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A Calais, détournement de procédure et atteinte aux droits fondamentaux

Par Sylvain Mouillard
 La contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, fustige la politique de placements massifs en centres de rétention de migrants de la «jungle» de Calais.

Après Jacques Toubon contre Bernard Cazeneuve, voici Adeline Hazan contre le même Cazeneuve. Comme le Défenseur des droits, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) remet fermement en cause la politique du ministre de l’Intérieur pour «désengorger» la «Jungle» de Calais dans un document de huit pages publié ce mercredi. L’ancienne maire (PS) de Reims estime que la stratégie de placements massifs en centre de rétention enclenchée fin octobre représente une «utilisation détournée de la procédure», qui «entraîne des atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes». Elle recommande au ministre d’y «mettre fin».

Entre le 21 octobre et le 10 novembre, 779 personnes ont été «déplacées» de la Jungle vers des centres de rétention (des prisons pour sans-papiers) sur tout le territoire français. Adeline Hazan pointe une série de violations de principes élémentaires. Plusieurs migrants ont ainsi été séparés de leur famille, «principalement de leurs frères ou cousins mineurs laissés libres». Elle évoque une notification des droits réalisée de manière «grandement insuffisante», des procédures «non-individualisées» voire «stéréotypées».

A l’hôtel de police de Coquelles (à côté de Calais), où des vérifications ont été menées fin octobre, le CGLPL a pu constater que jusqu’à treize personnes s’entassaient dans une cellule de 11 m². L’accès aux toilettes «en présence de co-cellulaires» représente une «situation attentatoire au respect de la dignité humaine». La suite des opérations – en l’occurrence l’envoi vers les centres de rétention –, n’est pas plus reluisante.

«Usage détourné de la procédure»

Selon Adeline Hazan, le «nombre de placements est fixé à l’avance», selon un «roulement prédéfini» ayant pour objectif de «désengorger» Calais. C’est un «usage détourné de la procédure de placement en rétention administrative», affirme la contrôleure. Qui établit un bilan chiffré de la politique du ministère de l’Intérieur : entre le 21 octobre et le 10 novembre, sur les 779 personnes déplacées, 578 ont été libérées, soit 74 % du total. Seules 15 d’entre elles ont été réadmises dans un pays de l’Union européenne (2 %). Plus de la moitié des personnes libérées l’ont été sur décision de la préfecture, celle-là même qui avait décidé de leur placement en rétention…

Par ailleurs, Adeline Hazan signale que «les pays d’origine de la majorité des personnes déplacées sont particulièrement sensibles : Syrie, Afghanistan, Irak, Erythrée et Soudan. Or, compte tenu des risques encourus pour leur intégrité physique en cas de retour, nombre de ces personnes ne peuvent, en pratique, y être reconduites.» Autrement dit, la politique du ministère de l’Intérieur traduit bien un strict objectif comptable, en l’occurrence de faire baisser la population dans la Jungle, où vivaient quelque 6 000 personnes en octobre. Quitte à enfreindre le droit.

Ce rapport entre en contradiction frontale avec les propos tenus par Bernard Cazeneuve à Libération, dans une interview publiée le 11 novembre. Le ministre de l’Intérieur affirmait alors qu’il n’y avait «pas de singularité calaisienne dans la politique de lutte contre l’immigration irrégulière conduite par l’Etat».

Sylvain Mouillard

PARTIR, C’EST (AUSSI) MOURIR

2014_07_12_Calais_Solidarity Migrants_O2e-7631 (Copier)Manifestation en solidarité avec les exilés, Calais, 12 juillet 2014

(Chronologie des exilés morts à la frontière franco-britannique)

Selon le projet « The Migrant Files »[1], en 2014, 3 519 personnes migrantes seraient décédées sur les routes de l’exil menant vers l’Europe. Et depuis 2000, c’est plus de 23 000 personnes qui seraient mortes en tentant de rejoindre la « forteresse Europe ». La majeure partie de ces drames se déroulent aux portes du continent européen (dans le détroit de Gibraltar, en Sicile et en Grèce) et en amont de celles-ci (désert du Sahara).

A Calais et dans sa région, des exilés meurent aussi. Pourtant, ici, il n’est plus question d’entrer en Europe, mais plutôt de sortir de l’espace Schengen et de pénétrer sur le territoire britannique.

Depuis le milieu des années 1990, des personnes exilées se retrouvent « bloquées » dans le Calaisis, à proximité du détroit qui sépare le Royaume-Uni de l’Europe continentale. Cet espace frontalier est devenu, au fil des accords européens et traités bilatéraux entre la France et la Grande-Bretagne, une véritable délimitation administrative et politique empêchant des personnes étrangères jugées indésirables d’accéder au territoire britannique. Bloquées dans le Nord de la France, et en l’absence de dispositifs publics d’accueil, ces victimes de migrations forcées trouvent alors refuge (de fortune) dans des espaces aux marges des villes, les « jungles » ainsi que dans le bidonville de Calais autour du centre Jules Ferry, où elles (sur)vivent dans des conditions de grande précarité, sans eau, ni électricité. Et chaque soir, elles tentent « le passage », espérant trouver un ailleurs plus accueillant par-delà la frontière.

Mais, à Calais et dans sa région, des personnes exilées meurent aussi. Percutées par un train sur le site d’Eurotunnel, renversées par un camion ou une voiture – parfois volontairement – sur des axes routiers, noyées dans le port de Calais ou n’ayant pas pu bénéficier de soins à temps. Des exilés meurent principalement des conséquences du passage, mais également du fait des conditions dans lesquelles ils vivent. Dans la presse, à quelques exceptions près et ce jusqu’à une période encore récente, ces drames n’étaient que des entrefilets classés dans les faits divers, donnant un sentiment de fatalité à ces évènements qui se succèdent plus ou moins fréquemment et que, finalement, peu de médias, d’institutions ou d’acteurs associatifs arrivent à chiffrer.

