Mediapart // Les exilés kurdes pleurent Mawda, 2 ans, tuée par balle en Belgique

https://www.mediapart.fr/journal/france/190518/grande-synthe-les-exiles-kurdes-pleurent-mawda-2-ans-tuee-par-balle-en-belgique

Par Elisa Perrigueur et Laurène Daycard

– Mediapart.fr

À l'intérieur du gymnase, les familles se sont recréé des
          espaces individuels en délimitant des espaces avec des lits
          picot et des draps tendus. © EPÀ l’intérieur du gymnase, les familles se sont recréé des espaces individuels en délimitant des espaces avec des lits picot et des draps tendus. © EP
 

Une course-poursuite entre une camionnette de migrants et la police belge a provoqué, jeudi 16 mai, la mort d’une fillette kurde hébergée dans un camp à Grande-Synthe. L’enfant a été tuée par balle. Après avoir démenti une première fois l’information jeudi, le parquet de Mons a admis vendredi que l’enfant avait été tuée par une balle. Dans le camp de Grande-Synthe où sont réunis plus de 400 exilés, la douleur est vive et les langues se délient quant aux conditions de passage.

Dans un recoin du gymnase de Grande-Synthe, près de Dunkerque, un cercle silencieux se forme autour d’Ako, jeudi 17 mai au matin. Cet exilé aux yeux rougis est au téléphone avec un ami, hébergé lui aussi dans ce bâtiment municipal jusqu’à la veille, avec sa femme et ses deux enfants. Plus de 400 migrants, presque tous des Kurdes d’Irak, logent sur ce site, dont 150 dans des tentes en extérieur. On entend son interlocuteur hurler de douleur : « J’ai tout perdu. Mon bébé. Ils ont tué mon bébé. » Assise à ses côtés, l’épouse d’Ako plonge son visage dans un mouchoir. Personne ne sait trop quoi dire pour calmer la détresse de l’homme au bout du fil.

Ce père s’appelle Shamdine. Il parle depuis une prison en Belgique, il a dissimulé son portable dans la couche d’un bébé, d’après les exilés. L’homme s’est fait arrêter dans la nuit, vers 2 heures du matin. Cinq heures plus tôt, il était parti avec sa famille, son épouse et ses deux enfants en Belgique pour monter clandestinement à bord de camions de marchandises allant jusqu’en Grande-Bretagne. Des passeurs étaient venus les récupérer en mini-van à Grande-Synthe, à une vingtaine de kilomètres de la frontière belge, avec une trentaine d’autres migrants.

Quand la police belge a tenté de le contrôler, le convoi de migrants a filé dans la nuit, sur la route E42 reliant Namur et Maisières. Au total, quinze véhicules de police les ont pris en chasse dans cette course-poursuite mortelle pour la fille de Shamdine. L’enfant « s’appelait Mawda », selon les Kurdes de Grande-Synthe. Âgée de 2 ans, elle est morte dans l’ambulance.

Vue du carré occupé par la famille de Mawda. En
            partant, ils ont abandonné ce siège pour bébé. © EP Vue du carré occupé par la famille de Mawda. En partant, ils ont abandonné ce siège pour bébé. © EP

Selon des médias belges, la petite aurait été brandie à l’extérieur de la camionnette, peut-être par un passeur, pour dissuader les policiers, une version non confirmée officiellement. « Les réseaux kurdes sont dangereux car capables de prendre l’autoroute en sens inverse, de percuter des véhicules pour s’enfuir, de rouler comme des fous, constate une source policière française. Nous le savons et ne faisons pas de courses-poursuites sur les routes avec des camionnettes de passeurs en France, trop dangereux. »

L’exilé kurde Ako, lui, s’emporte : « On est venus ici pour trouver la sécurité. Vous nous parlez des droits humains. Mais vous tirez sur des bébés. » Il exhibe sur l’écran de son téléphone des images de la fillette. Le regard espiègle, elle pose sa main sur sa bouche. Sur une autre, on voit cette enfant aux cheveux de jais dans un manège avec son grand-frère de 4 ans. « Elle a reçu une balle dans la joue », glisse Ako, le ton dur, en mimant un impact transperçant son visage.

Au moment de cet échange, jeudi 17 mai, le parquet belge de Mons n’évoque pas encore les tirs. Il faudra attendre le lendemain, le 18 mai, pour que les causes du décès de l’enfant soient officialisées. « On n’exclut pas que cette balle pourrait provenir d’une arme d’un policier », concède le substitut en conférence de presse. L’autopsie est en cours.

Ako a appris la macabre nouvelle très tôt le matin, sous la forme d’un SMS envoyé par Shamdine. Il nous emmène voir le « carré » octroyé à cette famille. Il reste quelques affaires abandonnées : des couvertures, une valise à roulettes. Un siège bébé trône au milieu. L’ancien terrain de sport est quadrillé par des lits de camp renversés sur les côtés, comme des barricades. Les exilés s’en servent pour se délimiter un « chez-soi » d’environ 2 mètres carrés. Ce peu d’intimité se paye au prix de nuits passées à dormir sur des couvertures à même le sol. Nerveux, Ako avait longuement hésité avant de nous donner son prénom. Il refuse de livrer toute autre information personnelle, mis à part le fait qu’il a été professeur d’anglais au Kurdistan irakien. Il se méfie presque autant des journalistes que de la police. Il parle car il veut que l’histoire de Mawda se sache.

Sa famille était arrivée à Grande-Synthe il y a un mois et demi. Les parents avaient quitté Ranya, au Kurdistan irakien, pour rejoindre l’Europe dès 2015, via la Turquie puis la « route des Balkans ». La fillette est née en Allemagne mais ses parents ont été déboutés du droit d’asile. Une grande partie des Kurdes de Grande-Synthe sont dans la même situation : ce ne sont plus des migrants nouvellement arrivés sur le continent. Il peut aussi s’agir de « dublinés » d’Espagne, de Grèce… où leur première demande d’asile a été déposée. Tous voient désormais la Grande-Bretagne voisine comme leur espoir, où ils peuvent trouver du travail plus facilement et rejoindre la famille. Celle de Mawda avait « des proches à Londres et à Birmingham », détaille Ako.

