En chantier. Un nouveau site pour la PSM, c'est pour très bientôt !

Calais : Les bulldozers ne font pas une politique !

Une fois de plus, l’unique réponse qu’envisagent les pouvoirs publics face à la situation dans le Calaisis, c’est l’évacuation d’un camp de réfugiés, et leur dispersion. On feint de s’attaquer aux causes réelles du problème ; mais en réalité, en s’en prenant aux victimes condamnées à se disperser dans la peur, cette politique ne fait que le déplacer et l’aggraver. Cette « solution » n’en est pas une.

Aux huit organisations qui ont adressé une lettre ouverte à Bernard Cazeneuve pour lui demander de surseoir à l’évacuation programmée d’une grande partie de la « jungle » de Calais, le ministre de l’Intérieur vient d’adresser une réponse qui est une fin de non-recevoir : il justifie sa décision à coups de propos incantatoires sur le respect des droits fondamentaux des migrants et le bien-fondé de politiques qui ne varient pas depuis des années, malgré leur échec évident ; et il rappelle aux associations leur « partenariat » avec l’État comme pour les impliquer dans la politique qu’elles contestent. Dans la foulée, la préfecture du Pas-de-Calais vient de publier un arrêté ordonnant aux occupants de la zone sud du bidonville, dite « la Lande », de quitter les lieux mardi 23 février au plus tard.

Les bulldozers ne peuvent pas tenir lieu de politique. Cela n’implique évidemment pas de nous accommoder d’une « jungle » dont le nom dit tout. Personne ne saurait accepter le maintien en l’état du bidonville de Calais, pas plus que du camp de Grande-Synthe, ni d’aucun autre. Personne ne peut se satisfaire de voir des réfugiés contraints de survivre dans de tels lieux.

Depuis des années, nous ne cessons d’ailleurs de dénoncer l’indignité de ces conditions de vie,comme l’a fait également Jacques Toubon, le Défenseur des droits, l’été dernier. Plus récemment, le tribunal administratif de Lille a même condamné l’État à procéder en urgence à des améliorations, décision confirmée par le Conseil d’État.

Pour autant, il n’est pas question non plus de cautionner l’évacuation annoncée, non seulement parce qu’elle est inhumaine, mais aussi parce qu’elle ne résoudra rien. Chasser les habitants d’une large partie du bidonville, y faire passer des bulldozers et détruire tout ce qui, dans la précarité et avec les moyens du bord, a été construit au fil des mois : à quoi bon ?

Les migrants qui se trouvent dans le Calaisis veulent souvent rejoindre des proches en Grande-Bretagne. D’autres seraient en droit de demander l’asile en France mais ils ne le savent pas toujours, ou bien ils se méfient de l’accueil qui leur serait réservé. D’autres encore attendent une réponse à leur demande. Parmi eux, il y a beaucoup d’enfants… Or pour plusieurs catégories de migrants, il existe des solutions inscrites dans les textes, avec des dispositifs, des acteurs, des fonds alloués à cet effet. Elles auraient pu être mises en œuvre depuis longtemps déjà.

Au lieu de s’y atteler, les pouvoirs publics ont préféré procéder à des « démantèlements » successifs. En 2015, ils ont contraint les migrants ainsi délogés à s’installer dans une zone « aménagée » pour eux. Bref, ils ont déjà défait ce qui se faisait, forçant ceux qu’ils chassaient à vivre dans une précarité plus grande encore.

Aujourd’hui, la partie principale du bidonville d’État de Calais est constituée de tentes et d’abris sommaires, bâtis par les réfugiés avec des bénévoles de différentes associations. Dans ces quelques kilomètres carrés sont nés peu à peu des cafés ou des restaurants de fortune, de minuscules épiceries, des lieux de culte de différentes religions, de toutes petites écoles, un théâtre sous chapiteau, une cabane d’aide juridique, plusieurs endroits dévolus à des soins, etc. Autant d’espaces de vie sociale, partagés par les réfugiés des différentes nationalités présentes dans le bidonville.

Qu’est-ce qui justifie de raser tout cela ? Le ministre veut convaincre que c’est pour le bien des occupants. En réalité, c’est une politique de dissuasion : rendre la vie invivable aux réfugiés. À ceux qu’ils ont hier installés dans cette zone, les pouvoirs publics enjoignent depuis des semaines d’occuper des conteneurs – sortes d’Algecos – ou sinon d’être dispersés loin de Calais, dans des CAO (centres d’accueil et d’orientation), baptisés « lieux de répit ».

Or c’est une alternative impossible.

Le ministre vante les mérites des conteneurs, qui sous sa plume semblent des bungalows pour vacanciers. Le fait est qu’il s’agit de cabanes de chantier, avec dans chacune des lits superposés pour douze personnes, où l’on ne peut qu’être debout ou couché ; toute installation de mobilier y est interdite, toute intimité impossible…

Concernant les CAO, le ministre se félicite de ce qu’ils permettraient aux migrants, grâce à « un accompagnement associatif de qualité » et à « un suivi particulier » des personnes, de déposer des demandes d’asile dans de bonnes conditions, ce qui n’était pas le cas dans le bidonville. « Au dernier recensement », écrit-il, « 80 % des migrants encore présents en CAO étaient engagés dans une démarche d’asile »… Il oublie de parler de ceux qui, mis en hôtel, sont privés de tout accompagnement et risquent une prochaine expulsion du territoire. Il oublie aussi de préciser que les CAO ont été conçus comme des solutions à très court terme ; après leur fermeture, qu’adviendra-t-il des personnes qui y auront été envoyées ?

Conteneurs, CAO ; expulsion, dispersion ; ces réponses ne feront qu’aggraver le sort des migrants sans régler pour autant le problème auquel est confrontée la région du Calaisis, pas plus qu’en son temps la fermeture du camp de Sangatte. Et dans un an, on nous rejouera la même scène. Car c’est avant tout l’inaction des pouvoirs publics, mais aussi leur action, qui, en créant des conditions de vie impossibles, rend la situation ingérable. L’État veut nous faire croire qu’il prend le parti des habitants contre les réfugiés ; en réalité, il monte les premiers contre les seconds en abandonnant les uns et les autres.

Il faut cesser de chasser de jungle en bidonville toute la misère du monde, persécution qui ne fait qu’exaspérer le ressentiment des « riverains ». Non, le malheur des migrants ne fera pas le bonheur des Français, pas plus à Calais qu’ailleurs. En réalité, laisser se dégrader la situation est plus pénible pour les populations du Calaisis, et plus coûteux aussi pour les pouvoirs publics, que s’employer à l’améliorer. L’humanité la plus élémentaire nous interdit ces destructions à répétition ; mais notre intérêt bien compris aussi.

Ce pays peut-il se satisfaire de devenir le champion du non-accueil, alors que les réfugiés y sont moins nombreux qu’ailleurs ? Ce que d’autres pays font déjà, la France doit pouvoir le faire. La Grande-Bretagne, qui porte une lourde responsabilité dans cette situation, doit elle aussi revoir sa position à cette frontière. Il faut en finir avec l’improvisation perpétuelle ; il est temps de penser dans la durée. Et si l’État ne fait pas son travail, nous allons y travailler nous-mêmes – avec les associations sur le terrain, avec les habitants du Calaisis et avec les réfugiés.

Les jours prochains, nous irons à Calais pour le clamer haut et fort : nous ne sommes pas condamnés à choisir entre la « jungle » et sa destruction. Nous refusons de réduire la France à des barbelés et des bulldozers. Nous tiendrons une conférence de presse. Nous voulons faire entendre un autre discours que celui des pouvoirs publics qui occupent les médias. Détruire, dit la Préfète ? Avec, sans ou contre l’État si nécessaire, il faudra pourtant bien construire un avenir.

Une fois de plus, nous, organisations signataires et personnes solidaires, demandons :

  • que soit annulé l’arrêté d’expulsion pris le 19 février ;
  • en urgence : une prise en charge individuelle respectueuse des droits fondamentaux des personnes actuellement présentes à Calais ;
  • une discussion du règlement Dublin III et des Accords du Touquet ;
  • plus largement, que la France s’engage enfin, en particulier en faisant la promotion de cet axe au sein de l’Union européenne, pour une véritable politique d’accueil des personnes migrantes.

22 février 2016

 

Organisations et personnalités signataires :

