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25.05.21 Libération – Deux demandeurs d’asile portent plainte contre Frontex après des renvois illégaux

Deux demandeurs d’asile portent plainte contre Frontex après des renvois illégaux

Libération, publié le 25 mai
Refoulés en mer Egée, ils accusent l’agence européenne de complicité de violations des droits de l’homme. La Cour de justice de l’UE est saisie de l’affaire dont «Libération» a pu consulter des documents.
Embarcations fracassées sur le rivage égéen près de Mytilène, la principale ville de la petite île grecque de Lesbos, en septembre 2019. (Alkis Konstantinidis/Reuters)

Jeancy Kimbenga parle d’une voix calme. Son débit est posé. Sous la pluie battante d’Istanbul, ce vendredi 21 mai, le jeune homme s’abrite dans un magasin dont on entend les jingles incessants dans son téléphone. «Il n’y a pas de réseau à l’hôtel», explique-t-il. Le demandeur d’asile congolais de 17 ans est toujours coincé en Turquie, pays où il a été contraint de s’établir après un périple migratoire tourmenté : une escale en Ethiopie, un changement d’avion puis direction la Turquie et les rivages de la mer Egée, l’eldorado pour de nombreux migrants qui rêvent d’Europe.

Par trois fois, Jeancy, qui a fui son pays après avoir subi la torture de son propre oncle, un colonel de l’armée, a tenté de rallier les côtes grecques dans un canot pneumatique. Aujourd’hui, il vit à Istanbul dans l’attente de réunir la somme nécessaire à une nouvelle traversée. Le 28 novembre 2020, il a même touché au but : son petit bateau a accosté à Kratigou, à 10 kilomètres au sud de Mytilène, la principale ville de la petite île grecque de Lesbos. Là, Jeancy et ses camarades se sont cachés toute une nuit avant de sortir au petit matin.

C’était compter sans les policiers grecs qui l’arrêtent, selon son récit à Libération, avant de l’emmener en mer où il est abandonné à la merci des flots dans un bateau gonflable. Un renvoi illégal, ou «pushback». Quelques heures plus tard, le gamin et ses compagnons d’infortune sont interceptés par les gardes-côtes turques qui les ramènent en Turquie. Sur son téléphone, Jeancy garde précieusement les preuves de son cheminement en terre hellène : des vidéos, des photos, des localisations GPS qu’il a partagées immédiatement sur Whatsapp avec amis et membres d’ONGs : «Je me suis dit qu’il pourrait se passer quelque chose. Je n’avais pas confiance.»

Première plainte de ce genre

Ces éléments sont la base d’une plainte que le jeune homme a déposée le vendredi 21 mai 2021, devant la cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) contre Frontex, aux côtés d’une demandeuse d’asile burundaise, elle aussi victime de deux pushbacks. C’est la première du genre. «Je veux porter cette voix pour que cela puisse cesser. C’est vraiment très grave ce qu’il se passe». Ils exigent le retrait de Frontex de la région.

Les deux exilés ont été épaulés pour l’occasion par Omer Shatz et Iftach Cohen, deux avocats spécialisés en droit international, qui avaient déjà intenté une action préliminaire contre la super agence de garde-frontières et de garde-côtes au nom de Front-lex, structure créée spécialement pour ce contentieux. «C’est la première fois que Frontex est face au tribunal pour des violations des droits de l’homme, assure Omer Shatz : nous allons faire respecter le droit au frontière extérieure de l’union Européenne».

Dans un réquisitoire long d’une soixantaine de pages que Libération a pu consulter, l’équipe d’avocats (complétée par Loica Lambert et Mieke Van den Broeck pour l’ONG Progress Law Network, et soutenu par l’ONG Greek Helsinki Monitor) s’attarde sur les récits des violations des droits de l’homme ainsi que sur le manque de mécanismes de contrôle de l’agence européenne de garde-côtes. Aux frontières extérieures de l’UE, Frontex, censé être le garant du respect des traités, ne remplit pas son rôle. Selon Omer Shatz, c’est sous sa responsabilité que des violences, à l’instar des «pushbacks» subis par Jeancy, se déroulent : «Non seulement la Grèce n’aurait pas pu mettre en place cette politique sans Frontex. Mais qui plus est, légalement parlant, tout cela fait partie d’une opération conjointe entre l’agence et le gouvernement grec.»

Contestation en interne

Selon sa régulation interne (et son article 46), Frontex a pourtant l’obligation de faire cesser, séance tenante, toute action qui irait à l’encontre du respect des droits de l’homme. Dès lors, la demande des avocats est simple : Frontex doit retirer ses moyens (avions, bateaux, hélicoptères ou drones) qui patrouillent dans la zone. A la Cour de trancher. Du côté de la direction de l’agence, le leitmotiv est toujours le même. Le directeur français, Fabrice Leggeri, affirme tantôt que les agissements des Grecs ne sont pas établis. Tantôt qu’ils ne constituent pas une violation claire des droits de l’homme. Et ce en dépit des nombreuses preuves amassées tant par les médias que par des ONGs.

De surcroît, les positions du directeur sont depuis peu contestées en interne. Des documents internes à Frontex, que Libération, ses partenaires du média d’investigation Lighthouse Reports et du Spiegel ont pu consulter, en attestent. Les preuves de ces renvois sont «solides» est-il écrit dans un rapport de Frontex, daté de janvier 2021 et rédigé par le bureau des droits fondamentaux, un organe interne de contrôle. «Cette note est une compilation de sources disponibles en ligne. Elle a été écrite avant même deux enquêtes internes, qui n’ont trouvé aucune preuve de violations des droits de l’homme lors d’activités de Frontex», oppose le porte-parole de l’agence, joint par Libération.