Intervention policière à Grande-Synthe, jeudi 17 mai,
            vers 14h30. © EP Intervention policière à Grande-Synthe, jeudi 17 mai, vers 14h30. © EP

Vers midi, jeudi, une centaine d’exilés furieux manifestent leur colère. Direction l’autoroute A16, toute proche. Ils bloquent la circulation le temps d’une heure, provoquant un bouchon sur plusieurs kilomètres. En réaction, vers 14 h 30, les CRS encerclent le gymnase pour fouiller les hommes. Deux ou trois tentes sont détruites et une dizaine d’entre eux sont interpellés. Certains d’entre eux avaient été placés en garde à vue pour « entrave à la circulation », ils ont tous été relâchés. Selon des agents municipaux, les forces de l’ordre cherchaient aussi des armes. Les passeurs kurdes vivent généralement parmi les migrants. Ils peuvent dissimuler leurs armes en les enterrant non loin des camps.

Dans les souvenirs des voisins du gymnase, la famille de Mawda tentait deux à trois fois par semaine la traversée. Ils faisaient appel aux passeurs organisés du secteur. Des cellules kurdes très présentes sur le littoral depuis les années 2000. Issues de différentes communautés (Erbil, Rania, Kirkouk, Halabja…), elles sont composées de 5 à 6 personnes. Ces réseaux prennent environ 3 000 euros par personne pour un passage pour un migrant kurde irakien – des prix qui varient selon les nationalités. Ils repèrent les aires d’autoroute non surveillées, où ils espèrent cacher les migrants dans les camions qui gagnent le port de Calais, principal point d’entrée du Royaume-Uni, avec un trafic quotidien moyen de 15 000 poids lourds.

La Belgique est un point de départ de plus en plus prisé des réseaux. « Ils s’y reportent depuis longtemps car les aires de repos autour de Calais ferment [par arrêté préfectoral, pour éviter que les camions ne se garent – ndlr] », précise une source policière française. « Les passeurs chargent 20 à 30 personnes dans une camionnette et s’arrêtent le long des routes, sur plusieurs parkings belges en faisant monter dans les camions des petits groupes. Cela peut leur paraître plus simple car la police belge n’a pas d’unité antipasseurs, ils ne sont pas habitués à traquer ces réseaux. »

À l'intérieur du gymnase, les familles se sont recréé
            des espaces individuels en délimitant des espaces avec des
            lits picot et des draps tendus. © EP À l’intérieur du gymnase, les familles se sont recréé des espaces individuels en délimitant des espaces avec des lits picot et des draps tendus. © EP

Pour les familles, surtout lorsqu’il y a des enfants en bas âge, ce report vers la Belgique complique le passage car cela rallonge le temps de confinement au milieu des marchandises, souligne Ali. Alors que le gymnase est toujours cerné par les CRS, cet ancien plombier de 34 ans raconte qu’il essaie lui aussi de passer avec sa femme et ses enfants. Les passeurs lui facturent ce « service » 28 500 euros, qu’importe le nombre de tentatives. Pour éviter de se faire repérer à cause des pleurs, certains parents donnent des somnifères aux enfants en bas âge, assure Ali.

L’expérience est dangereuse : « La semaine dernière, nous sommes allés jusqu’à Rouen pour monter dans un camion de pièces détachées. Nous avons passé deux nuits dans la cargaison mais il ne démarrait pas. C’était dur de respirer. Mes enfants, même l’aîné, portaient des couches. Nous, on faisait avec des bouteilles. » La tentative a été vaine et il est retourné au gymnase pour reprendre des forces.

Au début des années 2000, Ali avait déjà fait ce voyage seul vers la Grande-Bretagne en passant par Grande-Synthe. Il avait déboursé 500 euros pour venir depuis sa ville d’origine. Il avait pu obtenir son titre de séjour et s’était fait embaucher par un transporteur jusqu’à son retour au pays en 2010. Les conséquences de la guerre avec Daech l’a de nouveau poussé à l’exil. Revenu dans le nord de la France, il a découvert la frontière transformée, barricadée, des prix de passages décuplés et de plus en plus de victimes, comme Mawda.

Elle devrait être enterrée mercredi 23 mai en Belgique, au cimetière des indigents de Jolimont, à La Louvière, d’après les médias belges. Ses parents auraient reçu un ordre de quitter le territoire belge après la cérémonie.

Le Monde // La petite kurde Mawda, 2 ans, a été tuée par un policier belge

La petite Kurde Mawda, 2 ans, a été tuée par un policier belge

Le parquet de Mons a confirmé, mardi, le récit des parents de la fillette. Le tireur, laissé en liberté, sera interrogé par le comité de surveillance des polices.

LE MONDE | • Mis à jour le | Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, Correspondant)

C’est bien une balle tirée par un policier qui a tué la petite Kurde irakienne Mawda Shawri, 2 ans, lors d’une course-poursuite sur une autoroute qui s’est terminée tragiquement à Maisières, en Belgique, dans la nuit de jeudi 17 à vendredi 18 mai. Après des hésitations et une autre version, le parquet de Mons a finalement confirmé, mardi 22 mai, le récit des parents de la fillette.Une seule balle a été tirée à l’issue de la poursuite entre plusieurs voitures de police et une fourgonnette munie de fausses plaques. Celle-ci transportait une trentaine de migrants, dont quatre enfants. Le passeur comptait acheminer ses passagers vers la France, avant qu’ils tentent de gagner le Royaume-Uni. « Nous voyons régulièrement des gens qui transportent des migrants dans des conditions inhumaines, voire criminelles, au mépris de la santé d’autrui », a expliqué le parquet. Le phénomène s’est accru depuis le démantèlement de la « jungle » de Calais (Pas-de-Calais), insistent les magistrats.

Lors de cette course folle, un policier aurait tenté de viser le conducteur de la fourgonnette, qui effectuait des manœuvres dangereuses, essayant notamment de précipiter une voiture des forces de l’ordre sur le bas-côté. La balle tirée par le fonctionnaire a, en fait, atteint la petite Mawda au visage.