Organisations
Act & Help
Actes Et Cités
Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT)
ActionFroid-Calais (Paris)
Action Tunisienne
Association AILES – Femmes du Maroc
Association Démocratique des Tunisiens en France (ADTF)
Alternatives Européennes
Alternative libertaire
Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé)
Association des Marocains en France (AMF)
Association d’Accueil aux médecins et Personnels de Santé Réfugiés en France (APSR)
Association des Travailleurs Maghrébins de France (ATMF)
Auberge des migrants (Calais)
Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE)
Barcelona Accion Solidaria
Boston2calais (Massachussetts, USA)
Bridge2 (Grande-Bretagne)
Calais Action
Care4Calais
Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale (Cedetim)
Centre de Recherche et d’Information pour le développement (CRID)
La Cimade
La Cimade régionale Nord Picardie
Comité pour la santé des exilés (Comede)
Collectif de sans-papiers CSP 75
Collectif de soutien de l’EHESS aux sans papiers et aux migrant-es
Collectif de Soutien aux Familles Roms de St Denis
Collectif pour l’avenir des foyers (Copaf)
Collectif R, Lausanne (Suisse)
Conseil d’urgence citoyenne
Day-mer, Turkish and Kurdish Communtiy Centre, London (Grande-Bretagne)
Droits devant
Droits d’urgence
ECNou, « Eux c’est Nous » (Pas-de-Calais)
École Laïque du Chemin des Dunes (Calais)
Emmaüs Boulogne
Emmaüs Dunkerque
Emmaüs France
Emmaüs Europe
Emmaüs International
EuroMed Rights
Fédération des Associations de Solidarité avec Tou-te-s les Immigré-e-s (Fasti)
Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH)
Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS)
Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des deux Rives (FTCR)
Fédération Syndicale Unitaire (FSU)
La Ferme des Ânes, Brouckerque (Pas-de-Calais)
FIDL, le syndicat lycéen
Flandre Terre Solidaire
Fondation Frantz Fanon
Forum des organisations de solidarité internationale issues des migrations (Forim)
France Amérique Latine (FAL)
France Libertés
Front uni des immigrations et des quartiers populaires (FUIQP 59/62)
Groupe d’information et de soutien des immigré.e.s (Gisti)
Initiatives pour un autre monde (Ipam)
Islam et laïcité
Itinérance Cherbourg
Jesuit refugee service (JRS) France
Ligue de l’enseignement
Ligue des droits de l’Homme (LDH)
Marche des femmes pour la dignité (Mafed)
Association Marilyn et Marie-Myriam (Si les Femmes Comptaient)
Médecins du Monde (MdM)
Médecins sans Frontières (MSF)
Mouvement Burkinabe des Droits de l’Homme et des Peuples (Comité Régional Aquitaine et section de France)
Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP)
MRAP – Comité du Littoral Dunkerquois
Neuilly Emmaüs avenir
Observatoire citoyen du CRA de Palaiseau
Observatoire de l’enfermement des étrangers (OEE)
Organisation pour une Citoyenneté Universelle (OCU)
Revue Incise
Revue Pratiques
Refugee Foundation EV (Allemagne)
Réseau Éducation sans frontières (RESF)
Réseau Euromed France (REF)
Réseau Foi & Justice Afrique Europe
Réseau Immigration Développement Démocratie (IDD)
Réseau Reprenons l’initiative contre les politiques de racialisation
Le Réveil voyageur (Calais)
Secours Populaire, comité de Vendin-Oblinghem
Solidarine
Solidarité Laïque
Syndicat des avocats de France (SAF)
Syndicat de la magistrature (SM)
Syndicat de la médecine générale (SMG)
Tenons et mortaises
Terre d’errance -Norrent-Fontes (Pas-de-Calais)
Terre d’errance -Steenvoorde (Pas-de-Calais)
Union syndicale Solidaires
Utopia 56

Personnalités
Laurence Abeille, députée du Val de Marne
Michel Agier, anthropologue, directeur d’études à l’EHESS
Agnès B., styliste
Carlos Agudelo, chercheur associé, URMIS (Unité de Recherche Migrations et Société)
Philippe Aigrain, essayiste et poète
Karen Akoka, maître de conférence en science politique, Université Paris Ouest Nanterre
Eric Alliez, professeur, Paris 8
Emmanuel Alloa, maître de conférences en philosophie, Université Sankt Gallen (Suisse)
Charles Alunni, enseignant-chercheur, École normale supérieure de Paris
Rosana Alves Costa, docteur en psychologie clinique, Universidade Federal de Sao Paulo
Anne-Claude Ambroise-Rendu, professeure d’Histoire, Université de Limoges
Claire Angelini, cinéaste et artiste
Isabelle Attard, députée citoyenne du Calvados, Groupe Ecologiste
Jean-Christophe Attias, directeur d’études à l’EPHE (Sorbonne), chaire de pensée juive médiévale
Laurent Aucher, sociologue
Daniele Auroi, députée EELV du Puy de Dôme
Chryssanthi Avlami, historienne, Université Panteion des sciences politiques et sociales, Athènes
Eduardo Ayres Tomaz, doctorant, philosophie politique
Etienne Balibar, professeur émérite, Université de Paris-Ouest Nanterre
Géraldine Barron, doctorante en histoire, Paris Diderot
Julien Bayou, porte parole national EELV
Esther Benbassa, directrice d’études à l’EPHE (Sorbonne), sénatrice du Val-de-Marne
Gisèle Berkman, professeur de lettres
Bruno Bernardi, philosophe
Arno Bertina, écrivain
Sophie Bessis, historienne
Emmanuel Blanchard, président de Migreurop
Nedjma Bouakra, productrice pour la radio France Culture
Florence Bouillon, anthropologue
Mathieu Bouvier, artiste chercheur
Gérard Bras, philosophe, président de l’Université populaire des Hauts-de-Seine
Rodolphe Burger, artiste
Claude Calame, directeur d’études, EHESS
Nicole Caligaris, écrivain
Marie-Claire Caloz-Tschopp, directrice de programme au Collège International de Philosophie, Genève – Paris
Laurent Cantet, cinéaste
Cécile Canut, professeure des universités, Université Paris-Descartes-Sorbonne
Miguel Castello, docteur en philosophie
Monique Chemillier-Gendreau, professeur émérite à l’université Paris Diderot
Catherine Chevallier, rédactrice photo
Olivier Clochard, chargé de recherche au CNRS, laboratoire Migrinter, Université de Poitiers
Catherine Colliot-Thélène, Université Rennes 1
Catherine Coquio, littérature, professeur à l’université Paris Diderot
Lycette Corbion-Condé, maître de conférences en droit privé à l’Université de Toulouse 1 Capitole
Philippe Corcuff, maître de conférences de science politique à l’IEP de Lyon
David Cormand, Secrétaire national de EELV
Marie Cosnay, enseignante, écrivain
Maria Letizia Cravetto, romancière et poète, directeur de programme au Collège international de philosophie, Paris
Marie Cuillerai, professeur des Universités, Paris 7-Diderot
Alexis Cukier, philosophe, Fondation Copernic
Didier Daeninckx, écrivain
Fanny Darbus, sociologue
Sonia Dayan-Herzbrun, sociologue, professeure émérite à l’université Paris-Diderot
Fred Decosse, sociologue, LEST-CNRS
Karima Delli, eurodéputée Europe Écologie du nord
Anne-Emmanuelle Demartini, maître de conférences, Université Paris-Diderot-Paris7
Fabrice Dhume, sociologue, enseignant-chercheur à l’université Paris Diderot
Emmanuel Dockès, Université Paris Ouest Nanterre
Stéphane Douailler, professeur de philosophie, université Paris 8
Laurence Dubin, professeure de droit, Université Paris 8
Mélanie Duclos, docteur en sociologie de l’université Paris Diderot
Speranta Dumitru, Université Paris Descartes & CERLIS CNRS
Philippe Enclos, maître de conférences en droit privé, Lille
Kévin Eybert, doctorant en sociologie, université Paris Diderot
Mireille Fanon-Mendes-France, experte ONU
Didier Fassin, professeur, Institut d’études avancées de Princeton
Éric Fassin, sociologue, professeur à l’Université Paris-8
Michel Feher, philosophe, président de Cette France-là
Nathalie Ferré, professeure de droit, Paris 13
Laurent Fleury, Université Paris Diderot
Simone Gaboriau, présidente de chambre honoraire de la Cour d’appel de Paris, ancienne présidente du Syndicat de la magistrature
Nathalie Garraud, metteur en scène, compagnie du Zieu
Catherine Gégout, ancienne Conseillère de Paris
François Gemenne, chercheur en science politique, Science Po, Université de Liège
Claudia Girola, maitre de conférence de sociologie et anthropologie
Anne Gleonec, CEFRES, Prague
Pilar Gonzalez Bernaldo, professeur d’Histoire et Civilisation de l’Amérique latine, Université Paris Diderot
Camille Gourdeau, doctorante en sociologie, Paris Diderot
Luce Goutelle, artiste
Cyrille Granget, enseignante-chercheuse en sciences du langage à l’Université de Nantes
Ninon Grangé, maître de conférences, philosophie, Paris 8
Nacira Guénif, professeure Université Paris 8
Serge Guichard, membre du réseau Reprenons l’initiative
Virginie Guiraudon, directrice de recherche CNRS, Sciences Po Paris
Jean Waddimir Gustinvil, docteur en philosophie, enseignant-chercheur à l’ENS de l’Université d’État d’Haïti
Eric Hazan, éditeur
Stephanie Hennette Vauchez, professeure de droit public, Université Paris-Ouest Nanterre-La-Défense
Catherine Heurteux Peyrega, éditrice
Michael Hoare, Copaf
Srecko Horvat, philosophe, Democracy in europe movement (Croatie)
Sandra Iché, chorégraphe
Emmanuelle Jacobson-Roques, photographe
Eva Joly, députée européenne, EELV
Maria Kakogianni, Université Paris 8
Jérôme Karsenti, avocat
Anne Kerzerho, directrice pédagogique d’EXERCE, master en danse, CCN de Montpellier
Ariane Labed, actrice
Mylène Lauzon, directrice artistique le Bellone- Bruxelles (Belgique)
Christian Lazzeri, professeur à l’université Paris-Ouest Nanterre-la-Défense
Pierre Le Pillouër, écrivain
Éric Lecerf, maître de conférences, département de philosophie, Université Paris 8
Martine Leibovici, Université Paris-Diderot
Marie-Magdeleine Lessana, psychanalyste, écrivain
Danièle Lochak, juriste, professeur émérite de l’Université Paris-Ouest Nanterre
Camille Louis, philosophe, artiste-dramaturge co créatrice du collectif kom.post
Elise Lowy, secrétaire nationale adjointe d’EELV
Michael Lowy, chercheur émerite au CNRS
Seloua Luste Boulbina, philosophe, CIPH
David Lyons, musicien
Géraldine Magnan, journaliste
Sarah Mailleux Sant’Ana, doctorante, Université Paris Diderot- Paris 7
Noël Mamère, deputé écologiste
Françoise Martres, ancienne présidente du Syndicat de la magistrature
Jeanne Mascolo de Filippis, réalisatrice
Jean Matringe, Professeur de droit, Université Paris 1 Sorbonne
Stéphane Maugendre, avocat, président du Gisti
Jacques Message, professeur de philosophie en classes préparatoires
Juliette Mézenc, écrivain
Alain Michard, artiste chorégraphe, Rennes
Niccolo Milanese, Chair, European Alternatives
Christophe Mileschi, professeur des universités, traducteur, écrivain
Alain Minet, docteur en sociologie
Marianne Mispelaëre, éditrice et artiste
Muriel Montagut, chercheure associée, Laboratoire de Changement Social et Politique (Paris Diderot)
Didier Moreau, enseignant-chercheur Paris VIII
Alain Morice, laboratoire Urmis et réseau Migreurop
Mirjana Morokvasic, sociologue
Aurore Mréjen, docteur en philosophie, chercheuse au LCSP, Paris Diderot –Paris 7
Laurent Mucchielli, sociologue
Jean-Luc Nancy, philosophe
Daniela Neuendorf, president of the board Refugees Foundation, Köln (Allemagne)
Frédéric Neyrat, philosophe
Gérard Noiriel, directeur d’études à l’EHESS
Bertrand Ogilvie, professeur de philosophie Université de Paris 8
Elaine Ortiz, Founder of the hummingbird project (Grande-Bretagne)
Joel Oudinet, maitre de conférences en Economie, Université Paris 13
Cédric Parizot, anthropologue, IREMAM, CNRS
Karine Parrot, professeure de droit
Willy Pelletier, sociologue, université de Picardie, coordinateur général de la Fondation Copernic
Geneviève Petauton, Copaf
Eric Premel, artiste
Marie Preston, artiste
Catherine Quiminal, professeure émérite URMIS, université Paris Diderot
Jacques Rancière, professeur émérite à l’Université Paris VIII
Emmanuel Renault, professeur de philosophie, Université Paris-Ouest Nanterre-La-Défense
Matthieu Renault, Université Paris 8
Neal Richardson, musicien de jazz
Nelly Robin, chargée de recherches CEPED, Paris Descartes Ined IRD, Migrinter, CNRS
Diane Roman, professeure de droit, Université François-Rabelais, Tours
Joël Roman, président de Islam et laïcité
Sandrine Rousseau, porte parole d’EELV, Lille
Claire Saas, enseignante-chercheuse
Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky, professeur, INALCO, CESSMA
Jane Sautière, écrivaine
André Scala, enseignant de philosophie
Paul Schor, americaniste, professeur à l’Université Paris-Diderot
Johanna Siméant, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
Laurence Sinopoli, Université Paris X Nanterre
Serge Slama, maitre de conférences en droit public, Université Paris Ouest-Nanterre-La Défense, CREDOF
Heidi Sleiman, Calais/Dunkirk Volunteer, Boston, MA (USA)
Elsa Stamatopoulou, Director, Columbia University, New-York
Laurent de Sutter, professeur de droit
Federico Tarragoni, maître de conférences en sociologie, Université Paris 7-Denis Diderot
Étienne Tassin, philosophe, professeur à l’université Paris Diderot
Albena Tcholakova, sociologue
Jean-Paul Thibeau, artiste coordinateur des Protocoles Méta (Marseille)
Sophie Thonon-Wesfreid, présidente déléguée de France Amérique Latine
Marine Tondelier, membre de la direction d’EELV, élue d’opposition à Hénin-Beaumont
André Tosel, professeur émérite de Philosophie, Université de Nice
Loïc Touzé, artiste chorégraphe
Maryse Tripier, sociologue
Madeleine Valette-Fondo, professeure de littérature honoraire, Université Marne-la-Vallée
Eleni Varikas, professeure émérite
Patrick Vauday, Université Paris 8
Patrice Vermeren, directeur du département philosophie, Université Paris 8
Pauline Vermeren, post-doctorante en philosophie, université Paris Diderot
Christiane Vollaire, philosophe
Sophie Wahnich, directrice de recherche
Catherine Wihtol de Wenden, militante de la LDH, directrice de recherche CNRS
Laurence Zaderatzky, membre du Conseil National du Parti Communiste Français et de la commission Libertés/migrations
Jean-Pierre Zirotti, professeur émérite, sociologue, Université Nice Sophia-Antipolis