La politique de l’agence est de plus en plus remise en question par ses propres employés. Le 30 octobre 2020, un bateau grec, avec une trentaine de migrants à son bord, vogue vers les eaux territoriales turques, sous les yeux de policiers suédois, en mission pour Frontex. «Ce qui m’a surpris, c’est que les garde-côtes grecs n’ont pas escorté le bateau vers le port, mais dans la direction opposée», explique l’une d’entre elles, interrogée dans le cadre d’une enquête interne le 8 décembre 2020, dans un procès-verbal consulté par Libération. «Avez-vous considéré cette manœuvre comme étant un pushback ?», relance l’enquêteur. La réponse est sans appel : «Oui, c’était un pushback.»

A Calais, les habitants d’un terrain expulsés une nouvelle fois

À Calais, les habitants d’un terrain expulsés une nouvelle fois sans respect de leurs droits

par legalcentrecalais

Ce matin, le mardi 27 avril à partir de 6 h 30, une nouvelle expulsion a eu lieu derrière le Conforama à Coquelle (chemin des Salines).

16 vans de CRS, 2 voitures de polices nationales, 10 minibus de polices nationales, 8 bus de gendarmes, 6 motos de gendarmes, 5 voitures banalisées, 5 vans de polices nationales, ainsi que 7 bus en directions de Centres d’analyse et examen des situations (CAES) ont été réquisitionnés.

Au total, 110 personnes ont été forcées à monter dans des bus vers des destinations inconnues, sous couvert de « mise à l’abri ».

Les expulsables ont des droits. 

Toute expulsion doit se baser sur une décision de justice. Nous n’avons aucune information sur la base légale de ces expulsions, et ne savons pas si un quelconque juge a pu l’autoriser. En effet, lors de l’opération, les forces de l’ordre n’ont pas pu communiquer aux équipes présentes la décision autorisant cette expulsion.

Les habitants du terrain doivent être informés de la décision d’un juge. La décision doit donc être notifiée via un affichage aux habitants du site expulsé. À notre connaissance, cela n’a pas été le cas.

Pour rappel, le Préfet du Pas de Calais a été assigné en justice dans le cadre de l’expulsion de la « jungle d’Hôpital » du 29 septembre dernier pour une expulsion sans base légale. Nous sommes en attente de l’audience en appel.

Ce détournement du droit empêche les habitants du terrain de faire valoir leurs droits devant un tribunal.

Cette expulsion s’est déroulée, encore une fois, sous la contrainte avec une « mise à l’abri » forcée. En effet, au vu de l’ampleur du dispositif, le large périmètre, la réquisition de nombreux bus, l’absence d’information sur la destination de ces bus, et le fait que des personnes étaient de retour à Calais le jour même : la contrainte n’est plus à démontrer.

Ces opérations de « mise à l’abri » ne sont en réalité que des opérations d’éloignement et d’invisibilisation des personnes forcées à l’errance permanente.

De nombreux effets personnels ont été volés. En effet, au moins 208 tentes, ainsi que de nombreux effets personnels ont été saisis, selon les données de Human Rights Observers.

Nous rappelons que ces expulsions entraînent des violences physiques, psychologiques, destructions matérielles évidentes.  Les associations sont également victimes de ces expulsions : en plus de pallier les défaillances de l’État, elles doivent répondre aux demandes matérielles urgentes, à la perte de nombreux contacts, …

Signataires :

La Cabane Juridique

Refugee Info Bus

L’Auberge des Migrants

Human Rights Observers

Salam/ Nord Pas de Calais

Woodyard

La Commission européenne veut accélérer les retours des déboutés du droit d’asile

 

L’initiative intervient quelques jours après un naufrage ayant causé la mort de 130 personnes au large de la Libye.

Le Monde 28 avril 2021

Par Jean-Pierre Stroobants(Bruxelles, bureau européen)

Le calendrier et le scénario n’étaient pas idéaux : présenter, mardi 27 avril, un plan pour les retours « volontaires » de migrants irréguliers quelques jours après un naufrage qui, à la fin de la semaine dernière, a causé la mort de 130 personnes au large de la Libye semblait, au mieux, une maladresse. Surtout si la commissaire européenne chargée du dossier de la migration, Ylva Johansson, présentait, avec une sincérité et une émotion non feintes, ce nouvel épisode comme « une tragédie européenne ». Surtout si c’est l’agence Frontex, toujours au cœur de polémiques sur son rôle et ses méthodes, qui doit devenir la principale exécutante de ces retours des déboutés du droit d’asile dans leur pays d’origine.

Margaritis Schinas, le vice-président de la Commission chargé de la promotion du mode de vie européen, a paru heurté par la critique. Il évoquait toutefois lui-même le nouveau « pacte pour l’asile et la migration », présenté il y a déjà sept mois – une sorte de puzzle « dont tous les éléments sont connectés », souligne-t-il. Or la discussion sur son application éventuelle par les Etats piétine, tandis que le premier élément mis en évidence depuis l’automne 2020 est cette nouvelle stratégie qui vise à accélérer et amplifier des retours dits « volontaires », avec une aide financière à la clé. Une aide qui, apparemment, devrait s’avérer moins coûteuse que les opérations de rapatriement estimées, selon des calculs du Parlement européen, à quelque 3 300 euros par individu.

La contrainte, pour la Commission, est très claire : si elle entend faire approuver d’autres volets de son pacte – la mise en œuvre d’une réelle solidarité entre les pays, une meilleure répartition des demandeurs d’asile, une politique de sauvetage en mer plus efficace – elle doit réduire le nombre de migrants en situation irrégulière. Histoire de convaincre de ses propositions les gouvernements les plus hostiles à la définition d’une réelle politique migratoire européenne. Et de permettre à d’autres de calmer leur opinion, ou leur opposition.

Une « coopération renforcée »

En 2019, 500 000 migrants irréguliers ont été identifiés et 142 000 ont effectivement quitté le territoire de l’Union. Un tiers de ces derniers, seulement, ont regagné « volontairement » le pays qu’ils voulaient fuir.