Pourtant, il n’est guère question ici de fatalité. Au contraire, il est surtout question de conséquences de politiques publiques qui se résument à une absence de politique d’accueil et à un traitement principalement policier de la situation. Par exemple, fin septembre 2014, la France et la Grande-Bretagne signaient un accord d’un montant de 15 millions d’euros destiné principalement à « sécuriser le port de Calais » et au renforcement de « la coopération policière pour démanteler les filières de passeurs »[2]. Cet accord s’est traduit notamment par l’érection d’une double clôture, l’une de 4 mètres de haut et l’autre d’un peu moins de 3 mètres, cette dernière surmontée d’une rampe d’accès incurvée qui permet d’éviter de s’agripper, avec au sommet un fil barbelé. Enfin, entre les deux clôtures, un espace de détection infrarouge a été installé[3].

Or, la sécurisation de l’espace portuaire aura eu pour conséquence de précariser davantage la situation des exilés présents à Calais. D’une part, la frontière étant plus hermétique, le recours aux passeurs devient de plus en plus nécessaire, renforçant ainsi l’emprise de ceux-ci. D’autre part, face aux obstacles dressés autour du port, les exilés se déplacent vers le site Eurotunnel et prennent alors davantage de risques dans leurs tentatives de passages. Si chaque soir, certains réussissent à passer la frontière contrairement à ce qu’annoncent la préfecture du Pas-de-Calais et le ministère de l’intérieur, pour d’autres personnes, les conséquences peuvent être terribles, allant de la blessure plus ou moins difficile à soigner[4] jusqu’à la mort. Et face à cette « nouvelle » situation, quelle est la réponse des autorités ? La signature fin août 2015 d’un nouvel accord franco-britannique d’un montant de 10 millions d’euros, dont l’un des objectifs principaux est la sécurisation du site Eurotunnel[5].

Par conséquent, le nombre annuel de personnes exilées qui ont perdu la vie à la frontière du Royaume-Uni est devenu particulièrement inquiétant au cours de ces deux dernières années (cf. graphique). Depuis 1999, on dénombre au moins 155 personnes migrantes décédées. La chronologie que vous trouverez ci-jointe constitue une liste non exhaustive des exilés morts depuis l’année 1999 en tentant de franchir la frontière franco-britannique. Elle a été principalement élaborée à partir, d’une part, de l’importante activité d’investigation réalisé par la journaliste Marion Osmont dans le cadre de son ouvrage « Des hommes vivent ici » et d’autre part, du précieux travail d’observation effectué par les activistes de Calais Migrant Solidarity (CMS), mieux connus sous le nom de « No Border ».

Une précision toutefois : cette chronologie reste « en chantier », donc incomplète. Il est en effet nécessaire de souligner la difficulté de documenter les décès passés, en particulier ceux survenus à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Il est très probable que certaines disparitions n’ont pu être recensées. Aujourd’hui, entre l’importante généralisation des réseaux sociaux, le travail d’observation de terrain des militants et la surexposition médiatique de la situation à Calais, la tâche est moins compliquée, permettant ainsi de mieux redessiner les histoires de ces « exilés sans refuge ». Par ailleurs, au vu de la situation actuelle, il parait difficile de penser que ce travail de recensement soit terminé. Car, malheureusement, d’autres drames surviendront si les responsables politiques français et britanniques voire européens s’obstinent à poursuivre dans cette voie meurtrière.

En septembre 2008, un jeune érythréen vivant dans un squat à Calais, Temesghen, épaulé par le réalisateur Sylvain Georges, prend la plume[6]. Dans sa lettre, il rend hommage à son amie, Louam Beyene, décédée l’année précédente après avoir été percutée par une voiture sur l’autoroute A 26 alors qu’elle tentait de fuir la police. Révolté, il écrit pour nous « dire que les responsables (…) qui font de ce coin de France une annexe de l’enfer se doivent d’être retrouvés et jugés. Oui, doivent être jugés la France et aussi l’Europe, dont les politiques font que nous vivons pire que des chiens ». Son appel n’a visiblement jamais été entendu.

Maël Galisson, coordinateur de la Plate-forme de Services aux Migrants (PSM) de juin 2012 à mai 2015

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Pour une meilleure qualité de lecture de la chronologie, cliquez ici.
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Pour aller plus loin


Note de bas de page

[1]    http://www.themigrantsfiles.com/

[2]    Cf. site du ministère de l’Intérieur : http://www.interieur.gouv.fr/Actualites/Communiques/Conclusion-d-un-accord-avec-le-Royaume-Uni-sur-la-gestion-de-la-pression-migratoire-a-Calais

[3]    Cf. article de la Voix dua Nord daté du 28.04.2015 : http://www.lavoixdunord.fr/region/calais-une-cloture-de-quatre-metres-bordera-la-rocade-ia33b48581n2799723

[4]    Cf. article du Monde daté du 07.10.2015 : http://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2015/10/07/dans-la-jungle-de-calais-medicalement-ce-que-nous-avons-vu-est-inacceptable_4784404_1654200.html

[5]    Cf. site du ministère de l’Intérieur : http://www.interieur.gouv.fr/Actualites/L-actu-du-Ministere/Deplacement-de-Bernard-Cazeneuve-et-de-son-homologue-britannique-Theresa-May-a-Calais

[6]    Cf. article daté 22.09.2008 et publié sur le blog « Libération Contre-journal » : http://contrejournal.blogs.liberation.fr/2008/09/22/migrants-la-let/

Action collective Piscine de Calais – mesure discriminatoire dans un établissement recevant du public Des organisations saisissent le Procureur et le Défenseur des Droits

La maire de Calais, Madame Natacha Bouchart, a modifié les conditions d’accès à la piscine Icéo, piscine de la ville la plus proche de la jungle où survivent plusieurs milliers de migrant⋅e⋅s ; seules pourront entrer dans cet équipement municipal les personnes présentant 1) un justificatif de domicile, 2) une pièce d’identité.

Mme Bouchart et son cabinet expliquent au soutien de leur décision[ qu’« ‘’une dizaine’’ d’exilés par jour fréquentent l’établissement », et que cette présence d’exilés expliquerait que « la fréquentation de la piscine Icéo [soit] en baisse », ce qui occasionne une perte de recettes.

La mesure prise est présentée comme étant de portée générale, et n’ayant donc pas de caractère discriminatoire. Or, on peut prévoir que ces exigences nouvelles affecteront les sans-domicile fixe, et par ricochet les exilé.e.s du bidonville Jules Ferry.