Avec le soutien de :
Ensemble !
Europe écologie – Les Verts (EELV)
Nouveau Parti anticapitaliste (NPA)

Lettre ouverte à Bernard Cazeneuve sur la situation à Calais

Paris, le 18 février 2016

Monsieur le Ministre,

Mme la préfète du Pas-de-Calais a annoncé la décision de raser la moitié puis sans doute la totalité de la « Jungle » de Calais dans les jours à venir. Nous avons conscience de la montée des tensions sur ce sujet dans le Calaisis et des réactions violentes que suscite cette situation. Néanmoins, nous regrettons de devoir vous faire part de notre profonde opposition à ce projet qui ne s’accompagne pas, à ce jour, de véritables solutions alternatives. Il ne fera qu’ajouter des tensions aux tensions, et fragiliser encore un peu plus les quelques milliers d’exilés que la France et la Grande Bretagne se montrent incapables d’accueillir convenablement. Sans parler de l’effet désastreux que cela ne manquera pas de produire en France comme à l’étranger.

Les exilés ont occupé cette lande, il y a moins d’un an, à la demande voire sous la contrainte des forces de l’ordre. Sous votre impulsion et celle de la maire de Calais, les pouvoirs publics ont contraint en mars 2015 les exilés présents sur différents campements ou squats à venir s’installer sur ce terrain vague, dépourvu de tout équipement à l’époque, avec l’engagement réitéré des représentants de l’Etat qu’ils n’y seraient pas délogés de force.
Moins d’un an plus tard, cet engagement est déjà renié.

Les conditions de vie – ou de survie – sont particulièrement difficiles sur la jungle, et il n’est pas question pour nous de vouloir pérenniser des conditions d’accueil à bien des égards dégradantes. Mais force est de constater que ce bidonville s’est développé ainsi du fait de l’impuissance des pouvoirs publics à apporter des réponses à la hauteur de la gravité de la situation. Les alternatives que la préfète estime suffisantes pour justifier le démantèlement de la jungle sont loin, très loin, de répondre aux besoins et aux problèmes rencontrés. De ce fait une évacuation brutale provoquerait des reconstitutions de campements notamment à Grande Synthe.

La préfète évoque les 1500 places du centre d’accueil provisoire (CAP). S’il faut apprécier l’intervention directe de l’Etat dans ce dispositif, nous ne pouvons que constater qu’il est encore largement sous-dimensionné, et que des améliorations en termes de respect de l’intimité des personnes et des conditions de vie sur le site sont fortement requises. Si disparaissent les lieux de vie existant à côté aujourd’hui dans la « jungle », il est fort probable que les exilés refuseront, pour beaucoup, d’accepter cet espace contraint du CAP.
Mme Buccio évoque également les CAO, les centres d’accueil et d’orientation. Les places disponibles comme la création de ces « centres de répit » ont constitué une innovation intéressante. Mais leur mise en oeuvre se réalise dans une telle improvisation qu’ils ne sont pas en mesure, aujourd’hui, de répondre à leur
objet : absence de comité de pilotage national, coordination locale entre services publics, élus locaux, opérateurs, associations tâtonnante ou inexistante, absence d’articulation entre les acteurs calaisiens et les CAO ouverts sur le territoire, absence d’évaluation sanitaire et sociale et non prise en compte des besoins des exilés avant leur orientation vers les CAO, manque d’information ou désinformation des exilés sur le fonctionnement des CAO créant des situations d’échecs et de retours vers la lande, faible application de la possibilité d’admission vers l’Angleterre, orientation de mineurs isolés étrangers, etc. Alors que le but de ces CAO n’était pas seulement de mettre à l’abri les exilés, mais bien de leur offrir la possibilité de recevoir une information fiable avant de décider de demander l’asile en France, d’accepter une réadmission dans un autre pays de l’UE, ou d’établir qu’ils ont de bonnes raisons de vouloir se rendre en Grande Bretagne, l’inorganisation actuelle et l’insuffisance des moyens déployés rendent illusoire la réalisation de cet objectif. La bonne idée des CAO est, par une mise en oeuvre défaillante, aujourd’hui incapable de répondre aux questions de tous les exilés qui seraient disposés à réexaminer leur projet.

A cela s’ajoute la question à la racine du phénomène Calaisien : les accords anciens qui contraignent la France à remplir le rôle de garde-frontière pour la Grande Bretagne. Sans une renégociation d’ensemble et transparente des conditions dans lesquelles la France et la Royaume Uni se répartissent l’accueil des exilés, le phénomène rencontré à Calais depuis des années ne pourra que perdurer. Cette renégociation s’impose d’urgence, et plusieurs parmi nos mouvements se concertent avec leurs partenaires britanniques pour inciter leurs élus à soutenir cette perspective. En attendant, nous constatons avec regret que les services de l’Etat n’ont pas fait le nécessaire pour prendre les mesures de recensement et d’examen des situations qui permettent la saisine des autorités britanniques afin que les exilés y ayant des proches puissent y accéder en utilisant les voies légales existantes. Après la décision du Conseil d’Etat, les quelques référés déposés récemment pour des mineurs isolés à Calais ont montré à quel point les défaillances de l’Etat étaient manifestes, y compris pour les plus vulnérables.

L’annonce du démantèlement de la Jungle dans les jours à venir nous paraît dans ces conditions inacceptable. Sans une évaluation des besoins sanitaires et sociaux des exilés avant leur orientation vers des centres dont la qualité d’accompagnement sera revue à la hausse à travers notamment un dispositif de coordination concertée entre les acteurs, sans une amélioration quantitative et qualitative de l’accueil dans le CAP sur le littoral, sans engagement, mesures et procédures adaptées pour permettre l’admission en Grande Bretagne de tous ceux qui y ont des proches, le démantèlement de la Jungle ne pourra produire que de nouvelles atteintes graves aux droits des personnes.

