Parution du Journal des Jungles n°5

Le voici! Enfin!

Nous sommes heureux de vous présenter le dernier opus du Journal des Jungles!

Toujours réalisé en partenariat avec l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs, le Journal des Jungles a été réalisé au cours d’une résidence qui s’est tenue à Cherbourg en mai 2015.  Réunis ensemble pendant 3 jours, des demandeurs d’asile accompagnés par l’Association Itinérance Cherbourg, des bénévoles de cette association et d’autres jungles du Nord Pas-de-Calais, des étudiantes de l’ENSAD-Lab et deux graphistes du Collectif Osez-nous ont modelé, fabriqué et écrit ce journal intitulé « The asylum seeker ». Ils ont cherché à apporté à la thématique de la demande d’asile l’éclairage de demandeurs d’asile et de bénévoles qui sont confrontés au quotidien aux difficultés de ces procédures.  JdJn5p2JdJn5Le Journal des Jungles est complété cette fois-ci par un  supplément: une « lettre à un réfugié » d’Atiq Rahimi!

SupplJdJn5p1

 

 

 

Rapport du Défenseur des droits // Réponse du Ministre de l’intérieur // Réaction du Défenseur des droits

Le 6 octobre 2015, le Défenseur des droits a publié un rapport accablant sur la situation des droits fondamentaux des exilés vivant sur le bidonville de Calais.

Vous trouverez ce rapport et une synthèse des recommendations ici.

Le 14 octobre, le Ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve a publié un courrier en réponse à ce rapport. Vous le trouverez ici.

A cette lettre, M. Toubon a répondu par une tribune dans Libération le 19 octobre, et sur le site web du Défenseur des droits en reprenant point par point les critique du Ministre.

Voici cette réponse:

Par un courrier en date du 14 octobre 2015[i], le ministre de l’Intérieur a réagi à la publication du rapport publié par le Défenseur des droits le 6 octobre précédent[ii].

Sur le fond, M. Toubon a pu exprimer son point de vue dans une tribune rendue publique ce jour.

La présente note a plus simplement pour objet de revenir sur les allégations d’erreurs factuelles qui seraient présentes dans le rapport.

Au préalable, on rappellera que les éléments développés dans le rapport publié le 6 octobre sont le fruit d’instructions contradictoires et de visites sur place menées mi-juin et mi-juillet 2015:

  • Déontologie de la sécurité : documents obtenus dans le cadre de demandes de communications de pièces auprès des autorités compétentes (DGPN, etc.) ;
  • Centre hospitalier et enfants : visites sur place, instructions classiques auprès du Centre hospitalier, du Procureur, de France Terre D’Asile ;
  • Hébergement et asile : visites sur place et renseignements donnés par la Vie Active et l’AUDASSE, associations agissant pour le compte de l’État.

1/ Sur les « violences policières » (pp. 9 et 10 du courrier)

Les « violences policières » que le Défenseur des droits impute aux forces de l’ordre seraient formulées « dans des termes très généraux qui ne paraissent pas permettre d’établir des faits (…), le rapport se born[ant] le plus souvent à rappeler des éléments déclarés par d’autres associations ou institutions que le ministère de l’Intérieur a déjà eu l’occasion de démentir » (p9, dernier § et suivants).

Le rapport expose longuement les raisons pour lesquelles le Défenseur des droits ne se prononce pas sur les réclamations individuelles dont il a été saisi, l’instruction contradictoire de ces réclamations étant en cours. Ce faisant, le Défenseur :

  • explique les raisons pour lesquelles l’instruction de ces réclamations n’a pas abouti (pp. 68 à 71): obstacles liés à la situation calaisienne (problème d’identification des policiers, peur des migrants de porter plainte du fait de leur situation de précarité sociale et administrative, durée limitée de vie à Calais) et obstacles juridiques (notre loi impose de demander au Procureur l’autorisation d’instruire ainsi que l’ensemble des pièces des procédures, ce que justement le Procureur ne fait malgré plusieurs relances. Le Défenseur a pointé que cette obstruction était exceptionnelle, n’avait pas lieu dans la plupart des dossiers instruits en matière de déontologie de la sécurité (p.70). A cet égard, le rapport a eu un effet très positif : toutes les procédures demandées depuis des mois ont été adressées aux services il y a quelques jours) ;
  • décide de décrire ce dont il est saisi et de le remettre dans le contexte de ce qui est plus généralement décrit par d’autres institutions (voir, notamment le rapport du Commissaire aux droits de l’homme du 17 février 2015[i]) ;
  • par ailleurs, sans prendre position sur les réclamations individuelles, le rapport pointe des éléments objectifs et précis, tirés notamment d’une note de la Direction zonale des CRS Nord du 17 décembre 2014 qui mentionne qu’« il a été fréquent de recourir à des moyens lacrymogènes […] pour tenter de repousser [les migrants], la peur de l’uniforme ne suffisant plus » et que ce recours doit même être « privilégié » pour « refouler les migrants qui viennent sur la rocade ou qui viennent trop au contact ». Le ministre ne fait mention de  cette information qui parait pourtant « établir des faits ».

Le ministre ne se prononce pas non plus sur les problèmes pointés par le rapport en ce qui concerne les cadres juridiques d’intervention qui pourraient être précisés (p.79 à 81). Or, le Défenseur des droits, pour démontrer que le cadre juridique de l’emploi de la force doit être précisé, s’appuie sur la note CRS précitée pour écrire que les forces de l’ordre elles-mêmes sont conscientes du flou qui entoure leur action et sont demandeuses de précisions :

« La défense du terrain que nous devons occuper pour des raisons stratégiques ne peut pas éternellement servir de palliatif juridique, d’autant que les agissements des migrants sont connus et répétitifs. Le cadre de la réaction perd là de son sens premier ». (p.80)

Par ailleurs, le ministre rappelle que les forces de l’ordre à Calais se trouvent confrontées « à une situation exceptionnelle extrêmement difficile ».

Le rapport revient longuement sur « les missions délicates confiées aux forces de l’ordre », c’est même le titre d’une sous-partie (pp. 78-79) au cours de laquelle il est pointé le « sentiment d’usure, voire d’impuissance des personnels » ayant notamment abouti à une vingtaine d’arrêts de travail pour raison médicale en juin 2015. Le rapport pointe même qu’ « au-delà de ce sentiment d’usure, domine également un défaut de sens donné à leur action ».

Effectivement, ce contexte de tension et d’usure, d’une part, ainsi que le manque de précisions du cadre d’action, d’autre part, favorise les « débordements ».

2/ Sur l’hébergement d’urgence et le centre de transit (pp. 4 et 5 du courrier) :

Le ministre « conteste [notre] analyse juridique selon laquelle il existerait une obligation inconditionnelle pour l’Etat d’héberger indéfiniment à Calais l’intégralité des migrants en situation irrégulière qui le souhaiteraient s’ils ne sont pas vulnérables ou s’ils ne s’engagent pas dans une démarche d’asile en France ».

Le rapport n’a jamais indiqué qu’il existait une telle obligation. Toutefois, d’une part, les migrants du bidonville sont sans abri et dans « une situation de détresse médicale, psychique et sociale » qui, aux termes du Code de l’action sociale et des familles, leur donne droit à cet hébergement (s’ils n’ont pas vocation à demeurer en France, ils seront reconduits à la frontière). D’autre part, beaucoup de demandeurs d’asile vivent encore dans le bidonville[ii] même si des efforts indéniables – que nous pointons dans le rapport – ont été réalisés dans ce sens. A ce titre, rappelons que « l’évolution favorable dans la prise en charge des demandeurs d’asile dans le Calaisis » est le titre d’une partie de près de 4 pages du rapport, pp. 38 à 41)

Le ministre fait une interprétation extensive de la jurisprudence du Conseil d’Etat sur l’hébergement d’urgence, en estimant que la juridiction administrative autorise les préfets à refuser un tel hébergement à tous « les étrangers en situation irrégulière » sauf s’ils sont dans une situation de vulnérabilité particulière.