Plusieurs organisations ont donc saisi le Procureur de Boulogne-su-mer et le Défenseur des droits de cette mesure discriminatoire, sanctionnée dans les conditions définies par l’article 225-2 du code pénal, lequel prévoit cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende lorsque « le refus discriminatoire (…) est commis dans un lieu accueillant du public ou aux fins d’en interdire l’accès ».

Textes des saisines et articles de presse

Organisations signataires : _ – associations du Nord-Pas-de-Calais :

ACC Minorités visibles (Dunkerque)
Médecins-du-Monde Nord Pas-de-Calais
Réveil voyageur (Calais)
Terre d’errance (Norrent Fontes)

– associations nationales :

AILES Femmes du Maroc
Amnesty international France
Collectif de soutien des exilés (Paris) :
Emmaüs France
Ensemble !
Fédération des Associations de Solidarité avec Tou-te-s les Immigré-e-s (Fasti)
Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR)
Groupe d’information et de soutien des immigré⋅e⋅s (Gisti)
Ligue des droits de l’Homme (LDH)
Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap)

– syndicats :

Syndicat des avocats de France (SAF)
Syndicat de la magistrature (SM)
Union syndicale Solidaires

– parti :

Parti de gauche (PG)

L’Etat devra améliorer les conditions de vie dans les campements de fortune

Le Monde.fr | • Mis à jour le | Par Maryline Baumard

La « jungle » de Calais, dans le Pas-de-Calais, le 20 novembre 2015.
Fini l’insalubrité dans tous les camps de fortune ? L’Etat, qui a été condamné lundi 23 novembre par le Conseil d’Etat à rendre les conditions de vie plus dignes dans la « jungle » de Calais (Pas-de-Calais), devra aussi rendre salubres tous les campements que compte le pays. « En tout cas si les conditions de vie y sont telles que les personnes peuvent être soumises à des traitements inhumains ou dégradants », rappelle Me Patrice Spinosi, avocat des associations et des migrants requérants.
En décidant que la « jungle » de Calais doit avoir plus de points d’eau et de toilettes, qu’un dispositif de collectes d’ordures doit être mis en place et que des voies carrossables doivent être aménagées, permettant l’accès des services d’urgence, le juge des référés du Conseil d’Etat améliorera certes la vie des 4 500 à 6 000 migrants qui campent là.
Mais sa décision changera aussi le quotidien de gens du voyage ou de Roms qui sont soumis à la même incurie que les réfugiés calaisiens. Le 23 novembre, les magistrats du Conseil d’Etat ont rendu définitive la condamnation de l’Etat prononcée par le tribunal administratif de Lille le 2 novembre. L’Etat, qui avait fait appel de cette décision, se voit donc définitivement condamné, et obligé de commencer les travaux dans les huit jours.

Saisine d’ONG et de migrants

A l’origine, Médecins du monde et le Secours catholique, tous deux très présents sur le site, ainsi que quatre des migrants qui vivent là, avaient saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lille d’un référé-liberté. Ils demandaient qu’il soit ordonné à l’Etat, à la commune de Calais et à l’agence régionale de santé de Nord–Pas-de-Calais de mettre en œuvre un certain nombre de mesures pour « faire cesser les atteintes graves » portées « aux libertés fondamentales des migrants se trouvant sur le site, notamment le droit au respect de la vie et le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ».
Le tribunal leur avait donné partiellement raison. Le Conseil d’Etat a bien relevé que « les autorités publiques font actuellement et continueront à faire dans les prochains mois de nombreux efforts pour l’hébergement ainsi que pour la prise en charge sociale, médicale et psychologique des personnes les plus vulnérables vivant sur le site ». Il a aussi estimé, que « le juge des référés du tribunal administratif avait eu raison de juger que des mesures de sauvegarde n’étaient pas nécessaires sur ce point ».
Ce jugement est une première. Pour Me Patrice Spinosi, « c’est une défaite pour le ministère de l’intérieur, qui a fait appel. Pour la première fois, nous avons la condamnation de l’Etat à propos d’un camp de réfugiés. La plus haute juridiction administrative rappelle dans une ordonnance — qu’elle a choisi de rendre publique — que l’Etat ne peut manifester un désintérêt total à propos de ce qui se passe sur son territoire au point de soumettre les migrants qui vivent là à des traitements humains et dégradants », analyse l’avocat.

Une condamnation qui tombe mal

Une approche que partage le Secours catholique, pour qui il est important que « les pouvoirs publics soient mis face à leur obligation d’assurer un accès effectif aux droits fondamentaux des gens qui vivent dans des campements », rappelle Laurent Giovannoni, le responsable du département accueil et droits des étrangers. Côté Médecins du monde, Jean-François Corty insiste, lui, sur le fait que « cette décision fera jurisprudence. En cela, c’est une décision historique », ajoute le médecin, responsable des missions en France.
Si l’Etat est condamné sur les points cités, le Conseil d’Etat a confirmé, après le tribunal administratif, « qu’aucune carence caractérisée ne pouvait être reprochée aux autorités publiques en ce qui concerne la nutrition des personnes présentes sur le site : le centre Jules-Ferry distribue des repas, et de nombreux migrants pourvoient à leurs besoins alimentaires soit grâce aux associations présentes sur le site, soit par leurs propres moyens ». Il a confirmé aussi qu’« aucune carence caractérisée ne pouvait être reprochée à l’Etat en matière d’asile dans la mesure où il était déjà suffisamment fait pour la prise en charge des migrants présents sur le site au titre de l’asile (information, accompagnement des demandeurs, places en centre d’accueil) ».
Pour l’heure, le ministère de l’intérieur n’a pas réagi. Mais cette condamnation tombe assez mal, alors que Bernard Cazeneuve a lancé une opération de « desserrement de Calais ». D’une part il propose aux volontaires qui veulent s’éloigner de cette frontière avec la Grande-Bretagne de bénéficier d’un hébergement ; d’autre part, il répartit dans des centres de rétention administrative à travers le pays des migrants arrêtés arbitrairement, qui sont dans 97 % des cas libérés par des juges, et qui regagnent Calais…

Officiellement ouvert au printemps pour libérer le centre-ville de ses migrants et les regrouper, la "jungle" a pris l'aspect d'un immense bidonville, structurée par une économie de survie. Les magasins affichent souvent l'origine du propriétaire.

