L’Etat devra améliorer les conditions de vie dans les campements de fortune

Le Monde.fr | • Mis à jour le | Par Maryline Baumard

La « jungle » de Calais, dans le Pas-de-Calais, le 20 novembre 2015.
Fini l’insalubrité dans tous les camps de fortune ? L’Etat, qui a été condamné lundi 23 novembre par le Conseil d’Etat à rendre les conditions de vie plus dignes dans la « jungle » de Calais (Pas-de-Calais), devra aussi rendre salubres tous les campements que compte le pays. « En tout cas si les conditions de vie y sont telles que les personnes peuvent être soumises à des traitements inhumains ou dégradants », rappelle Me Patrice Spinosi, avocat des associations et des migrants requérants.
En décidant que la « jungle » de Calais doit avoir plus de points d’eau et de toilettes, qu’un dispositif de collectes d’ordures doit être mis en place et que des voies carrossables doivent être aménagées, permettant l’accès des services d’urgence, le juge des référés du Conseil d’Etat améliorera certes la vie des 4 500 à 6 000 migrants qui campent là.
Mais sa décision changera aussi le quotidien de gens du voyage ou de Roms qui sont soumis à la même incurie que les réfugiés calaisiens. Le 23 novembre, les magistrats du Conseil d’Etat ont rendu définitive la condamnation de l’Etat prononcée par le tribunal administratif de Lille le 2 novembre. L’Etat, qui avait fait appel de cette décision, se voit donc définitivement condamné, et obligé de commencer les travaux dans les huit jours.

Saisine d’ONG et de migrants

A l’origine, Médecins du monde et le Secours catholique, tous deux très présents sur le site, ainsi que quatre des migrants qui vivent là, avaient saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lille d’un référé-liberté. Ils demandaient qu’il soit ordonné à l’Etat, à la commune de Calais et à l’agence régionale de santé de Nord–Pas-de-Calais de mettre en œuvre un certain nombre de mesures pour « faire cesser les atteintes graves » portées « aux libertés fondamentales des migrants se trouvant sur le site, notamment le droit au respect de la vie et le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ».
Le tribunal leur avait donné partiellement raison. Le Conseil d’Etat a bien relevé que « les autorités publiques font actuellement et continueront à faire dans les prochains mois de nombreux efforts pour l’hébergement ainsi que pour la prise en charge sociale, médicale et psychologique des personnes les plus vulnérables vivant sur le site ». Il a aussi estimé, que « le juge des référés du tribunal administratif avait eu raison de juger que des mesures de sauvegarde n’étaient pas nécessaires sur ce point ».
Ce jugement est une première. Pour Me Patrice Spinosi, « c’est une défaite pour le ministère de l’intérieur, qui a fait appel. Pour la première fois, nous avons la condamnation de l’Etat à propos d’un camp de réfugiés. La plus haute juridiction administrative rappelle dans une ordonnance — qu’elle a choisi de rendre publique — que l’Etat ne peut manifester un désintérêt total à propos de ce qui se passe sur son territoire au point de soumettre les migrants qui vivent là à des traitements humains et dégradants », analyse l’avocat.

Une condamnation qui tombe mal

Une approche que partage le Secours catholique, pour qui il est important que « les pouvoirs publics soient mis face à leur obligation d’assurer un accès effectif aux droits fondamentaux des gens qui vivent dans des campements », rappelle Laurent Giovannoni, le responsable du département accueil et droits des étrangers. Côté Médecins du monde, Jean-François Corty insiste, lui, sur le fait que « cette décision fera jurisprudence. En cela, c’est une décision historique », ajoute le médecin, responsable des missions en France.
Si l’Etat est condamné sur les points cités, le Conseil d’Etat a confirmé, après le tribunal administratif, « qu’aucune carence caractérisée ne pouvait être reprochée aux autorités publiques en ce qui concerne la nutrition des personnes présentes sur le site : le centre Jules-Ferry distribue des repas, et de nombreux migrants pourvoient à leurs besoins alimentaires soit grâce aux associations présentes sur le site, soit par leurs propres moyens ». Il a confirmé aussi qu’« aucune carence caractérisée ne pouvait être reprochée à l’Etat en matière d’asile dans la mesure où il était déjà suffisamment fait pour la prise en charge des migrants présents sur le site au titre de l’asile (information, accompagnement des demandeurs, places en centre d’accueil) ».
Pour l’heure, le ministère de l’intérieur n’a pas réagi. Mais cette condamnation tombe assez mal, alors que Bernard Cazeneuve a lancé une opération de « desserrement de Calais ». D’une part il propose aux volontaires qui veulent s’éloigner de cette frontière avec la Grande-Bretagne de bénéficier d’un hébergement ; d’autre part, il répartit dans des centres de rétention administrative à travers le pays des migrants arrêtés arbitrairement, qui sont dans 97 % des cas libérés par des juges, et qui regagnent Calais…

Officiellement ouvert au printemps pour libérer le centre-ville de ses migrants et les regrouper, la "jungle" a pris l'aspect d'un immense bidonville, structurée par une économie de survie. Les magasins affichent souvent l'origine du propriétaire.

 

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