Pour faire gonfler cette proportion Mme Johansson et M. Schinas imaginent différentes méthodes. Un système de « parrainage » des retours, qui permettraient à des pays membres hostiles à l’accueil de demandeurs d’asile de participer d’une autre manière à l’effort général. Une « coopération renforcée » avec les pays d’origine et de transit : ils seraient davantage aidés s’ils acceptent les retours de leurs nationaux et bénéficieraient d’une politique de visas plus généreuse. La Commission promet aussi de ressusciter de vieux projets : des canaux légaux de migration, un système de « blue card » calqué sur celui de la « green card » des Etats-Unis, des « partenariats » pour favoriser l’arrivée en Europe de migrants « talentueux ».

Les pays membres confrontés à la présence de clandestins seront, eux, aidés par Frontex. La contribution à la politique des retours « volontaires » figure déjà dans le mandat de l’agence des garde-frontières et garde-côtes, mais celui-ci sera élargi. En 2016 et 2019, elle a déjà participé à des opérations de rapatriement qui, selon diverses sources, plaçaient les migrants devant un choix assez simple : être rapatriés « volontairement », ou de force.

L’extension des missions de l’agence devrait, en tout cas, susciter de nouvelles questions, notamment au Parlement européen, qui enquête toujours sur les activités de l’agence en Méditerranée et sa participation de possibles refoulements illégaux de demandeurs d’asile. M. Schinas déplore ce « Frontex bashing », Mme Johansson demande la correction d’éventuels manquements.

La nomination de trois directeurs exécutifs adjoints à la direction de l’agence, d’un coordinateur européen chargé de la politique des retours et le déploiement de personnels chargés de la surveillance du respect des droits humains sont présentés, par la Commission, comme les garanties d’un fonctionnement rigoureux de Frontex.

Jean-Pierre Stroobants(Bruxelles, bureau européen)

Migrants à la frontière franco-italienne : « La solidarité n’est pas un délit ! »

Le Monde 20 avril 2021

Alors que se tiendront, le 22 avril et le 27 mai à Gap et à Grenoble, les procès de plusieurs personnes solidaires de migrants, les élus écologistes Damien Carême et Guillaume Gontard ont lancé un appel pour demander au gouvernement français de cesser ses pratiques indignes.

Tribune. L’hiver est officiellement fini. Pas celui qui s’abat sur les personnes exilées et celles qui sont solidaires. Cet hiver-là est le plus rude de tous : indigne, violent, inhumain. À Montgenèvre (Hautes-Alpes), village au-dessus de Briançon encore sous la neige, la situation ne cesse de se dégrader depuis des semaines.

A 1 800 mètres d’altitude, le gouvernement français militarise et montre les poings, pensant ainsi en mettre, des points, sur des « i » fantasmagoriques : il y aurait des migrants dangereux, il y aurait des personnes solidaires complices, il y aurait un flot d’arrivées massives. Et la seule solution serait de rejeter, humilier, édifier des murs.

C’est un mensonge.

Les personnes solidaires ne sont pas des coupables. Ils et elles ne sont pas des hors-la-loi. La Cour de cassation de Lyon l’a confirmé, le 31 mars, en relaxant définitivement Cédric Herrou.

La solidarité n’est pas un délit !

Les atteintes portées aux droits sont récurrentes

Pourtant, à Montgenèvre, le gouvernement choisit la répression. Et, chaque semaine, il surenchérit dans cette voie inhumaine. Il bafoue les droits français, européen et international et les droits des êtres humains, en toute impunité, tout en distillant sournoisement l’idée que la solidarité sert de planque à de sombres desseins. C’est de la manipulation.

Les faits, graves, sont dénoncés depuis des semaines par une vingtaine de parlementaires qui se sont rendus, et continuent de se rendre, sur place pour les constater et témoigner : droit d’asile piétiné, assistance médicale empêchée, mise en danger d’autrui, séparation de la famille, poursuites abusives de bénévoles, gardes à vue de journalistes, interpellations, amendes et interrogatoires abusifs, tentatives d’intimidations… Les atteintes portées aux droits sont récurrentes.

Cette situation honteuse dans les Hautes-Alpes se déroule à l’identique dans les Alpes-Maritimes, à la frontière entre Menton et Vintimille : la criminalisation des personnes solidaires s’y exerce de la même manière, les personnes exilées y sont refoulées avec la même fermeté. Cette même situation vécue, avant, dans la vallée de la Roya ou que vivent, sur certains aspects, les Pyrénées à la frontière franco-espagnole.

Une folie sécuritaire de la France et de l’UE

Dans cette folie sécuritaire, l’Union européenne (UE) et le gouvernement déploient aux frontières intérieures et extérieures de l’UE des moyens financiers démesurés pour une politique qui, en plus d’être indigne et inhumaine, est inefficace. Aucun mur, rien ni personne, n’empêchera jamais un être humain de mettre un pied devant l’autre pour sauver sa vie.

Cette folie est responsable de drames, de vies brisées au bout d’un parcours déjà jalonné de souffrances pour ces familles qui partent sur la route de l’exil avec des femmes enceintes, de jeunes enfants, des nourrissons, des personnes âgées. Le gouvernement français doit respecter le droit français, le droit européen, le droit international comme les droits d’asile et les droits humains.

Les personnes exilées, les personnes solidaires et les associations d’aide doivent être traitées dignement. Elles ne sont pas des délinquantes.

Les exilés ne doivent être ni victimes ni alibis de cette folie sécuritaire.

La détermination des bénévoles

N’en déplaise au gouvernement, la solidarité est partout sur le territoire français. Les bénévoles qui tentent, malgré les intimidations qu’ils subissent, de porter secours et assistance aux personnes en exil sont le visage de nos valeurs républicaines : la fraternité, la solidarité. Ces bénévoles n’ont pas renoncé à un Etat de droit capable d’accueillir et de protéger. Ils continuent d’agir, de jour comme de nuit, même quand l’hiver alpin sévit. Ils agissent par humanité.

