« le Monde », 7 janvier 2016
par Maryline Baumard
La préfecture du Nord devait donner mercredi 6 janvier son accord pour la création d’un camp humanitaire à Grande-Synthe. A l’issue d’une nouvelle séance de travail entre le maire de la ville et le directeur général de Médecins sans frontières (MSF), le sous-préfet de Dunkerque a préféré réserver sa réponse et fixer un nouveau rendez-vous lundi 11 janvier. Pour faire patienter, 230 places de mise à l’abri des migrants les plus vulnérables ont été débloquées dès mercredi soir dans le cadre du plan hivernal.
La balle est pourtant dans le camp de l’Etat depuis longtemps. Jusqu’au 23 décembre 2015, il a fait la sourde oreille aux appels désespérés de Damien Carême, le maire EELV qui voulait déménager les 3 000 Kurdes en attente d’un passage pour la Grande-Bretagne. Leur installation sur un terrain marécageux de sa commune du Dunkerquois sous des tentes à peine doublées ne pouvait perdurer durant la mauvaise saison. L’avant-veille de Noël, M. Carême est finalement reçu Place Beauvau et le ministre de l’intérieur demande au préfet du Nord de « mettre en œuvre une solution très rapide qui apportera une réponse humanitaire aux besoins élémentaires des migrants ». Quatorze jours plus tard, l’aval du préfet se fait toujours attendre et devrait intervenir lundi, soit 19 jours après la rencontre.
Mercredi, le directeur général de MSF, Stéphane Roques, venu spécialement pour la réunion, se disait « confiant mais vigilant ». Comme le maire de Grande-Synthe. D’autres, plus critiques, s’étonnaient que l’Etat manifeste des exigences de sécurité tatillonnes alors que des femmes et des enfants vivent dans la boue depuis des mois dans un camp officieux, avec un seul point d’eau et pas d’électricité… Outre ce revirement, l’épisode confronte en fait trois approches de l’urgence humanitaire.
« Nous attendons l’aval »
Depuis l’automne, une équipe médicale de MSF offre des consultations aux côtés de Médecins du monde pendant qu’une dizaine de logisticiens travaillent sur le déménagement. « Nous sommes prêts et attendons l’aval », rappelle Laurent Sury, responsable des programmes d’urgence à MSF Paris, qui a déjà sa liste d’entreprises dans les starting-blocks et les 500 tentes chauffables permettant d’abriter 2 500 personnes. Les médecins ne cessent de l’alerter que chaque jour qui passe augmente le risque d’hypothermie chez les jeunes enfants, présents en nombre, et celui de complications pulmonaires chez les adultes soumis au froid et à la pluie.
En face, la préfecture attend de disposer des réponses écrites à toutes ses questions de sécurité. « Mercredi, nous leur avons expliqué comment nous allions protéger le camp de l’autoroute voisine et de la voie SNCF », rappelle le maire. De son côté, MSF a répondu sur la disposition des tentes, afin d’éviter la propagation d’un feu, mais aussi sur les voies d’évacuation. Tous deux devaient consigner leurs réponses par écrit d’ici à jeudi soir pour que la préfecture les étudie vendredi et réponde lundi.
Entre ces deux rapports à l’urgence, s’en glisse un troisième : celui du maire. Fondateur du réseau des maires hospitaliers dans sa région, Damien Carême a déjà installé durant plusieurs hivers des tentes chauffées pour les familles qui font depuis 2006 une halte sur sa commune avant l’Angleterre. C’est à son initiative qu’ont été posés sanitaires et douches dans l’actuel camp de misère. C’est aussi lui qui a demandé à MSF de concevoir un camp digne, puisque l’Etat ne lui répondait pas. A l’automne 2014, il avait élaboré un plan de « maison des migrants » qu’il n’a pas pu mettre en œuvre en 2015 car le flot des arrivants a trop grossi, rendant son projet caduc. C’est en effet depuis le démantèlement par l’Etat d’un camp voisin et l’intense quadrillage policier de Calais que le nombre de Kurdes a flambé à près de 3 000 sur cette commune habituée à une centaine.
Damien Carême se retrouve donc entre un Etat très frileux, des administrés inquiets du nombre de migrants, et MSF, son partenaire, qui n’aura peut-être pas longtemps la même approche du sujet que lui. L’ONG rappelle déjà volontiers qu’elle ne sera pas le bras armé de la politique sécuritaire française. Ni en matière de lutte contre les passeurs, très présents à Grande-Synthe, où beaucoup arrivent en ayant payé le voyage jusqu’en Grande-Bretagne ; ni en matière de contrôle des migrants dans le camp.