En l’état actuel du manque d’alternatives sérieuses, vous aurez compris que nous vous demandons de surseoir à cette évacuation, et que nous serons déterminés, si cela devait se produire, à nous y opposer.

Veuillez recevoir, Monsieur le Ministre, l’assurance de nos sentiments distingués,

Véronique Fayet, Présidente Secours Catholique – Caritas France
Geneviève Jacques, Présidente de la Cimade
Louis Gallois, Président de la FNARS
Françoise Sivignon, Présidente de Médecins du Monde
Guy Aurenche, Président CCFD – Terre Solidaire
Thierry Khun, Président d’Emmaüs France
Claire Hédon, Présidente d’ATD Quart Monde
Rachid Lahlou, Président du Secours Islamique France

A Calais, les associations sonnent l’alarme sur la situation des mineurs isolés

LE MONDE | 17.02.2016 à 11h28 | Par Maryline Baumard

 Réagir Classer

Partager (11)Tweeter

Lundi 15 février au soir, les larmes ont encore coulé sur le visage de Hanna. L’adolescente irakienne a pris conscience que le moment où elle retrouverait sa mère s’éloignait une nouvelle fois, sauf à franchir la Manche, cachée dans un camion. Difficile de chasser cette obsession de sa tête et de celle de son frère Ahmed (les prénoms ont été modifiés), tant rejoindre la Grande-Bretagne par la voie légale est un parcours du combattant pour les deux jeunes Irakiens bloqués à Calais.

Hanna (13 ans) et Ahmed (17 ans) ont traversé l’Europe avec la seule motivation de rejoindre leur mère. Lundi, ils ont senti Birmingham s’éloigner encore quand elle leur a annoncé par téléphone l’éventualité d’un test ADN pour l’obtention des laissez-passer. Les enfants n’en peuvent plus de savoir leur mère à la fois si proche et inaccessible. « On est à l’arrêt », répète Hanna, anéantie.

Lire aussi : Supprimer la « jungle » de Calais ne fera pas disparaître les migrants

Le règlement de Dublin III, qui régit la demande d’asile en Europe, précise pourtant que « si le demandeur d’asile est un mineur non accompagné, l’Etat responsable de sa demande est celui dans lequel un membre de la famille ou les frères et sœurs du mineur non accompagné ou un proche se trouvent ». La Grande-Bretagne devrait donc « prendre en charge les mineurs qui introduisent une demande en France en ayant un père, une mère, un frère ou un oncle dans l’île », insiste Marie-Charlotte Fabié, l’avocate de Hanna et Ahmed. Ce qui est le cas de la majorité des mineurs isolés de Calais.

Lire aussi : L’Etat va raser la moitié de la « jungle » de Calais

Pour la sœur et le frère, la procédure s’allonge car la mère n’a pas déclaré ses enfants dans son dossier de réfugié. La France leur avait déjà fait perdre beaucoup de temps, le ministère de l’intérieur français semblant avoir découvert cet article 8 du règlement de Dublin III à l’automne 2015. « Aucune demande d’admission de mineur isolé n’avait été faite depuis cinq ans ; avant celles de Hanna, Ahmed et trois autres adolescents de la “jungle”, ces derniers jours »,rappelle Lou-Salomé Sorlin, l’avocate qui a assigné l’Etat en référé le 3 février sur ce manquement, avec Marie-Charlotte Fabié, le référé-liberté étant appuyé par Médecins du monde et le Secours catholique.

La préfète du Pas-de-Calais, Fabienne Buccio, explique cette lacune par « une arrivée récente des mineurs à Calais, surtout après l’été ». Quoi qu’il en soit, le phénomène est aujourd’hui massif : « plus de 400 mineurs vivraient dans la partie sud de la “jungle”, selon un comptage opéré mardi dans chaque abri de cette zone que la préfète demande d’évacuer pour la fin de la semaine », plaide Marianne Humbersot, de la permanence juridique de la « jungle ». « Plus de la moitié sont des mineurs isolés », ajoute l’avocate Orsane Broisin, qui en a vu passer « 150 en consultations juridiques depuis le 11 janvier. »

Grâce au collectif d’avocats bénévoles, une bonne partie de ces adolescents devaient déposer mercredi une lettre chez le juge pour enfants « pour demander une prise en charge immédiate par l’aide sociale à l’enfance, puisque l’éviction du bidonville où ils résident crée pour eux un état de péril imminent qui nécessite cette protection », rappelle Orsane Broisin. L’Etat devrait d’ailleurs les protéger depuis le 23 novembre 2015, puisque le Conseil d’Etat avait requis sous huitaine leur prise en charge.

En parallèle, toujours sous l’égide de la permanence juridique, aidée par le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), plusieurs mineurs dont Samiula, un Afghan de 14 ans, contesteront le même jour leur expulsion devant le juge pour enfants et demanderont eux aussi à rejoindre leur famille en Grande-Bretagne. Mercredi midi devait être aussi le moment où Liz Clegg, une bénévole britannique qui a ouvert un lieu pour les femmes, invite symboliquement tous les mineurs sous le dôme qui sert de salle de cinéma. Parce qu’« il faut donner un coup de projecteur sur ceux qui seront les premières victimes d’une éviction du lieu. Si on rase le bidonville, ils vont s’évaporer dans la nature, s’inquiète Maya Konforti, de l’Auberge des migrants. Le système français a échoué avec eux », insiste-t-elle.

Les faits lui donnent raison : « En 2015, nous avons accueilli 1 400 mineurs isolés dans nos structures des environs de Calais, mais n’en avons stabilisé que 90 », regrette Pierre Henry, le directeur de France Terre d’asile. Beaucoup s’y reposent avant de fuguer pour passer vite en Grande-Bretagne. Hannah et Ahmed ont refusé cette solution leur imposant un foyer différent. Ne les imaginant pas repartir sous la tente, Dominique Mégard et Nadine Rubanbleu, un couple de Calaisiens retraités, les ont alors accueillis chez eux, où ils résident depuis fin novembre.

Les bijoux de la grand-mère

« Hanna et Ahmed ont grandi à Mossoul. Quand leur père est mort dans un attentat, ils se sont réfugiés en Turquie avec leur mère et leur grand-mère paternelle », raconte Nadine Rubanbleu. Puis la mère est partie vers la Grande-Bretagne avec le plus jeune des enfants, et la grand-mère est décédée au printemps 2015. Alors Ahmed a décidé d’emmener sa petite sœur en Grande-Bretagne. « Ils ont vendu les bijoux de la grand-mère pour payer les passeurs, et se sont lancés au début de l’été. Ils ont été expulsés de Bulgarie puis ont avancé avant de se retrouver dans la jungle début septembre 2015, à courir après les camions pour rejoindre leur mère », ajoute M. Mégard.

Marie-Charlotte Fabié et Lou-Salomé Sorlin, deux avocates bénévoles, convainquent les enfants qu’ils ont droit à un laissez-passer mais que pour cela ils doivent demander l’asile en France. Une demande que la sous-préfecture de Calais refuse d’enregistrer jusqu’à la veille de l’audience au tribunal administratif de Lille, le 3 février. Là, la sous-préfecture enregistre en urgence les deux demandes et va même chercher en pleine nuit un autre des cinq mineurs plaignants laissé dans le campement, pour l’héberger en foyer et éviter une nouvelle condamnation de l’Etat, après celle du Conseil d’Etat du 23 novembre.

La condamnation a effectivement été évitée. Mais le juge des référés a reconnu, dans son ordonnance du 11 février 2016, « la carence de l’administration, qui a pour conséquence de rendre impossible la mise en œuvre des demandes d’admission légale au Royaume-Uni pour tous les mineurs y ayant des proches ». Il déplore que « les services de l’Etat aient attendu d’être saisis d’une requête en référé-liberté pour prendre contact avec ces mineurs et enregistrer leur demande de protection internationale ». Les procédures engagées mercredi vont dans le même sens mais s’appuient sur d’autres leviers juridiques. L’idée est que le droit s’applique aussi en France aux mineurs isolés de Calais.

Pour les migrants, la Manche pourrait devenir une nouvelle Méditerranée?

http://www.slate.fr/story/106019/migrants-manche-mediterranee

Le passage le plus étroit entre l'Angleterre et la France, de Douvres au cap Gris-Nez, vu par la Nasa sur une image satellite de 2002.

Le passage le plus étroit entre l’Angleterre et la France, de Douvres au cap Gris-Nez, vu par la Nasa sur une image satellite de 2002.

Dans les mois à venir, il est envisageable, si le verrouillage de Calais se confirme, que les migrants désireux de gagner l’Angleterre optent pour une autre solution: la traversée clandestine par la mer.

A la hauteur de Douvres et de Calais, les eaux territoriales britanniques et françaises sont mitoyennes. La Manche n’y mesure que 34 kms, largeur que les deux pays se partagent pour moitié. Pas de place pour les eaux internationales, qui commencent plus au sud, en dessous du Cap Gris-Nez, où le détroit s’élargit, et c’est à peu près là qu’ils espèrent se situer maintenant, si leurs passeurs ne leur ont pas menti.

