Vice // Discrètement, la France renvoie des migrants en Afghanistan

https://news.vice.com/fr/article/la-france-renvoie-discretement-des-migrants-en-afghanistan-malgre-la-situation-securitaire

 

Par Elise Blanchard

juillet 26, 2017 | 11:53 am

Le scénario s’est répété une petite quinzaine fois depuis le 20 juin, journée mondiale des réfugiés : un homme afghan, parfois très jeune, assis à l’arrière d’un avion au départ de Charles de Gaulle, entouré de policiers.

La plupart de ces tentatives de renvois forcés n’ont pas abouti, grâce aux réactions des passagers, informés à l’aéroport par les militants du collectif La Chapelle Debout (LCD). Malgré tout, trois Afghans, arrêtés à Calais et Paris, ont été expulsés vers Kaboul ces dernières semaines.

Gul*, un jeune Afghan de 19 ans, originaire de Kunduz (une des zones les plus dangereuses du pays) a décollé à 13 heures 26, le 19 juillet, dans un vol Air France pour Istanbul, seule escale avant l’Afghanistan – le pays qu’il avait été obligé de fuir après qu’il ait refusé de rejoindre les Talibans, selon LCD.

Dans un communiqué, LCD décrit la scène dans l’avion, racontée via téléphone et SMS par des passagers dans l’avion :

« [Gul] a hurlé. Très rapidement, les policiers lui ont mis un masque sobrement appelé « un réducteur phonique » et qui nous a été décrit par les personnes présentes, choquées, comme un masque à oxygène. » Un couple de passagers qui s’était plaint de la situation a été forcé de quitter l’avion.

Depuis 2009, seuls quelques Afghans, des cas isolés, avaient été renvoyés à Kaboul. Les tribunaux annulent normalement la plupart des demandes de renvois pour les personnes originaires d’Afghanistan en raison des dangers encourus dans leur pays d’origine (en accord avec les lois internationales). N’ayant commis aucun crime, ils sont souvent relâchés après un délai de 45 jours.

Depuis juin 2017, la France, comme l’Allemagne auparavant, tente de mettre en place un processus de retours forcés vers l’Afghanistan.

« Je pense que jusqu’à récemment, l’administration française était encore en phase de rodage. »

Contrairement à l’Allemagne qui a choisi les expulsions collectives à bord d’avions spécialement affrétés, la France utilise une méthode plus discrète, en plaçant les personnes qu’elle souhaite expulser, une par une, à l’arrière d’avions de ligne.

Interrogé par VICE News, Nicolas Pernet, responsable en Île-de-France de l’action en rétention de La Cimade, une association de soutien aux migrants, nous explique : « Je pense que jusqu’à récemment, l’administration française était encore en phase de rodage. » Avant, deux obstacles empêchaient les renvois : la situation sécuritaire en Afghanistan et l’obtention d’un laissez-passer consulaire (nécessaire lorsque les migrants n’ont pas de papiers) rarement délivré par les autorités afghanes.

Pernet explique qu’afin de contourner le premier obstacle, l’administration affirme que si les réfugiés afghans ne souhaitent pas demander l’asile en France, alors c’est qu’ils ne sont pas en danger en cas de renvoi dans leur pays.

En réalité, certains souhaitent rejoindre leur famille en Angleterre et d’autres veulent demander l’asile en France, mais préfèrent attendre leur sortie du centre de rétention administrative (CRA) pour le faire. En effet, en CRA les migrants ne disposent que de cinq jours pour préparer leur dossier de demande d’asile, un délai trop court pour le faire correctement et les taux d’acceptations sont bien plus bas qu’en procédure dite normale.

De son côté, un accord entre l’Union européenne et l’Afghanistan (signé en octobre 2016) a permis à l’administration de faire tomber le deuxième obstacle, explique Pernet. Il autorise le ministère de l’Intérieur à délivrer son propre « laissez-passer européen », s’il n’obtient pas de laissez-passer du consulat afghan sous quatre semaines.

Cet accord, très critiqué, visant à faciliter les renvois, a été signé par le gouvernement afghan avec l’UE en contrepartie d’aides au développement, et de la construction d’un terminal à l’aéroport de Kaboul.

« Le gouvernement assumerait le principe de ces renvois vers l’Afghanistan, conformément à la volonté politique de l’Union européenne. »

Le Défenseur des Droits a critiqué l’accord UE-Afghanistan lors d’auditions parlementaires, soulignant « l’absence de garanties démocratiques dont dispose l’Afghanistan pour juger du besoin de protection des intéressés, » dit Géraldine Meyer, du service de presse de cette institution, à VICE News.

Le 13 mars, le Défenseur des Droits avait déjà reçu un courrier du ministre de l’Intérieur « expliquant que le gouvernement assumerait le principe de ces renvois vers l’Afghanistan, conformément à la volonté politique de l’Union européenne. »

Bilal, un Afghan d’environ 50 ans, malade, séparé de sa femme et de son enfant de 8 mois, tous deux à Calais, a été la première cible dans cette série de tentatives de renvois. Il a été emmené de force dans un avion le 20 juin 2017, journée mondiale des réfugiés. Poursuivi par des seigneurs de guerre et les Talibans, Bilal dit avoir dû fuir son pays pour sauver sa vie. Bilal s’est retrouvé à l’aéroport Charles de Gaulle, dans un avion à destination d’Istanbul puis de Kaboul.

Au même moment, une dizaine de militants distribuaient des tracts aux portes d’embarquement, expliquant aux passagers ce qui risquait d’arriver à Bilal, et comment tenter de l’aider une fois à l’intérieur de l’avion. Quelques heures plus tard, le commandant de bord a fini par sortir du cockpit face au mécontentement de certains passagers. L’appareil décolle avec trois heures de retard, mais Bilal en est sorti.