 

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2015/11/23/l-etat-devra-ameliorer-les-conditions-de-vie-dans-les-campements-de-fortune_4815883_1654200.html#OgORz1yzPJ5FQRCo.99

Conférence de Michel Agier // 30.11.2015 – 19h // Auberge de jeunesse, Calais

L’encampement: du monde à Calais

un-monde-des-camps

« Camps de réfugiés, camps de déplacés, campements de migrants, camps d’étrangers, zones d’attente pour personnes en instance, zone de transit, centres de rétention ou de détention administrative, centres d’identification et d’expulsion, points de passage frontalier, centres d’accueil de demandeurs d’asile, centres d’accueil temporaires, villages de réfugiés, villages d’insertion de migrants, « ghettos », « jungles », foyers, maisons des migrants… Ces mots, dont la liste s’allonge sans cesse, sont devenus depuis la fin des années 1990 chaque jour davantage présents dans l’actualité sociale, politique et médiatique de tous les pays. Presque familier déjà, ils désignent une réalité aussi évidente que polémique et complexe: les camps sont en train de devenir l’une des composantes majeures de la « société mondiale », et le lieu de vie quotidienne de dizaines des millions de personnes dans le monde. […]. La solution du camp sous toutes ses formes […], [l’e]ncampement du monde se présente ainsi comme l’une des formes du gouvernement du monde, une manière de gérer l’indésirable. »

C’est par ces mots que débute l’ouvrage collectif « Un monde de camps » dirigé par Michel Agier (2014, éd. La Découverte).

Invité par la Plateforme de services aux migrants (PSM), Michel Agier (anthropologue, directeur d’Études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)), sera présent à Calais pour une conférence publique au cours de laquelle il défendra l’idée que la « new jungle » n’est pas seulement un bidonville, qu’elle n’est pas seulement un désastre humanitaire, et qu’elle n’est pas uniquement un campement; mais bien un camp mis en place par l’autorité publique pour gérer des personnes indésirables.

Un débat avec la salle suivra l’intervention de Michel Agier.

La conférence se tiendra le lundi 30 novembre à 19h à l’Auberge de jeunesse-Centre européen de séjour de Calais (rue du Maréchal de Lattre de Tassigny à l’angle avec la rue Alice Marie).

Inscription souhaitée: https://frama.link/agier

Communiqué de presse // 17.11.2015 // Non, le mouvement No Border n’est pas responsable de l’augmentation de la tension dans le Calaisis

Organisations signataires

Alternative libertaire, Assemblée Citoyenne des Originaires de Turquie (ACORT), Attac, Auberge des migrants (Calais), Barbed Wire Britain Network (Grande-Bretagne), Collectif Calais, Ouverture, Humanité (Calais), Collectif de soutien des exilés (Paris), Comité catholique contre la faim et pour le développement-Terre Solidaire (CCFD), Droits devant!!, Emmaüs Dunkerque, Emmaüs France, Emmaüs International, Ensemble !, Federación de SOS Racismo del estado español, Fédération des Associations de Solidarité avec Tou.te.s les Immigré.e.s (FASTI), Femmes Egalité, Groupe d’information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), La  Ligue des droits de l’Homme (LDH), Le Réveil Voyageur (Calais), Migreurop (réseau européen et africain), Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), Parti communiste des ouvriers de France (PCOF), People to People Solidarity – Watford & Hertfordshire, Réseau Éducation sans frontières (RESF), Sang pour sans, Service jésuite des réfugiés (JRS France), Syndicat des avocats de France (SAF), Terre d’errance (Norrent-Fontes, Pas-de-Calais), Union Syndicale Solidaires


« Ils incitent les migrants à des actes de violence ». « Ils profitent du désarroi et de la détresse des migrants, et les poussent (…) à l’émeute ». « Ils utilisent les migrants pour leur propre combat ».

Le ministère de l’intérieur, la maire de Calais, la préfète du Pas-de-Calais ont uni leurs voix pour accuser les militants No Border d’être à l’origine de l’augmentation de la tension à Calais et à l’intérieur du ghetto où ont été assignés plusieurs milliers d’exilé.e.s.

Les No Border les inciteraient à affronter les forces de l’ordre, leur conseilleraient de bloquer les camions sur les routes pour passer en Angleterre, et les dissuaderaient d’accepter des propositions alternatives d’hébergement…

Nous, associations et collectifs qui soutenons les exilé.e.s, affirmons que ces accusations sont mensongères et infondées.

Depuis des années, le mouvement No Border œuvre en solidarité avec les migrant.e.s de Calais, au travers d’actions de toutes sortes. Aide matérielle, accompagnements administratifs et sanitaires, conseil juridique, à l’instar de ce que pratiquent les autres organisations du Calaisis, mais aussi ouverture de divers squats pour des exilé.e.s laissé.e.s à la merci des vents et de la pluie, et recueils d’observations des violences policières qui a ouvert la voie à plusieurs enquêtes du Défenseur des droits aux conclusions accablantes pour l’administration. C’est de toute évidence cette obstination à établir et à dénoncer les violences institutionnelles que les pouvoirs publics entendent faire payer aux No Border, n’hésitant ni à user de la calomnie pour les marginaliser, ni à instrumentaliser l’appareil judiciaire.

La violence, de quel côté est-elle ?

Des milliers de personnes qui ont fui les guerres et les dictatures contraintes de survivre dans un terrain éloigné de tout, sans toit, quasiment sans eau, ni toilettes, sans accès aux soins suffisants ni à une information juridique de qualité… La violence n’est-elle pas dans l’indignité d’un tel traitement ?

La violence, c’est aussi la récusation systématique des conclusions de toutes les enquêtes qui, depuis des années, apportent les preuves de graves dérives de la part des pouvoirs publics, qu’il s’agisse des conditions d’accueil, du comportement des forces de l’ordre ou de la passivité de la justice. Cette mauvaise foi s’applique de la même manière aux observations convergentes du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, du Défenseur des droits et de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), de Human Rights Watch, ou d’associations nationales. Elle se manifeste, par ailleurs, par l’ignorance de constats en manquement aux règles de l’asile de l’Union européenne ou par la contestation de décisions de justice, comme celle, toute récente, du Tribunal Administratif de Lille ordonnant des améliorations urgentes des conditions de vie dans le ghetto de Calais.