Pourtant, ces personnes risquent gros… Malgré la décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet 2018 reconnaissant la fraternité comme un principe à valeur constitutionnelle, la mettre concrètement en œuvre peut encore mener derrière les barreaux. C’est ce que risquent plusieurs citoyens solidaires, ces prochaines semaines, au cours de deux procès qui s’annoncent :

Le 22 avril, à Gap, contre deux citoyens solidaires briançonnais, poursuivis pour « aide à l’entrée illégale et à la circulation sur le territoire national de personnes en situation irrégulière » pour avoir porté secours à une famille afghane sur le territoire français.

Le 27 mai, à Grenoble, contre sept citoyens solidaires briançonnais pour avoir participé, le 22 avril 2018, à une manifestation qui visait à dénoncer l’action de Génération Identitaire présente la veille au col de l’Échelle (Hautes-Alpes), ainsi que la militarisation de la frontière. Ce qu’il se passe aujourd’hui à nos frontières est insupportable.

Pour le respect du droit national et international

Les dénis de droits et les violences exercées ne peuvent être plus longtemps supportés.

Nous, signataires de cette tribune, demandons au gouvernement français de cesser ses pratiques indignes, illégales, illégitimes et dangereuses à la frontière. Nous lui demandons de respecter le droit national et international. Nous lui demandons d’en finir avec son récit mensonger. Nous, signataires de cette tribune, demandons au gouvernement français d’ouvrir les yeux sur la réalité d’un territoire où les initiatives solidaires sont bien réelles.

Il en va de la dignité de notre pays. Après l’hiver, le printemps.

Les premiers signataires de cette tribune : Damien Carême, député européen (EELV), président de l’Association nationale des villes et territoires accueillants (Anvita) ; Elsa Faucillon, députée (Hauts-de-Seine, PCF) ; François Gemenne, chercheur, spécialiste des migrations internationales ; Guillaume Gontard, sénateur (Isère, EELV), président du Groupe écologiste-Solidarité & Territoires ; Cédric Herrou, Emmaüs Roya ; Martine Landry, Amnesty international, Alpes-Maritimes ; Aurélien Taché, député (Val-d’Oise, Les Nouveaux Démocrates) ; Sophie Taillé-Polian, sénatrice (Val-de-Marne), Génération. s, Groupe écologiste-Solidarité & Tterritoires ; Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS.

Liste complète des signataires : https://europeecologie.eu/tribune-a-la-frontiere-franco-italienne-le-gouvernement-francais-doit-cesser-ses-pratiques-indignes

 

Le Royaume-Uni veut restreindre drastiquement les arrivées de migrants « illégaux »

https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/24/londres-veut-restreindre-drastiquement-les-arrivees-de-migrants-illegaux_6074348_3210.html

Le Monde, 23 mars 2021

Priti Patel, la ministre de l’intérieur, entend contraindre les personnes en transit par les pays de l’UE, dont la France, à déposer une éventuelle demande d’asile dans ces pays, avant de se rendre sur l’île.

Par Cécile Ducourtieux(Londres, correspondante)

Au cœur de l’été 2020, alors qu’un nombre historiquement élevé de « small boats » (des bateaux gonflables pour la plupart) s’engageaient dans la Manche pour rejoindre les côtes britanniques, Priti Patel était passée à l’offensive : le système d’asile du pays étant « brisé », il fallait en concevoir un nouveau, plus conforme au « take back control » (reprendre le contrôle) cher aux brexiters. La très radicale ministre de l’intérieur de Boris Johnson a rendu mercredi 24 mars une copie conforme à sa promesse, suscitant l’indignation des associations d’aide aux migrants et même les interrogations du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR).

Deux classes de réfugiés

Le nouveau système d’asile à la britannique, qui pour l’instant n’est qu’une « proposition » soumise à consultation – un projet de loi viendra ultérieurement, a assuré Mme Patel –, introduirait deux classes de réfugiés. Ceux arrivant au Royaume-Uni par des « routes légales » (négociées entre Londres et l’UNHCR, par exemple), venus directement de zones en crise (guerres, famines), auraient accès à tous les droits attachés à leur statut de réfugié : regroupement familial, aides sociales.

Tous les autres, arrivant par bateau (ou cachés dans des camions), en passant par des filières de passeurs, n’auraient pas le même accès aux aides, même s’ils décrochent le statut de réfugié au Royaume-Uni, ni les mêmes droits au regroupement familial. Ils se verraient remettre un « statut de protection temporaire » d’une durée maximale de trente mois. Cependant, « ce statut ne leur donnera pas un droit illimité à rester dans le pays », a précisé Mme Patel. « Notre nouveau système est basé sur la fermeté mais aussi la justice, pas sur la capacité de certains à se payer des passeurs. Ceux qui viennent par ces routes illégales encombrent notre système d’accueil et nous empêchent de bien nous occuper de ceux ayant réellement besoin d’une protection », a ajouté la ministre lors d’un débat à la Chambre des communes. « Les migrants qui viennent de pays sûrs – les pays européens, dont la France, sont des pays sûrs – devraient faire leur demande d’asile dans ces pays»

Limiter les possibilités de recours

En plus de vouloir décourager les passages « illégaux », le gouvernement Johnson entend augmenter les contrôles de l’âge des migrants parvenus dans le pays, pour éviter que certains se fassent passer pour des adolescents et bénéficient de conditions d’accès facilitées. Londres veut aussi « accélérer » les expulsions des personnes n’ayant pas réussi à décrocher le statut de réfugié et limiter leurs possibilités de recours devant les tribunaux. « Au moins les trois quarts des migrants [à qui a été refusé le statut de réfugié] font appel. Il faut en finir avec cette justice confisquée [par les recours] », a martelé la ministre, très en verve contre les avocats se mettant au service des migrants.

En 2020, environ 8 500 personnes ont pris le risque de s’engager dans un des axes maritimes les plus denses du monde. La plupart ont fait une demande d’asile en arrivant sur le sol britannique. Selon la chaîne Sky News, environ 800 auraient entrepris la traversée depuis le début de cette année, malgré les conditions hivernales. En tout, selon des chiffres officiels du ministre de l’intérieur, 35 099 personnes ont fait une demande d’asile au Royaume-Uni entre mars 2019 et mars 2020 (11 % de plus qu’un an auparavant) et 20 339 personnes se sont vu accorder le statut de réfugié (ou une « protection humanitaire ») sur la même période (17 % de plus qu’un an auparavant).