Le lendemain, encore sur le vol de 16 heures 20, la même scène ou presque se reproduisait pour Jan*, un Afghan de 19 ans. À l’arrière de l’avion, le jeune homme fait tout pour se faire remarquer, malgré les policiers qui l’entourent. Deux passagères ont tenté de parler au pilote en vain. Puis, un homme interpelle la police et l’équipage : « Renvoyer quelqu’un à Kaboul contre son gré est contraire aux droits de l’homme. » L’homme refuse de s’asseoir et est rejoint par d’autres passagers qui tentent de négocier avec l’équipage. Jan finira par être débarqué, rentrer au CRA, puis en sortir quelques jours plus tard.

Le 23 juin, veille de sa libération programmée, on annonce à Bilal qu’il part pour l’aéroport. Plus tard, Bilal rentre dans sa chambre et se lacère les bras.

« C’est une sacrée preuve de leur détermination. »

Selon Pernet, ce type d’incident arrive régulièrement en CRA. « Au stade où il n’y a plus aucune échappatoire, ils ne voient plus que ça pour essayer de s’en sortir, » dit-il citant des hommes qui s’ouvrent les veines, avalent des lames de rasoir, ou encore tentent de se pendre. « Personne n’en est mort, mais ce sont des situations dures. » Nicolas Pernet est par contre surpris par la vitesse à laquelle la préfecture du Pas-de-Calais a reprogrammé un deuxième vol pour Bilal. « C’est une sacrée preuve de leur détermination. »

Contactés plusieurs fois par VICE News, le ministère de l’Intérieur (notamment la Direction générale des étrangers en France) et la préfecture du Pas-de-Calais n’ont pas répondu à nos questions.

Après un rapide passage à l’hôpital du CRA, Bilal a été de nouveau emmené à l’aéroport pour le vol vers Istanbul. Cette fois, l’avion a démarré. Mais alors que les militants avaient perdu espoir, l’appareil a finalement fait demi-tour pour faire descendre Bilal, après que des passagers aient encore refusé de s’asseoir.

« La deuxième fois a été encore plus difficile, » dit Bilal au téléphone à VICE News. « Je deviens fou, pourquoi veulent-ils absolument me déporter, moi ? ». Bilal assure que des officiers lui ont dit, à la suite du deuxième vol, qu’il serait drogué pour être plus calme pendant la troisième tentative.

Il n’y a pas eu de troisième vol pour Bilal. Selon sa femme, jointe au téléphone, Bilal est malade, apeuré et méfiant.

« Quand tu expliques la situation et que tu mets des noms, des parcours de vies sur la personne, ça change tout. »

Selon les activistes de LCD, la douzaine de tentatives de renvois avortées montrent que « la majorité des gens sont contre ces méthodes, » et que « l’important est de mettre à jour un processus que personne ne voit ou personne ne veut voir ».

« Quand tu expliques la situation et que tu mets des noms, des parcours de vies sur la personne, ça change tout, et la majorité des gens, ça les choque, » dit une militante de LCD.

Les tentatives de renvois ont continué de s’enchaîner. Le 5 juillet, lors de la septième tentative de renvoi, les militants sont encore arrivés deux heures avant l’heure de départ, mais beaucoup de passagers ont déjà passé la porte d’embarquement.

L’homme qui risque d’être renvoyé ce jour-là a expliqué aux militants qui l’ont rencontré qu’il « a été arrêté, frappé et enfermé en centre de rétention administratif alors qu’il était en possession d’une convocation pour déposer une demande d’asile. Le papier de rendez-vous a été détruit. »

Mais le personnel de bord, selon les militants, n’est plus intéressé par leur discours. Il semble avoir été briefé pour décoller coûte que coûte.

La police aux frontières distribue elle aussi des tracts aux passagers. L’officier habillé en civil nous explique que le tract vise à expliquer aux passagers qu’ils encourent des peines s’ils entravent le bon déroulement du vol. Il cite l’article L6372-4 du Code des Transports selon lequel « Entraver, de quelque manière que ce soit, la navigation ou la circulation des aéronefs » est « puni de cinq ans d’emprisonnement et de 18 000 € d’amende. »

Le tract des activistes cite lui la convention européenne des droits de l’homme (article 3 : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ») et la charte des droits fondamentaux de l’UE (dont l’article 19 : « Nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. » ).

« Les frontières de la légalité et de l’illégalité sont décidées par les États et par les gouvernements. »

La situation sécuritaire du pays ravagé par la guerre depuis presque quatre décennies n’a fait que se dégrader ces dernières années. Le nombre de victimes civiles enregistrées pour le premier semestre de 2017 a atteint un nouveau record avec 1 662 morts et 3 581 blessés, selon les Nations unies. Et l’année 2016 avait déjà été la plus meurtrière depuis le début du recensement en 2009, avec 11 418 civils tués ou blessés.

À lire : À Kaboul, les Talibans multiplient les attentats

« Il faut bien se rendre compte qu’on est ici dans une situation, où les frontières de la légalité et de l’illégalité sont décidées par les États et par les gouvernements et où le droit international n’a plus guère de prise, » explique François Gemenne, chercheur sur les migrations à Sciences Po.

La France, explique-t-il, a choisi la discrétion, là où l’Allemagne a agi très ouvertement pour dissuader les migrants et satisfaire l’opinion publique (mais elle a récemment temporairement suspendu les renvois vers Kaboul).

« Ces expulsions douces via les avions de ligne sont symptomatiques d’une politique à plus grande échelle qui veut essayer de rendre invisible les indésirables, » dit-il.

Alors que ce lundi deux attentats revendiqués par les Talibans ont tué au total de plus 70 personnes en Afghanistan, dont au moins 35 à Kaboul, la France a encore expulsé un migrant afghan ce mardi. L’avion est parti à 13 heures 32, avec une heure de retard. Selon un passager à bord, en contact avec les militants, deux camions de CRS étaient présents sur le tarmac, et sept officiers dans l’avion.