Aucune arme n’a été trouvée dans le véhicule. Quant au conducteur, il n’a pas pu être formellement identifié, les migrants respectant la loi du silence. Le tireur est, lui, connu et a été laissé en liberté. Il sera interrogé par le Comité P – comité permanent de de contrôle des services de police –, qui agit sur requête d’un juge d’instruction.

Les questions de l’opposition restées sans réponse

L’affaire a été évoquée, mardi, au Parlement belge. Interrogé par la commission de l’intérieur de la Chambre des députés, le premier ministre, Charles Michel, a renouvelé sa promesse d’une enquête totalement indépendante. Il a précisé avoir reçu pendant quatre-vingt-dix minutes les parents de la petite fille, qui devait être enterrée mercredi à Mons.

Le chef du gouvernement a expliqué que la famille Shawri – les parents et le frère de la jeune victime – pourrait rester légalement en Belgique. « Il existe une possibilité pour les personnes victimes de trafiquants ou de passeurs de rester sur le territoire. La famille peut utiliser cet instrument juridique », a fait savoir M. Michel, affirmant veiller au « devoir d’humanité ». La procédure en question prévoit une aide et une protection pour ceux qui livrent des informations permettant de démanteler des réseaux de passeurs. Les Shawri pourraient aussi invoquer des circonstances exceptionnelles pour demander un titre de séjour.

Mardi, l’avocat de la famille signalait cependant que le groupe de migrants, y compris ses clients, avait reçu l’ordre de quitter le centre où ils résident après les funérailles de Mawda.

Des députés d’opposition se sont étonnés de cette hâte à délivrer des ordres de quitter le territoire alors que l’enquête ne fait que commencer. Ils ont aussi tenté, sans succès, d’obtenir du premier ministre des réponses à une série de questions. Pourquoi les parents de la fillette, menottés, n’ont-ils pas été autorisés à accompagner l’enfant dans l’ambulance qui la transportait ? Pourquoi celle-ci n’est-elle arrivée qu’au bout de plusieurs dizaines de minutes, alors que Mawda agonisait ? Pourquoi le parquet de Mons a-t-il manqué de prudence, en évoquant d’abord l’absence de tir et le « traumatisme crânien » qui aurait été à l’origine de la mort ?

A toutes ces questions, M. Michel n’a pas répondu, se retranchant derrière la nécessité d’attendre le résultat des enquêtes de la justice et du Comité P. Précisant qu’il s’opposerait à toute « instrumentalisation » du dossier, il a aussi évité de commenter les propos de son ministre de l’intérieur, le nationaliste flamand Jan Jambon, qui avait rapidement déclaré que les policiers avaient « fait leur travail » dans le cadre de la lutte contre les passeurs.

Le Monde // Plusieurs centaines de migrant.e.s de Grande Synthe évacués vers des structures d’hébergement

Des CRS et des membres de l’Office français de l’immigration et de l’intégration étaient sur place pour encadrer cette évacuation qui a débuté à 7 heures.

Le Monde.fr avec AFP |

L’évacuation des migrants de Grande-Synthe a débuté jeudi 24 mai à 7 heures, encadrée par des CRS et des membres de l’Office français de l’immigration et de l’intégration.

L’évacuation du gymnase communal de Grande-Synthe (Nord) où vivent environ 400 migrants depuis le début de l’hiver, a commencé tôt jeudi 24 mai au matin. A 8 h 30, trois cars étaient partis avec à leur bord des dizaines de migrants en route pour des structures d’hébergement. Des CRS et des membres de l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration) étaient sur place pour encadrer cette évacuation qui a débuté à 7 heures.À 9 heures, 196 personnes avaient été prises en charge, en priorité les familles et les mineurs non accompagnés, selon un communiqué de la préfecture. La cinquantaine de migrants vivant dans le bois du Puythouck, à quelques kilomètres du gymnase, en contrebas de l’autoroute qui mène à Calais, devaient aussi se voir proposer des places dans les CAO et CAES, toujours selon la préfecture.

« Très clairement, les instructions sont : pas de camp sur le littoral. Ces camps, d’abord, font un appel d’air, se transforment en bidonville et après les gens vivent dans des conditions indignes », a expliqué le sous-préfet de Dunkerque, Eric Etienne, rappelant les récentes opérations contre des passeurs à proximité.

Accueil de plusieurs centaines de migrants jour et nuit

« Il y avait environ 400 personnes migrantes, 300 dans le gymnase et une petite centaine à l’extérieur. Ces personnes sont toutes orientées vers des centres d’accueil et d’hébergement dans les Hauts-de-France, pour l’essentiel d’entre elles », a fait savoir Eric Etienne.

« La ville, légitimement, veut reprendre son gymnase et le rendre à la population. Nous avons les places pour les héberger, [les personnes] ont été prévenues et elles étaient volontaires jusqu’à maintenant », a-t-il ajouté. Ce gymnase communal a été ouvert aux migrants le 12 décembre par la mairie. Une convention entre l’Etat et la mairie fut signée jusqu’au 31 mars, puis a été prolongée.

Couvertures, matelas, chauffage, douches, toilettes, distribution de nourriture : le site accueillait plusieurs centaines de migrants jour et nuit, essentiellement des Kurdes irakiens. Selon M. Etienne, cette salle ne se justifie plus vu les températures désormais « clémentes ».

De son côté, Magalie de Lambert, coordinatrice d’accès aux droits à Grande-Synthe pour la Cimade, une association d’aide aux migrants, a précisé que les hommes seuls devaient partir en CAO (centre d’accueil et d’orientation) et CAES (centre d’accueil et d’examen des situations), et les mineurs isolés, environ 40, être pris en charge par le département. Mais, « aucune information n’a été délivrée auprès des exilés », a-t-elle regretté, interrogée par la presse sur place.