La violence, c’est encore  la volonté des autorités aussi bien nationales que municipales de reléguer les personnes migrantes loin de la ville, de chercher à les rendre invisibles, en ne tolérant leur présence qu’en un lieu excentré que les autorités appellent « la lande » pour dissimuler qu’il est en réalité un bidonville situé à la fois sur une ancienne décharge, une zone classée Seveso et un espace naturel protégé.

La violence, c’est aussi cette politique de dispersion qui entraîne des centaines d’interpellations et de placements en rétention illégaux aux quatre coins du territoire français, dans l’unique objectif de repousser les personnes exilées loin de Calais et des autres camps du Nord Pas-de-Calais. C’est une politique absurde et coûteuse qui n’a qu’un résultat : davantage d’humiliation et de traumatismes.

La violence, c’est enfin celle de murs et de barbelés toujours plus nombreux et sophistiqués, celle d’une frontière entre la France et la Grande-Bretagne qui déroge aux règles de libre circulation au sein de l’UE et a ouvert la voie à une coopération policière franco-britannique qui permet la multiplication des contrôles à la faveur d’un empilement d’accords bilatéraux[1]. En étanchéisant la Manche et la Mer du Nord, cette coopération policière transforme le Calaisis en nasse où s’agglutinent les personnes migrantes, avec pour conséquence la multiplication de prises de risque et d’accidents trop souvent mortels pour franchir l’obstacle à tout prix, selon la même logique qu’en Méditerranée.

Dans un contexte aussi hostile, comment croire que les personnes exilées aient besoin de conseils ou d’encouragements d’une pincée d’activistes pour tenter de forcer le passage, alors même que leur nombre – entre 4 500 et 6 000 -, qui n’a jamais été aussi élevé, leur confère une capacité renforcée de résistance et d’initiative ?

Pour les pouvoirs publics, les attaques calomnieuses contre le réseau No Border présentent l’avantage de détourner le regard de l’opinion de leurs propres responsabilités. Depuis près de vingt ans, tous les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, ont méthodiquement créé les conditions d’un pourrissement qui, au-delà de Calais, affecte une zone géographique toujours plus large.

À travers les militants No Border, ce sont tous les membres de nos organisations qui sont visés par des accusations sans autre objectif que de faire oublier où est la violence et où sont les responsabilités.
Nos associations et collectifs ne sont pas toujours d’accord et parlent rarement d’une seule voix. Mais nous ne laisserons aucun d’entre nous être tenu pour responsable de la violence du contexte actuel.

Nos organisations saluent la présence du mouvement No Border à Calais et reconnaissent l’importance du travail mené par ses militants.


[1]     Entre autres, Protocole de Sangatte (1991), Protocole additionnel au protocole de Sangatte (2000), Traité du Touquet (2003), Accord modifiant l’Arrangement sur le Protocole additionnel au Protocole de Sangatte (2007), Arrangement franco-britannique (2009), Déclarations communes des ministres de l’intérieur français et britanniques (2014 et 2015)

Poésie vagabonde

Poème du jeune Paolo Busolin, 11 ans, Toulouse

« Le vagabond »

Il marche lentement,
Il cherche une cheminée
Il cherche un foyer
Comme je le comprends.

Ce n’est pas de ma faute
S’il est ainsi
A ce moment précis
J’espère qu’il pourra au moins sécher ses bottes.

Il vagabonde dans l’espoir
De trouver un jour sa maison
Et que demain sera le bon
De jour en jour il accumule le désespoir.

Le moment où il passera
Devant chez moi
Je lui donnerai un toit
C’est ce que tout le monde se dit tout bas.

Mais dans leurs vraies pensées
Il le trouve sale et dégoutant
Même s’il est innocent
C’est cela la vérité.

Paolo Busolin

Calais: comment l’état éloigne les migrants de la jungle? // Blog de Médiapart / 9 novembre 2015

Vue aérienne de la « new jungle » à Calais, le 1er octobre 2015. © ReutersVue aérienne de la « new jungle » à Calais, le 1er octobre 2015. © Reuters

En moins d’un an, le nombre de migrants pris dans la nasse a doublé et les conditions de vie dans la « new jungle » se sont détériorées au point de devenir un sujet de honte nationale. Le paradoxe pour le gouvernement est le suivant : en s’érigeant en garde-barrière zélé de l’Angleterre, Bernard Cazeneuve a créé l’un des plus gros « points de fixation », selon son expression, du vieux continent qui fait face à l’exode de réfugiés le plus important depuis la Seconde Guerre mondiale. Comment dès lors gérer ce qu’il a participé à fabriquer ?

L’action publique a d’abord tardé à être perceptible, malgré les multiples déplacements du ministre de l’intérieur (sept au total depuis sa prise de fonctions en avril 2014). Le bidonville est devenu si insalubre que la justice vient de condamner l’État. Les conclusions de la décision sont à la hauteur du désastre : « En raison d’un accès manifestement insuffisant à l’eau et à des toilettes et de l’absence de ramassage des déchets, la population du camp est confrontée à une prise en compte insuffisante de ses besoins élémentaires en matière d’hygiène et d’alimentation en eau potable et se trouve exposée à un risque d’insalubrité », écrit le juge des référés dans son ordonnance du 2 novembre. « Il est ainsi porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à ne pas subir de traitements inhumains et dégradants », ajoute-t-il. Les autorités sont par conséquent sommées de créer dix points d’eau supplémentaires et une cinquantaine de toilettes, de mettre en place un dispositif de collecte des ordures, de procéder au nettoyage du site et de permettre l’accès des services d’urgence au camp.

Trop tard, mais aussi trop peu. Manuel Valls attend la fin de l’été pour se rendre à Calais alors que l’afflux massif a commencé dès le printemps et que les associations tirent en vain la sonnette d’alarme : le 31 août, le premier ministre annonce enfin la construction d’un camp en dur. Mais pas pour tout le monde, ni pour tout de suite – les quelque 1 500 places de type containers promises pour janvier 2016 font pâle figure en comparaison des dizaines de milliers de tentes prévues par les autorités turques et jordaniennes, avec le soutien du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), pour héberger des centaines de milliers de réfugiés syriens.