Ce nouveau cas de renvoi est inédit. D’après LCD, Jaweed*, 22 ans, souhaitait rester en France et avait été débouté du droit d’asile, car l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) l’aurait soupçonné d’être pakistanais ou indien. Il a été arrêté par la police à la Gare de l’Est à Paris, alors qu’il avait apparemment récupéré son passeport afghan à l’ambassade pour prouver qu’il ne mentait pas. Mais plutôt que de le laisser utiliser cette preuve pour obtenir l’asile, les autorités se seraient servies du passeport pour le renvoyer à Kaboul.

* Les prénoms des migrants afghans ont été modifiés afin de préserver leur sécurité.

Défenseur des droits // Enquête sur les relations police / population

http://www.defenseurdesdroits.fr/fr/actus/actualites/relations-policepopulation-le-defenseur-des-droits-publie-une-enquete-sur-les

Alors que le Conseil constitutionnel se prononcera le 24 janvier sur une question prioritaire de constitutionnalité relative à la question des contrôles d’identité discriminatoires, le Défenseur des droits, qui sur le même sujet, a présenté en 2016 des observations remarquées devant la Cour de cassation[i], a publié le 20 janvier les résultats d’une enquête réalisée au cours de l’année 2016 sur les relations entre la police et la population dans le cadre des contrôles d’identité.

Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a en effet souhaité disposer de connaissances fiables sur l’accès aux droits dans les situations qui relèvent de ses compétences (discriminations, droits de l’enfant, déontologie des forces de sécurité, relations avec les services publics). Il a donc réalisé une grande enquête, dénommée « Accès aux droits », dont le premier volet des résultats portant sur les rapports entre la police et la population est publié ce jour[ii].

Les autres résultats concernant les services publics, les droits de l’enfant et les discriminations seront rendus publics au cours du premier trimestre 2017.

Pour la première fois l’on dispose de données représentatives à l’échelle nationale sur les expériences de la population en matière de contrôles de police ou de gendarmerie.

Il est important de souligner que l’enquête met en évidence des relations globalement satisfaisantes entre la population et les forces de l’ordre, ainsi 82% des personnes interrogées disent faire confiance à la police.

Le contrôle d’identité apparait comme une situation sensiblement minoritaire. 84% des personnes interrogées déclarent ne jamais avoir été contrôlées dans les cinq dernières années (90% des femmes et 77% des hommes).

Les personnes contrôlées au cours des cinq dernières années (16 % des personnes interrogées) rapportent généralement peu de comportements en contradiction avec la déontologie des forces de sécurité, comme le tutoiement (16%), la brutalité (8%), les insultes (7%) ou encore le manque de politesse (29%).

Le manque d’explications sur les raisons du contrôle est cependant plus fréquent (59%), alors même que ce dernier est davantage perçu comme légitime lorsque les forces de sécurité prennent le temps d’en expliquer le motif.

Cependant, si pour la majorité des enquêtés les relations police/population sont satisfaisantes, certaines personnes caractérisées par leur âge et leur appartenance supposée à certains groupes sociaux rapportent des expériences plus contrastées.

Ainsi, près de 40 % des jeunes (18-24 ans) indiquent avoir été contrôlés dans les cinq dernières années. Parmi cette population, pour la même période, les jeunes hommes perçus comme noirs, arabes/maghrébins sont particulièrement concernés : 80 % d’entre eux rapportent avoir été contrôlés au moins une fois par les forces de l’ordre.

L’enquête révèle également que la fréquence importante des contrôles auprès d’une catégorie de la population alimente chez celles et ceux qui en font l’objet un sentiment de discrimination et de défiance envers les institutions policières et judiciaires. Cette défiance tient notamment à l’absence d’information donnée par les forces de l’ordre sur les raisons du contrôle.

Cette étude conforte la position du Défenseur des droits qui, depuis 2012, recommande d’assurer une traçabilité des contrôles[iii] afin de garantir l’accès au recours des personnes qui s’estiment victimes de discriminations et de manquements à la déontologie. Dans cette perspective, il souhaite être associé à l’expérimentation, prévue par la prochaine loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, de l’enregistrement audio-visuel systématique de chaque contrôle d’identité réalisé en application de l’article 78-2 du Code de procédure pénale. La traçabilité des contrôles constitue un enjeu de la politique de sécurité : à terme, elle permettrait d’évaluer leur efficacité et éventuellement de réajuster leur nombre et les espaces et populations ciblés, à l’instar des politiques d’évaluation mises en place à l’étranger[iv].

Les enseignements de cette enquête seront intégrés aux formations que le Défenseur des droits mène, en partenariat avec la Direction générale de la police nationale, auprès des élèves gardiens de la paix au titre de l’apprentissage des règles de déontologie professionnelle (7 300 élèves depuis 2015), pour renforcer la prévention des risques de pratiques discriminatoires et souligner l’importance de la communication lors de la réalisation des contrôles d’identité.

Le Défenseur des droits insiste sur la nécessité de conduire une réflexion partagée sur l’encadrement juridique des contrôles d’identité, sur leur efficacité et leurs effets afin de mettre en place des dispositifs permettant de mieux évaluer leur pertinence comme outil de sécurité, et ce aussi bien au bénéfice des personnes contrôlées qu’à celui des forces de l’ordre.


[i] Dans le cadre des arrêts rendus le 9 novembre 2016 par la 1è chambre civile sur la responsabilité de l’Etat en cas de contrôle discriminatoire : http://www.defenseurdesdroits.fr/actions/protection-des-droits-libertes/…

[iii] Défenseur des droits. Rapport relatif aux relations police/citoyens et aux contrôles d’identité, 2012. Avis n°16-19 sur le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté ; Avis n° 16-12 sur la proposition de loi visant à lutter contre les contrôles d’identité abusifs ; Avis n° 15-25 et 15-27 sur la proposition de loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs.