Depuis que la brume s’est levée sur un jour gris, ils ont l’impression de dériver au milieu d’une armada. Ceux d’entre eux qui ont traversé la Méditerranée, et qui ont réussi à en réchapper, n’ont pas gardé le souvenir d’une telle concentration de navires. Tous ne sont pas là pour eux, points sombres sur l’horizon, d’autres trop près d’eux, mais plusieurs étraves paraissent se diriger droit sur leur dinghy. Ils prient pour que le premier à les aborder soit un garde-côte anglais, car en principe, encore une fois si leurs racketteurs ne se sont pas trompés, les règles juridiques de «haute mer» les placeraient alors sous la protection de leurs sauveteurs britanniques. Et quitte à être enfermés dans un centre de rétention, ils ont une chance d’être débarqués du côté de Douvres: c’est ce qu’ils veulent tous, à bord, parfois depuis des mois.

Mais si ce foutu bateau qui s’approche, et qu’ils distinguent toujours mal, s’avère arborer un pavillon français, ou simplement s’ils sont, eux, toujours dans les eaux territoriales de l’un ou l’autre pays, ils sont bons pour retrouver la «jungle» de Calais.

Cette histoire n’a pas de suite, ou plutôt, à chacun de lui donner celle qu’il veut, faire arriver ce dinghy à bon port, en Angleterre, ou ramener ses occupants découragés en France, car elle n’a pas, cette histoire, ou pas encore, de commencement. C’est une scène de fiction. Ou plutôt une scène réelle à venir, l’envisageable de ce qui pourrait advenir dans les eaux de la Manche, de ce qu’il adviendra même sûrement si le verrouillage de Calais, que la France et l’Angleterre opposent toujours aux immigrés et réfugiés cherchant à se rendre à Douvres, se perfectionne jusqu’à être totalement hermétique.

Aux dix morts accidentés à l’entrée du tunnel, début août, à ces quelques 1.500 étrangers qui ont tenté, deux nuits durant, de forcer en nombre les cordons de policiers, les grillages et les postes de contrôle des gares routières, les gouvernements français et anglais ont surtout répondu par un nouveau renforcement des mesures de sécurité. 15 millions d’euros seront dépensés par Londres à cet effet, sur le port de Calais, et 10 autres encore à la gare d’Eurotunnel, multipliant ainsi les obstacles les plus sophistiqués, caméras infrarouges, détecteurs thermiques, jusqu’à ces chiens renifleurs dressés pour repérer les émanations de CO2 de la respiration humaine, et qui obligent les réfugiés montés à bord de camions à se recouvrir la tête d’un sac plastique au passage des chiens.

Un «mur de l’Atlantique» sur la Côte d’Opale

Au fil des mois, c’est «un mur de l’Atlantique» –mais cette fois, avec les Alliés d’hier, si l’on peut se permettre, du mauvais côté du mur– qui finit de se dresser sur la Côte d’Opale, tout un appareillage métallique et électronique de maintien à distance. Ne manqueront bientôt plus, à ce rythme, que les miradors pour faire ressembler cette rive française contemporaine à la frontière berlinoise de la Guerre froide.

Cela suffira-t-il à être dissuasif? Pour la majorité des étrangers retenus sur la côte, passer la Manche est une nécessité impérieuse, encore renforcée par les sacrifices auxquels ils ont déjà consenti. Sur les 340.000 étrangers entrés en Europe depuis le début de l’année (contre 280.000 pour tout 2014), les trois à quatre mille de «la jungle» de Calais vivent, en outre, une situation unique. Partout ailleurs, les pays traversés veulent se débarrasser d’eux au plus vite, les voir remonter vers le nord, vers le pays suivant, et ainsi de suite jusqu’au but de leurs exils, la Suède, l’Allemagne ou la Grande-Bretagne, surtout pas leur interdire de quitter le territoire national.

Tout le monde passe par le Channel.
Tout le monde
sauf eux

L’inventivité discriminatoire des gouvernements français et britannique les déprime, évidemment, mais il y a peu de chances qu’elle suffise à les faire renoncer. Au contraire, elle pourrait les enrager un peu plus et les amener à chercher d’autres mode de traversée. Tout le monde passe le Channel, constatent-ils, Européens et marchandises, mêmes les réfugiés riches, syriens ou afghans, qui prennent l’avion ou l’Eurostar sans trop être inquiétés. Tout le monde sauf eux. Ce cran supplémentaire dans l’exclusion, ce constat que vont devoir dresser les réfugiés comme les passeurs, à savoir que le franchissement du tunnel à bord de camions embarqués leur est, après le train, la voie aérienne et les passages clandestins en ferries, définitivement impossible, risque fort de les pousser à inaugurer un nouveau temps de leur sinistre épopée migratoire calaisienne: la mise volontaire à la mer.

Un trafic digne d’une autoroute urbaine

Depuis leur arrivée, il y a souvent plusieurs mois, ils regardent l’océan. Par beau temps, ils peuvent même apercevoir Douvres. Ils ont tous posé la question: et par bateau? Déraisonnable, leur a-t-on répondu. La Manche est le pire des détroits. Mer trop froide et trop forte, qui pousse les esquifs sans vitesse trop haut vers le nord. Toutes les chances de manquer Douvres, peut-être même l’Angleterre. Et un trafic digne d’une autoroute urbaine, un dimanche soir. 20% du commerce maritime mondial emprunte l’étroit bras de mer, au point qu’il a fallu imposer aux navires l’emprunt de «rails», l’un montant, l’autre descendant, pour assurer la circulation.

Les dinghys tractés, puis lâchés en pleine mer, les bateaux de pêche loués pour une nuit auraient, en plus, toutes les chances de se faire immédiatement repérer. La surveillance satellitaire est en Manche la plus moderne au monde, au point que n’importe quel lycéen peut suivre en temps réel la navigation globale dans le détroit sur un ordinateur. Des centres d’observation, les CROSS français (Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage) et les MRCC anglais (Maritim Rescue Coordination Center), sont dispersés tout le long des deux côtes, depuis la Bretagne.

Cette espérance folle, incompréhensible pour des Européens, de réussir à gagner Londres
coûte que coûte

Déraisonnable? Suicidaire peut-être, même? C’est sans compter avec la détermination des immigrants, cette espérance folle, incompréhensible pour des Européens, de réussir à gagner Londres coûte que coûte. Comme dans le film de Philippe Lioret, Welcome, en 2009, qui racontait la préparation et la tentative d’un jeune Irakien, résolu à traverser le Channel à la nage. C’est oublier aussi que «les passeurs», sous l’afflux des réfugiés d’Afrique et du Proche-Orient, sont devenus de véritables organisations criminelles et financières, installées directement en Belgique et en Grande-Bretagne, disposant de moyens importants et bien décidées à ne pas lâcher la source de leur enrichissement. Les polices côtières, bien conscientes du risque, suivent avec un intérêt grandissant les acheminements de bateaux, le long des côtes françaises, belges et anglaises, ainsi que le commerce clandestin d’embarcations tractables.

A Calais, on évoque des zones moins encombrées, permettant un passage nocturne, au sud et plus encore au nord de la ville, notamment en Belgique et aux Pays-Bas, où la surveillance serait décrite comme moins vigilante, alors que la côte flamande est l’une des plus fréquentée commercialement, avec les ports d’Anvers et de Rotterdam. A court terme, il est prévisible que les différents acteurs concernés, migrants et passeurs, essaient de se détourner de Calais, devenu leur enfer. La Grande-Bretagne et la France ne cherchaient pas un autre résultat. Mais c’est au risque d’un déplacement du problème, d’un égaillement des tentatives de passage depuis des points de départ, ailleurs sur la côte. Avec de fortes probabilités de mises à l’eau de bateaux de fortune surchargés de passagers, qu’on conduirait au large, les laissant ensuite au bon vouloir des garde-côtes et des navires de sauvetage.

Pour les Européens, il devient risqué de manifester en France

par Naïké Desquesnes 2 février 2016

Après trois jours en centre de rétention sous le coup d’une mesure d’expulsion pour avoir participé à une manifestation en soutien au migrants à Calais, trois étudiantes italiennes ont finalement été relâchées. Sur fond d’état d’urgence, l’exécutif fragilise le pouvoir des juges afin de mettre la pression sur des manifestants étrangers, y compris Européens. « Ce cas illustre bien la manière dont l’autorité administrative fait fi des décisions judiciaires voire contourne la justice pour appliquer sa propre répression », explique l’universitaire Vanessa Codaccioni.

« Jamais on ne se serait attendu à ce qui nous est arrivé, avoue Valentina. La France est devenue complètement malade. » Samedi 23 janvier, Valentina se trouve avec ses deux compatriotes à Calais pour la manifestation de solidarité avec les migrants. Près de 2000 personnes, membres d’associations, d’organisations politiques, citoyens solidaires, riverains et migrants se sont rassemblés à la « Jungle », territoire du bout du monde jouxtant le port. C’est ici que survivent, dans une grande précarité, près de 7000 personnes tentant depuis des mois de passer en Angleterre (lire aussi notre reportage : Calais, au sein d’un bidonville en état d’urgence, devenu la honte de la France).

Le cortège bigarré s’élance de cet endroit désolé où femmes, hommes et enfants sont arrosés, la nuit, de gaz lacrymogènes par les CRS depuis début janvier. « Nous dénonçons les politiques française et européenne qui créent ces situations à Calais comme aux portes de l’Europe, souligne l’appel au rassemblement. Nous demandons immédiatement des conditions d’accueil dignes pour tous et toutes. Qu’ils/elles soient nommé-e-s réfugié-e-s, migrant-e-s ou sans-papiers, nous exigeons des droits égaux pour tou-t-e-s, des titres de séjour, l’accès aux soins et au logement. »

En fin de manifestation, une centaine de migrants se mettent à courir vers le port. « Nous les avons suivis en solidarité, raconte Martina. Et puis il y a eu une grande confusion. Face à nous, un horizon de tirs de lacrymo. Derrière, des fourgons de police qui se rapprochent. Des gens passaient sous un grillage, on a fait pareil pour se sortir de là. » Alors qu’elles entrent dans des toilettes toujours situées dans la zone portuaire, la police aux frontières les interpelle, avec quatre personnes françaises. Les voilà parties pour 24 heures de garde-à-vue à l’hôtel de police de Coquelles, une ville qui jouxte Calais.