Communiqué de Médecins du Monde après l’expulsion du Puythouck à Grande Synthe

Médecins du Monde Hauts-de-France17 h ·

#GrandeSynthe 24/05/2018
Entre 50 et 80 personnes vivent toujours dans le bois du Puythouck, privé-e-s d’eau potable et de tout accès à des conditions de vies décentes. Aujourd’hui, ce qui devait être une expulsion générale (comprendre mise à l’abri) s’est soldé, pour ce qui concerne le Puythouck et sans que l’on n’en connaisse la raison, par une triste opération de destruction des abris et autres lacérations des toiles de tentes, couplée d’une série d’arrestations (18). Comme si cela ne suffisait pas, Damien Carême réitère son message à Médecins du Monde: il ordonne à nouveau (cet après-midi) que nous cessions (ainsi que toute association) d’intervenir, donc de porter secours et assistance pour ce qui nous concerne, auprès des exilé-e-s présent-e-s sur la base de loisirs du Puythouck. Mr Carême comprendra que nous ne recevons pas d’ordre de lui, et encore moins dans un contexte aussi dégradé.

Avis du Conseil Economique et Social sur l’accueil des demandeur.euse.s d’asile dans l’UE

Parcours et politiques d’accueil des demandeur.euse.s d’asile dans l’Union européenne

rapport du Conseil économique et social

http://www.liberation.fr/france/2018/05/23/migrants-le-conseil-economique-et-social-appelle-a-mieux-penser-le-premier-accueil_1652101

Dans un avis adopté ce mercredi, l’instance juge avec sévérité la politique migratoire française et européenne. Elle recommande notamment de faire de l’Ofpra un acteur unique du traitement de la demande d’asile, ou encore de permettre aux exilés de ne pas attendre neuf mois pour travailler.

Réformer d’urgence le règlement de Dublin. Simplifier le premier accueil des migrants. Intégrer, notamment via la langue et l’emploi, plus tôt dans le processus de demande d’asile. Voilà les trois points saillants de l’avis adopté ce mercredi, à une très large majorité (178 voix pour, 0 contre, 2 abstentions), par le Conseil économique, social et environnemental (Cese) sur les «parcours et politiques d’accueil des demandeurs d’asile dans l’Union européenne». Plutôt sévère sur la politique migratoire française et européenne, le texte, validé dans l’après-midi par cette assemblée composée de membres de syndicats, d’associations, du patronat, de la société civile, et dont le rôle est d’apprécier les politiques publiques, a notamment relativisé l’ampleur de ce qui est présenté comme une «crise» : «La « crise des réfugiés » a davantage été une crise des politiques de l’accueil», dénonce le chapitre premier de l’avis.

L’avis du Cese rappelle également que la migration est une chose normale. Tout en pointant qu’avec l’augmentation à venir du nombre de réfugiés climatiques, il conviendrait d’établir au plus vite de bonnes conditions d’accueil. «La peur de l’étranger paraît souvent l’emporter sur un discours de raison, écrivent les auteurs de l’avis, dont les rapporteurs se nomment Paul Fourier et Emelyn Weber. Ces crispations conduisent les Etats et l’Union européenne à durcir une politique de restriction des flux migratoires en multipliant les obstacles sur la route des personnes en exil et en oubliant que l’accueil des réfugiés ne peut se penser indépendamment des droits fondamentaux, élément constitutif de l’identité européenne.»

Le Défenseur des droits, invité à s’exprimer ce mercredi, l’a dit en d’autres termes : «Cette question [migratoire] n’est pas un problème, elle est simplement une donnée du monde actuel […] Ne croyons pas que nous vivons aujourd’hui des temps exceptionnels. […] Contrairement à ce qu’on dit, ce n’est pas l’appel d’air qui fait la migration, c’est la situation intenable qui existe dans un certain nombre de pays. Les migrants, ce n’est non pas l’appel d’air qui fait qu’ils vont venir, non, si je voulais être grossier et trivial, [je dirais qu’]ils ont le feu aux fesses», a déclaré, dans un discours très applaudi, Jacques Toubon. Libération a consulté cet avis et en a retenu trois points saillants.

1. Règlement de Dublin : réformer pour mieux faire vivre le droit d’asile

Sévères, les auteurs se demandent «si les politiques d’accueil mises en œuvre par les Etats membres de l’Union européenne atteignent l’objectif de la garantie du droit d’asile, prévue par l’article 18 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE». Dans leur ligne de mire, le règlement de Dublin selon lequel un exilé doit faire sa demande d’asile dans le premier pays où ses empreintes ont été enregistrées (c’est pourquoi certains migrants refusent de laisser leurs empreintes dans un pays où ils ne comptent que faire étape…). «Force est de constater que les Etats membres ne se sont pas montrés à la hauteur de ce défi humain, en particulier en laissant le fardeau de la prise en charge des demandeurs d’asile aux Etats de première entrée», souvent la Grèce ou l’Italie, notent les auteurs de l’avis.

«Dublin repose sur la fiction que les personnes ont les mêmes chances d’obtenir la protection dans les différents pays européens. C’est faux», a estimé à la tribune la rapporteure Emelyn Weber. En l’état, le règlement de Dublin aboutit souvent à ce que des personnes censées déposer leur demande d’asile par exemple en Italie mais ayant de la famille en Allemagne, soient vouées à faire des allers-retours entre l’Allemagne, où elles veulent vivre, et l’Italie, vers laquelle on les renvoie. Ce mouvement perpétuel empêche leur intégration et les condamne à la précarité. C’est pourquoi le Cese soutient dans son avis la proposition de réforme du règlement de Dublin émanant du Parlement européen, qui prévoit un mécanisme de relocalisation intégrant les liens éventuels des demandeurs d’asile avec un pays (parce qu’ils y auraient de la famille ou en parleraient la langue par exemple), et qui permettrait aux demandeurs de choisir entre quatre pays d’accueil plutôt que de les forcer à rester là où ils sont arrivés en premier.

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2. Simplifier et mettre le paquet sur le premier accueil

Lors de l’examen du projet de loi sur l’asile et l’immigration porté par le gouvernement, plusieurs acteurs associatifs s’étaient inquiétés du fait que le texte ne pensait pas le premier accueil. C’est à peu près ce que redit aujourd’hui le Cese : «En France, la politique conduite vis-à-vis des réfugiés est nettement déficitaire, en particulier au niveau du premier accueil. […] Des migrants sont tenus en marge des dispositifs auxquels ils pourraient avoir accès, faute de centres dédiés.»

