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Amende avec sursis pour Rob Lawrie, qui avait tenté de faire passer une enfant afghane en Angleterre // Libération // 14.01.2016


Rob Lawrie avec Bahar à Boulogne-sur-mer jeudi/Photo Benoît Tessier/Reuters 

Le Britannique Rob Lawrie a été condamné ce jeudi à 1000 euros d’amende avec sursis par le tribunal de Boulogne-sur-Mer

L’affaire s’est terminée par des applaudissements. Rob Lawrie n’a écopé que de 1000 euros d’amende avec sursis pour avoir mis en danger la petite Bahar Ahmadi 4 ans, en tentant de la faire passer en Angleterre, avec l’accord de son père, rencontré dans la jungle. L’audience avait commencé sous tension, dans une salle pleine à craquer de soutiens et de militants. «Je sais, c’était irrationnel, stupide. J’étais émotionnellement épuisé. La nuit était froide», raconte Rob Lawrie au tribunal. «On était autour du feu, et elle s’est endormie sur mes genoux. Son père m’avait demandé à plusieurs reprises de l’emmener rejoindre sa famille à Leeds, à 3 ou 4 miles de chez moi. Je ne pouvais pas la laisser là. Je suis désolé.»

Ce Britannique de 49 ans, originaire de la banlieue de Leeds, dans le nord de l’Angleterre, père de quatre enfants, était jugé ce 14 janvier à Boulogne-sur-Mer pour avoir tenté de faire passer en Angleterre Bahar, une petite Afghane de 4 ans qui vivait dans la «jungle» de Calais. Après des mois d’allers et retours dans le bidonville où il construisait des abris de bois et de bâche avec les exilés, il a glissé la petite fille, qui le connaissait bien, le 24 octobre 2015 dans une cachette dans son van. L’homme, qui se définit comme un «nettoyeur de tapis au chômage qui fait du bénévolat», reconnaît les faits, et risque 5 ans de prison et 30000 euros d’amende. Quelques heures avant l’audience, pendant une conférence de presse improvisée dans le presbytère de Saint-Martin-Boulogne, il se défendait avec aisance : «Dans les années 50 aux Etats-Unis, il était illégal pour les Noirs et les Blancs d’être assis côte à côte. Et maintenant on se dit « quelle vaste blague! » Un jour on dira : «Oh mon Dieu, à une époque on laissait les enfants dans de sordides camps de réfugiés, et ils n’allaient pas à l’école».» À la barre du tribunal de grande instance de Boulogne, il semble accablé, cherche ses mots. Rob Lawrie est par ailleurs bipolaire. Il a été placé en foyers à 6 ans. «A l’époque, j’aurais aimé que quelqu’un vienne à mon secours.»

«Je voyais son désespoir de ne pas pouvoir donner une meilleure vie à sa fille»

Dans la salle d’audience, au second rang, Reza Ahmadi, la jambe cassée, est là avec sa fille Bahar, au deuxième rang, la petite joue sur une tablette, en pantalon rose et pull bleu marine, blottie entre son père et une bénévole britannique. Elle murmure pour elle-même, tranquille comme un enfant qui joue : «La police arrive, il faut qu’on se sauve. La police doit nous attraper. Il faut courir.»

Le 24 octobre, il est 23h35 quand l’utilitaire est contrôlé au terminal ferry. Les chiens policiers détectent une présence, des Érythréens se sont cachés à l’arrière. Ils racontent aux policiers avoir vu la camionnette abords du camp, et s’y être caché cinq heures à l’insu de Rob Lawrie. le Britannique est arrêté, la garde à vue dure. Vers 2 heures du matin il craque, et avoue qu’une petite fille est caché au-dessus du siège du chauffeur, dans une cache aménagée en couchette, d’1,30 sur 50 centimètres. Quand les policiers ouvrent la cache, la petite dort.

À l’audience, il explique qu’il a une relation de confiance avec le père, qu’il lui a confié Bahar, qu’elle doit donner l’enfant à ses cousins et à sa grand-mère. «Je voyais son désespoir de ne pas pouvoir donner une meilleure vie à sa fille. À chacun de mes dix ou douze allers-retours, je les ai vus. Cette nuit, je ne pouvais plus la laisser là.»

«Je n’ai pas réfléchi j’aurais dû»

Il assure qu’il n’a pas touché d’argent. «Il est hors de question que je fasse ce genre de chose pour l’argent. Elle a 4 ans, elle est très intelligente, elle vit dans une tente, dans un lieu dangereux et très froid.» Le président lui parle de «mise en danger», de «conditions de transport». Lawrie: «Si je n’avais pas eu un compartiment de couchage, si j’avais voyagé dans une voiture je ne l’aurais pas imaginé le faire. C’était très confortable. Elle était en sécurité.»

Quand le procureur suggère de condamner Lawrie à 1000 euros d’amende pour «mise en danger de la vie d’autrui», une partie de la salle, pleine à craquer de militants et de soutiens, hue. Lawrie répète : «Je n’ai pas réfléchi j’aurais dû.» Le procureur se dit sensible à la détresse de l’exil, mais plaide des «conditions indignes du passage», une «mise en danger de la vie d’autrui»: «On ne peut pas faire n’importe quoi. Elle n’avait pas de ceinture de sécurité, pas de réhausseur prévu par la loi, en cas de choc frontal, elle devenait un boulet de canon qui s’écrasait contre le pare-brise. Sa vie était en danger.» Huées dans la salle. «Qu’est-ce qui se passe ?», chuchote Bahar à son père. Lawrie raconte avoir été ému par la photo du petit Aylan, en août, ce met à convevoir des abris sur la table de sa cuisine, laisse tomber sa boîte de nettoyage de moquette contre l’avis de sa femme, et sans la consulter, commence des allers retours vers Calais en septembre.

Entendu comme témoin, Christian Salomé, président de l’association L’auberge des migrants explique au tribunal : «Il y a 5000 personnes dans la jungle, dont 500 à 600 enfants, dont des nouveau-nés. Jusqu’à lundi dernier, il n’y avait rien pour abriter les pères avec enfant, sauf les cabanes de la jungle, qu’on peut comparer au confort d’un abri de jardin. Les enfants vivent dans le froid et pataugent dans la boue. C’est difficile de rester insensible. De donner à manger, puis de rentrer chez soi. Ces enfants ont l’âge de nos petits enfants. Je comprends très bien ce monsieur qui à un moment donné n’a pas réussi à la laisser là. Des relations naissent, c’est le propre des humains.» Dans la salle d’audience, Bahar en a fini avec la tablette, elle joue avec une boule de Noël au but d’un bâton.