« La police nous faisait croire que des migrants étaient morts et que c’était de notre faute »

Les sept interpellés sont accusés de « dégradation volontaire en réunion » et d’avoir « pénétré illégalement dans le port ». « Nous ne savions pas où nous allions ! », s’exclament les filles. L’ambiance au commissariat est tendue. « La police nous faisait croire que des migrants étaient morts et que c’était de notre faute. »  Les agents aimeraient les classer « no border » (pas de frontière), un terme péjoratif dans la bouche des forces de l’ordre, qui désigne chez eux des activistes radicaux menaçant la sécurité du territoire. « Nous étions là en soutien aux migrants », préfère asséner Ornella. À l’issue des interrogatoires, aucune poursuite pénale n’est retenue contre les sept imprudents : les Français sont libérés et les Italiennes se préparent à sortir dans la foulée. Deux autres manifestants et six migrants accusés d’être montés illégalement sur un ferry à la fin de la manifestation seront, eux, jugés, le 22 février.

Pour les trois Italiennes, l’histoire aurait dû s’arrêter là. Sauf que Bernard Cazeneuve a « donné des instructions pour que les no-border qui ont participé à ces opérations fassent l’objet d’une expulsion » , comme il le déclare à la presse dès le dimanche. « Dix minutes avant la fin de la garde-à-vue, nous apprenons que la préfecture ordonne notre obligation de quitter le territoire français (OQTF) et que nous sommes transférés dans un centre de rétention administrative (CRA) », relate Martina.

« Menace réelle, actuelle et grave »

Au CRA de Lesquin, à quelques kilomètres de Lille, les jeunes femmes reçoivent, incrédules, leur notification d’obligation de quitter le territoire et les faits qui leur sont reprochés par l’exécutif, alors même que le procureur a d’ores et déjà estimé que rien ne permettait de les poursuivre.

La France peut donc motiver des avis d’expulsion avec des allégations infondées, non vérifiées, n’ayant donné lieu à aucune poursuite pénale. « Comment mes clientes peuvent-elles représenter une « menace réelle, actuelle et grave » alors qu’elles n’ont jamais été inquiétées par la justice ou la police en France comme en Italie ? », demande leur avocate Murielle Ruef.

Ce motif de la « menace pour la société française » avait déjà été mobilisé durant la COP21, pour mettre en rétention et menacer d’expulsion deux militants écologistes belges après qu’ils aient participé à la manifestation interdite de place de la République, le 29 novembre dernier à Paris. « J’avais pu faire annuler par le tribunal l’OQTF en démontrant qu’ils ne représentaient pas une menace grave, témoigne leur avocat Bruno Vinay. Comme pour mes clients, la situation des italiennes semble bien liée à une décision politique. »

Un acte qui n’aurait jamais dû exister

Dans ce qui ressemble à une croisade zélée contre d’improbables perturbatrices étrangères, la préfecture recourt à un second arbitraire : pour les placer en rétention, elle invoque le fait que les Italiennes n’auraient pas fourni d’éléments justifiant qu’elles résident en France depuis plus de trois mois. « Elles ont indiqué qu’elles étaient étudiantes dès la garde-à-vue », rétorque Murielle Ruef, qui a déposé un recours devant le tribunal administratif. « Nous avons transmis les preuves de résidence en France depuis plus de deux ans : des preuves d’adresse fixe, d’inscription à l’université, d’emploi pour l’une d’entre elles. »

Après les communiqués des universités, les lettres de soutien des professeurs, les pressions au Consul italien et les articles dans les médias, la France a finalement décidé d’écourter une situation difficilement tenable : le soir du troisième jour de rétention, le 27 janvier, la préfecture du Pas de Calais libère les Italiennes et « retire » l’OQTF. « Elles ont les bons justificatifs », confirme Steve Barbet, de la préfecture du Pas-de-Calais. Il ajoute même qu’« elles n’ont commis aucun délit ». Que deviennent alors les graves accusations inscrites sur la notification d’OQTF ? Elles disparaissent, tout simplement. « Le retrait, ce n’est pas l’abrogation, précise leur avocate. Cela veut dire que l’acte n’aurait jamais dû exister, que la Préfecture acquiesce à son illégalité. »

Un moyen de pression sur les manifestants étrangers

Sur fond d’état d’urgence, dans un contexte actuel où l’exécutif fragilise le pouvoir des juges, se garder la possibilité de mettre quelques jours en rétention des manifestants étrangers pour les relâcher ensuite sans passage devant le tribunal relève d’une méthode qui met une nouvelle fois à mal l’idée d’un « État de droit ». « Ce cas illustre bien la manière dont l’autorité administrative fait fi des décisions judiciaires voire contourne la justice pour appliquer sa propre répression, analyse Vanessa Codaccioni, maîtresse de conférences en science politique à l’université de Paris 8 [1] « C’est un classique des « moments d’exception », rappelle-t-elle. Pendant la guerre d’Algérie, de très nombreux individus ont été relâchés par la justice mais immédiatement transférés dans des camps d’internement par la volonté des seuls préfets. »

En attendant, l’expérience de l’enfermement n’a fait qu’accroître l’indignation des Italiennes face à l’existence des prisons pour migrants. « Même enfermées, on ressentait fortement nos privilèges d’européennes », racontent-elles sur la route qui les ramène à Paris. « Les femmes que nous avons rencontrées ne connaissaient pas leurs droits, elles étaient très isolées. Les migrantes ne savaient même pas qu’elles avaient droit au portable. Elles vivent des situations d’insécurité : c’est un homme qui effectue la ronde de 5 heures du matin et vient compter les détenues jusque dans leurs chambres ! »

Autour des trois Italiennes, il y avait une Camerounaise, fille de diplomate, qui vivait en Grande Bretagne depuis dix ans et ne pouvait pas y retourner et une Dominicaine qui sortait de prison mais ne pouvait rejoindre son mari et ses enfants catalans en Espagne car l’administration avait perdu son permis de séjour espagnol. « Ces situations sont hallucinantes. Faut-il rappeler que ces femmes n’ont commis aucun crime et qu’elles souhaitent juste se rendre là où vivent leurs familles ? »

Naïké Desquesnes

Amende avec sursis pour Rob Lawrie, qui avait tenté de faire passer une enfant afghane en Angleterre // Libération // 14.01.2016


Rob Lawrie avec Bahar à Boulogne-sur-mer jeudi/Photo Benoît Tessier/Reuters 

Le Britannique Rob Lawrie a été condamné ce jeudi à 1000 euros d’amende avec sursis par le tribunal de Boulogne-sur-Mer

L’affaire s’est terminée par des applaudissements. Rob Lawrie n’a écopé que de 1000 euros d’amende avec sursis pour avoir mis en danger la petite Bahar Ahmadi 4 ans, en tentant de la faire passer en Angleterre, avec l’accord de son père, rencontré dans la jungle. L’audience avait commencé sous tension, dans une salle pleine à craquer de soutiens et de militants. «Je sais, c’était irrationnel, stupide. J’étais émotionnellement épuisé. La nuit était froide», raconte Rob Lawrie au tribunal. «On était autour du feu, et elle s’est endormie sur mes genoux. Son père m’avait demandé à plusieurs reprises de l’emmener rejoindre sa famille à Leeds, à 3 ou 4 miles de chez moi. Je ne pouvais pas la laisser là. Je suis désolé.»

Ce Britannique de 49 ans, originaire de la banlieue de Leeds, dans le nord de l’Angleterre, père de quatre enfants, était jugé ce 14 janvier à Boulogne-sur-Mer pour avoir tenté de faire passer en Angleterre Bahar, une petite Afghane de 4 ans qui vivait dans la «jungle» de Calais. Après des mois d’allers et retours dans le bidonville où il construisait des abris de bois et de bâche avec les exilés, il a glissé la petite fille, qui le connaissait bien, le 24 octobre 2015 dans une cachette dans son van. L’homme, qui se définit comme un «nettoyeur de tapis au chômage qui fait du bénévolat», reconnaît les faits, et risque 5 ans de prison et 30000 euros d’amende. Quelques heures avant l’audience, pendant une conférence de presse improvisée dans le presbytère de Saint-Martin-Boulogne, il se défendait avec aisance : «Dans les années 50 aux Etats-Unis, il était illégal pour les Noirs et les Blancs d’être assis côte à côte. Et maintenant on se dit « quelle vaste blague! » Un jour on dira : «Oh mon Dieu, à une époque on laissait les enfants dans de sordides camps de réfugiés, et ils n’allaient pas à l’école».» À la barre du tribunal de grande instance de Boulogne, il semble accablé, cherche ses mots. Rob Lawrie est par ailleurs bipolaire. Il a été placé en foyers à 6 ans. «A l’époque, j’aurais aimé que quelqu’un vienne à mon secours.»

«Je voyais son désespoir de ne pas pouvoir donner une meilleure vie à sa fille»

Dans la salle d’audience, au second rang, Reza Ahmadi, la jambe cassée, est là avec sa fille Bahar, au deuxième rang, la petite joue sur une tablette, en pantalon rose et pull bleu marine, blottie entre son père et une bénévole britannique. Elle murmure pour elle-même, tranquille comme un enfant qui joue : «La police arrive, il faut qu’on se sauve. La police doit nous attraper. Il faut courir.»