Le 21 octobre, Bernard Cazeneuve retourne sur place. Avec lui, l’État déploie toute la panoplie de ses possibilités. Telle qu’il la présente, sa politique comporte deux volets : l’un vise à « humaniser » l’accueil des migrants dans la « jungle », l’autre à faire preuve de « fermeté » en renvoyant dans leur pays d’origine « ceux qui n’ont pas vocation à s’installer en France », selon le diptyque mimant l’équilibre repris par la droite comme par la gauche au pouvoir depuis quinze ans. Nouveauté, le ministre de l’intérieur en ajoute un troisième, implicite mais substantiel, qui consiste à éloigner de la ville autant d’exilés que possible… afin, selon les expressions les plus entendues dans l’espace politico-médiatique, de « faire baisser la pression » ou de « désengorger Calais ».

Côté « main tendue », en écho à l’appel de 800 personnalités publié dans Libération, le ministre s’engage à mettre à l’abri 400 femmes et enfants, dont la moitié sous des tentes chauffées ; avec Marisol Touraine, la ministre des affaires sociales, il se propose d’améliorer la prise en charge sanitaire : sont mis à contribution un médecin, un psychologue et un kinésithérapeute, réservistes de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus), sollicité en cas de catastrophe en France ou à l’étranger. Ils sont appelés à intervenir dans le centre Jules-Ferry, accueil de jour ouvert en janvier 2015 à proximité de la « jungle » officialisée, pour augmenter le nombre des consultations et mener des actions de prévention (vaccination, contraception, etc.). Ces mesures font suite à de nombreuses alertes : celle du rapport du préfet Jean Aribaud et du président de l’Observatoire national de la pauvreté, Jérôme Vignon, remis le 1erjuillet, ainsi que celle du rapport rédigé par six médecins, rendu public le 29 octobre dernier. Attendues par les associations et les bénévoles présents au jour le jour aux côtés des migrants, ces dispositions sont considérées comme un pas en avant insuffisant par rapport à l’étendue des besoins et des efforts reposant quotidiennement sur leurs épaules.

En parallèle aux mesures d’aménagement des lieux, le ministre, à l’écoute d’une opinion publique perçue comme réfractaire à l’accueil des réfugiés, accroît les effectifs des forces de l’ordre, le nombre de gendarmes et de CRS atteignant 1 760 (dont 1 125 forces mobiles), soit plus d’un fonctionnaire pour six exilés. La « sécurisation » de la zone est justifiée par ses promoteurs comme étant nécessaire face aux violences générées par la misère dans la « jungle » – des vols et des agressions y ont été constatés, mais également des ratonnades de la part d’habitants extérieurs au campement. Devenue omniprésente, la présence policière produit des effets dissuasifs à l’égard des migrants, surtout lorsqu’elle se transforme en harcèlement à leur encontre, voire en matraquage, selon des pratiques qui, bien que filmées et connues de tous, ne donnent lieu à aucune remise en cause.

« On souhaite offrir un temps de répit dans des conditions stables et rassurantes »

La méthode de l’éloignement tous azimuts s’inscrit dans ce sillage. Pour faire disparaître la « jungle », le gouvernement se donne comme objectif d’en faire partir les occupants. De manière volontaire ou par la force. C’est ainsi que les interpellations et les placements en rétention se multiplient (lire notre article). En deux semaines, plusieurs centaines de personnes – près de 600 selon la Cimade – ont été envoyées au quatre coins de la France afin d’y être enfermées.

La manœuvre est inique : originaires pour la plupart d’Afghanistan, d’Iran, d’Irak, d’Érythrée, du Soudan et de Syrie, les étrangers visés sont majoritairement inexpulsables car ils viennent de pays instables, en guerre ou dans lesquels la répression fait rage. La France les enferme tout en sachant que la reconduite à la frontière – censée justifier le maintien en rétention – n’a aucune chance d’être exécutée. De fait, quand ils ne sont pas libérés par les juges, c’est le représentant du Pas-de-Calais qui s’en charge, ce qui a conduit le Syndicat de la magistrature à dénoncer un « détournement manifeste de procédure »« Le ministre de l’intérieur s’est lancé dans une vaste opération de dispersion des migrants rassemblés dans la région de Calais dont la présence, décidément trop visible, signe l’implosion d’un dispositif d’asile conçu pour dissuader au lieu d’accueillir », affirme-t-il dans un communiqué. Les associations assurant l’accompagnement juridique des étrangers en rétention accusent l’État d’organiser leturnover en libérant des places pour éparpiller le plus d’exilés possible.

Affichette adressée aux exilés du Calaisis signalée sur le blog Passeurs d'hospitalités.
Affichette adressée aux exilés du Calaisis signalée sur le blog Passeurs d’hospitalités.

L’autre stratégie est toute nouvelle et se veut exceptionnelle, hors du droit commun. Elle consiste également à éloigner les exilés de Calais, mais sans les priver de liberté. En plus des 2 000 places proposées loin de la ville à celles et ceux qui acceptent de demander l’asile en France (voir l’affichette ci-contre), des« maraudes sociales » sont organisées dans la « jungle » pour convaincre « toutes les personnes qui le souhaitent » de bénéficier d’un mois d’hébergement… pourvu qu’elles quittent la région. Les conditions sont minimales : renoncer à aller en Grande-Bretagne, selon la préfecture du Pas-de-Calais, ce qui correspond à une promesse en l’air sans contenu juridique.

« On souhaite offrir un temps de répit dans des conditions stables et rassurantes, a affirmé le ministre de l’intérieur lors de sa visite à Calais, pour que chacun puisse reconsidérer son projet. » Quelque 850 migrants auraient accepté de quitter la ville depuis le 27 octobre, pour être « mis à l’abri » temporairement (le financement est à la charge de l’État). Certains se retrouvent à Istres dans les Bouches-du-Rhône, d’autres à La Guerche-de-Bretagne en Ille-et-Vilaine. Partout en France, les préfectures se mobilisent pour convaincre les maires d’accepter cette nouvelle requête après leur avoir demandé de trouver des hébergements pour les 30 000 demandeurs d’asile syriens et érythréens (sur deux ans) répartis à partir des hotspots grecs et italiens dans le cadre du plan européen.