La ministre de l’intérieur britannique, Priti Patel, lors de son intervention du 24 mars 2021 sur le droit d’asile au Royaume-Uni, à la Chambre des communes, à Londres. – / AFP

Pas d’explosion des passages, donc, ni des demandes d’asile, mais Mme Patel veut mettre en musique une des grandes promesses des brexiters : leur fameux « take back control ». En 2020, la ministre a déjà présenté – et fait adopter –, une loi migratoire bien plus restrictive, obligeant les candidats à l’installation au Royaume-Uni (pour y vivre ou y travailler) à disposer d’un plancher assuré de revenus.

Ces projets gouvernementaux sont « cruels », estime l’avocate Sonia Lenegan, de l’Immigration Law Practitioners’Association

La nouvelle politique d’asile va « créer une catégorie de bons réfugiés et une de mauvais réfugiés, qui ne font pas les choses correctement. Il y a des gens qui ont été déplacés, qui se sont retrouvés en Europe et qui ont besoin d’un endroit sûr. On doit trouver une manière plus humaine de les traiter », a déploré Bridget Chapman, à la tête de l’association caritative Kent Refugee Action Network, au micro de Sky News. Ces projets gouvernementaux sont « cruels », ils vont « traumatiser les gens qui disposeront du statut de réfugié temporaire », a relevé Sonia Lenegan, de l’association d’avocats Immigration Law Practitioners’Association (ILPA).

Légalité des propositions en question

Certains députés, sur les bancs de l’opposition, ont même questionné la légalité des propositions gouvernementales au regard de la convention de Genève de 1951 relative au droit d’asile. « La convention ne donne pas aux gens un droit absolu de choisir le pays où déposer leur demande, mais elle ne les oblige pas pour autant à déposer leur demande dans le premier pays sûr atteint », a réagi un porte-parole au UNHCR interrogé par le Guardian. « Notre proposition est en ligne avec nos engagements internationaux », a rétorqué Mme Patel. « Notre but est de sauver des vies, d’éviter que des gens meurent en mer ou dans des camions », a ajouté la ministre, en faisant référence au drame des 39 migrants vietnamiens morts étouffés dans un camion réfrigéré, venu depuis la Belgique en ferry, fin 2019.

Elle a aussi défié les critiques sur son « manque de compassion », rappelant que ses parents « ont fui les persécutions eux aussi ». La famille de Mme Patel est arrivée au Royaume-Uni à la fin des années 1960, fuyant l’Ouganda comme des milliers d’autres Indiens aux prises avec la politique anti-asiatique du dictateur de l’époque, Idi Amin Dada : « Les Britanniques sont des gens généreux », a conclu la ministre. Il est vrai que Londres a proposé en 2020 aux Hongkongais détenteurs d’un passeport « BNO » (British National Overseas, pour Britanniques d’outre-mer), délivré avant la rétrocession de Hongkong à la Chine, un visa de longue durée au Royaume-Uni. En 2015, avait également été mis en place un schéma de réinstallation des Syriens – presque 25 000 personnes en ont bénéficié. Mais aucune autre route « sûre » n’a été, à ce jour, ouverte.

Cécile Ducourtieux(Londres, correspondante)

Coquelles : expulsion et pose d’enrochements

Une opération de démantèlement de campements de migrants a eu lieu ce mardi 30 mars à Coquelles, autour de l’ancien magasin Conforama. La pose d’enrochements s’en est suivie pour dissuader de nouvelles personnes de s’installer.

Une opération de démantèlement de campements de migrants a eu lieu ce mardi 30 mars à Coquelles, autour de l’ancien magasin Conforama. La pose d’enrochements s’en est suivie pour dissuader de nouvelles personnes de s’installer.

Ce mardi matin, une opération de démantèlement a été menée autour de l’ex-magasin Conforama à Coquelles. D’après le communiqué de la préfecture ce mardi, « à 9 heures, 76 personnes ont été prises en charge et mises à l’abri dans différentes structures d’hébergement du département (à Merlimont, Nédonchel et Croisilles) ».

 

Cette opération a mobilisé 14 camions de CRS. Elle intervient, précise la préfecture, après que « le propriétaire du terrain concerné a saisi le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer. Une ordonnance d’expulsion a été rendue le 18 mars 2021 ».

 

« Suite à la délivrance de cette ordonnance, le préfet du Pas-de-Calais a décidé d’octroyer le concours de la force publique sur ce terrain. Préalablement, de nouvelles maraudes avaient été effectuées sur ce site pour proposer aux migrants intéressés une mise à l’abri dans différents centres d’accueil et d’hébergement du Pas-de-Calais », précise encore le communiqué.

Un enrochement autour de l’ancien Conforama

À l’heure où nous avons suivi les opérations, vers 11 h, plus aucun migrant n’était sur place. À la demande du propriétaire des lieux et du futur acquéreur, des pierres étaient en train d’être posées tout autour de la surface abritée du bâtiment afin de décourager toute tentative d’installation des migrants. La plupart ont un campement de fortune sur des terrains voisins de la zone commerciale la Française.

 

Michel Hamy, le maire de Coquelles, soutient l’opération  : « De futurs travaux vont avoir lieu sur la zone. Les choses sont désormais réglées », estime-t-il. La pose de blocs de pierre est « une solution complémentaire pour éviter que les migrants ne reviennent ».

Un problème « déplacé » pour les commerçants

Cette opération intervient à la suite de « nombreuses plaintes des commerçants riverains », justifie encore le maire. Pourtant, les commerçants interrogés étaient surtout dans l’incompréhension : « Ils déplacent juste le problème », estime une commerçante. « Personnellement, i ls ne nous embêtent pas, même si certains clients avaient un peu peur. » Même écho chez le commerce voisin  : « Dernièrement, il y avait une trentaine de tentes tous les soirs, on n’a jamais eu de soucis avec eux. »

Une opération similaire d’enrochement avait été organisée au fort Nieulay en décembre pour empêcher le passage des associations d’aide aux migrants non mandatées par l’État.