Or, les ordonnances du Conseil d’Etat ne limitent l’inconditionnalité de l’hébergement d’urgence qu’à l’égard des déboutés du droit d’asile qui ne seraient pas dans une situation de vulnérabilité particulière. Une lecture extensive de cette jurisprudence pourrait conduire à l’étendre, tout au plus, aux étrangers faisant l’objet d’une OQTF[iii] mais en aucun cas à toute personnes (potentiellement) en situation irrégulière. Cela reviendrait à soumettre à une condition de régularité de séjour l’hébergement d’urgence, ce qui est illégal. En tout état de cause, comment considérer que ces migrants, eu égard à leurs conditions de vie, ne sont pas dans une telle situation de vulnérabilité, notamment lorsqu’il s’agit de femmes et d’enfants ?

Le ministre s’appuie sur les conclusions du rapport Aribaud-Vignon pour affirmer que l’hébergement doit « demeurer une perspective, le nombre de migrants présents aujourd’hui à Calais ne permettant pas de l’envisager à court terme ».

Pages 20 et suivantes du rapport, le Défenseur des droits critique précisément le constat fait par MM. Aribaud et Vignon au regard de l’inconditionnalité de l’hébergement d’urgence telle que prévue par la loi mais aussi au regard des articles 3, 8 et 14 de la CEDH. C’est pourquoi le Défenseur a demandé un inventaire de toutes les ressources foncières publiques afin que les bâtiments inoccupés soient utilisés pour loger ces migrants, à l’instar de ce qu’avait demandé le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (p.18).

Le centre de transit annoncé par le Premier ministre le 31 août serait en cours de réalisation.

Page 20 du rapport, le Défenseur des droits pointe le caractère sous-dimensionné d’un projet prévoyant 1 500 places alors que le nombre de migrants était estimé l’été dernier à près de 4 000 personnes (ce chiffre s’élèverait maintenant à 6000 selon les dernières informations délivrées par la presse). Il préconise un hébergement des intéressés dans de véritables structures en dur et encourage plutôt la création, avant l’hiver, de structures, plus petites qui ne soient pas concentrées en un seul lieu.

Le ministre ne donne aucun élément de réponse sur ces constats et recommandations.

3/ Sur le centre d’hébergement des femmes et le centre d’accueil Jules-Ferry

Le ministre prévoit un doublement de la capacité d’accueil du centre d’hébergement des femmes et des enfants « dans le cadre de la période hivernale » (p.4 §4), ce dispositif accueillant aujourd’hui une centaine de femmes et d’enfants.

Le rapport du Défenseur des droits donne les mêmes chiffres que le ministre quant à la centaine de femmes et d’enfants hébergées (p.49) et préconise le triplement de ce nombre de places (p.58). Ces projets vont dans le sens de la recommandation du Défenseur même s’ils restent en-deçà. En revanche, les annonces récentes faites dans la presse et celles faites aux associations évoquent plutôt des projets réalisés en mars 2016, soit après la période hivernale, ce qui n’est pas satisfaisant.

Le gouvernement rappelle avoir « pris la décision d’ouvrir un centre d’accueil de jour pour mettre  à la disposition des migrants un certain nombre de prestations auxquels ils n’avaient jusqu’alors pas accès (repas, sanitaires, douches, accès à l’eau, permanence médicale) ».

Le rapport du Défenseur pointe ces améliorations dès la page 9 :

« Si la création de ce centre, doté d’un budget de 10 millions d’euros par an conjointement alimenté par l’Union européenne, la Grande-Bretagne et la France, constitue indéniablement une amélioration au regard des conditions de vie des exilés totalement démunis, cette prise en charge n’en demeure pas moins sous-dimensionnée au regard des besoins ».

4/ Sur les critiques du rapport concernant l’asile en France (pp. 5 et 6)

Le ministre reconnait que le rapport du DDD pointe les efforts entrepris par l’ensemble des services de l’Etat » et tend à « apaiser [nos] craintes » du fait de l’existence de la nouvelle loi relative à l’asile.

Il est à noter que le Défenseur des droits a fait part de ses préoccupations en deux occasions lors de l’examen par le Parlement de la récente loi asile[iv], soulignant ce qui lui semblait insuffisant en matière de protection. A cet égard, la décision de la Commission européenne d’engager une procédure d’infraction à l’égard de la France pour défaut de communication des mesures de transposition des directives pertinentes en la matière, est de nature à conforter l’analyse du Défenseur.

5/ Sur les évacuations de campements illicites (pp. 6 et 7)

Selon le ministre, les expulsions auraient été réalisées sur le fondement de décisions de justice et auraient été menées dans un souci de protection des migrants installés sur un ancien site industriel chimique en cours d’exploitation.

Le Défenseur des droits, pas plus dans ce rapport que dans les dossiers concernant l’expulsion de familles « Roms » dont il a par ailleurs à connaître, ne conteste la nécessité de procéder aux évacuations de terrains occupés sans droit ni titre ordonnées par la justice. En revanche, il s’attache à examiner les conditions dans lesquelles celles-ci sont réalisées : qu’il s’agisse des violences policières alléguées dans ce cadre (les termes du rapport sont au conditionnel, pp. 76-77) ou bien de l’absence de diagnostic social, de solutions alternatives d’hébergement et de rupture dans la continuité des droits (alors que le droit européen ainsi que la circulaire interministérielle du 26 août 2012 l’imposent).

Le ministre précise que les jugements du Tribunal administratif de Melun annulant les OQTF pour détournement de pouvoir (car elles n’auraient eu pour objet que d’évacuer le campement et non d’éloigner les migrants du territoire français) ont été annulés par décision de la Cour administrative d’appel (CAA) de Paris le 7 octobre 2015.

En premier lieu, le Défenseur des droits ayant publié son rapport le 6 octobre, cette décision ne pouvait logiquement être prise en compte dans ces travaux. Ces jugements, frappés d’appel, n’étaient pas définitifs, pas davantage que l’arrêt évoqué susceptible de faire l’objet d’un pourvoi en cassation.

Cet arrêt de la CAA de Paris n’étant pas publié, on ne peut que se fonder sur les extraits cités par le ministre pour en apprécier la portée. Or, il semble, aux vues de ces extraits, que la CAA de Paris ne se prononce pas sur le caractère infondé en droit du moyen tiré du détournement de pouvoir mais sur l’insuffisance de faits permettant d’établir l’existence d’un tel détournement de pouvoir.

Dans les faits, il convient  de rappeler que dans ces affaires, la plupart des personnes concernées par les mesures d’éloignement précitées ont été libérées du centre de rétention par le Préfet lui-même, avant l’intervention du Juge de libertés et de la détention. Il est donc, en tout état de cause, permis de douter de sa volonté d’éloigner réellement ces personnes.

6/ Sur l’offre de soins

Il peut sembler étonnant que ce soit le ministre de l’intérieur qui réponde au Défenseur sur ce sujet qui relève de la compétence du ministère de la Santé. Cette réaction tend à confirmer ce que le Défenseur a déjà pointé à plusieurs reprises : la catégorie juridique « étranger » l’emporte sur n’importe quelle autre, le gouvernement perçoit et traite ces personnes en tant qu’étranger alors qu’elles sont avant tout malades ou en besoin de protection de santé, indépendamment de leur nationalité.

Les locaux de la permanence d’accès aux soins de santé (PASS) seraient indépendants de ceux centre de dépistage du VIH (p.8 §4)

Cette remarque a également été formulée par le directeur du Centre hospitalier de Calais.

Le rapport ne porte aucun jugement sur le fait que la PASS abrite dans ces locaux ce centre, n’en tire aucune conclusion. Il donne une description purement factuelle des lieux tels qu’ils ont été présentés par le médecin coordonnateur de la PASS, sans que cela n’ait d’ailleurs suscité le moindre commentaire de notre part.

Ces locaux ne seraient pas des « préfabriqués » mais des « structures modulaires » (p.8 §4)

Outre qu’il paraît difficile de faire la différence entre ces deux types de structures temporaires, cette précision est sans incidence dans la mesure où, de la même façon, le rapport n’en tire aucune conséquence, ni positive, ni négative. Il s’agit ici de la reprise d’un terme (« préfabriqué ») couramment utilisé par les intervenants locaux.