À Médecins du monde, Jean-François Corty considère comme une avancée la mise en place de tels « centres de répit » où les personnes ont la possibilité « de souffler et de se poser » hors de la boue et des intempéries. « L’État a repris l’idée que nous avions proposée avec d’autres lieux de premier accueil », indique-t-il tout en s’interrogeant sur la suite que les pouvoirs publics vont donner à ce dispositif.

Qu’arrivera-t-il aux bénéficiaires dans un mois ? Seront-ils remis à la rue ? Le flou demeure. L’espoir du gouvernement est qu’ainsi revigorés, ils renoncent à se rendre à Calais ; la France est si peu sollicitée dans le mouvement de population actuel qu’elle se trouve dans la situation inhabituelle où elle peut se payer le luxe d’inciter les exilés à demander l’asile sur son territoire. Mais les représentations que les migrants se font d’un pays sont tenaces. Il est probable que beaucoup, après avoir pris tant de risques pour venir, poursuivent leur chemin pour rejoindre leurs proches et trouver un emploi dans un pays, la Grande-Bretagne, dont, pour la plupart, ils parlent la langue. Les militants du Calaisis observent d’ailleurs que de nouvelles routes s’ouvrent viaDunkerque ou la Belgique et les Pays-Bas. Des mini-campements apparaissent ici et là. Disséminés, ils sont considérés comme moins problématiques par les pouvoirs publics, car moins visibles.

Calais hors la loi // Blogs de Mediapart // 27.10.2015

Calais hors la loi

La situation à Calais et dans la région semble à un tournant, un tournant assez large. Il a commencé il y a quelques mois, ce fut le « déménagement » sur la zone actuelle : le 30 Mars 2015, sous une pluie battante et par un vent de force 7, neuf cents exilés « persuadés » par les autorités que c’était la bonne solution, neuf cents exilés arrivèrent du squatt « Tioxyde » et du Bois Dubrulle, à pied, en poussant des chariots de supermarché, où s’entassaient de pauvres bagages, des branchages servant d’armatures aux abris et des couvertures.

La localisation, dans une zone de dunes et de marécages, autour de l’ancien centre aéré de la ville, le centre Jules Ferry, à 7 km du centre  ville, le fait que ce soit le seul lieu « toléré », établit de fait une relégation.Sans abris, hors de la vue de tout le monde, hors des commodités et des services, des commerces, des administrations de la ville, de la vie collective française et citoyenne. Ce lieu est hors de la loi française aussi, il faut le constater [1] : passages à tabac sur la route, rixes et trafics au sein du camp, alcool en vente libre. Même si c’est à échelle variable, même si ça ne touche pas tout le monde directement, ça rend des actes illégaux et des délits possibles, c’est admis, presque normal…La police française, très visible sur le chemin qui mène au bidonville, présente aux portes du bidonville et au sein de la plate forme de services Jules Ferry, est maintenant présente à l’intérieur du bidonville pour des « patrouilles de surveillance », qui sont tout sauf rassurantes : les excès des policiers, la violence qu’ils exercent envers les exilés en ville, ou aux abords du Tunnel ou du port, lors des tentatives d’embarquement à bord des camions, ne rend pas possible d’imaginer qu’ils vont protéger les personnes qui en auraient besoin. De toutes parts la menace de violences est là, et donc la crainte permanente, l’insécurité pour les exilés qui habitent là et subissent cette relégation. Tous les exilés habitent là, c’est le seul lieu « toléré » par les autorités, ils sont donc 6000 actuellement, de nationalités, d’ethnies, de cultures, de religions différentes, d’histoires différentes, parfois des passés de guerre entre eux au pays. 6000 avec  des projets différents, ayant pour la plupart, vécu un départ du pays et un voyage traumatisants. Ils vivent actuellement  dans des conditions matérielles atroces : le froid, la pluie, l’absence ou l’insuffisance d’eau, de WC, l’absence ou l’insuffisance de ramassage des ordures, la difficulté de trouver suffisamment à manger, de se vêtir, d’avoir des nouvelles des proches…Ils vivent dans l’obscurité dès la nuit tombée : pas d’électricité en dehors de l’éclairage des deux voies piétonnes qui traversent le bidonville. Ils sont dans la complète incertitude de l’avenir : tenter ou non le passage en Grande Bretagne, y arriver ou refaire et refaire les tentatives… Payer… Ou renoncer, demander ou non l’asile, quelles chances de l’obtenir, comment survivre en attendant ? Renoncer à rejoindre des proches, plus ou moins proches, renoncer à sa langue, ou même à l’anglais qu’on a adopté…Recommencer ? Renoncer et vivoter sur ce lieu sordide, de petits boulots, petits services, petits trafics, jusque quand ? Dans tous les cas, c’est la grande incertitude sur l’avenir, et l’angoisse.

Du fait de ces conditions de relégation, de cette absence de choix et de la violence de toute nature qui s’exerce sur les exilés, on doit prendre acte du fait que ce lieu, quel que soit le nom qu’on lui donne, le « bidonville », la « new jungle », la « lande », le « ghetto », est un lieu qui ne relève pas, de fait, de la loi française, même si, en théorie, elle devrait s’appliquer. La France est un Etat de Droit, elle dispose d’une séparation des pouvoirs. Le droit dit la loi, et la police fait appliquer la loi. Ici, on est loin du compte. Nous sommes dans un Etat d’exception. Les exilés ne sont pas des individus, encore moins des citoyens. On parle de flux migratoire, de question migratoire, quand ce n’est pas d’invasion… Ici les gens, on peut les battre, les gazer, dénier leur parole et celles de leurs témoins[2]. Ici, un mort de plus accidenté à l’entrée du tunnel, ça donne juste lieu à un commentaire : « Le trafic n’a pas été interrompu. »