Le 24 octobre, il est 23h35 quand l’utilitaire est contrôlé au terminal ferry. Les chiens policiers détectent une présence, des Érythréens se sont cachés à l’arrière. Ils racontent aux policiers avoir vu la camionnette abords du camp, et s’y être caché cinq heures à l’insu de Rob Lawrie. le Britannique est arrêté, la garde à vue dure. Vers 2 heures du matin il craque, et avoue qu’une petite fille est caché au-dessus du siège du chauffeur, dans une cache aménagée en couchette, d’1,30 sur 50 centimètres. Quand les policiers ouvrent la cache, la petite dort.

À l’audience, il explique qu’il a une relation de confiance avec le père, qu’il lui a confié Bahar, qu’elle doit donner l’enfant à ses cousins et à sa grand-mère. «Je voyais son désespoir de ne pas pouvoir donner une meilleure vie à sa fille. À chacun de mes dix ou douze allers-retours, je les ai vus. Cette nuit, je ne pouvais plus la laisser là.»

«Je n’ai pas réfléchi j’aurais dû»

Il assure qu’il n’a pas touché d’argent. «Il est hors de question que je fasse ce genre de chose pour l’argent. Elle a 4 ans, elle est très intelligente, elle vit dans une tente, dans un lieu dangereux et très froid.» Le président lui parle de «mise en danger», de «conditions de transport». Lawrie: «Si je n’avais pas eu un compartiment de couchage, si j’avais voyagé dans une voiture je ne l’aurais pas imaginé le faire. C’était très confortable. Elle était en sécurité.»

Quand le procureur suggère de condamner Lawrie à 1000 euros d’amende pour «mise en danger de la vie d’autrui», une partie de la salle, pleine à craquer de militants et de soutiens, hue. Lawrie répète : «Je n’ai pas réfléchi j’aurais dû.» Le procureur se dit sensible à la détresse de l’exil, mais plaide des «conditions indignes du passage», une «mise en danger de la vie d’autrui»: «On ne peut pas faire n’importe quoi. Elle n’avait pas de ceinture de sécurité, pas de réhausseur prévu par la loi, en cas de choc frontal, elle devenait un boulet de canon qui s’écrasait contre le pare-brise. Sa vie était en danger.» Huées dans la salle. «Qu’est-ce qui se passe ?», chuchote Bahar à son père. Lawrie raconte avoir été ému par la photo du petit Aylan, en août, ce met à convevoir des abris sur la table de sa cuisine, laisse tomber sa boîte de nettoyage de moquette contre l’avis de sa femme, et sans la consulter, commence des allers retours vers Calais en septembre.

Entendu comme témoin, Christian Salomé, président de l’association L’auberge des migrants explique au tribunal : «Il y a 5000 personnes dans la jungle, dont 500 à 600 enfants, dont des nouveau-nés. Jusqu’à lundi dernier, il n’y avait rien pour abriter les pères avec enfant, sauf les cabanes de la jungle, qu’on peut comparer au confort d’un abri de jardin. Les enfants vivent dans le froid et pataugent dans la boue. C’est difficile de rester insensible. De donner à manger, puis de rentrer chez soi. Ces enfants ont l’âge de nos petits enfants. Je comprends très bien ce monsieur qui à un moment donné n’a pas réussi à la laisser là. Des relations naissent, c’est le propre des humains.» Dans la salle d’audience, Bahar en a fini avec la tablette, elle joue avec une boule de Noël au but d’un bâton.

Communiqué de presse // La solidarité en procès à Boulogne-sur-Mer

Robert Lawrie, ressortissant britannique, va être jugé au tribunal de grande instance de Boulogne-sur-mer, jeudi 14 janvier à 13h30, pour avoir, selon la citation à comparaître, « facilité la circulation irrégulière d’un étranger en France ». L’ « étranger » en question est une petite fille âgée de 4 ans, que son père voulait faire quitter la boue et le dénuement du bidonville de Calais et rejoindre le reste de la famille en Angleterre. Quant à Robert Lawrie, le tribunal devra dire s’il s’est conduit comme un passeur, un criminel, ou en citoyen pris de compassion pour cette situation.

Alors qu’une réforme adoptée fin 2012 avait été présentée comme mettant fin aux poursuites pour « délit de solidarité », de telles poursuites, avec des qualifications diverses, se multiplient depuis plusieurs mois.

Une conférence de presse se tiendra

jeudi 14 janvier à 11h

27 route de Desvres
à Saint-Martin Boulogne
(Pas-de-Calais)

(à 5 minutes en voiture du tribunal, un parking juste à côté)

Prendront la parole pour introduire la conférence :

Robert Lawrie

Martine Devries, militante de longue date à Calais
Nan Suel, co-présidente de Terre d’errance à Norrent-Fontes
Richard Moyon, de RESF (Réseau éducation sans frontières)

et, sous réserve,

– Hubert Jourdan, directeur d’Habitat et citoyenneté, association dont une membre a été condamnée à Grasse récemment pour être elle aussi venue en aide à des étrangers en situation irrégulière.

De nombreux membres d’associations et comités de soutien aux réfugiés des jungles du nord de la France seront présents dans la salle.

La nuit à Calais, les CRS arrosent la «jungle» de lacrymogènes // Libération // 07.01.2016

Image tirée de la vidéo diffusée par «Calais Migrant Solidarity».
Image tirée de la vidéo diffusée par «Calais Migrant Solidarity».

Une vidéo, mise en ligne par les militants de «No border», montre des jets massifs de gaz lacrymogènes des forces de l’ordre sur des cabanes où vivent femmes et enfants.

Un feu d’artifice de gaz lacrymogènes. Depuis lundi, la «jungle» de Calais a été arrosée de grenades par les CRS plusieurs nuits de suite. Témoin, ce petit film de sept minutes mis en ligne par le groupe No Border «Calais Migrant Solidarity». On y distingue les cabanes du bidonville, côté rue des Garennes et chemin des Dunes, plongées dans un nuage de gaz, dans la lumière blafarde des lampadaires de la rocade. On entend des cris, des applaudissements, des rires de la centaine d’exilés qui tentent d’en découdre avec les forces de l’ordre. Certains migrants, parfois très jeunes, retournent les grenades à l’envoyeur ou jettent des pierres. Pour ces jeunes hommes afghans et kurdes qui en ont vu d’autres, désespérés de ne pouvoir passer en Angleterre après des mois de tentatives, on dirait un jeu. On aperçoit des averses d’étincelles quand les grenades touchent les toits des cabanes. Certaines grenades sont envoyées à tir tendu (voir à 6’55 »). Dans ces cabanes, il y a aussi des gens qui dorment, des femmes et des enfants, surtout dans la zone la plus proche de la rocade, où se trouvent de nombreuses familles kurdes d’Irak.

«En ce moment, c’est toutes les nuits», raconte Mehdi, un Iranien qui ne participe pas aux heurts. «Tout le monde mange du gaz. Les calmes et les énervés. Les familles qui n’ont rien demandé à personne, comme les autres». Il estime à une centaine le nombre de grenades jetées chaque nuit. On avait rencontré ces familles en novembre, dans le carré des Kurdes. Elles racontaient comment des tentes avaient pris feu à cause des grenades. Une femme expliquait que son fils de 4 ans respirait avec difficulté à cause des gaz. Pour un activiste No Border qui veut rester anonyme, cette stratégie qui consiste à arroser tout le monde relève de la «punition collective». «La nuit, la jungle est en état de siège. La police bloque les gens. En retour, ces jeunes qui viennent de pays en guerre le vivent comme un jeu. C’est tragique.» Les No Border annoncent deux blessés au visage.

Rondins et poteaux

Selon le groupe No Border «Calais Migrant Solidarity», qui s’exprime en anglais sur son site, dans la nuit du 4 au 5 janvier, les migrants avaient répondu à une provocation d’un groupe d’extrême droite contre les exilés aux abords de la jungle. La nuit suivante, le scénario est plus classique : des exilés tentent de ralentir le trafic sur la rocade portuaire pour créer un embouteillage et tenter d’entrer dans les camions, comme le font les plus hardis de ceux qui n’ont pas les moyens de payer les milliers d’euros que coûte désormais le passage. Ils jettent des rondins de bois et des poteaux métalliques sur le trajet des camions. Réaction policière : repousser les exilés jusqu’à l’entrée de la «jungle» et bombarder de grenades lacrymogènes la jungle elle-même. Résultat, le bidonville est plongé dans un épais brouillard qui brûle les yeux et la gorge de tous. Les quelque 100 exilés excités, et les milliers d’autres.

La préfecture du Pas-de-Calais, à qui on a demandé de commenter la vidéo, a répondu par écrit : «Cette vidéo présente une vision tronquée des événements. Les réactions des forces de l’ordre que l’on peut voir sur la vidéo étaient des réponses à des tentatives de blocage de la rocade portuaire.» Etonnante réponse : à l’image, ce sont les cabanes et les tentes du bidonville qui sont bombardées de grenades lacrymogènes, pas la rocade portuaire. Comme si ceux qui y vivent, y compris des hommes, femmes, et enfants endormis, n’existaient pas.

Entre 4 000 et 7 000 personnes vivent dans la jungle de Calais, selon les sources. La préfète a annoncé lundi qu’elle souhaitait faire descendre ce chiffre à 2 000. Elle souhaite faire démanteler les cabanes du bidonville, à mesure que se remplit une aire de bungalows chauffés, prévue pour 1 500 personnes, un «camp humanitaire», qui doit ouvrir lundi. On construit un «camp humanitaire» le jour, et on arrose la jungle de lacrymogènes la nuit.