Il est regrettable que ce souci du détail prévale sur l’ensemble des développements positifs faits sur la PASS et les recommandations tendant à ce que ses moyens soient augmentés (p.37).

En dépit des efforts fournis par le personnel médical, manifestement très investi, la consultation médicale de la PASS souffre d’une saturation quotidienne (p.32).

Selon le ministre, la PASS prendrait « en charge tous les patients qui se présentent l’après-midi, même ceux qui se présentent au-delà de l’heure de fermeture ». « L’affirmation selon laquelle seuls les patients accompagnés à la PASS par les associations seraient pris en charge n’est donc pas conforme à la réalité » (p.9 §2)

Page 32 dernier § du rapport, on lit :

« Conçue pour accueillir une file active de cinq cents patients par an, la PASS accueille désormais quatre mille cinq cents patients pour la même période. Exerçant dans la contrainte, le personnel de la PASS est parfois obligé de refuser des patients, amplifiant ainsi les renoncements aux soins. Seuls les patients accompagnés à la PASS par des associations (La Vie Active, Médecins du Monde) sont assurés d’accéder à une consultation le jour de leur venue, les associations prenant soin d’avertir le personnel de la PASS de l’urgence de la situation ».

Il ressort de ce passage que le rapport n’a jamais affirmé ce que le ministre présente comme étant nos conclusions. Il est même tout à fait logique que, dans la mesure où il arrive que tous les patients ne puissent être pris en charge, des associations telles La Vie Active ou MDM puissent signaler aux médecins de la PASS plusieurs cas qui méritent selon elles un traitement en urgence et qu’il soit fait droit à cette demande.

Par ailleurs, c’est leur interlocuteur local qui a expliqué à trois agents assermentés du Défenseur des droits que les choses se déroulaient ainsi.

Les infirmiers viendraient désormais le matin et l’après-midi au centre Jules-Ferry selon le ministre et ce, depuis le 31 août.

Au vu des vérifications réalisées auprès des acteurs locaux le 15 octobre, il s’agit d’une organisation datant d’une semaine, soit postérieure à la publication du rapport du Défenseur (ce serait 10h-15h30 pour les hommes ou femmes non hébergées et 15h30-17h pour les femmes mises à l’abri). Auparavant, la présence était de 3 heures le matin, dont une heure pour les femmes mises à l’abri dans Jules-Ferry.

Par ailleurs, il est erroné d’écrire qu’une permanence médicale est installée à Jules-Ferry, seule une permanence infirmière y fonctionnant. La création d’une « permanence d’accès aux soins de santé mobile intervenant au sein du bidonville » est en revanche une recommandation du rapport (p.37).

L’offre en soins dentaires serait une exception dans une PASS (p.9, §1)

Le rapport décrit cette offre en des termes plutôt valorisants mais estime qu’au regard des besoins (près de 4 000 personnes en situation de très grande précarité), cette offre d’une demi-journée par semaine reste insuffisante (p. 33).

« Les soins dentaires sont assurés dans un local équipé et dédié à cet effet par un chirurgien-dentiste présent une matinée par semaine. Le praticien peut néanmoins donner un rendez-vous sous sept jours pour les soins les plus urgents. En attendant cette échéance, les infections et les douleurs dentaires sont prises en charge en consultation médicale. Il n’en reste pas moins que les moyens matériels et humains restent insuffisants pour faire face à l’importance de la demande ».

C’est dans ce sens que le Défenseur préconise une augmentation des moyens de la PASS, recommandation que ne relève pas le ministre de même qu’il passe sous silence les problèmes liés au défaut de protection maladie pointé par le rapport (p.34).

« À défaut d’une couverture maladie, les migrants n’ont pas accès à la médecine de ville, ce qui permettrait de désengorger de facto les services de la PASS et du centre hospitalier. Plus globalement, cette absence de prise en charge par l’assurance maladie implique qu’ils ne sont éligibles qu’aux seuls soins urgents et vitaux – c’est-à-dire ayant un caractère inopiné – ce qui exclut le traitement de toute affection de longue durée ».

Selon le ministre, le système d’identification des patients jugé « indigne » par le Défenseur « renvoie à la procédure PG/DQA/002 applicable au 5 janvier 2013 visant à identifier administrativement les patients inconscients ou désorientés et non accompagnés et que le centre hospitalier applique, par extension, aux migrants qui refusent de décliner leur identité » (p. 9 §3).

Si cette procédure d’indentification s’entend bien évidemment pour les patients dans l’incapacité de décliner leur identité, elle ne saurait aboutir à faire mention de noms portant atteinte à leur dignité. Or, c’est bien un interlocuteur de la PASS, qui a indiqué aux services du Défenseur le 15 juin 2015 que des noms de fruits, de légumes ou d’animaux pouvaient être donnés, information que nous avons pris le soin de revérifier auprès d’un autre intervenant de la PASS lors d’un entretien de 2 heures qui s’est déroulé le 20 juillet 2015. Ce médecin nous a indiqué désapprouver de telles méthodes. Depuis, les associations locales nous ont confirmé que d’autres termes du type « bidule » ou « machin » pouvaient également être utilisés.

Le ministre justifie cette pratique à l’égard des migrants qui refusent de décliner leur identité. Nos interlocuteurs locaux nous ont au contraire fait part d’un « présupposé » à l’égard des migrants, conduisant les services de l’hôpital à anticiper que les intéressés ne donneraient pas leur véritable nom et qu’il convenait dès lors de leur attribuer cette identification provisoire qui, en réalité, n’a rien de provisoire. En effet, contrairement à une personne arrivée inconsciente à l’hôpital et qui a de fortes probabilités d’être identifiée avant sa sortie, le migrant à qui l’on attribue une « fausse » identité la gardera jusqu’à sa sortie et lorsqu’il reviendra à l’hôpital s’en verra attribuer une autre. Au regard du droit au suivi médical dont doit pouvoir bénéficier tout patient, ceci n’est absolument pas satisfaisant.

7/ Sur les infrastructures

Il ressort des dernières confirmations obtenues des associations locales le 16 octobre 2015, les éléments de réponse suivants :

Des chemins d’accès auraient été « aménagés pour assurer l’accessibilité aux véhicules de secours ».

Les seuls chemins aménagés par les pouvoirs publics sont ceux qui partent de la rue des Garennes sur 200 à 300 m, les chemins intérieurs au bidonville ayant été réalisés par les migrants et les associations. Il n’y a pas d’autres chemins et il nous a été confirmé que les secours n’entrent toujours pas dans le bidonville[v]. Seuls quatre points d’extraction des éventuels blessés existent aux abords (à l’extérieur du bidonville) et sont les lieux où doivent être amenés les migrants malades pour être pris en charge par les secours. A cet égard, certaines associations envisagent de former des personnes aux premiers secours et au transport de blessés.

L’ouverture du centre Jules-Ferry aurait lieu de 10h30 à 19h30 selon le ministre.

Les horaires de Jules-Ferry ont changé lundi 5 octobre, la veille de la sortie du rapport, pour prendre en compte la période hivernale. Les horaires de distribution de repas ont donc été avancés à 15h et le centre ouvre, depuis moins de 10 jours, de 9h à 17h. Il n’a jamais été ouvert de 10h30 à 19h30 comme l’indique le ministre.

Il y aurait quinze robinets et non trois selon le ministre

Il existe bien trois points d’eau sur le bidonville chacun avec plusieurs robinets (environ cinq). Il est vrai que le rapport cite en un endroit l’existence de trois robinets, ce qui est en effet une coquille puisque dans tous les autres développements suivants sont bien évoqués (y compris dans les recommandations) les points d’eau et non les robinets au motif qu’ils doivent être répartis de manière à limiter au maximum la distance à parcourir pour y accéder (pp. 25-26). Il est clair, à la lecture du rapport que ce sont bien les trois points d’eau qui sont insuffisants eu égard au nombre de personnes présentes sur le site, le nombre de robinets disponibles étant d’une importance relative.