 

Le Tribunal Administratif rejette la requête de la Commune de Calais concernant l’expulsion du site dit de ‘BMX’ à Calais

Le 18 mars 2021, une demande d’expulsion par la Commune de Calais a été affichée sur le site dit du « BMX » [rue du Petit Courgain, à Calais]. Il s’agissait d’un référé mesures utiles avec une audience prévue le 23 mars 2021. Ledit campement, est un lieu où (sur)vit la communauté érythréenne, dont près de 200 personnes ; majoritairement des hommes seuls mais aussi des enfants et des femmes. Par une décision du 26 mars 2021, le Tribunal Administratif rejette la requête de la Commune.
Nous tenons toutefois à dénoncer certains préjugés entendus lors de l’audience.
Premièrement, les associations, telles que la Cabane Juridique, ne sont pas payées par le contribuable et ne tirent aucun profit de la situation d’errance des personnes exilées. De plus, les associations font le travail de l’État et ont pour vocation à disparaître lorsque l’État remplira ses obligations. En second lieu, la Commune ne fait pas généreusement le minimum concernant l’accès aux droits et besoins fondamentaux mais elle a été condamnée par le Conseil d’État pour cela. Quant aux ‘mises à l’abri’, ces dernières doivent être volontaires. En aucun cas, mise en place le jour d’une
expulsion escorté par une armada de CRS avec pour autre possibilité que le commissariat voire le centre de rétention administratif. Les CAES [centres d’analyse et d’examen des situations] sont de fausses solutions. En effet, il s’agit uniquement d’une remise à la rue des personnes en raison de leur situation administrative qui vise à éloigner les personnes exilées de Calais plutôt que d’un élan humanitaire des autorités. Pour rappel, vivre dans une tente sur un terrain boueux n’est pas un choix et encore moins un caprice. Troisièmement, la parole des associatifs doit avoir autant de poids que celle de la préfecture. En effet, lorsque des chiffres sont avancées par une partie sur le nombre de personnes hébergées au 115 et que l’autre partie dénonce la saturation du service, il est demandé de vérifier la méthode de décompte et d’analyse.
Pour conclure, il s’agira d’une véritable victoire. En effet, nous n’aurons pas un copié/collé d’une précédente décision avec un délibéré de plus de 4 heures.
Ce site particulier a été désigné par l’État comme le lieu où s’applique le « socle humanitaire ». En effet l’entièreté des associations y interviennent (associations indépendantes et associations mandatées par l’État) pour y permettre l’accès
au soin, au droit, à la nourriture, à l’eau, aux sanitaires, aux douches, à l’information, l’accompagnement sociojuridique des mineurs, …Le terrain fait l’objet d’un harcèlement étatique quotidien. En effet, des convois, toutes les 48 heures, dans le cadre d’infractions constatées en flagrance, interviennent dans la matinée pour expulser les lieux de vie : forcer les habitant.e.s à être levés et déplacer leurs tentes. Par ailleurs, nombreuses violences et abus policiers constatés : violences physiques, destruction des provisions d’eau, éclairage en pleine nuit, … Hormis le court temps de préparation à l’audience [soit deux jours pour se constituer, conclure et apporter des pièces], 4 habitants soutenus par la Cabane Juridique et Utopia 56, ont été représentés par Maître Eve Thieffry. Dans sa décision du 26 mars, la juge a rejeté les arguments
de la Commune sur l’urgence et l’utilité de la mesure. En effet, il n’est pas démontré que le campement porte atteinte à la salubrité publique et soit contraire à la dignité humaine. Il n’est, non plus, démontré l’impossibilité d’accès aux terrains de sport ni que le campement porte nuisance au voisinage ou le coût excessif du nettoyage du site.

Journal des Jungles n°14

Journal des Jungles n°14 // Violences

Cette nouvelle résidence d’écriture du Journal des Jungles a été accueillie, du 16 au 18 octobre 2020, dans les locaux du syndicat  Solidaires à Caen. Ce numéro a réuni des personnes exilées ayant quitté le Soudan, et survivant aujourd’hui dans un campement sur un quai de Ouistreham, des personnes ayant fui l’Afghanistan, dans la longue attente d’une réponse à leur demande d’asile, ainsi que des bénévoles et militant.e.s de Caen, Ouistreham, Norrent-Fontes, St-Omer et  d’ailleurs !

Découvrez le Journal des Jungles n°14 en cliquant sur les images ci-dessous ! Vous pouvez également le télécharger en format PDF ici.

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Pourquoi des mineurs non accompagnés ont fui leur pays

https://www.mediapart.fr/journal/international/190221/bord-de-l-ocean-viking-pourquoi-les-mineurs-non-accompagnes-ont-fui-leur-pays

A bord de l’«Ocean Viking», pourquoi les mineurs non accompagnés ont fui leur pays

 PAR 

Lors de ses deux rotations en 2021, du 11 au 25 janvier, puis du 2 au 7 février, l’Ocean Viking a recueilli 254 mineurs non accompagnés, soit près du tiers des personnes secourues. Certains fuient la dictature de leur pays, la pauvreté ou un mariage forcé, d’autres aspirent à la mobilité. Ils embarquent seuls à bord de canots pneumatiques dans l’espoir d’une vie meilleure.

Serviette violette enroulée sur la tête, sweat-shirt bleu marine sur les épaules et couverture sur les jambes, Mohamed observe, en silence, les allées et venues sur le pont de l’Ocean Viking. La veille, les marins-sauveteurs du navire humanitaire l’extirpaient du canot pneumatique surchargé qui le transportait depuis les côtes libyennes vers les portes de l’Europe.

« J’ai etrès peur, j’ai risqué ma vie dans ce bateau. On est partis de Zouara le matin, les Libyens nous ont entassés dans le bateau, on devait être une centaine. Au début, la mer était calme mais elle a commencé à s’agiter ensuite », raconte-t-il, les yeux écarquillés et les sourcils levés, comme s’il revivait l’espace d’un instant l’impressionnante épopée.