[iv] Cf. Défenseur des droits, Relations police-citoyens et contrôles d’identité, 2014

OFPRA // Bilan provisoire de l’asile en 2016

https://www.ofpra.gouv.fr/fr/l-ofpra/actualites/premiers-chiffres-de-l-asile-en-0

D’après les premières données portant sur l’ensemble de l’année 2016 – données qui seront affinées lors de la publication du rapport annuel de l’Ofpra – 36 233 personnes ont été protégées en France l’an dernier par l’Ofpra ou la CNDA, en hausse de 35% par rapport à 2015 (contre 14 293 personnes protégées en 2012). Dans la continuité de l’année 2015, ¾ de ces accords ont été octroyés par l’Ofpra, le taux de protection étant de 29% à l’Ofpra et de 38% après la CNDA.

Le nombre de demandes d’asile a également progressé, puisque 85 244 demandes d’asile ont été enregistrées en 2016, soit une hausse de 6,5% par rapport à l’année précédente (hors personnes placées en procédure Dublin). Les ressortissants d’Afghanistan, du Soudan, de Syrie, d’Albanie et d’Haïti représentent près de 40% de l’ensemble des demandeurs d’asile. À noter qu’en 2016, ce sont également 5 205 petites filles qui ont été protégées par l’Ofpra contre le risque d’excision.

L’Ofpra a rendu 89 500 décisions en 2016, en hausse de 12% par rapport à l’année précédente. En parallèle, le délai moyen d’instruction est passé de plus de 7 mois en 2015 à 5 mois en 2016, rapprochant l’Office du délai moyen de 3 mois en 2017, et 511 000 documents d’état civil ont été délivrés (en augmentation de 20% par rapport à 2015).

Enfin, si l’Ofpra a reçu 143 170 demandeurs d’asile et protégés à Fontenay-sous-Bois durant cette année (+ 9% par rapport à 2015), sa mobilisation « hors les murs » s’est encore accrue en 2016. Ainsi, outre les missions hebdomadaires d’information sur l’asile à Calais et Grande-Synthe, l’Ofpra a organisé 42 missions en régions, Outre-mer, en Grèce, en Italie, au Liban, en Turquie et en Jordanie. Ce sont ainsi 3 000 personnes qui ont été entendues par l’Ofpra avec l’appui du HCR en Turquie, au Liban et en Jordanie dans le cadre de missions de réinstallation en France et 2 000 personnes entendues en Grèce et en Italie au regard du dispositif de relocalisation européenne. 15 officiers de protection ont également été présents tout au long de l’année 2016, tant en Grèce continentale qu’en Italie, pour des missions d’appui à la relocalisation (pré-enregistrement et information sur le dispositif).

Pour l’année 2017, l’Ofpra dispose d’un budget de 65 millions d’euros pour 2017 (37 millions en 2012) et compte 800 agents (475 en 2012).

L’EUROPE TERRE D’EXPULSION

Communiqué du Centre Primo Lévi

Tous ceux pour qui le droit d’asile a un sens (et ils restent heureusement nombreux) le disent haut et fort : l’accord conclu entre l’Europe et la Turquie le 18 mars dernier et appliqué depuis le 4 avril est absolument immoral vis-à-vis de ces personnes fuyant pour la plupart la violence.

Image HCR_format okL’accord conclu entre l’Europe et la Turquie le 18 mars dernier prévoit le renvoi en Turquie de toute personne arrivée irrégulièrement en Grèce après le 20 mars. En contrepartie, pour chaque Syrien renvoyé, un autre doit être « réinstallé » dans l’UE depuis le territoire turc, dans la limite maximale de 72 000 places.
Comment les dirigeants de 27 Etats ont-ils pu proposer et accepter un tel marchandage ? Une famille qui a fui l’Erythrée, la Syrie ou tout autre pays politiquement instable, qui a tout quitté pour sauver sa peau, et qui arrive au terme d’un parcours chaotique sur les côtes européennes où elle espère pouvoir enfin poser ses bagages et reprendre une vie aussi normale que possible, peut-elle décemment être renvoyée vers un pays où les droits de l’homme sont bafoués et où les garanties de protection sont encore plus faibles qu’en Europe ? Comment un tel court-circuitage de la procédure d’asile a-t-il pu même être envisagé ?

L’examen préalable des demandes d’asile : une promesse vaine

Pour se conformer au moins en apparence aux conventions internationales, la Grèce s’est engagée avant tout renvoi à examiner au cas par cas les demandes d’asile. Problème : si, depuis l’été 2015, l’Europe toute entière n’arrive pas à suivre le rythme des arrivées et à examiner toutes les demandes dans des délais raisonnables, comment la Grèce à elle seule, prise depuis 2008 dans une crise financière sans précédent, le pourrait-elle ? Athènes a dû s’engager à limiter à 15 jours maximum le délai d’examen des demandes. Or pour les quelque 6 000 réfugiés déjà arrivés depuis le 20 mars, seul un dixième des 2 300 agents attendus là-bas – principalement policiers et experts de l’asile – est actuellement déployé sur les îles, selon la Commission européenne. Résultat, les demandeurs ne bénéficient d’aucune aide juridique et les demandes sont examinées de façon expéditive – lorsqu’elles le sont : ainsi, récemment, le représentant du Haut-Commissariat aux Réfugiés a craint que « 13 personnes pour la plupart Afghanes, qui avaient exprimé le souhait de pouvoir demander l’asile, n’aient pas pu être enregistrés à temps » et aient été incluses à leur corps défendant dans la première vague de renvoi qui a eu lieu le 4 avril.
En outre, l’accord ne résout pas le problème des près de 50 000 autres migrants et réfugiés arrivés en Grèce avant le 20 mars et qui y sont bloqués depuis la fermeture de la route des Balkans.

Enfermés pour être renvoyés

Dans ce chaos politique, les tristement fameux « hotspots », initialement conçus comme des dispositifs de « premier accueil » dans les États membres situés en première ligne, puis rapidement appelés « centres d’enregistrement et d’identification », sont devenus de véritables camps de rétention. Dénonçant les conditions indignes qui y règnent, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et Médecins sans frontières ont même décidé de s’en retirer.
Protestations, panique, menaces de suicide : voilà le climat qui règne sur les îles grecques depuis les rixes qui ont provoqué la fuite de 600 personnes, selon les médias, hors du camp de rétention de Vial (sur l’île de Chios) d’où sont censés être coordonnés les départs.

