A la veille du début de la discussion au Sénat sur le projet de loi « pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif », la Commission nationale consultative des droits de l’homme dénonce un texte à la fois inadapté au regard des objectifs poursuivis et dangereux au regard du respect des droits et des libertés fondamentales des personnes étrangères présentes sur le territoire français.
La France ne fait pas face à une crise de l’asile ni de l’immigration mais à une crise de ses politiques d’asile et d’immigration qui n’ont cessé de se complexifier depuis le début de années 80, au détriment du respect des droits et des libertés fondamentales de milliers de femmes, d’enfants et d’hommes, qui arrivent, le plus souvent démunis, en France métropolitaine et dans les Outre-mer, affirme Christine Lazerges, présidente de la CNCDH. Tout en voulant tranquilliser une partie de la population, le gouvernement a élaboré un texte inutile qui, bien loin de contribuer à une meilleure intégration, fragilise la cohésion nationale, et n’exprime en rien les valeurs essentielles de notre République.
Les aménagements prévus par le projet de loi sont contraires aux fondements de la procédure d’asile Les modifications de la procédure d’asile envisagées par le gouvernement ne répondent qu’aux seuls objectifs de célérité et de rendement au détriment de la protection des demandeurs. Le développement de la procédure accélérée devant l’OFPRA, la réduction du délai de recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) de 30 à 15 jours, la suppression dans certains cas du caractère suspensif de ce recours sont autant d’atteintes portées au droit d’asile, au droit à un recours effectif et à l’égalité de traitement. La CNCDH déplore que le projet de loi n’évoque pas la procédure d’enregistrement en préfecture, pourtant source d’engorgement et de nombreux retards, malgré le rôle considérable joué en amont par les associations auxquelles ont été confiées, sans moyens suffisants, la gestion des plates-formes d’accueil des demandeurs d’asile (PADA). La CNCDH dénonce en outre la réduction des garanties procédurales. Elle s’inquiète en particulier d’un risque de recours abusif à la vidéo-audience devant la CNDA, ou le cas échéant, devant le tribunal administratif ou le juge des libertés et de la détention.
Le durcissement du régime d’éloignement confine au bannissement des étrangers en situation irrégulière La volonté d’harmoniser le droit français avec le droit européen et les pratiques européennes au-delà de ce qui est nécessaire ne peut justifier un nivellement par le bas de certaines procédures du régime d’obligations de quitter le territoire français pour les étrangers en situation irrégulière. La CNCDH dénonce en particulier l’extension des situations permettant à l’administration de refuser un délai pour quitter le territoire français, ou de prononcer automatiquement une interdiction de retour sur le territoire, et la réduction des délais de recours. Ces modifications fragilisent encore plus des personnes vulnérables, notamment les victimes de traite des êtres humains.
Les mesures privatives de liberté (rétention administrative et assignation à résidence) sont renforcées. La CNCDH considère qu’aucune raison rationnelle ne permet de justifier l’allongement de la durée maximale de placement en Centre de rétention administrative (CRA). Elle déplore que la rétention administrative soit appliquée de plus en plus comme une mesure punitive, sans respect du principe de proportionnalité, et que les étrangers ainsi privés de liberté ne jouissent pleinement de leur droit de contester ce placement en CRA ou sa prolongation, ou une obligation de quitter le territoire français. La CNCDH dénonce en outre une dérive de la mise en œuvre de l’assignation à résidence des étrangers en attente d’éloignement du territoire vers le régime de l’assignation à résidence appliquée dans le cadre de l’état d’urgence, alors même que ces personnes ne présentent aucun risque pour l’ordre public.
La vulnérabilité spécifique des mineurs, accompagnés ou non accompagnés, et des jeunes majeurs isolés est un des grands oublis du texte. A de très nombreuses reprises, la CNCDH a alerté l’Etat sur la grande vulnérabilité des mineurs étrangers présents sur le territoire français. Il n’est pas tolérable que certains d’entre eux soient enfermés en zone d’attente ou en centre de rétention administrative. La CNCDH demande que de les placements de mineurs, qu’ils soient accompagnés ou non, soient interdits. Elle réaffirme que les mineurs doivent bénéficier des dispositifs de la protection de l’enfance et alerte également sur la situation critique des jeunes majeurs isolés.
Le délit de solidarité existe toujours. Certes de nouvelles exemptions au « délit de solidarité » ont été ajoutées par les députés, mais la CNCDH réaffirme que, même dans sa nouvelle mouture, l’article L.622-4 du CESEDA ne supprime en rien le risque que des personnes ayant apporté une aide soient poursuivies alors même qu’elles ont agi par fraternité et solidarité, sans aucune contrepartie. La CNCDH invite les sénateurs à s’appuyer sur son avis de mai 2017 pour proposer une nouvelle formulation de l’article L. 622-1 qui permettrait une réelle abrogation du délit de solidarité.
L’évolution de la politique européenne d’asile est très inquiétante La CNCDH s’inquiète des orientations prises par l’Union européenne en matière de politique migratoire et d’asile. La CNCDH appelle la France à mobiliser ses partenaires européens pour que soit mise en place une politique européenne en matière d’asile respectueuse des droits fondamentaux, et en particulier en demandant l’abandon des concepts de « pays d’origine sûr » et « pays tiers sûr ».
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