Un éclairage public de nuit aurait été installé selon le ministre

Cet aménagement est en effet intervenu depuis le 14 juillet, soit postérieurement à notre première mission (effectuée les 16 et 17 juin) qui avait justement pour but de faire le point sur l’ensemble de ces infrastructures. La seconde mission, dépêchée le 20 juillet, avait pour objectifs de traiter de la situation des enfants et de l’accès aux soins et, par suite, n’a pas, il est vrai, procéder à une nouvelle vérification de tous les points relevés en juin. L’affirmation contenue dans le rapport était donc exacte à la date du constat effectué par nos soins. Nous aurions dû en effet procéder à une mise à jour.

Nombre de bennes et ramassage des ordures selon le ministre et la maire de Calais

Le ministre évoque l’existence de quatre bennes de 20m3, une autre benne en construction, un ramassage à l’extérieur et à l’intérieur de la dune. La maire évoque quant à elle trois bennes de 15m3 et le projet d’installation d’une autre.

Selon les informations vérifiées le 16 octobre, il y a bien trois bennes (parfois une ou deux supplémentaires) à l’extérieur du bidonville et qui sont vidées régulièrement. Depuis une dizaine de jours environ, il y a un ramassage à l’intérieur du bidonville qui est financé par Médecins Sans Frontières. Des intérimaires font des rondes dans le bidonville, fournissent des sacs poubelles et ramassent les sacs pleins. Sur ce dernier point, l’affirmation du ministre selon laquelle « les services de la ville de Calais procèdent à un ramassage des ordures (…) à l’intérieur de la lande » est donc erronée.

Précisions ministérielles sur le nombre de toilettes

Dans le rapport, nous n’avions pas mentionné de chiffre sur ce point, les choses étant en évolutions et les informations données pas suffisamment fiables. Il convient de noter que le ministre indique qu’ « il est prévu d’installer 9 blocs de WC ». Selon des informations croisées datant du 15 octobre, l’Etat a installé dans le courant du mois de juillet 12 latrines chimiques à l’entrée  du bidonville rue des Garennes et 12 latrines chimiques sur le chemin de Dunes. Depuis lors, Solidarités International en a installé 15 qui viennent d’être remplacées par des 44 latrines chimiques installées par Médecins Sans Frontières. Sur ce plan aussi, l’initiative privée et associative est plus importante que la prise en charge des pouvoirs publics.

*

Au regard de l’ensemble des éléments de cette note, il semble donc que « ce sujet sensible et difficile » ait été traité, contrairement à ce qu’affirme le ministre, différemment que par une simple « compilation d’éléments, souvent imprécis, voire inexacts » mais en se fondant au contraire sur une analyse et une connaissance sérieuses du sujet, fruit de recherches, d’instructions et de visites sur place.

Ces écrits rappellent la réaction qu’avait suscitée la décision du Défenseur des droits n°2011-113 en date du 13 novembre 2012 par laquelle l’institution avait pointé des pratiques des forces de l’ordre (harcèlement et humiliations à l’égard des migrants). La réponse du ministre de l’Intérieur, Manuel Valls fait écho à celle que le Défenseur vient de recevoir.

Le ministre jugeait en effet, le 6 mars 2013, que le Défenseur des droits, s’appuyait sur des faits « non vérifiables » et « anciens » et ce, en ces termes : « les faits annoncés dans votre décision reposent essentiellement sur des déclarations de responsables d’associations rapportant des propos non vérifiables et concernant des faits anciens qu’aucun élément objectif ne peut soutenir aujourd’hui ». Et de rajouter que les plaintes existant n’avaient établi aucun « manquement aux règles disciplinaires et déontologiques » de la police et n’avaient donné lieu à aucune poursuite judiciaire.

On sait depuis que les instances européennes et internationales ont repris à leur compte les conclusions du Défenseur.

De façon plus positive, il est manifeste que le rapport du Défenseur des droits a d’ores et déjà contribué à faire évoluer certaines choses. Hormis les améliorations postérieures à la publication du rapport comme le doublement de la présence infirmière au centre Jules-Ferry, deux exemples peuvent être donnés :

  • Le Procureur de Boulogne-sur-Mer a transmis le 12 octobre 2015 toutes les procédures en attente, ce qui permettra d’être enfin en mesure de traiter ces affaires même si le retard pris par cette obstruction risque de rendre l’instruction plus difficile à mener (déperdition des preuves, départ des intéressés, etc.) ;
  • La mission sanitaire qui a été missionnée sur place le 14 octobre 2015 pour rendre des conclusions sous 8 jours a clairement expliqué aux associations « médicales » et aux autres interlocuteurs locaux concernés par la question sanitaire, que leur venue était directement liée au rapport du Défenseur des droits.

Enfin quant à l’analyse de la situation de Calais dans le contexte plus général de la situation des exilés en Europe, le ministre rappelle que « les propositions que la France a formulées alors ont préfiguré les décisions qui ont été prises ces dernières semaines au niveau européen » notamment à l’égard « des personnes en besoin manifeste de protection » qui doivent être relocalisées de manière équitable dans les autres Etats-membres.

Si le rapport relève à plusieurs reprises l’intérêt qui s’attache au système de relocalisation initié par la France et l’Allemagne, il constate que cela n’a pas eu d’impact sur les personnes présentes à Calais et ayant pourtant un besoin manifeste de protection.

Voir, par exemple, p. 45 du rapport : « En atteste d’ailleurs le fait que, si les décisions de « relocalisation » des demandeurs d’asile peuvent être jugées pertinentes en termes de volonté de rendre solidaire le traitement des demandes d’asile, elles sont néanmoins restées sans effet sur la résorption des regroupements de migrants aux frontières de l’Europe, à Calais en particulier ».

Ces dispositifs de relocalisation sont même mis en avant pour étayer nos recommandations tendant à la suspension de Dublin puisque, par définition, les règles de Dublin ne sont pas appliquées lorsqu’on « redistribue » les exilés sur le territoire européen en les relocalisant :

« Les dispositifs de relocalisation des demandeurs d’asile sur lesquels les États membres essaient aujourd’hui de s’accorder révèlent actuellement la prise de conscience par ces derniers des effets pervers induits par le règlement Dublin et de la nécessité de développer, au sein de l’Union, les mécanismes de solidarité indispensables au développement d’une véritable politique d’asile commune. Ils laissent néanmoins sans réponse la question des entraves portées au droit d’émigrer par le renforcement toujours accru des frontières extérieures de l’Europe » (p.45).

A cet égard, la critique relative à la recommandation de suspendre Dublin « qui revient à nier la crise migratoire actuelle » (p.6 §1 du courrier) est excessive : les choix opérés notamment par l’Allemagne de suspendre temporairement son application et les résolutions du Parlement européen du 8 septembre 2015 attestent que les recommandations du Défenseur des droits ne sont pas déconnectées de la réalité et qu’elles sont au contraire préconisées ou même réalisées ailleurs.

[ii] Exilés et droits fondamentaux : la situation sur le territoire de Calais

[ii] A notre connaissance, au moins 100 demandeurs d’asile sont sans solution d’hébergement depuis plusieurs semaines.

[iii] OQTF : Obligation de quitter le territoire français

[v] Cette information a, par ailleurs, été récemment rapportée par des médecins et des infirmiers le 7 octobre 2015 dans une tribune du Monde : Dans la « jungle » de Calais : « Médicalement, ce que nous avons vu est inacceptable ».

 

 

Terre d’errance menacée de poursuite judiciaire – AGISSEZ!!!

L’association Terre d’Errance intervient depuis une dizaine d’années dans le camp de Norrent Fontes.

En avril dernier, l’un des abris construit en 2012 en lien avec la municipalité de Norrent Fontes et avec l’aide de Médecins du Monde a été entièrement détruit par un incendie. Aucune proposition de relogement digne n’ayant été faite au exilé.e.s présent.e.s sur le camp, l’association a décidé de reconstruire un abris.

Vous trouverez ci-dessous une copie d’un article du blog de l’association Terre d’Errance.