La Turquie n’est pas un pays sûr pour les réfugiés

De cet accord, la Turquie sort gagnante : l’Union européenne lui versera 6 milliards d’euros d’ici fin 2018 pour l’accueil des réfugiés renvoyés sur ses côtes, promet plus de visas pour ses ressortissants et accepte de faire avancer les discussions concernant son adhésion. Et comble des machinations, la Turquie a même été promue par la Grèce au rang de « pays tiers sûr » pour que le renvoi de personnes réfugiées vers ses côtes soit légal. En contrepartie, et pour le principe, le Conseil européen a simplement déclaré attendre de la Turquie « qu’elle respecte les normes les plus élevées qui soient en ce qui concerne la démocratie, l’Etat de droit et le respect des libertés fondamentales, dont la liberté d’expression ».
Ce que les 27 savent pourtant pertinemment, c’est que l’Etat de droit est loin d’être acquis en Turquie. Concernant les risques encourus spécifiquement par les réfugiés dans ce pays, Amnesty International fait état, dans un communiqué du 1er avril, denombreuses expulsions forcées vers la Syrie, y compris de personnes en cours de demande d’asile, d’enfants seuls et d’une femme enceinte de huit mois. L’organisation affirme aussi que la Turquie a récemment « ouvert le feu sur certaines personnes ayant tenté de franchir clandestinement la frontière ».
De même, la « pratique administrative n'[y] est pas suffisante pour la protection notamment des Irakiens et des Afghans », a relevé Philippe Leclerc, représentant du Haut-Commissariat aux Réfugiés en France. Rappelons que la Turquie n’a pas ratifié la Convention de Genève et que par conséquent, c’est le HCR qui y examine les demandes de protection internationale et, dans le cas d’un octroi, qui cherche un pays de relocalisation.

En 2015, 76% des « migrants » n’étaient pas des migrants économiques

Aux fondements de cet ignoble accord se trouve, entre autres, la conviction de plus en plus ancrée que la plupart des personnes arrivées illégalement en Europe sont des migrants économiques. Alors que les chiffres pour étayer ou contredire cette hypothèse étaient jusqu’à présents très rares, un rapport de l’Institut national d’études démographiques (Ined) publié ce mercredi 6 avril affirme qu’avec l’évolution progressive des « flux » (en particulier marquée par l’exode syrien massif et par la présence toujours aussi importante des Érythréens et des Afghans), les personnes fuyant la guerre ou les persécutions sont désormais majoritaires. D’après cette étude, la proportion des réfugiés dans la population totale des personnes entrées illégalement en Europe est même passée de 33 % à 76 % au cours des cinq dernières années.

Conclusion

Cet accord infondé, injuste et inefficace, vigoureusement dénoncé par toutes les ONG de défense des droits de l’homme, par le pape François, par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe ou encore par le conseiller spécial de l’ONU sur les migrations, est le scandale de trop dans un monde déchiré par les guerres et dans un contexte généralisé de crise de l’accueil et de la solidarité. Les médias évoquent une « crise des réfugiés sans précédent depuis la Seconde Guerre Mondiale », mais se rappellent-ils que c’est précisément pour éviter de revivre le même chaos qu’ont été rédigées les Conventions de Genève ?
Aujourd’hui, l’histoire se répète au détriment de centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants nés au mauvais endroit, au mauvais moment. Finalement, les seuls dont cette situation fasse le bonheur et la fortune sont les passeurs, vers lesquels nombre de ces personnes en détresse sont poussées, en Europe comme en Turquie, à cause du renforcement de la sécurité aux frontières et de l’impossibilité de les franchir en toute légalité.
Alors que les débats restent vifs à la Commission européenne, où de nouvelles propositions sont en train d’émerger, espérons que la lucidité et l’humanité viennent rapidement éclairer nos gouvernements et ouvrir la voie à une vraie politique de l’accueil, respectueuse de la dignité de chaque être.

LOI IMMIGRATION: CONTRE LA DENONCIATION DES ETRANGERS ET LA VIOLATION DU SECRET PROFESSIONNEL

Action collective
Loi immigration : contre la dénonciation des étrangers et la violation du secret professionnel

Le texte du projet de loi de maîtrise de l’immigration ouvre une brèche dangereuse sur la levée du secret professionnel dans des secteurs essentiels de la vie citoyenne comme la santé, l’école, l’emploi et le social à travers ses articles 8, 22 et 25.

Si le projet de loi initial allonge les durées de validité de la carte de séjour, ce qui est bénéfique pour lutter contre la précarité des titres et donc des situations des personnes, il instaure en revanche un principe de surveillance permanente.

Alors que l’obtention d’un titre de séjour, soumise déjà à de multiples obligations, vérifications et production de preuves, leur aura été accordée, celle-ci pourrait maintenant être remise en cause à tout instant, créant finalement un climat de doute sur la sincérité de leur situation. Ils deviendraient alors de potentiels fraudeurs, alors même qu’ils ont répondu à toutes les conditions juridiques pour obtenir leur titre. Le projet de loi créé lui-même les conditions de ces contrôles avec la levée inédite du secret professionnel pour plusieurs organismes et leur personnel. Si les articles 8 et 25 sont votés en l’état, Pôle emploi, les écoles et universités, les établissements de santé publics et privés, les fournisseurs d’énergie et opérateurs de téléphonie, tout comme les établissements bancaires auront l’obligation, sous peine d’amende (7 500 euros) de fournir toute information que les agents de la préfecture jugeront utile pour contrôler la « sincérité et l’exactitude des déclarations et de l’authenticité des pièces » des personnes titulaires d’une carte de séjour. Le refus de transmission de ces informations par le personnel de ces organismes est même posé comme un délit par le texte de loi.