Pointant les «situations de grande précarité» et les «risques de rupture des droits» des migrants, le Cese recommande la création de Centres d’accueil initial (CAI), qui concentreraient «l’ensemble des fonctions nécessaires à la prise en charge des réfugiés» : enregistrement des demandes d’asile, information sur les démarches, orientation vers l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), lequel deviendrait le principal interlocuteur sur la demande d’asile (exit, donc, les guichets uniques en préfecture), la prise en charge de l’hébergement, l’accompagnement social.

Enfin, le Cese recommande que les migrants aient accès dès leur arrivée sur le territoire, à des soins de santé : «Aujourd’hui, l’accès à la protection universelle maladie est conditionné à la délivrance d’une attestation de demandeur d’asile, qui n’est obtenue parfois que dans un délai de plusieurs mois», remarquent les auteurs.

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3. Intégration : apprendre la langue et pouvoir travailler plus tôt

Deux recommandations de l’avis du Cese reprennent des propositions du rapport commandé par le gouvernement au député LREM du Val-d’Oise Aurélien Taché : d’abord, augmenter largement le volume d’heures d’apprentissage du français (passer de 200 à minimum 600 heures), tout en faisant commencer les cours plus tôt dans le processus de demande d’asile. Aujourd’hui, l’apprentissage officiel commence une fois l’asile ou la protection subsidiaire accordés ; de nombreux migrants dépendent donc des bonnes volontés des riverains ou des associations pour commencer l’apprentissage de la langue au plus tôt. D’autre part, le Cese souhaite qu’il soit permis aux exilés de travailler au bout de trois mois après leur enregistrement en France, au lieu de neuf. «L’accès au travail est reconnu comme l’une des meilleures formes d’intégration des demandeurs d’asile, l’emploi leur procurant une véritable place dans la société», note le Cese.

 

Calais: Cinq migrants tentent la traversée de la Manche en cano

FAITS DIVERS D’importants moyens de secours ont été déployés pour récupérer des réfugiés qui tentaient de traverser le détroit du Pas-de-Calais en bateau…

Mikael Libert

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Tentative désespérée. Samedi matin, cinq migrants dans un canot pneumatique à la dérive ont pu être sauvés. Ils avaient tenté, de nuit, de traverser le détroit du Pas-de-Calais, l’un des couloirs maritimes les plus fréquentés au monde, pour se rendre en Grande-Bretagne.

L’alerte a été lancée vers 2h35 du matin, samedi. Le Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS) de Gris-Nez (62) a été informé qu’une embarcation pneumatique dérivait au large de Calais avec cinq personnes à bord.

Un avion de la Marine venant du Morbihan

Comme la localisation exacte du canot n’était pas connue, le CROSS Gris-nez a lancé une opération de recherche et de secours à l’aide de moyens maritimes et aériens. Un avion Falcon 50Mi de la Marine nationale a même été déployé depuis le Morbihan pour participer à l’opération. En parallèle, des patrouilles de gendarmerie ont sillonné le littoral entre Wissant et le cap Gris-Nez.

C’est finalement l’avion breton qui est parvenu à localiser l’embarcation en perdition près de cinq heures après le déclenchement de l’alerte, vers 7h20. Le pneumatique se trouvait alors à environ 16km au nord du cap Gris-Nez. La vedette des secours en mer (SNSM) a immédiatement été redirigée vers la position exacte du bateau pour l’atteindre 40 minutes plus tard.

Ils souffraient d’hypothermie

Les cinq hommes présents à bord du canot ont été récupérés en état d’hypothermie. Les secours en mer les ont conduits jusqu’au port de Boulogne-sur-Mer où ils ont été pris en charge par les pompiers à 9h30.

Si les tentatives pour traverser la Manche ne sont pas fréquentes, elles tendent néanmoins à se multiplier, notamment à cause de la sécurisation des installations comme le tunnel sous la Manche ou le port de Calais. Pour autant, le préfet maritime tient à rappeler « que ces traversées sont extrêmement risquées et dangereuses, en dépit d’une proximité apparente des côtes anglaises ».

Communiqué des délinquants solidaires, 2 calaisiens sont concernés

Communiqué de presse

Pas de répit pour les « délinquants solidaires » : 6 audiences à venir

 

Paris, le 28 mai 2018

Le 23 avril 2018, au lendemain de l’adoption par l’assemblée nationale du projet de loi « pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie » le gouvernement se félicitait de l’assouplissement des poursuites pour aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irrégulier issu de l’adoption à la dernière minute d’un amendement, laissant ainsi croire qu’il aurait mis fin au délit de solidarité.

Pourtant il n’en est rien comme l’illustrent les nombreuses audiences qui ont eu lieu ou auront lieu dans les prochains jours. Elles témoignent que bien des personnes solidaires restent considérées comme « délinquantes ». Les quelques minces exemptions introduites par cet amendement n’y auraient rien changé1. Parmi celles qui ont été médiatisées :

Ces personnes risquent une condamnation qui peut aller jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende, voire plus pour celles accusées d’avoir agi en « bande organisée », comme c’est le cas à Gap.

D’autres poursuites sont régulièrement engagées sous d’autres prétextes pour étouffer la contestation contre la politique migratoire inhumaine et violente que mène le gouvernement comme le montrent les exemples suivants :

  • 29 mai, TGI de Boulogne-sur-Mer : la maire de Calais a porté plainte contre Laurent M. pour avoir collé des affiches style Western dénoncent le refus de la maire de Calais d’appliquer la décision du Conseil d’État concernant l’aide à apporter aux migrants ;

  • 29 mai, TGI de Boulogne-sur-Mer : comparution d’un chargé de mission de l’Auberge des migrants suite à une plainte de deux policiers pour un tweet. La dérision est-elle un délit ?

  • 4 juin, cour d’appel d’Amiens : 7 ans de procédure pour « faux et usage de faux » pour deux attestations d’hébergement

Partout en France, et notamment à Briançon, Calais, Paris ou Nice, de nombreuses personnes viennent en aide chaque jour à des personnes étrangères que l’État préfère trier, placer en rétention, expulser ou refouler vers l’Italie. Ce sont ces citoyens et citoyennes qui portent aujourd’hui le devoir de fraternité lequel figure dans la devise de la République comme principe constitutionnel.