Si vous souhaitez agir en soutien à l’association Terre d’Errance, poussez votre lecture jusqu’au bas de l’article.

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L’association mise en cause pour l’assemblage d’un abris pour les réfugiés. Aidez nous !

 

Ce mercredi 16, un bénévole de Terre d’Errance était entendu par la gendarmerie dans le cadre de l’enquête préliminaire menée par le procureur à cause des palettes, de la tôle et des bâches que l’association a commencé d’assembler pour abriter les exilés sans refuge qui passent par là.
Une vingtaine de personnes l’ont soutenu devant la gendarmerie.
Ce jeudi 17, c’était au tour de la présidente de l’association. Et une quarantaine de personnes étaient présentes.
Sans doute la semaine prochaine, un autre bénévole sera entendu. Nous vous préviendrons dès que possible et vous demandons de rester vigilants afin d’être plus nombreux encore pour lui !

L’association est donc mise en cause à l’heure où de grands discours d’accueil sont prononcés.
Il lui est reprochée de ne pas avoir respecté le droit de l’urbanisme alors qu’elle construit un abri d’infortune sur un terrain perdu entre les champs qui a été mis à disposition par la précédente municipalité sans que cela n’ait été contesté par le maire actuel.
Terre d’Errance est fière de son action et affirme que les autorités ne respectent pas les droits fondamentaux et notamment celui de l’hébergement inconditionnel.

En association ou individuellement, il est plus que jamais important de montrer votre solidarité:
ADHÉREZ (5€ ou plus à l’ordre de Terre d’Errance, 18 rue du grand Mariais, 62180 Ham en Artois)

ACTIONS A MENER AVEC NOUS !

ENVOYEZ NOUS UNE PHOTO DE VOUS POUR CONSTRUIRE L’HOSPITALITÉ

1/ Prenez une photo de vous avec une pancarte sur laquelle il est écrit:

« je m’appelle [votre prénom/nom] je construis l’hospitalité et je suis prêt.e à être poursuivi.e »

2/ Envoyez-nous votre photo à cette adresse : abrisolidaire@gmail.com
3/ si vous avez un profil facebook, nous vous demandons de taguer le profil de Terre d’Errance et de mettre cette photo en profil toute la journée du samedi 10/10.
Ce jour là, nous construirons un abri virtuel avec toutes les photos solidaires.
Merci de faire tourner votre photo sur et dans les réseaux, merci d’inviter vos amis sociaux à faire de même

PARTICIPEZ A LA JOURNÉE ET A LA SOIRÉE DE SOUTIEN LE SAMEDI 10 OCTOBRE

https://www.facebook.com/events/503149936527839/
Au camp de Norrent-Fontes à partir de 11h (spectacles, concerts, jeux, ateliers et auberge espagnole en présence d’HK & le Saltimbank, de Cirqu’en Cavale, de Aire Hip-Hop et bien d’autres…) En salle à partir de 18h à Ham en Artois, rue de l’église au « complexe du Vert Feuillage »(jeux de société, jeux traditionnels en bois puis concerts en soirée: programmation en cours)

D’avance, merci et à très bientôt !

Les milivoles et bénétants de Terre d’Errance

06.95.28.29.43.

terrederrance@mon-asso.org
https://www.facebook.com/terrederrance

Mobilisation « Refugees Welcome » // 19 septembre // Calais

Venez vous joindre à la mobilisation en solidarité avec les réfugiés!

#Refugeeswelcome

12h – Rendez-vous au bidonville de Calais (à côté du Centre Jules Ferry)
13h – Départ de la marche à partir de la Rue des Garennes en direction du port
14h – Rassemblement le long des grilles du port (Av J-Y Cousteau)

  • Temps d’expression artistique avec des toiles accrochées au grille du port
  • Lecture de la Déclaration commune de solidarité et signature par l’ensemble des participants
  • Temps de commémoration pour les morts aux frontières – minute de silence avec l’ensemble des participants allongés sur le sol
  • Un moment « Make it personnal » – Partage avec les réfugiés: les participants peuvent venir avec une lettre de bienvenue et éventuellement un vêtement chaud à offrir à une personne exilée
  • Qui suis-je? Portrait de personnes avec un panneau « I am… » (je suis… un père,  je suis… un ingénieur, je suis… Ibrahim, je suis … un fils de réfugié… je ne suis pas illégal….)
  • Portrait de citoyens solidaires avec l’association Terre d’Errance Norrent Fontes, poursuivie en justice pour avoir construit un abris pour les exilés.

Calaid-poster-04-09-2015-v4-FR

 

 

Il s’agit d’une guerre aux migrants: pas de la fatalité ou de la responsabilité des passeurs

Article rédigé par l’association Migreurop publié par  Mediapart dans le cadre de l’opération #Open Europe

Les passeurs sont régulièrement désignés dans les discours politiques comme responsables des « drames de la migration », mais ce sont les politiques migratoires (de l’UE, des Etats membres) qui sont chaque année la cause de drames humains, et favorisent le business de la grande criminalité organisée, tout en criminalisant ceux qui aident par solidarité.

Lorsque que, le 10 septembre 2014, plus de 500 personnes ont disparu en mer alors qu’elles tentaient de rejoindre les côtes maltaises, l’OIM (Organisation internationale pour les migrations) a parlé de « meurtre de masse », dont les « passeurs » étaient les coupables.

Après les terribles naufrages du mois d’avril 2015, la Commission européenne a appelé à une réponse énergique de l’UE pour en finir avec cette hécatombe. Dans son Agenda Européen sur la Migration du 13 mai , elle propose trois axes d’intervention pour éviter que des personnes tentent la dangereuse traversée de la Méditerranée : une meilleure surveillance des frontières maritimes de l’UE, une coopération renforcée avec les pays d’origine ou de transit des migrants pour empêcher les départs, et une lutte accrue contre les réseaux criminels (trafiquants et passeurs). Le 18 mai 2015, le Conseil européen a adopté une « Décision relative à une opération militaire de l’Union européenne dans la partie sud de la Méditerranée centrale (EUNAVFOR MED) », destinée à « démanteler le modèle économique des trafiquants ». Elle permet aux Etats membres de l’UE d’intervenir en haute mer pour arraisonner les navires soupçonnés de se livrer au trafic de migrants, de « capturer et neutraliser ces navires », et de les « éliminer et les mettre hors d’usage ».

La presse se fait volontiers le porte-parole de ce discours qui fait porter aux « passeurs » la responsabilité des épisodes dramatiques qui jalonnent les parcours migratoires. On note pourtant que bien peu d’information est fournie sur ces passeurs (qui sont-ils, comment agissent-ils, quelles relations entretiennent-ils avec les « passé.e.s », etc.), et que la figure du passeur a connu une profonde transformation au cours des dernières années ou décennies.

Ce billet a pour objet de fournir quelques informations, sources documentaires et éléments de réflexion pour contribuer à ce que le débat public ne se limite pas à un paysage consensuel brossé à gros traits peu vérifiés, parfois caricaturaux.

Les passeurs : une figure en évolution

Le regard sur le passeur a évolué de façon parallèle à celui qui est porté sur les personnes revendiquant leur droit à demander l’asile. Au début des années quatre-vingt, le profil type du demandeur d’asile a changé, au gré de la géopolitique (effondrement du bloc communiste) et de l’évolution de la définition de réfugié (élargissement des zones géographiques entre autres : moins intellectuel, moins blanc, jeté sur la route de l’exil pour des causes plus complexes que celles qui avaient chassé ses prédécesseurs, victimes de la guerre froide et de dictatures bien identifiées). De héros à qui il faut venir en aide il est devenu un fraudeur, voire un terroriste – une tendance accentuée après le 11 septembre 2001.