Et maintenant, cet Etat d’exception va être formalisé, c’est l’établissement d’un camp. Et bientôt, pour entrer dans le camp, pour des raisons de « sécurité », d’  « efficacité », de « lutte contre les trafics », il faudra être répertorié, donner ses empreintes, et sa liberté. Syrien ou pas, le choix de sa destination, le choix de vie est nié, au mépris de ce qui fonde l’Etat européen, la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen[3]. Et pourtant, ce lieu de déréliction est un lieu de vie ! C’est ce qui frappe tous les visiteurs, et ils sont nombreux : journalistes, bénévoles, militants, chercheurs, artistes, même les officiels en visite en sont témoins ! Des hommes -et des femmes- vivent ici, et les activités humaines sont manifestes : épiceries, restaurants, coiffeurs, écoles, bibliothèques, églises et mosquées, lieux de rencontre collectifs, espace d’accueil des arrivants. Lieu manifeste d’activité humaine, de créativité de générosité et d’arnaque aussi, qui témoigne du fait que, quelle que soit la situation, l’homme n’a pas « besoin que de pain » ! Ce qui frappe aussi est l’accueil du visiteur, pour peu qu’il soit lui-même ouvert, qu’il ne vienne pas en « prédateur » d’images, de témoignages monnayables  ou d’émotions. Le visiteur bienveillant se contente de   marcher un peu,  il croise quelques regards, échange des sourires, se présente comme un ami et il peut partager un moment, une conversation, un thé, de la musique, une partie de foot, ou des idées, beaucoup plus facilement que dans « la vie normale ». Ce faisant, le visiteur lui aussi a la sensation de rester humain, malgré tout.

Comment résister devant cette menace, l’établissement officiel d’un Etat d’exception dans ce lieu ? Permettre la parole, être un interlocuteur, laisser la place à tous les interlocuteurs bienveillants, prendre acte de tout ce qui fait l’histoire et la culture de ces hommes et de ces femmes, faciliter les rencontres, l’expression : lieux de parole, lieux de culte, lieux de culture, lieux de discussion, de confrontation, élaboration d’un Journal, d’émission de radio, de films où ce sont les intéressés qui prennent la parole, entendre cette parole. La Société passe aussi par l’acte de faire connaître  la loi, de dire les droits. « Sans papiers », mais pas sans droit ! Faire connaître, pour ne pas les oublier, les droits qui sont dans la loi française : le droit à être protégé quand on est une femme, un enfant, une personne vulnérable. Le droit à être abrité, et même à avoir un logement pérenne et stable, le droit à avoir accès à une nourriture suffisante, l’accès aux soins médicaux nécessaires, bref, le droit d’avoir les besoins fondamentaux couverts. Le droit de ne pas subir de violences, et celui de porter plainte, et d’être entendu. Le droit d’être un justiciable comme les autres !

Et condition essentielle, pour ces raisons mêmes, ce lieu doit rester un lieu ouvert aux bénévoles, aux citoyens, pas un lieu clos avec encore des barbelés, des prises d’empreintes et des badges.

Un texte de Martine Devries, Joel Campagne, Jean-Marie Gueuret

 


[1] http://www.defenseurdesdroits.fr/fr/actualites/calais-le-defenseur-des-droits-emet-des-recommandations-

[2] http://www.interieur.gouv.fr/Le-ministre/Interventions-du-ministre/14.10.2015-Courrier-de-Bernard-Cazeneuve-a-Jacques-Toubon-Defenseur-des-droits-sur-la-situation-des-migrants-a-Calais

[3] Article 13 Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat.
Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays.

Une carte à abattre

https://neocarto.hypotheses.org/1963

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Camarades cartographes, je suis en colère. Depuis quelques semaines, une carte circule sur Internet. Largement relayée sur les réseaux sociaux, cette carte issue du site Lucify, met en scène les flux de demandeurs d’asiles vers l’Union européenne sur la période 2012-2015. Comme toutes les cartes, celle-ci raconte une histoire. Or cette histoire est contestable par bien des aspects. Je tente ici de la décrypter rapidement. Comme d’habitude, vos commentaires et critiques sont les bienvenus.

Tout d’abord, sur cette carte, seuls les flux vers l’Europe sont représentés. Or, cette sélection européocentrisme de l’information est largement contestable. Doit-on rappeler que que la majorité des mouvements de populations ont lieu entre les pays du Sud ? En ne sélectionnant qu’une partie de l’information (uniquement les flux Sud-Nord), cette carte montre une vision partiale de la réalité non clairement énoncée. Pire, cette vision est erronée. Le site de la banque mondiale nous informe par exemple que la Turquie accueille 1 587 374 réfugiés sur la période 2011-2015 contre seulement 252 264 pour la France sur la même période, soit 6 fois plus (ref). Pourtant, sur cette carte, la Turquie est représentée comme a pays “émetteur” de migrants et non comme un pays d’accueil.  Cette carte ment donc sciemment en dissimulant une partie importante de l’information.

Concernant la carte elle-même, les choix graphiques utilisés ne sont pas anodins non plus. Si le progrès technique est neutre, son utilisation elle ne l’est pas. Sur cette carte animée, les mouvements de populations (les demandeurs d’asile) sont représentés par de petits traits qui se déplacent des pays de départ vers les pays d’arrivée. Cette sémiologie graphique décrit, par son mouvement, un flux migratoire en continu qui ne se tarit jamais, jusqu’au débordement. C’est allégorie de la fuite d’eau de Nicolas Sarkozy (ref). Sur cette carte, les tracés représentés sont rectilignes. Les réalités sinueuses des trajectoires réelles sont annihilées. Contrairement à ce qui peut sembler au premier abord, cette carte ne se situe donc pas au niveau des parcours individuels. Elle ne raconte pas les histoires des migrants. Pire, elle les déshumanise. Sur cette carte, chaque trait (qui représente 25 ou 50 personnes) suit une trajectoire rectiligne comme un missile lancé vers l’Europe. Un missile qu’il serait impossible d’arrêter, un missile qui détruit ce qu’il touche. Bref, par bien des aspects, cette sémiologie graphique met en scène un scénario d’invasion, quasi militaire, avec des pays européens attaqués (et envahis) par les étrangers. Écœurant !

Si au premier abord, la technique de cette carte peut séduire, elle masque en fait la réalité des mobilités internationales dans l’espace euro-méditerranéen. Cette carte n’informe pas, elle déforme. En sélectionnant une partie de l’information, en choisissant de la mettre en scène de cette façon, cette carte produit un discours erroné. Un discours qui n’éclaire pas mais qui aveugle. Bref, c’est une carte à oublier…