 

Mohamed, 17 ans, veut s'installer en France, dans son «pays de rêve». © NBMohamed, 17 ans, veut s’installer en France, dans son «pays de rêve». © NB

 

Mohamed a 17 ans. Il quitte la Guinée un an et demi plus tôt, en passant d’abord par le Mali, puis Blida en Algérie, où il travaille plusieurs mois sur les chantiers de construction tenus par des travailleurs chinois (lire notre enquête à ce sujet), comme de nombreux jeunes rencontrés à bord du navire humanitaire. En Libye, il tente de traverser la Méditerranée à trois reprises mais échoue toujours in extremis« Le plus souvent, la police nous a arrêtés sur le rivage. Je me suis retrouvé en prison à chaque fois. »

Depuis qu’il a quitté « l’enfer libyen » (que Mediapart raconte ici), Mohamed nourrit l’espoir de rejoindre la France, son « pays de rêve ». Il est le cadet d’une fratrie de quatre et doit endosser la responsabilité de faire vivre sa famille restée au pays. « Parfois, les mineurs sont envoyés par leur famille et sont chargés de lui fournir un revenu complémentaire », analyse François Gemenne, chercheur et spécialiste des migrations.

Pour d’autres, la migration représente une « sorte de rite de passage » : « Ils partent seuls, à l’aventure, parce qu’ils ont vu des amis ou des cousins partir. Et puis il y a ceux qui se trouvent dans des situations personnelles désespérées et qui tentent de partir car c’est la seule alternative. Pour eux, c’est une question de survie. »

« Mon père est décédé en 2015 et on s’est retrouvés dans une situation difficile. Mon grand frère est resté auprès de ma mère pour l’aider, c’est donc moi qui suis parti », lâche Mohamed d’un ton entremêlant candeur et pragmatisme. Il triture le bracelet jaune qui entoure son poignet et expose sa minorité aux yeux de tous, puis ajoute : « En France, j’aimerais étudier et travailler pour les aider. »

Souvent, la famille assure le début du voyage et le jeune doit ensuite travailler pour financer chaque nouvelle étape, créant des migrations « étalées dans le temps et dans l’espace » s’agissant des Subsahariens, explique François Gemenne. « C’est un vrai investissement. Lorsque la famille envoie l’un des fils à la ville ou à l’étranger, les proches se cotisent pendant plusieurs mois et cela constitue une obligation de réussite à la migration pour l’adolescentqui sait qu’il ne peut pas échouer. C’est une assez grande responsabilité. »

Le lendemain, dans le conteneur servant d’abri aux femmes et aux enfants, Aminatou*, 16 ans, avance en tapant des mains et en remuant la tête, laissant sa voix suivre les chants a capella des migrantes qui l’entourent. « Tiens-moi, tiens-moi par la main, je vais te suivre ohohhh. Si tu me laisses, les anciens vont me tuer ! », implore le cercle dansant, qui s’est formé inopinément et près duquel des enfants se trémoussent.

Un moment de grâce auquel la jeune fille s’adonne, le visage inexpressif, dans une ostensible indifférence. Cette matinée marque le début du débarquement au port d’Augusta, en Sicile, pour les personnes secourues par l’Ocean Viking les 21 et 22 janvier derniers. Aminatou a échappé à son passé et ignore tout de son avenir. À l’issue de la danse, elle s’assoit en tailleur sur le sol, de son corps chétif habillé de vêtements amples, et ajuste d’une main la capuche jaune qui lui couvre la tête.

 

Aminatou* a quitté la Guinée à l'âge de 16 ans pour échapper à un mariage forcé. © NBAminatou* a quitté la Guinée à l’âge de 16 ans pour échapper à un mariage forcé. © NB

 

« Jusqu’à présent, mes parents ne savent pas où je suis », confie-t-elle. Ses yeux pleins d’innocence fixent un moment le sol, puis elle reprend : « J’ai fui ma famille à cause d’un mariage forcé. Mes parents sont pauvres et je suis leur seul enfant. Ils ont voulu me marier à un homme âgé de 45 ans qui avait promis de subvenir à nos besoins. Je n’ai pas pu. »

Près de son village en Guinée, l’adolescente rencontre un homme à qui elle raconte son histoire. Celui-ci l’emmène au Mali, puis en Algérie, où il l’abandonne à son sort. « Je n’avais jamais quitté mon pays avant. J’ai rencontré d’autres Africains [subsahariens – ndlr] qui voulaient se rendre en Libye et ils m’ont proposé de les suivre », relate Aminatou.

Arrivée à Tripoli en mai 2020, durant le mois de ramadan, elle est enfermée dans une pièce et réduite à l’état d’esclave sexuelle. Nue, sans matelas ni couverture, elle est violée « tous les jours » durant trois mois par des hommes. « Ensuite, ils m’ont emmenée dans un autre endroit où il y avait plus de monde. Là, les Arabes nous ont vendus à d’autres et on s’est retrouvés en prison. »

Son visage rond et juvénile contraste avec l’horreur qui émane de son récit. « Un jour, un homme est venu me choisir en disant qu’il allait me faire travailler. Il m’a emmenée chez lui et j’y suis restée. Je ne sais même pas combien d’hommes m’ont violée. Même quand tu as tes règles, ils s’en fichent. » C’est finalement cet homme qui la réveille une nuit, l’enferme dans le coffre de sa voiture et la laisse sur le rivage à Tripoli.

« Beaucoup de migrants, a fortiori les mineurs, perdent la capacité de décider de leur migration »

À cet instant, le jeune fille ignore qu’elle s’apprête à monter à bord d’un canot pneumatique pour tenter la traversée de la Méditerranée. « J’ai vu tous ces gens au bord de l’eau… Des hommes armés nous ordonnaient d’aller sur le bateau. Mais moi, je n’avais jamais dit que je voulais aller en Europe. Je ne comptais pas y aller ! », martèle Aminatou en tordant le cordon de son masque chirurgical, précisant qu’elle n’a même pas payé le voyage.