C’est en même temps que change le regard sur les passeurs, pendant longtemps considérés comme des sauveurs : ainsi, pendant la guerre d’Espagne, ceux qui aidaient les républicains ou les anarchistes à se rendre en France ou, pendant la seconde guerre mondiale en France, ceux qui faisaient franchir la ligne de démarcation aux personnes poursuivies par le régime de Vichy. Les années de guerre froide voient naître des passeurs qui aident à franchir le mur de Berlin et la frontière Est/Ouest, à une époque où on s’indigne de ce que des États empêchent leurs citoyens de quitter leur pays ; une pratique aujourd’hui admise, voire encouragée par les Etats européens qui, dans le cadre de l’externalisation  des contrôles migratoires, font pression sur leurs voisins du sud pour qu’ils « retiennent » les migrants tentés de prendre la route vers l’Europe, y compris leurs propres ressortissants (voir Migreurop, « Emigration illégale » : une notion à bannir).

En 2004, le Cap Anamur (bateau d’une association allemande du même nom) connut une longue errance dans l’indifférence quasi-générale : longtemps interdit d’accostage, refoulé aux frontières maritimes de l’Europe pour avoir accueilli à son bord 37 rescapés africains d’une barcasse en perdition, une partie de son équipage fut ensuite inculpée d’« aide à l’immigration illégale », et ses passagers interdits de demande d’asile – au mépris de la convention de Genève. (Voir Migreurop, Cap Anamur – appels, chronologie, presse).

Le durcissement des politiques migratoires et le 11 septembre 2001 étaient passés par là : le migrant est désormais considéré comme un fraudeur, un profiteur, voire un terroriste, dont l’examen de la demande d’asile est souvent sommaire (quand elle a lieu). Et « le » passeur un criminel, petite main de la grande criminalité organisée. Il est devenu un trafiquant, coupable de traite des êtres humains (voir ci-après criminalisation des passeurs).

Les passeurs : une réalité multiple

Il existe bel et bien des réseaux criminels investis dans l’acheminement de personnes d’un point à l’autre du globe au travers des frontières, qui font payer ce service à celles et ceux qui en ont besoin, et à leurs proches. On se trompe en revanche en imaginant que les migrant.e.s qui ont recours à des passeurs ont tous et toutes utilisé les services de ceux-ci de leur ville ou village de départ jusqu’à leur arrivée dans telle ville d’un État européen (ou d’Amérique, d’Australie…). Beaucoup témoignent avoir eu un itinéraire en tronçons successifs, avec parfois de longues périodes à travailler ou survivre dans la précarité en attendant d’avoir trouvé un passeur pour l’étape suivante de leur voyage. Pour certains, le service du passeur a consisté essentiellement en la fabrication de faux documents permettant d’emprunter une ligne régulière de transport (avion, bateau, train, car). Pour d’autres le passeur a été un accompagnateur de fait pour la traversée de tel obstacle ou telle frontière mais pas pour l’ensemble de leur voyage. Les activités de passeur sont d’une très grande variété.

On voit enfin en de nombreux endroits une auto-organisation de migrants, pour la survie et pour l’organisation du passage : dans les « jungles » du Calaisis, comme dans les « camps de la montagne » marocains ou en Grèce (voir Passeurs d’hospitalité, Que sont les passeurs ?).

Qui est passeur et qui est bénéficiaire des services de passeur ?

Il est parfois bien difficile de le dire… « Il y a quasiment autant de profils de passeurs que de voyages d’exil. Certains passeurs prennent des risques et concrètement, ils permettent de sauver des vies, même si leurs services sont rétribués. Un grand nombre de « passeurs », notamment par voie terrestre, sont des intermédiaires, qui prennent en charge des migrants sur une partie du chemin de l’exil. Ils sont parfois eux-mêmes de migrants résignés, qui ont tenté plusieurs itinéraires pour rejoindre leur destination et connaissent les différentes routes qui « marchent » ou ne « marchent pas ». Ils sont alors plus ou moins aidants, plus ou moins intéressés. Il y a aussi ceux qui, moyennant finance, fournissent des faux papiers – souvent avec la complicité d’autorités locales corrompues – à des personnes qui peuvent ainsi prendre l’avion et fuir le danger. Ils sont faussaires, usurpateurs d’identité, mais aussi résistants et sauveteurs, et parfois eux-mêmes demandeurs d’asile à l’arrivée. » (ACAT France, Qui sont les passeurs ?). Les pratiques mises en œuvre au nom de la lutte contre l’immigration illégale génèrent par ailleurs des phénomènes qui brouillent encore les cartes.

À Mayotte on rencontre ainsi des « enfants passeurs », qui, pour le tiers ou le quart du prix habituel du passage, s’engagent à se faire passer pour le passeur en cas de contrôle (voir Plein Droit n°84, Les enfants passeurs de Mayotte).

À la gare du Nord à Paris, face à l’exigence, aux guichets, de documents prouvant le droit au séjour de certains clients (exigence « au faciès »), des étrangers en situation régulière et des Français se sont mis à acheter des billets pour le compte d’autres.

Criminalisation de l’activité des passeurs

Bien sûr, il existe des criminels parmi les passeurs, des gens qui abandonnent en pleine mer ou en plein désert, qui enferment dans des camions frigorifiques, qui violent et rançonnent, qui livrent à la police moyennant récompense etc. Mais il abusif et dangereux de faire l’amalgame entre l’activité des « passeurs » et ce qu’on appelle le trafic criminels d’êtres humains (voir Natalia Paszkiewicz, Le danger d’assimiler trafic de migrants et traite humaine).

Amalgame abusif

Les personnes qui apportent une aide aux migrants sont souvent poursuivies pour « délit de solidarité », nom donné, en France, par les militants des droits de l’Homme au délit « d’aide à l’entrée, la circulation ou le séjour d’un étranger en situation irrégulière ». Dans de nombreux pays, cette activité est passibles de poursuites pénales (voir Migreurop, Les législations internationales qui prévoient le délit de solidarité). Ainsi, en 2007, sept pêcheurs tunisiens, pour avoir porté secours à une embarcation de migrants en grande difficulté au large de Lampedusa, ont été poursuivis pour « aide à l’entrée illégale sur le territoire », ont vu leur outil de travail confisqué et ont passé, pour certains, plusieurs mois en prison avant d’être finalement relaxés (voir : Migreurop, (presque) tout sur le procès d’Agrigente).

Amalgame dangereux

Cette criminalisation de l’aide aux migrants, par son aspect dissuasif, contribue à fragiliser la situation des personnes qui ont réellement besoin de franchir les frontières qu’on leur interdit de passer légalement. Elle les oblige, tout comme les autres volets de la lutte contre l’immigration irrégulière, à recourir à des moyens encore plus dangereux pour parvenir à leur fin. Elle met en évidence l’hypocrisie de politiques fondées sur la répression, qui incitent à la violation des règles qu’elles fixent, et enrichissent les vrais passeurs mafieux (tout comme la Prohibition aux USA de 1920 à 1933 a fait la fortune de la mafia).

La présomption de culpabilité est souvent bien faible : des migrants sont poursuivis sur la seule fois de rapports de police bien difficiles à contester, ou des personnes sont jetées en prison parce qu’elles avaient communiqué avec des passeurs ou présumés tels.

« Perturber les réseaux des passeurs ne fera que contribuer à augmenter les dangers liés au fait de traverser la Méditerranée tout comme ce fut le cas avec la militarisation de la lutte antidrogue : il est probable que les prix des passeurs augmentent, ce qui exposera alors les émigrants à un risque plus élevé en termes d’abus. » (Natalia Paszkiewicz, Le danger d’assimiler trafic de migrants et traite humaine).

Les passeurs, pourquoi ? Les politiques « migratoires » en cause

Actuellement, si les passeurs peuvent être incriminés (cf. en bibliographie les articles de Carine Fouteau sur mediapart fin décembre 2014), le cynisme est plus du côté des responsables politiques européens qui rechignent à accueillir des personnes en quête de protection (95% des 4 millions de réfugiés syriens se trouvent en Irak, Jordanie, Égypte, Liban et Turquie). Les interminables marchandages auxquels se sont livrés les Etats membres de l’UE lorsque la Commission européenne leur a demandé, au mois de mai 2015, de « relocaliser » quelques dizaines de milliers de demandeurs d’asile en témoignent une fois de plus.