En contradiction avec les principes d’accueil largement rappelés dans les médias, ce texte ne rompt pas avec la logique répressive et suspicieuse des étrangers qui vivent en France.

Les structures d’hébergement seront également sollicitées dans le cas de l’expulsion des personnes puisque l’article 22 prévoit la possibilité de venir les interpeller dans leur chambre en dehors de toute procédure pénale engagée.

Parce que les articles 8, 22 et 25 assimilent délinquants et étrangers et mettent à mal l’intégration des personnes titulaires de titre de séjour dans leur pays d’accueil, nous demandons leur suppression immédiate.
20 janvier 2016

Signataires :
FNARS
Emmaüs Solidarité
Emmaüs France
Fondation Abbé Pierre
ANAS, Secours catholique
Planning familial
ARDHIS
FTCR
Créteil solidarité
Aides
DDU,
Comede
Catred
Mrap
AFVS
Médecins du Monde
Cimade
Réseaux Louis Guilloux
Case de santé
Gaia Paris
GISTI
LDH,
Syndicat de la magistrature
GAS
Centre Primo Levi
ACT UP Paris
DOM’ASILE
Droits d’urgence
FASTI
La case de santé
Sida info service
Solidarité SIDA
SOS HÉPATITES

RISQUE DE VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME POUR LES DEMANDEURS D’ASILE RENVOYES EN HONGRIE

Conseil de l’Europe | Risque de violations des droits de l’homme pour les demandeurs d’asile renvoyés en Hongrie
En ligne depuis le 16 janvier 2016
Communiqué du Conseil de l’Europe, du 13 janvier 2016. Cliquez ici pour lire le communiqué sur le site du Conseil de l’Europe.
«En raison des changements radicaux apportés ces derniers mois en Hongrie à la législation et à la pratique relatives à l’asile, les demandeurs d’asile qui sont renvoyés dans ce pays courent un risque considérable de subir des violations des droits de l’homme», a déclaré aujourd’hui le Commissaire Muižnieks, en rendant publiques les observations écrites qu’il a présentées le 17 décembre 2015 à la Cour européenne des droits de l’homme du conseil de l’Europe dans deux affaires contre l’Autriche qui concernent le transfert des requérants de l’Autriche vers la Hongrie en vertu du règlement « Dublin III».
Sur la base des constats qu’il a faits lors de sa visite en Hongrie, du 24 au 27 novembre 2015, le Commissaire souligne que, ces derniers mois, une proportion considérable des personnes renvoyées en Hongrie en vertu du règlement « Dublin III » ont été placées dans des centres de détention administrative pour demandeurs d’asile – où s’applique un régime de détention restrictif – sans réel accès à des recours effectifs contre cette détention.
ConseilEurope_VisiteHongrie
Le Commissaire note aussi que les demandes d’asile déposées par les personnes renvoyées actuellement en Hongrie en application du règlement «Dublin III» ne sont généralement pas examinées quant au fond. Cela est imputable au fait que la législation hongroise considère la Serbie – pays par lequel ont transité la grande majorité des demandeurs d’asile avant leur première arrivée en Hongrie – comme un pays tiers sûr.

«Cette situation, qui prive les demandeurs d’asile du droit à ce que leur demande soit dûment examinée, les expose aussi à un risque très élevé d’expulsion vers la Serbie et de refoulement vers d’autres pays, et donc au risque de traitement contraire à la Convention européenne des droits de l’homme.»

Les interventions en qualité de tierce partie constituent un outil supplémentaire dans la panoplie dont dispose le Commissaire pour soutenir la promotion et la protection des droits de l’homme. Les interventions du Commissaire, prévues par la Convention européenne des droits de l’homme, sont fondées sur ses activités thématiques et de suivi par pays. Elles ne contiennent aucun commentaire sur les faits ou le bien-fondé de la requête, mais donnent à la Cour des informations objectives et impartiales sur des aspects constituant un motif de préoccupation pour le Commissaire.

Lire les observations écrites présentées à la Cour européenne des droits de l’homme du Conseil de l’Europe dans des affaires contre l’Autriche
En savoir plus sur les activités du Commissaire concernant les droits de l’homme des migrants et des demandeurs d’asile