Leurs actes devraient être encouragés et non criminalisés !

Le collectif Délinquants Solidaires réitère son soutien à toutes celles et ceux qui se montrent solidaires des personnes en situation de précarité et rappelle qu’il est temps de mettre vraiment fin au « délit de solidarité ».

Il appelle les sénateurs et sénatrices qui vont examiner ce projet de loi à partir du 19 juin, à ne pas rater cette occasion d’en finir avec le « délit de solidarité » en s’inspirant de sa proposition « Pour mettre hors-la-loi le délit de solidarité »2.

Abrogeons le délit de solidarité et respectons le devoir de fraternité !

Retrouver ce communiqué en ligne : http://www.delinquantssolidaires.org/actualites#

1 Si l’article 19bis ajouté au projet de loi par l’assemblée nationale est adopté les exemptions prévues par l’article L. 622-4 seraient les suivantes :

– il est précisé que l’exemption accordée en raison de liens familiaux s’applique à la circulation en France ;

– pour aide au séjour l’exemption prévue lorsque l’acte reproché a consisté à « fournir des conseils juridiques » serait étendue « fournir des conseils et de l’accompagnement, notamment juridiques, linguistiques ou sociaux » (les autres cas étant inchangés)

Enfin cette exemption qui est retreinte au cas où l’acte n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte serait restreinte au cas où l’acte a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte ou a été accompli dans un but lucratif… ce qui, au mieux, ne change rien.

23 mai 2018 – Communiqué de Presse // Entre une mise à l’abri humanitaire et une expulsion, la marge est étroite

En décembre dernier, face à la vague de froid, la mairie de Grande-Synthe a ouvert un gymnase afin d’accueillir les personnes exilées qui survivaient dans des conditions très difficiles et indignes sur le territoire de sa commune.

Actuellement plus de 260 personnes dorment chaque soir dans ce gymnase, parmi lesquelles une quarantaine de mineurs non accompagnés. Près de 300 personnes vivent encore autour du gymnase ainsi que dans la réserve naturelle du Puythouck et aux alentours.

Nous nous interrogeons sur la pertinence de l’opération de « mise à l’abri » prévue le 24 mai par les services de l’Etat, qui orientera vers les centres d’accueil et d’orientation (CAO) et les centres d’accueil et d’examen des situations (CAES) de la région et sur la prise en charge qui sera réellement apportée aux mineurs non accompagnés.

Quelle prise en charge des mineurs ? 

Nous n’avons cessé d’interpeller le département du Nord sur la situation des mineurs non accompagnés présents à Grande-Synthe, et nous espérons qu’ils seront enfin mis à l’abri dans un dispositif dédié, leur offrant une réelle prise en charge, et non dans un nouveau gymnase ou dispositif d’urgence ne leur offrant aucune perspective.

Le conseil départemental doit jouer activement son rôle de chef de file de la protection de l’enfance et proposer aux mineurs « en errance » sur le littoral, systématiquement, une prise en charge spécifique prenant en compte la réalité de ces jeunes, une réelle protection et une information aux droits dans le cadre du droit commun.

Une mise à l’abri contrainte entraînant une expulsion n’est pas une mise à l’abri humanitaire 

L’accueil dans ces CAO/CAES est conditionné à l’évaluation de la situation administrative de ces personnes exilées, qui, pour la plupart, risquent d’être placées en procédure Dublin. Afin d’échapper à un éventuel renvoi dans un autre pays européen ils risquent de quitter ces lieux d’accueil pour revenir sur le littoral tenter à nouveau le passage vers l’Angleterre. L’expérience passée en témoigne puisqu’en septembre 2017, 600 personnes installées au Puythouck ont été contraintes de monter dans des bus à destination de ces centres. Trois jours plus tard, 300 personnes étaient à nouveau présentes sur le site.

Le règlement Dublin est à la fois complexe et inefficace, il faut cesser d’en appliquer les critères afin que le demandeur ou la demandeuse d’asile puisse faire le choix du pays où il ou elle veut solliciter l’asile. Nous demandons à la Préfecture du Nord de faire application de l’article 17 de ce règlement qui prévoit la faculté pour un État d’examiner la demande d’asile quand bien même la responsabilité relève d’un autre pays. Seul l’usage de cette clause permettra aux personnes exilées de décider de rester en France et de s’y installer durablement.

Nous sommes également particulièrement inquiets du sort qui sera réservé à celles et ceux qui ne voudront pas partir vers les CAO/CAES. Nous serons présents le 24 mai afin d’observer si ces personnes ne sont pas contraintes de monter dans un autocar ou arrêtées et placées en rétention.

Nous rappelons que nul ne peut être contraint à quitter le lieu qu’il occupe sans qu’une décision de justice ou un arrêté ne l’autorise et sans que le concours de la force publique ne soit accordé. Une opération de « mise à l’abri » ne peut l’être que si les personnes l’acceptent, sans risquer d’être placées en garde à vue en cas de refus, contrairement à l’opération du 19 septembre 2017 que nous avons considérée comme illégale et contestée.

Pour la mise en place d’une solution pérenne d’accueil sur le littoral 

Un accueil digne, inconditionnel et respectueux des droits fondamentaux doit voir le jour pour les personnes exilées « en transit » sur la commune de Grande-Synthe, et plus largement sur le littoral. La mise en place de « maisons du migrant », hébergement temporaire pour les personnes de passage, est une solution pérenne qui pourrait permettre de les accueillir dignement. Alors qu’aucun dispositif de ce type n’est à ce jour clairement envisagé par l’Etat, nous réitérons la nécessité de créer ces lieux d’accueil humanitaire.