Selon un rapport de SOS Méditerranée intitulé « Jeunesse naufragée », 17 % des personnes secourues par l’association entre 2016 et 2019 étaient des mineurs non accompagnés. En 2019, ils étaient 22 %. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et l’Unicef soulignent que 81 % des mineurs, âgés de 14 à 17 ans et voyageant seuls entre 2016 et 2017, ont déclaré avoir été victimes d’exploitation et de traite humaine.

« La plupart de ces expériences traumatiques ont surtout lieu en Libye. […] Ces multiples exactions ont motivé leur décision de risquer leur vie en mer pour la majorité d’entre eux, quand ils n’y ont pas été contraints », pointe le rapport.

« C’est une problématique des migrations actuelles, relève le chercheur François Gemenne. Beaucoup de migrants, a fortiori les mineurs, perdent la capacité de décider de leur migration. Leur inexpérience et leur immaturité, mais aussi les attentes de leur famille restée au pays, font qu’ils peuvent être plus facilement leurrés par les passeurs. »

Et sont donc davantage exposés aux dangers durant le parcours migratoire. « Pour une majorité d’entre eux, c’est la première fois qu’ils voyagent. Ils sont donc très dépendantdes intermédiaires, auprès de qui ils vont s’endetter et obtenir des informations pour chaque nouvelle étape. »

 

Ahmed, un jeune Érythréen, a fui la dictature de son pays dans l'espoir d'un avenir meilleur en Europe. © NBAhmed, un jeune Érythréen, a fui la dictature de son pays dans l’espoir d’un avenir meilleur en Europe. © NB

 

Sur le pont de l’Ocean Viking lors de la deuxième rotation du navire humanitaire, du 2 au 7 février, Ahmed n’est jamais loin d’un groupe de Soudanais. Souvent isolé, il suit du regard chaque membre de SOS Méditerranée qui lui passe devant, empli de timidité et de pudeur. Il est le seul Érythréen présent à bord et peu le savent.

« J’ai dit aux autres que j’étais soudanais pour pouvoir partir avec eux », chuchote-t-il en arabe littéraire, laissant son regard virevolter de gauche à droite pour s’assurer que personne ne l’a entendu. À 17 ans, Ahmed dit avoir quitté son pays pour fuir la dictature. « J’ai perdu mon père quand j’étais petit, il a été tué au combat. Mon oncle nous a élevés, mon petit frère et moi. »

C’est lui qui l’aide à partir aux côtés de Nader, son ami et compagnon de route. Alors qu’ils souhaitent d’abord s’établir au Soudan, la situation politique instable et le mouvement de protestation sociale que le pays traverse les contraignent de nouveau au départ. Ils suivent trois Somaliens, décidés à partir pour la Libye, et frôlent la mort dans le désert entre les deux pays.

« Des milices armées nous ont agressés. Un des Somaliens a été touché à la tête et a perdu la vie. Mon ami et moi avons pu nous échapper. »

Enfermés durant plusieurs mois au camp de détention de Bani Walid, au sud de la capitale, ils sont « vendus » à des hommes qui les transfèrent à Zaouia et leur réclament 300 dollars pour les libérer. « Je n’avais pas d’argent. Mon ami avait un frère qui a pu payer pour lui. Je leur ai dit que je pouvais travailler en échange de ma liberté et j’ai cuisiné pour eux pendant trois mois. »

À sa sortie de prison, Ahmed apprend que son ami a réussi à quitter la Libye et se trouve en Europe. Il dégote un emploi en tant que plâtrier chez des Syriens et garde l’objectif de le retrouver. « La séparation a été très difficile car on était très proches. J’ai tellement pleuré ! »

À l’annonce du débarquement au port d’Augusta le 7 février, le jeune homme, habituellement introverti, apparaît une couverture de survie dorée enroulée sur la tête, au milieu de la foule déchaînée, et se laisse aller à l’euphorie, s’imaginant déjà aux côtés de son ami.

« Je veux m’installer en Suède et travailler en tant que plâtrier, maintenant que j’ai été formé à ce métier. Je joue très bien au freestyle foot aussi. J’espère pouvoir continuer à le pratiquer là-bas. » Il ignore encore quel sort sera réservé à son petit frère resté en Érythrée. « Mais je refuse qu’il passe par la Libye et vive les horreurs que j’ai vécues », conclut-il.

« Moi, je n’ai pas raconté les difficultés que j’ai eues à ma mère, sinon elle m’aurait dit de rentrer », explique Mohamed, le jeune Guinéen. « On est obligés de prendre ces risques puisqu’on ne nous donne pas les moyens de prendre l’avion », résume-t-il, conscient du privilège de la mobilité dont jouissent les personnes nées du bon côté du monde, comme le rappelait François Gemenne dans son ouvrage On a tous un ami noir (Fayard).

« Je n’ai jamais voulu quitter mon pays, lance Mohamed, un autre mineur non accompagné secouru par l’Ocean Viking qui rêve de devenir journaliste et écrivain. La Côte d’Ivoire est l’un des plus beaux pays d’Afrique. Mais la situation politique et socio-économique n’est pas facile. On n’a ni éducation ni formation, on ne peut rien faire de nos vies. »

Quelles que soient les raisons qui poussent ces jeunes à la migration, comment les blâmer d’avoir soif de mobilité, à l’heure de la mondialisation ? « Ils sont sans cesse exposés à des images et des récits d’Europe, parfois même des récits très enjolivés de ceux qui sont partis… », rappelle le spécialiste des migrations.

Et d’ajouter : « C’est une aspiration très humaine que de chercher à améliorer sa vie. Combien de jeunes Français migrent à Londres chaque année, convaincus qu’ils deviendront millionnaires à la City, alors que beaucoup seront serveurs dans un restaurant ? Au nom de quoi refuserions-nous aux jeunes Africains des aspirations qui sont si répandues et valorisées en Europe ? »