LA CRISE MIGRATOIRE INVISIBLE DANS LES STATISTIQUES FRANCAISES

LE MONDE | 16.01.2016 à 09h30 | Par Maryline Baumard

Lors du dépôt d’une demande d’asile, à Calais, en août 2015. Lors du dépôt d’une demande d’asile, à Calais, en août 2015. REGIS DUVIGNAU / REUTERS
S’il y a bien une crise que la France ne connaît pas, c’est la « crise migratoire ». Rendues publiques vendredi 15 janvier par la Direction générale des étrangers en France (DGEF), les statistiques de 2015 portent à peine trace du million de réfugiés qui a franchi les portes de l’Europe cette année-là. Preuve que l’importance des migrants dans le débat public est bien inversement proportionnelle à leur présence sur le territoire.
Seul indice d’une année hors du commun, le nombre de demandes d’asile déposées dans l’Hexagone a crû sensiblement. Cette hausse du nombre de dossiers enregistrés s’est faite en septembre et sur le dernier semestre. Au 31 décembre, la France comptabilisait 22 % de demandeurs supplémentaires par rapport à 2014. Mais elle plafonne à 79 100 dossiers quand l’Allemagne en a enregistré plus de 400 000 fin novembre (source Eurostat) et en escompte beaucoup plus, une fois le retard rattrapé. Même si elle est réduite, cette hausse est le seul indicateur concret en France qu’une crise migratoire majeure se déroule à nos portes. Pour le reste, les statistiques sur les étrangers en France restent sur la même ligne que les années précédentes.
Alors que près de 4 000 migrants sont morts sur les routes de l’exil en 2015, la France n’a pas multiplié sa délivrance de visas d’asile. Octroyés dans le but de permettre aux futurs réfugiés de venir déposer une demande d’asile en France, ceux-ci n’ont bénéficié qu’à 1 800 Syriens et 2 286 Irakiens. La DGEF précise qu’« elle a offert d’autres voies d’entrées comme l’octroi d’autres types de visas classiques » aux Syriens. Reste que le ministère de l’intérieur préfère ne pas dire lesquels, comme il tait les nationalités qui ont majoritairement essuyé les 358 771 refus de visas en 2015 (en hausse de 17,6 % par rapport à 2014).
Tapis rouge
A l’inverse, les expulsions d’étrangers en situation irrégulière (hors Union européenne) ont augmenté de 11 % en 2015, avec un peu plus de 6 300 personnes renvoyées vers leur pays. Quelques-uns proviennent de la « jungle » de Calais et certains ont été, en 2015, renvoyés vers le Soudan, alors que la France avait arrêté les expulsions vers ce pays depuis plusieurs années, après une condamnation de cette pratique par l’Europe. Si on ajoute les renvois vers un autre pays de l’Union européenne, 15 485 personnes ont été concernées par un éloignement, soit 2 % de plus qu’en 2014.
2 734 413 personnes vivent en France avec un titre de séjour
Globalement, 2015 n’a pas été non plus une année différente des précédentes pour la délivrance de titres de séjour. Leur nombre s’est élevé à 212 365 (contre 210 940 en 2014). La majorité de ces titres concerne des motifs familiaux (90 000), auxquels s’ajoutent 66 520 étudiants. Le ministère de l’intérieur se félicite des 2,3 % d’augmentation de cette dernière catégorie.
Les étudiants sont en effet un maillon fort au sein du pôle des « immigrés choisis ». Si le gouvernement réfute ce concept trop marqué à droite, certains entrants voient tout de même le tapis rouge se dérouler sous leurs pieds. Même s’ils ne sont pas nombreux, c’est le cas des 230 personnes entrées avec la carte de séjour « compétences et talents », des 3 810 qui ont obtenu un visa « scientifique » et des 185 sous visa « artiste ». Trois catégories que la nouvelle loi sur les titres de séjour, qui sera discutée en commission des lois de l’Assemblée nationale mercredi 20 janvier, veut encore choyer un peu plus.

Aujourd’hui, 2 734 413 personnes vivent en France avec un titre de séjour. Avec les ressortissants de l’Union européenne, qui ne sont pas comptabilisés là, ce sont quelque 4 millions d’étrangers qui évoluent sur le territoire, selon la DGEF. Et la nationalité française, qui était acquise par 90 000 personnes chaque année en 2009 et 2010, n’a été octroyée qu’à 86 608 personnes en 2015.

LE DEMANDEUR D’ASILE EN FRANCE, UN TOIT SOUS CONDITIONS

http://www.housingrightswatch.org/fr/content/le-demandeur-dasile-en-france-un-toit-sous-condition

Par Alain Couderc, Avocat (Lyon)

La récente réforme du droit d’asile en France, entrée en vigueur le 1er novembre 2015, marque une nouvelle étape dans l’assimilation du demandeur d’asile au migrant de droit commun et révèle de façon éclatante le climat de suspicion généralisée à l’encontre de ceux qui sollicitent une protection internationale.

Il n’est qu’à lire l’exposé des motifs du projet de loi selon lequel le dispositif antérieur crée une « incitation au détournement de la procédure d’asile à des fins migratoires ».

Dès lors, la nouvelle procédure d’asile française, bien que comportant certaines avancées, offre à l’Etat de meilleures possibilités de contrôler ceux qui vont, dans leur grande majorité, être prochainement déboutés d’asile, par la création de dispositifs qui permettent « plus facilement d’écarter rapidement la demande d’asile infondée » (exposé des motifs du projet de loi) et bien évidemment d’expulser au plus vite celui qui sera bientôt qualifié de fraudeur[1].

Parmi ces dispositifs il en est un dont l’ambigüité permet tout à la fois de revendiquer officiellement une avancée dans l’accueil des demandeurs d’asile tout en restreignant ses droits.

Partant du constat bien réel de la saturation totale du système d’accueil des demandeurs d’asile (en 2014 la France disposait de 24689 places en centre d’accueil pour demandeur d’asile soit de quoi accueillir seulement 33% des demandeurs) la réforme, se présentant comme une transposition de la directive « accueil » (2013/33/UE du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013) met en place un dispositif d’hébergement directif et contraignant.

La nouvelle loi prévoit un schéma national d’hébergement des demandeurs d’asile fixant la répartition des hébergements sur l’ensemble du territoire national, qui doit être ensuite décliné en schémas régionaux par les préfets.

Concrètement, le demandeur d’asile se présentera auprès de l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration) qui lui imposera un hébergement parmi les places disponibles, dans le département et à défaut sur tout le territoire national. Le demandeur d’asile aura cinq jours, pour rejoindre cet hébergement.

Si l’idée, à supposer que le système fonctionne, d’offrir un toit à tout demandeur d’asile est évidemment louable, les moyens juridiques utilisés ne sont pas sans soulever de véritables interrogations quant aux atteintes à certains droits fondamentaux qu’ils impliquent.

Ainsi le caractère contraignant, obligatoire et sans exception du principe de l’hébergement imposé est constitutif d’une atteinte à la liberté d’aller et venir.

La question est de déterminer si cette atteinte pourrait être justifiée eu égard aux motifs pour lesquelles elle est portée à savoir offrir des conditions matérielles d’accueil digne de ce nom.

Or force est de constater que le consentement préalable du demandeur d’asile n’est pas requis.

La loi ne prohibe pas non plus la séparation des familles, se remettant à cela à la bonne appréciation des agents de l’Etat.

Il n’est pas non plus prévu d’exception possible pour les demandeurs d’asile souhaitant être hébergés par des tiers. Or il est de notoriété publique, et le législateur aurait dû en principe en être informé …, que les demandeurs d’asile, nouveaux arrivants, vont, pour d’évidentes raisons matérielles, affectives et phycologiques privilégier l’hébergement par des membres de famille, ou issus de leur communauté.

