« Nous, bénévoles de Calais, assistons impuissants au démantèlement des campements des exilés »
Il y a un mécontentement général aussi bien pour les migrants que pour nous, bénévoles
Auparavant, l’association distribuait deux repas par jour à six endroits fixes au sein des campements, les vivres provenaient essentiellement de dons que recevaient « Salam ». Les bénévoles se rendaient sur les différents points à l’aide de leur minibus. Depuis mars 2018, l’organisation de l’association a été modifiée : « Maintenant, on ne distribue qu’un repas par jour depuis que Vie Active (l’organe étatique chargé de la distribution des repas, ndlr) est présente. On ne savait pas trop comment faire vis-à-vis des autorités du coup on s’est réorganisé. » confie-t-elle. Lors des premiers jours qui ont suivi la mise en place de la mesure, la présence policière était forte autour du point de distribution situé « rue des Huttes » ce qui n’incitait pas les migrants, à quelques mètres de là, rue des Verrotières, à venir se nourrir : « Les migrants étaient méfiants et n’osaient pas venir. Pourtant, on les incitait à aller se chercher à manger, les plats que proposaient la Vie Active étaient bien meilleurs que nos sachets repas ». Les craintes des migrants se sont dès lors justifiées lorsque les autorités profitaient de l’absence des migrants pour démanteler leur campement les empêchant ainsi de récupérer le peu d’affaires qu’ils laissaient derrière eux. « Il y a des migrants qui ont des traitements médicaux et la police ne les laisse pas retourner sur leur campement pour qu’ils aillent chercher leurs médicaments. Il y a un mécontentement général aussi bien pour les migrants que pour nous, bénévoles, puisqu’à chaque fois, on assiste impuissant au démantèlement des campements des exilés », déplore Marion. Une répression qui tranche avec le discours tenu par le Président lors de sa venue en janvier 2018 selon Marion : « Sa politique est hypocrite : d’un côté il annonce que l’Etat prendra en charge la distribution des repas et d’un autre, il dit qu’il ne veut plus de jungle à Calais et qu’il ne veut plus de migrants ici. Sauf qu’en distribuant des repas, il les incite à rester ici quelques temps. Il tient un double discours ». Les responsables associatifs qui, en premier lieu, encourageaient les migrants à aller aux distributions de repas, tiennent aujourd’hui un autre discours : « Lorsqu’on voit ce que font les policiers au moment des distributions, on est impuissant et il est difficile de dire aux migrants d’aller se chercher à manger. On ne tient pas à être les avocats du diable ».
Les exilés viennent nous voir, le matin, lorsqu’on distribue les repas et certains nous demandent si on a de nouveaux vêtements puisque les leurs sont imbibés par du gaz lacrymogène
La jeune bénévole tient à témoigner des conditions de vie des plus en plus exécrables des migrants et de l’entrave au travail des associations. Plusieurs citernes d’eau potables installées à proximité des campements ont été retirées par la police. « Ils ont aussi bloqué avec des pierres, sur ordre de la maire de Calais, un point de distribution de repas de l’association rendant l’accès impossible pour les bénévoles ». De plus, les migrants doivent faire face à de violentes interventions menées par la police durant la nuit. « Ils viennent nous voir, le matin, lorsqu’on distribue les repas et certains nous demandent si on a de nouveaux vêtements puisque les leurs sont imbibés par du gaz lacrymogène« . Par ailleurs, l’Auberge des migrants, une autre association présente également sur place, relève que le 25 janvier dernier, au cours d’un démantèlement, un jeune adolescent de 16 ans a été emmené en urgence à l’hôpital de Calais, ce dernier souffrant de multiples fractures au crâne nez éclaté et le nez rentré dans la boîte crânienne. Le préfet ne s’est à ce jour pas exprimé sur cet incident. Sans parler de l’Etat et de la ville qui avaient fait appel de la décision du tribunal administratif de Lille qui les enjoignait à créer sanitaires et point d’eau pour es migrants, à renforcer les maraudes et laisser les associations faire leur travail de distribution des repas. C’est dans ce contexte que les rapports entre responsables associatifs et représentants de l’Etat se sont détériorés au cours de ces derniers mois. Au point que le président de l’association « Salam », Jean-Claude Lenoir, a annoncé le 23 mars via Facebook que Salam « cesse tout échange avec les autorités ».
Les membres de Vie Active se trouvent quant à eux dans une position délicate : d’une part, l’organe est composé d’anciens bénévoles qui connaissent très bien le terrain et ses problématiques et qui avaient tissé des liens avec les nombreux Afghans, Erythréens et Ethopiens majoritairement présents sur place . « Les migrants se sentent trahis, ils avaient confiance en eux . Ils vivent mal de voir ces bénévoles qui travaillent pour un Etat qui ne veut pas d’eux, qui les maltraite. Ils se sentent abandonnés de partout », témoigne Marion. D’autre part, l’étudiante confie que parmi les membres de Vie Active, certains ne sont pas en accord avec les mesures prises par Emmanuel Macron mais agissent avec pragmatisme : « Ce sont des gens qui connaissent très bien le terrain et qui sont là depuis plusieurs années. Ils se disent que c’est mieux que ce soit eux qui se chargent de la distribution des repas plutôt que des personnes inexpérimentées qui risqueraient d’être débordées ».
Fatigue physique et psychologique des bénévoles
Aujourd’hui, Marion a décidé de quitter Calais pour un court moment du fait de la fatigue aussi bien physique que psychologique que vivent de nombreux bénévoles. « Les journées sont particulièrement intenses sur le plan émotionnel : le fait d’assister à des démantèlements de camps, de voir la police confisquer le peu d’affaires de ces jeunes hommes qui ont tout quitté pour arriver jusqu’ici, c’est frustrant. On a un sentiment d’impuissance, parfois il m’arrivait de rentrer chez moi et de pleurer pour dire à quel point j’étais mentalement épuisée », confie-t-elle avec une vive émotion dans la voix. Marion ne sait pas encore quand elle retournera œuvrer sur place auprès des migrants qui sont aujourd’hui dans une situation précaire. « Le Président Macron ne respecte pas les droits de l’homme. La France pourrait être condamnée par la Cour Européenne des droits de l’Homme (CEDH) mais rien n’y fait. Ça fait des années que cela dure et rien ne change, j’ai peur que la situation empire encore ». Marion est désormais partie aider le quotidien des exilés dans une autre région, à la Roya, à la frontière avec l’Italie.
Félix MUBENGA