Pourtant, les politiques migratoires répressives (de l’UE, des Etats) n’empêchent pas les gens qui le veulent de partir. En revanche, elles les poussent à prendre des voies de passage de plus en plus dangereuses. L’observation des modes opératoires utilisés pour la traversée de la Méditerranée au cours des dix dernières années montre en outre que les passeurs savent parfaitement s’adapter aux contraintes qu’impose la diversification des dispositifs de surveillance.

La construction de murs, le développement de moyens militaires pour le contrôle des frontières et les tentatives de blocage des migrants avant même qu’ils aient quitté leur pays ne font nulle part, à long terme, la preuve de leur efficacité. Mais ils sont chaque année la cause de drames humains, et favorisent le business de la grande criminalité organisée, tout en criminalisant ceux qui aident par solidarité.

« De nombreux gouvernements semblent vouloir détourner l’attention de leurs manquements en faisant de la crise mondiale des réfugiés une question de traite ou de trafic d’êtres humains. Ils ont raison, mais pas dans le sens où ils l’entendent. Selon les gouvernements, les trafiquants et les passeurs sont le problème. En réalité, le trafic ou la traite d’êtres humains est la conséquence, la cause principale étant l’action inadaptée des gouvernements. Lorsque les gens sont désespérés, rien ne peut les empêcher de partir. Les gouvernements portent une responsabilité morale en leur interdisant d’emprunter des moyens sûrs et légaux, et les contraignent de fait à faire appel aux services de passeurs ou les exposent à l’exploitation des trafiquants » (Amnesty International, Crise des réfugiés. Ce sont les gouvernements, et non les passeurs, le vrai problème).

L'Ezadeen dans le port de Corigliano en janvier 2015L’Ezadeen dans le port de Corigliano en janvier 2015

 

 

Calais, cette frontière tue!

Tribune publiée dans le Plus de l’Obs (supplément internet de l’Obs). Elle est signée par Céline Barré, Martine Devries, Claire Dimpre, Lou Einhorn et Jean-Marie Gueuret, membres d’associations et militants à Calais et sur le Littoral de la Mer du Nord. La frontière tue

Manifestation du 18 décembre 2014 contre le mur de la honte

 

Huit morts en deux mois : deux femmes, un bébé, deux jeunes, 3 hommes dans la force de l’âge. A Calais, la frontière avec l’Angleterre tue encore et encore !

Financée par le gouvernement britannique, une barrière grillagée vient d’être érigée, rehaussée de barbelés, surmontée de lames de rasoir. Elle interdit l’accès au domaine portuaire, les exilés se rabattent alors sur le site du Tunnel sous la Manche : loin de créer de la sécurité, la barrière produit de la mort.

De loin, un mort est un chiffre. De près, c’est une personne que les bénévoles et les militants des associations accompagnaient, que ses amis, sa famille aimaient.

De loin, c’est une politique qui ne marche pas. De près, ce sont des femmes et des hommes, un bébé. Insupportable et révoltant.

De loin, l’intention est de « sécuriser ». De près, cette barrière signifie pour de nombreuses personnes l’augmentation du danger et de la prise de risque. Car rendre plus difficile le passage d’une frontière ne fait pas disparaître le souhait de la traverser quand c’est la survie qui est en cause. Au contraire, cela rend indispensable le recours aux passeurs, véritables techniciens du passage, qui se font payer, et les tarifs augmentent !

Pas d’argent ? Il reste la tentative désespérée, avec une prise de risque extrême, et les exilés en sont parfaitement conscients. Il ne s’agit pas de les « prévenir », aucune campagne de prévention et aucun panneau d’affichage n’y pourra rien. Ils savent ce qu’ils risquent, mais le sentiment de n’avoir plus que ça à tenter est plus fort, la détermination est entière. Et le désespoir, face à des conditions de vie insupportables en France, est majoré encore par les accidents graves, trop souvent mortels, dont ils sont les témoins impuissants. Face aux conditions de vie qu’ils ont quittées, au parcours qu’ils ont déjà effectué et à « l’accueil » qui leur est proposé en France ou ailleurs, ils font le pari que le jeu en vaut la chandelle.

Que faire alors ?

Il n’y a pas de solution simple.

Pour les bénévoles et les militants des associations, malgré leur fatigue et leur lassitude, c’est être à côté des exilés pour apporter un soutien : des soins, de l’eau, de la nourriture, des vêtements, du matériel pour la mise à l’abri, une présence amicale, des informations sur leurs droits…

Actuellement, les Etats membres de l’Union Européenne (dont la France et la Grande Bretagne) limitent leur accueil sous le prétexte du « risque d’appel d’air » : Cette inaction, en matière d’accueil et d’information sur les droits, conduit de nombreuses personnes remplissant les critères de la Convention de Genève, à poursuivre leur fuite en avant dans l’espoir de commencer enfin à vivre.

Une véritable réflexion sur l’ouverture de voies légales d’accès au territoire européen – dont le territoire britannique –  et sur les modalités de circulation en son sein, doit donc être menée. Cela nécessite une remise à plat des accords européens ou bilatéraux tel que l’accord du Touquet. C’est urgent !

Mais aussi, il faut une application réelle, enfin, des lois de notre pays concernant la protection des mineurs et des personnes vulnérables et l’hébergement des demandeurs d’asile. Ce sera un signe fort de la mise en place d’une politique plus hospitalière. A Calais, dans le nouveau bidonville, vivent plusieurs centaines de demandeurs d’asile et des dizaines de mineurs et des femmes enceintes. Ces personnes doivent être protégées et hébergées.

Actuellement les politiques mises en place en France contreviennent aux principes de notre République et aux fondements mêmes de notre société.

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Peut-on continuer longtemps à encourager la peur, voire la haine de l’autre, à construire des murs? Le mur d’hier à Berlin, de sinistre mémoire. Les murs d’aujourd’hui : à Calais, mais aussi en Bulgarie, en Hongrie, en Turquie…Peut-on continuer à enfermer, à s’enfermer ?

 

N.B. A la suite de la publication de cette tribune, nous avons appris la mort d’une nouvelle personne dans la nuit du 28 au 29 juillet. Cela porte à neuf le nombre de morts connus depuis le début du mois de juin!

Calais // Mobilisation de syriens

Reprise d’un article publié dans le blog « Passeurs d’hospitalité » le 28 juin 2015.

 

Les syriens dans l’entonnoir calaisien se mobilisent

Ce samedi 27 juin 2015, un groupe de Syriens a quitté le bidonville voisin du centre Jules Ferry pour manifester place d’Armes. Avec les syriens qui survivent sur le parvis de l’église Saint Pierre-Saint Paul et le quai du hangar Paul Devot, (près du phare), ils se sont regroupés avec détermination, des revendications claires, des banderoles. Depuis ce matin ils ont décidé de rester là jusqu’à ce qu’ils soient entendus. Et si la crainte était là de se faire éjecter par les « gardiens de la paix » dans la soirée, aux dernières nouvelles en ce début de dimanche 28 juin, ils sont toujours là, et  ils sont décidés à revenir et persister en cas de dispersion.

Un militant nous transmets leur message:

1. Constat :
Il y a selon eux entre 70 et 80 syriens répartis sur 3 sites : la jungle, le parvis, et le quai.
Aucun demandeur d’asile en ce moment!

2. Le danger :
Se rendre en Angleterre, pour eux, est un acte dangereux ! Ils sont non seulement conscients des risques mais ils les ont subi aussi …
Rappel : M , jeune syrien qui s’est noyé , S., syrien à qui l’ont doit aujourd’hui donner à manger , des menaces par armes à feu d’un routier , le gaz, les coups,  un érythréen mort cette semaine …
Il ne veulent plus de ça !

2.  Pourquoi l’Angleterre ?

D’abord, parce qu’ils parlent anglais , et ce n’est pas à banaliser lorsqu’on souhaite débuter une nouvelle vie ailleurs…

Puis, parce qu’ils ont pour beaucoup des proches là bas !

Enfin, parce que les conditions d’accueil là bas sont beaucoup mieux gérer qu’ici! En effet, la France leur propose l’asile mais les laisse dehors encore quelques mois alors qu’en Angleterre ils sont hébergés sur le champs et dignement.