 

Signataires :

  • La Cimade Nord Picardie
  • Fondation Abbé Pierre Hauts-de-France
  • Médecins du Monde Délégation Hauts-De-France
  • L’Auberge des migrants
  • Gynécologie Sans Frontières
  • Drop Solidarités
  • Women Refugee Center
  • Refugee Community Kitchen
  • Salam Nord Pas-de-Calais
  • L’Entraide de l’Eglise Protestante Unie de Dunkerque
  • Terre d’errance Flandre Littoral
  • Asbl Humain
  • Refugee Youth Service
  • ATD Quart Monde Dunkerque

Contacts Presse :

Elodie Beharel, Déléguée nationale en région, La Cimade Nord Picardie

06.32.55.92.94 – elodie.beharel@lacimade.org

Magali De Lambert, Coordinatrice d’accès au Droit Grande-Synthe, La Cimade Nord Picardie

06.71.48.32.11 – magali.delambert@lacimade.org

Brice Benazzouz, Coordinateur général programme Nord Littoral, Médecins du Monde Délégation Hauts-De-France

06.50.37.77.03 – brice.benazzouz@medecinsdumonde.net

Franck Esnée, Coordinateur régional, Médecins du Monde Délégation Hauts-De-France 06 16 46 21 24 – franck.esnee@medecinsdumonde.net

Nicolas DEVREESE, Chargé de mission, Fondation Abbé Pierre agence Hauts-de-France

06 20 64 23 44 – ndevreese@fondation-abbe-pierre.fr

 

21 mai 2018 – Communiqué de presse // La frontière tue!

La frontière tue. Une nouvelle fois la frontière tue.

Le 17 mai, Mawda, une fillette est morte. Elle a perdu la vie alors qu’avec ses parents, elle avait fui son pays d’origine à la recherche d’une vie meilleure. Elle a perdu la vie alors qu’ensemble ils exerçaient ce droit inaliénable qu’est celui de quitter son pays. Elle a perdu la vie pour la liberté.

Quelle politique peut justifier la mort d’une fillette de 2 ans ? Quelle politique peut justifier que des hommes, des femmes et des enfants aient à prendre des risques insensés ? Quelle politique peut justifier que l’on jette ces personnes dans les griffes de profiteurs de misère ?

Une nouvelle fois la frontière a tué. Elle a déjà tué, trop souvent. Elle tuera encore si rien n’est fait.

Elle a tué, mais il y a des responsables. Les passeurs et les forces de l’ordre belge probablement. Mais ce serait trop facile de se dédouaner sur quelques uns. Ce serait oublier que si la frontière tue, c’est parce qu’elle est un lieu de violence dont nos gouvernements sont responsables. Les politiques de fermeture et de non-accueil n’ont d’autres conséquences que de contraindre les personnes à vivre dans des conditions déplorables – des sous-bois expulsés régulièrement ou quand elles ont de la chance un gymnase surpeuplé – et de les jeter dans les mains de personnes peu scrupuleuses. Ces politiques, que l’on appelle trop souvent « politique de sécurisation de la frontière », n’ont de « sécurisation » que le nom. Ce sont elles qui poussent des personnes à risquer le tout pour le tout, jusqu’au risque de la mort.

Ceci n’est plus supportable.

Une autre politique migratoire est possible et doit être débattue. Une politique qui remet l’humain au centre et qui redonne à la solidarité et à l’accueil leur lettre de noblesse.

Nous continuerons à nous battre pour qu’elle voit le jour, et ceci en mémoire de Mawda, morte le 17 mai à la frontière belgo-franco-britannique.

Signataires :

ACC Minorités visibles

ADRA Dunkerque

AMIS Téteghem

ATD Quart Monde Dunkerque

L’Auberge des migrants

Bethlehem

Care4Calais

La Cabane juridique

La Cimade Nord Picardie

Créative Collectif Fraternité Migrants Bassin Minier 62

DROPSolidarité

ECNou

Emmaüs Dunkerque

Emmaüs France

Entraide de l’Eglise Protestante Unie de Dunkerque

Itinérance Dieppe

La Ligue des droits de l’Homme Dunkerque

MRAP-littoral dunkerquois

Le Planning familial 62

Salam Nord Pas-de-Calais

Terre d’errance

Terre d’errance Flandre Littoral

Terre d’Errance Steenvoorde

Women Refugee Center

Bondy blog // impuissance des bénévoles à Calais

« Nous, bénévoles de Calais, assistons impuissants au démantèlement des campements des exilés »

Par Felix Mbenga
Le 17/05/2018

Lors de sa visite à Calais en janvier 2018, Emmanuel Macron, avait annoncé que l’État se chargerait de la distribution des repas auprès des migrants. Une décision censée améliorer le sort des exilés. Pourtant, la répression policière n’a pas cessé, à laquelle les bénévoles assistent, impuissants. Comme Marion Deloule, 23 ans, épuisée, qui s’est mise en pause.

C’est au cours de l’année 2016 que Marion Deloule arrive à Calais dans le cadre d’un mémoire à effectuer pour son master en sciences de l’éducation. Son objet d’étude porte sur l’éducation des enfants réfugiés en France. Elle décide de plein gré d’enrichir ses travaux en se rendant à Calais : « Je savais qu’il y avait plusieurs écoles dans la jungle qui dispensaient des cours aux migrants. C’était une bonne occasion pour y aller ». Pour la jeune Nancéenne, c’est le choc : elle y découvre les conditions de vies extrêmement précaires et le sort auquel sont livrés ces réfugiés ayant fui massacres, persécutions ou vie matérielle déplorable. « C’était vraiment un monde à part, un gigantesque bidonville à côté des habitations. C’est dramatique de voir des personnes qui ont tout quitté et qui ont fui la guerre, pour finir là-dedans. Une fois qu’on est là-bas et qu’on voit la situation, on ne peut pas rentrer chez soi sans ne rien faire ». La jeune étudiante de Paris-Descartes décide alors de retourner régulièrement sur place et plus précisément au sein de « L’école laïque du chemin des dunes » jusqu’au démantèlement de la jungle en octobre 2016. Cela n’a pas arrêté la volonté de Marion de s’engager auprès des migrants puisqu’elle décide de rejoindre par la suite l’association « Salam » qui distribue essentiellement des repas mais également couvertures et besoins de première nécessité.