Haydée Sabéran

GRANDE SYNTHE: TROIS VISIONS DE L’URGENCE HUMANITAIRE POUR LE CAMP DE MIGRANTS

« le Monde », 7 janvier 2016

par Maryline Baumard

La préfecture du Nord devait donner mercredi 6 janvier son accord pour la création d’un camp humanitaire à Grande-Synthe. A l’issue d’une nouvelle séance de travail entre le maire de la ville et le directeur général de Médecins sans frontières (MSF), le sous-préfet de Dunkerque a préféré réserver sa réponse et fixer un nouveau rendez-vous lundi 11 janvier. Pour faire patienter, 230 places de mise à l’abri des migrants les plus vulnérables ont été débloquées dès mercredi soir dans le cadre du plan hivernal.
La balle est pourtant dans le camp de l’Etat depuis longtemps. Jusqu’au 23 décembre 2015, il a fait la sourde oreille aux appels désespérés de Damien Carême, le maire EELV qui voulait déménager les 3 000 Kurdes en attente d’un passage pour la Grande-Bretagne. Leur installation sur un terrain marécageux de sa commune du Dunkerquois sous des tentes à peine doublées ne pouvait perdurer durant la mauvaise saison. L’avant-veille de Noël, M. Carême est finalement reçu Place Beauvau et le ministre de l’intérieur demande au préfet du Nord de « mettre en œuvre une solution très rapide qui apportera une réponse humanitaire aux besoins élémentaires des migrants ». Quatorze jours plus tard, l’aval du préfet se fait toujours attendre et devrait intervenir lundi, soit 19 jours après la rencontre.
Mercredi, le directeur général de MSF, Stéphane Roques, venu spécialement pour la réunion, se disait « confiant mais vigilant ». Comme le maire de Grande-Synthe. D’autres, plus critiques, s’étonnaient que l’Etat manifeste des exigences de sécurité tatillonnes alors que des femmes et des enfants vivent dans la boue depuis des mois dans un camp officieux, avec un seul point d’eau et pas d’électricité… Outre ce revirement, l’épisode confronte en fait trois approches de l’urgence humanitaire.

« Nous attendons l’aval »

Depuis l’automne, une équipe médicale de MSF offre des consultations aux côtés de Médecins du monde pendant qu’une dizaine de logisticiens travaillent sur le déménagement. « Nous sommes prêts et attendons l’aval », rappelle Laurent Sury, responsable des programmes d’urgence à MSF Paris, qui a déjà sa liste d’entreprises dans les starting-blocks et les 500 tentes chauffables permettant d’abriter 2 500 personnes. Les médecins ne cessent de l’alerter que chaque jour qui passe augmente le risque d’hypothermie chez les jeunes enfants, présents en nombre, et celui de complications pulmonaires chez les adultes soumis au froid et à la pluie.
En face, la préfecture attend de disposer des réponses écrites à toutes ses questions de sécurité. « Mercredi, nous leur avons expliqué comment nous allions protéger le camp de l’autoroute voisine et de la voie SNCF », rappelle le maire. De son côté, MSF a répondu sur la disposition des tentes, afin d’éviter la propagation d’un feu, mais aussi sur les voies d’évacuation. Tous deux devaient consigner leurs réponses par écrit d’ici à jeudi soir pour que la préfecture les étudie vendredi et réponde lundi.
Entre ces deux rapports à l’urgence, s’en glisse un troisième : celui du maire. Fondateur du réseau des maires hospitaliers dans sa région, Damien Carême a déjà installé durant plusieurs hivers des tentes chauffées pour les familles qui font depuis 2006 une halte sur sa commune avant l’Angleterre. C’est à son initiative qu’ont été posés sanitaires et douches dans l’actuel camp de misère. C’est aussi lui qui a demandé à MSF de concevoir un camp digne, puisque l’Etat ne lui répondait pas. A l’automne 2014, il avait élaboré un plan de « maison des migrants » qu’il n’a pas pu mettre en œuvre en 2015 car le flot des arrivants a trop grossi, rendant son projet caduc. C’est en effet depuis le démantèlement par l’Etat d’un camp voisin et l’intense quadrillage policier de Calais que le nombre de Kurdes a flambé à près de 3 000 sur cette commune habituée à une centaine.
Damien Carême se retrouve donc entre un Etat très frileux, des administrés inquiets du nombre de migrants, et MSF, son partenaire, qui n’aura peut-être pas longtemps la même approche du sujet que lui. L’ONG rappelle déjà volontiers qu’elle ne sera pas le bras armé de la politique sécuritaire française. Ni en matière de lutte contre les passeurs, très présents à Grande-Synthe, où beaucoup arrivent en ayant payé le voyage jusqu’en Grande-Bretagne ; ni en matière de contrôle des migrants dans le camp.

« UN HUMAIN SUR 122 EST UN REFUGIE »

http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=35007#.VnQeIfXhCVM

18 juin 2015 – Les guerres, les conflits et la persécution ont généré le plus grand nombre jamais observé dans l’histoire moderne de personnes déracinées en quête de refuge et de sécurité, indique un nouveau rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), rendu public jeudi.

La dernière édition du rapport du HCR sur les Tendances mondiales fait état d’une hausse considérable du nombre de personnes forcées à fuir, avec 59,5 millions de déracinés à la fin 2014 comparé à 51,2 millions l’année précédente et 37,5 millions il y a une décennie.

L’augmentation depuis 2013 est la plus importante jamais enregistrée en une seule année », a précisé le HCR dans un communiqué de presse annonçant la sortie du rapport.

Cette hausse majeure a commencé au début de l’année 2011 avec l’éruption du conflit en Syrie qui génère désormais les plus importants déplacements de population jamais enregistrés à travers le monde, précise le rapport. En 2014, chaque jour, environ 42.500 personnes sont devenues des réfugiés, des demandeurs d’asile ou des déplacés internes, soit quatre fois plus que quatre ans auparavant. A travers le monde, un humain sur 122 est désormais un réfugié, un déplacé interne ou un demandeur d’asile. Si cette population correspondait à celle d’un pays, celui-ci se classerait au 24ème rang mondial en termes de population.

« Nous sommes les témoins d’un changement de paradigme, d’un glissement incontrôlé vers une ère qui est désormais le théâtre de déplacements forcés sans précédent à travers le monde. La réponse nécessaire éclipse désormais tout ce que nous avons mis en œuvre auparavant », a déclaré le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, António Guterres. « Il est terrifiant que, d’une part, l’impunité augmente quant à l’éruption de ces conflits et que, d’autre part, la communauté internationale semble totalement incapable de travailler de concert pour faire cesser les guerres ainsi que pour édifier et préserver la paix ».

Selon le rapport du HCR, dans toutes les régions, le nombre de réfugiés et de personnes déplacées internes est en hausse. Ces cinq dernières années, au moins 14 conflits ont éclaté ou ont repris : huit en Afrique (en Côte d’Ivoire, en République centrafricaine, en Libye, au Mali, au nord du Nigéria, en République démocratique du Congo, au Soudan du Sud et, cette année, au Burundi) ; trois au Moyen-Orient (en Syrie, en Iraq et au Yémen) ; un en Europe (Ukraine) et trois en Asie (Kirghizistan ainsi que dans plusieurs régions du Myanmar et du Pakistan). Seul un petit nombre de ces crises ont été résolues et la plupart continuent de générer de nouveaux déplacements de populations. En 2014, seulement 126.800 réfugiés ont pu retourner dans leurs pays d’origine, c’est le nombre le plus faible enregistré en 31 ans.

Parallèlement, après plusieurs décennies d’instabilité et de conflits en Afghanistan, en Somalie et ailleurs, des millions de ressortissants de ces pays demeurent déracinés ou – et ce, de plus en plus souvent – bloqués durant des années en marge de la société et dans l’incertitude de la vie en tant que déplacé interne ou réfugié, indique le rapport du HCR. Parmi les conséquences récentes et visibles des conflits à travers le monde ainsi que des terribles souffrances qu’ils causent, le HCR observe une croissance spectaculaire du nombre de réfugiés en quête de sécurité qui entreprennent des traversées périlleuses en mer, y compris en Méditerranée, dans le golfe d’Aden et en mer Rouge, ainsi qu’en Asie du Sud-Est.

Le rapport du HCR sur les Tendances mondiales montre que, pour la seule année 2014, environ 13,9 millions de personnes sont devenues des déplacés internes, soit quatre fois le nombre observé en 2010. A travers le monde, il y avait 19,5 millions de réfugiés (contre 16,7 millions en 2013), 38,2 millions de déplacés à l’intérieur de leur propre pays (contre 33,3 millions en 2013) et 1,8 million de personnes qui attendaient le résultat de l’examen de leur demande d’asile (contre 1,2 million en 2013). Plus de la moitié de la population réfugiée est composée d’enfants, une proportion tout à fait alarmante.

« Du fait de graves pénuries de fonds et de profondes lacunes dans le régime mondial de protection des victimes de guerre, les personnes ayant besoin de compassion, d’aide et de refuge sont laissées à elles-mêmes », a indiqué António Guterres. « Dans cette ère de déplacements de population massifs et sans précédent, nous avons besoin d’une réponse humanitaire de grande ampleur et d’un engagement mondial renouvelé envers la tolérance et la protection des personnes fuyant le conflit et la persécution. »

La Syrie est le plus important pays générateur au monde, à la fois de personnes déplacées internes (7,6 millions) et de réfugiés (3,88 millions à la fin 2014). L’Afghanistan (2,59 millions) et la Somalie (1,1 million) sont respectivement les deuxième et troisième pays générateurs de réfugiés, précise le rapport.

Même dans ce contexte d’importante augmentation, la répartition mondiale des réfugiés demeure fortement biaisée. Les réfugiés continuent de rejoindre principalement des pays moins avancés, plutôt que des pays riches.

Près de neuf réfugiés sur 10 (soit 86%) se trouvaient dans des régions et des pays considérés comme économiquement moins développés, et un quart de la population réfugiée se trouvait dans des pays classés parmi la liste des Nations Unies sur les Pays les moins avancés (PMA), indique le rapport du HCR.