de leurs droits et obligations dès le début de la procédure par la remise de deux brochures.
Pas de transfert en cas de défaillances systémiques
Enfin, profitant de la proposition de loi, le législateur a intégré la dérogation à l’application des critères du règlement en cas de défaillances systémiques dans la procédure d’asile de l’État responsable (C. étranges, art. L. 742-7).
Remarque : si, comme le rappellent ces dispositions, la procédure de transfert ne peut être engagée vers cet État, le règlement précise toutefois que, dans ce cas, l’État membre doit poursuivre la procédure de détermination afin de confier, le cas échéant, la responsabilité de l’examen de la demande à un autre État membre.