Cette absence de souplesse dans le dispositif est révélée par la dureté de la sanction en cas de non respect de l’affectation d’hébergement.

D’une part le demandeur d’asile perd le bénéfice des conditions matérielles d’accueil, à savoir aide financière et possibilité de bénéficier d’un autre hébergement, et d’autre part risque de voir sa demande d’asile clôturée par l’OFPRA s’il n’a pas fourni d’adresse « dans un délai raisonnable » (SIC) que l’OFPRA appréciera vraisemblablement souverainement.

Ce dispositif d’hébergement directif est également porteur d’un risque de rupture d’égalité des demandeurs d’asile dans le traitement de leur demande.

D’une part, compte tenu de la totale saturation du dispositif d’hébergement existant et nonobstant l’engagement de l’Etat de créer 11000 places d’hébergement pour le mois de janvier 2016, en l’impossibilité d’offrir une place en centre d’accueil pour demandeur d’asile à chaque demandeur, l’Etat va multiplier la création d’HUDA (hébergement d’urgence pour les demandeurs d’asile). Ces hébergements vont être débloqués par l’agrément donné à des associations offrant déjà des places d’hébergements d’urgence et vont entrainer une disparité dans le suivi des demandeurs d’asile.

Les HUDA comme les CADA ont certes pour mission d’assurer l’accompagnement social des personnes hébergées ainsi que l’accompagnement juridique par la constitution et le suivi du dossier d’asile, il n’en demeure pas moins que d’une part les personnels ne sont pas formés à cette matière particulière et qu’en tout état de cause le taux d’encadrement est plus faible en HUDA qu’en CADA.

Il pourrait être opposé le fait que l’accompagnement offert en HUDA est meilleur que le néant prévalant jusqu’à lors pour les demandeurs d’asile non hébergés.

La différence est que ce qui résultait jusqu’alors d’un disfonctionnement du système (non prise en charge d’un demandeur d’asile en violation d’ailleurs de la directive « accueil » précédemment citée) est désormais officialisé par les textes.

Se pose en outre la question du délaissement territorial par les associations spécialisées en droit des étrangers et en droit d’asile au profit des grandes métropoles.

Or l’aide de ces associations dans la constitution des dossiers, que ce soit par une expertise juridique, une connaissance des situations géopolitiques ou une spécialisation médicale auprès des demandeurs d’asile est essentielle quant au taux d’octroi de la protection.

Or un dispositif législatif touchant de près ou de loin à des droits fondamentaux et qui, dans sa philosophie globale comme dans ses modalités de mises en œuvre, permet une interprétation liberticide ne peut, par essence, être approuvé.

Ce n’est pas faire preuve de machiavélisme que d’imaginer que tel ou tel demandeur d’asile, ès qualité, ou provenant de tel ou tel pays pourrait se voir contraint à l’isolement dans une région peu propice à l’élaboration d’un suivi efficace de son dossier.

Car, et il s’agit là d’une dernière objection majeure, le système mis en place permet une surveillance généralisée de chaque demandeur d’asile sur le territoire français, s’apparentant à une assignation administrative à résidence, dont l’état d’urgence actuel prononcé suite aux attentats de Paris démontre d’ores et déjà le dévoiement possible par un Etat en recherche de la mise en œuvre d’une politique exclusivement sécuritaire.

Il a déjà été exposé que le demandeur d’asile n’aurait que cinq jours pour rejoindre le lieu d’hébergement qui lui a été affecté, faute de quoi il sera considéré comme ayant refusé l’offre d’hébergement et perdra le bénéfice des conditions matérielles d’accueil, avec l’accompagnement corolaire.

Mais encore, il sera considéré comme ayant abandonné son lieu d’hébergement s’il s’en absente plus d’une semaine sans justification valable, ce qui évidemment dans la pratique correspond à une obligation de pointage au moins une fois par semaine. S’il ne respect pas cette obligation il perdra là encore le bénéfice des conditions matérielles d’accueil et pourra vraisemblablement se voir opposer une clôture par l’OFPRA faute d’avoir produit une adresse.

Afin de rendre le système plus efficace le gestionnaire du lieu d’hébergement aura même l’obligation d’informer l’OFII.

C’est ainsi que les structures dédiées à l’aide aux demandeurs d’asile se retrouvent en première ligne de la lutte contre ce quasi présumé fraudeur que constitue l’étranger en demande de protection.

Sachant par ailleurs que les associations bénéficiaires d’un agrément pour accueillir les demandeurs d’asile seront partiellement financées sur le budget de l’OFII, qui est également l’organisme qu’elles devront obligatoirement prévenir si le demandeur d’asile manque à l’appel, on comprendra que tout a été pensé.

Qu’il soit donc rappelé qu’au terme des dispositions de l’article 2 du protocole additionnel n°4 à la Convention Européenne des Droits de l’Homme, la liberté d’aller et venir et de circulation ne peut faire l’objet de restriction que si elle « constitue une mesure nécessaire, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sureté publique, au maintien de l’ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et liberté d’autrui. »

Il appartiendra aux juridictions nationales puis internationales de déterminer si les obligations imposées au demandeur d’asile rentrent dans ce cadre.

Il est communément admis que le droit des étrangers constitue souvent le laboratoire de dispositions visant à être généralisées à l’ensemble de la population. Reste à espérer que cette idée qui pourrait conduire un Etat à imposer un lieu d’hébergement au prétexte de la nécessaire protection d’une personne vulnérable dépendante pour partie et au moins temporairement de la solidarité de la Nation, soit cette fois ci-erronée.

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[1] Extrait des statistiques EUROSTAT sur le pourcentage des demandes d’asiles acceptées en première instance, en Europe en fonction des pays : Suède 76,80%, Pays-Bas 70,45%, Suisse 70,68%, Danemark 68,03%, Norvège 64,20%, Italie 58,49%, Allemagne 46,83%, Belgique 39,56%, Royaume-Unis 38,84%, France 21,74%, pour une moyenne globale de 45,24%.