Il y a un mécontentement général aussi bien pour les migrants que pour nous, bénévoles

Auparavant, l’association distribuait deux repas par jour à six endroits fixes au sein des campements, les vivres provenaient essentiellement de dons que recevaient « Salam ». Les bénévoles se rendaient sur les différents points à l’aide de leur minibus. Depuis mars 2018, l’organisation de l’association a été modifiée : « Maintenant, on ne distribue qu’un repas par jour depuis que Vie Active (l’organe étatique chargé de la distribution des repas, ndlr) est présente. On ne savait pas trop comment faire vis-à-vis des autorités du coup on s’est réorganisé. » confie-t-elle. Lors des premiers jours qui ont suivi la mise en place de la mesure, la présence policière était forte autour du point de distribution situé « rue des Huttes » ce qui n’incitait pas les migrants, à quelques mètres de là, rue des Verrotières, à venir se nourrir : « Les migrants étaient méfiants et n’osaient pas venir. Pourtant, on les incitait à aller se chercher à manger, les plats que proposaient la Vie Active étaient bien meilleurs que nos sachets repas ». Les craintes des migrants se sont dès lors justifiées lorsque les autorités profitaient de l’absence des migrants pour démanteler leur campement les empêchant ainsi de récupérer le peu d’affaires qu’ils laissaient derrière eux. « Il y a des migrants qui ont des traitements médicaux et la police ne les laisse pas retourner sur leur campement pour qu’ils aillent chercher leurs médicaments. Il y a un mécontentement général aussi bien pour les migrants que pour nous, bénévoles, puisqu’à chaque fois, on assiste impuissant au démantèlement des campements des exilés », déplore Marion. Une répression qui tranche avec le discours tenu par le Président lors de sa venue en janvier 2018 selon Marion : « Sa politique est hypocrite : d’un côté il annonce que l’Etat prendra en charge la distribution des repas et d’un autre, il dit qu’il ne veut plus de jungle à Calais et qu’il ne veut plus de migrants ici. Sauf qu’en distribuant des repas, il les incite à rester ici quelques temps. Il tient un double discours ». Les responsables associatifs qui, en premier lieu, encourageaient les migrants à aller aux distributions de repas, tiennent aujourd’hui un autre discours : « Lorsqu’on voit ce que font les policiers au moment des distributions, on est impuissant et il est difficile de dire aux migrants d’aller se chercher à manger. On ne tient pas à être les avocats du diable ».

Présence policière à Calais après le démantèlement d’un campement @BondyBlog

Les exilés viennent nous voir, le matin, lorsqu’on distribue les repas et certains nous demandent si on a de nouveaux vêtements puisque les leurs sont imbibés par du gaz lacrymogène

La jeune bénévole tient à témoigner des conditions de vie des plus en plus exécrables des migrants et de l’entrave au travail des associations. Plusieurs citernes d’eau potables installées à proximité des campements ont été retirées par la police. « Ils ont aussi bloqué avec des pierres, sur ordre de la maire de Calais, un point de distribution de repas de l’association rendant l’accès impossible pour les bénévoles ». De plus, les migrants doivent faire face à de violentes interventions menées par la police durant la nuit. « Ils viennent nous voir, le matin, lorsqu’on distribue les repas et certains nous demandent si on a de nouveaux vêtements puisque les leurs sont imbibés par du gaz lacrymogène« . Par ailleurs, l’Auberge des migrants, une autre association présente également sur place, relève que le 25 janvier dernier, au cours d’un démantèlement, un jeune adolescent de 16 ans a été emmené en urgence à l’hôpital de Calais, ce dernier souffrant de multiples fractures au crâne nez éclaté et le nez rentré dans la boîte crânienne. Le préfet ne s’est à ce jour pas exprimé sur cet incident. Sans parler de l’Etat et de la ville qui avaient fait appel de la décision du tribunal administratif de Lille qui les enjoignait à créer sanitaires et point d’eau pour es migrants, à renforcer les maraudes et laisser les associations faire leur travail de distribution des repas.  C’est dans ce contexte que les rapports entre responsables associatifs et représentants de l’Etat se sont détériorés au cours de ces derniers mois. Au point que le président de l’association « Salam », Jean-Claude Lenoir, a annoncé le 23 mars via Facebook que Salam « cesse tout échange avec les autorités ».

Les membres de Vie Active se trouvent quant à eux dans une position délicate : d’une part, l’organe est composé d’anciens bénévoles qui connaissent très bien le terrain et ses problématiques et qui avaient tissé des liens avec les nombreux Afghans, Erythréens et Ethopiens majoritairement présents sur place . « Les migrants se sentent trahis, ils avaient confiance en eux . Ils vivent mal de voir ces bénévoles qui travaillent pour un Etat qui ne veut pas d’eux, qui les maltraite. Ils se sentent abandonnés de partout », témoigne Marion. D’autre part, l’étudiante confie que parmi les membres de Vie Active, certains ne sont pas en accord avec les mesures prises par Emmanuel Macron mais agissent avec pragmatisme : « Ce sont des gens qui connaissent très bien le terrain et qui sont là depuis plusieurs années. Ils se disent que c’est mieux que ce soit eux qui se chargent de la distribution des repas plutôt que des personnes inexpérimentées qui risqueraient d’être débordées ».

Fatigue physique et psychologique des bénévoles

Aujourd’hui, Marion a décidé de quitter Calais pour un court moment du fait de la fatigue aussi bien physique que psychologique que vivent de nombreux bénévoles. « Les journées sont particulièrement intenses sur le plan émotionnel : le fait d’assister à des démantèlements de camps, de voir la police confisquer le peu d’affaires de ces jeunes hommes qui ont tout quitté pour arriver jusqu’ici, c’est frustrant. On a un sentiment d’impuissance, parfois il m’arrivait de rentrer chez moi et de pleurer pour dire à quel point j’étais mentalement épuisée », confie-t-elle avec une vive émotion dans la voix. Marion ne sait pas encore quand elle retournera œuvrer sur place auprès des migrants qui sont aujourd’hui dans une situation précaire. « Le Président Macron ne respecte pas les droits de l’homme. La France pourrait être condamnée par la Cour Européenne des droits de l’Homme (CEDH) mais rien n’y fait. Ça fait des années que cela dure et rien ne change, j’ai peur que la situation empire encore ». Marion est désormais partie aider le quotidien des exilés dans une autre région, à la Roya, à la frontière avec l’Italie.

Félix MUBENGA