4. Dignité

Les syriens réclament le droit à la dignité!
Ils ne sont pas des animaux et réclament leur statut d’êtres humains!

Ils souhaitent donc communiquer avec les gouvernements franco-britanniques,  dialoguer et trouver des solutions fiables afin de se rendre en Angleterre légalement, en sécurité !

RAPPEL:

en novembre 2014, d’autres syriens du parvis de l’église se sont aussi mobilisés avec banderoles, tracts, déplacement à Boulogne au consulat britannique.

Pentax Digital Camera

en septembre-octobre 2013, les syriens éjectés du squat rue Mouron, revendiquaient sur la passerelle piéton du terminal des Ferry.

PS: appel à tous à soutenir ce mouvement spontané.

PS2: Des syriens survivent sous le porche de l’église et du quai près du phare de Calais depuis juillet 2014. Cette fin juin 2015, ce ne sont évidemment pas les mêmes personnes.

Les invités de Mediapart // Michel Agier // Le camp de regroupement de Calais : retours sur une violence

   Ici, l’article original

L’anthropologue spécialiste de l’exil et des camps, Michel Agier (1) propose une analyse sur ce qui se passe actuellement à Calais. « Les associations de citoyens bénévoles sont en train de se faire déloger du dispositif qui se met en place. On est maintenant dans une logique de type humanitaire-sécuritaire où ces associations ne trouvent plus leur place, ni ne savent comment donner sens à ce qu’elles font ou voudraient continuer à faire. »


« Bidonville d’État », « New jungle », « Sangatte sans toit », « Ghetto Cazeneuve » : les manières de nommer sont importantes, certes, mais c’est d’abord le lieu lui-même qui interpelle. Invité à voir et commenter ce qui se passe à Calais, en regard d’une expérience de plusieurs années de recherches sur les camps dans le monde (camps de réfugiés, camps de déplacés internes, campements de migrants), j’ai rencontré pendant deux jours plusieurs personnes parmi les intervenants du monde associatif, du « centre Jules Ferry », et parmi les migrants. Ce que j’ai ramené de cette visite est la proposition d’un regard décentré sur l’ensemble de la situation, sur ce qui se passe là en ce moment, et un constat. Celui-ci peut tenir en quelques mots : ce qui se passe aujourd’hui à Calais est la mise en place d’un camp de regroupement sécuritaire-humanitaire sous le contrôle de l’État. Une mise à l’écart violente. Une immobilisation d’étrangers en mouvement. Une séparation des migrants et de la ville.

La complexité de cette situation est à la fois juridique, politique, logistique, et humaine ; elle est en constante évolution. J’essaierai de la décrire et de proposer quelques commentaires.

Des expulsions − un regroupement forcé − un enfermement dehors

La fermeture très médiatisée en 2002 du centre de la Croix-Rouge de Sangatte par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, devait mettre un terme à une visibilité acquise par le « hangar de Sangatte » qui dérangeait l’image lissée d’un pays démocratique. La fermeture du lieu et l’expulsion des étrangers qui l’occupaient, préparaient aussi ce qui s’institua cinq années plus tard, avec l’élection présidentielle de Nicolas Sarkozy, comme un nationalisme identitaire et une xénophobie par le haut, au plus haut niveau de l’État. Officiellement et systématiquement repoussés et rendus « invisibles », les migrants en transit, et parfois en errance, dans cette région se sont régulièrement regroupés dans des campements informels de petites tailles, ou dans des squats, au sein ou autour des principales villes et notamment de Calais. Le campement des migrants afghans de cette ville, ouvert en 2002, fut détruit en octobre 2009. Au cours de ses sept années d’existence, cette « jungle » aux abords de Calais a pu parfois atteindre jusqu’à 600 occupants, ce qui représente un nombre très important pour ce genre d’occupation : un refuge comme il en existe des milliers dans le monde, créé par les migrants eux-mêmes de la même manière qu’on « ouvre » un squat. Ce sont des campements urbains où l’on se regroupe faute d’asile, en occupant les interstices de la ville – quais, parcs, squares, terrains vagues, immeubles vacants ou abandonnés. Ces lieux de refuge ont pu trouver à Calais comme dans les petites villes proches, des soutiens solidaires de la part des voisins. Près d’une dizaine de campements ont existé entre Calais et Dunkerque, les uns restant précaires alors que d’autres ont pu faire l’objet d’un soin donné par les habitants, et parfois par les mairies. En témoignent les associations formées en solidarité avec les migrants, comme Terre d’errance dans le village de Norrent-Fontes, un village dont on entend le nom très loin sur les routes des migrants − comme un repère fiable sur les trajets dangereux de l’exil. À Calais, les campements et squats de la ville ont été des lieux de grande précarité, mais ils faisaient aussi l’objet d’une solidarité de la part des habitants : distributions de repas, d’habits, de chaussures, soins médicaux, informations et aides concrètes sur les procédures administratives, apprentissages linguistiques, etc. Se sont ainsi constituées une vingtaine d’associations (ou de sections locales d’associations nationales) regroupées ensuite dans la « Plateforme de Services aux Migrants ».

Le nouvel emplacement créé en avril dernier semble être la troisième occurrence du même camp après Sangatte et la « jungle » de Calais. Mais il n’en est rien. Si le hangar de Sangatte (1999-2002) était un camp de transit géré par la Croix rouge, si la « jungle » (2002-2009) était un campement-refuge créé et géré par les migrants, c’est un camp de regroupement sous contrôle de l’État qui est en train de se mettre en place. En agrégeant certaines des associations locales au projet de « translation » (terme officiel), en les incitant à aider la sous-préfecture à organiser l’évacuation des migrants des campements et squats et leur transfert, sous le chantage qu’à défaut de cette collaboration, les autorités seraient « contraintes » d’employer la force, l’État a fait d’une pierre deux coups. D’une part, il a réalisé sans heurts apparents l’évacuation des squats et campements de Calais et le regroupement des migrants dans un espace situé à l’écart, à sept kilomètres de la ville. D’autre part, il a jeté le trouble dans le milieu associatif, qui s’est trouvé piégé par l’opération, et s’interroge sur l’avenir de son action. Parce qu’elles ne voulaient pas se couper de la réalité, ne pas perdre la main et rester solidaires des migrants, parce que Calais est une ville-frontière qui a depuis toujours l’habitude du passage des migrants et de leur accompagnement, elles ont voulu que le « déménagement » se fasse dans les meilleures conditions, sans conflit. L’opération d’euphémisation dans laquelle elles se sont trouvées embarquées ne leur laissait guère le choix. Mais ce fut bien, au fond, une opération gouvernementale de « pacification » par le déguerpissement urbain et l’encampement des migrants. Les conditions sanitaires étaient au départ celles du pire bidonville, d’où le nom, pleinement justifié, de « bidonville d’État » qui a été donné par les associations, maintenant davantage critiques contre l’opération et ses conséquences. La mise en place de deux points d’eau et de huit toilettes chimiques sur un espace de 18 hectares et pour plus de 3 000 personnes, ne change pas fondamentalement la logistique précaire du lieu.

En attendant, 3 000 personnes sont bloquées là, bientôt 5 000 d’après ce qu’annoncent certains responsables associatifs. C’est bien, j’y reviens, un camp de regroupement si on le replace dans la logique globale des camps. Les camps de regroupement consistent, dans le dispositif des camps en général et notamment en Afrique, à réunir des populations plus ou moins nombreuses de déplacées internes ou réfugiées initialement établies près des villages ou dispersées dans les villes, pour les conduire, parfois par camions entiers, et pas toujours avec leur accord, vers des camps où opèrent des administrations nationales ou internationales, ainsi que des organisations non gouvernementales ou des entreprises privées. Des raisons d’ordre logistique sont généralement mises en avant (travailler à plus grande échelle, plus efficacement, plus professionnellement), mais le camp de regroupement existe aussi pour faciliter les opérations de triage et de contrôle des personnes selon leur statut juridique, leur nationalité, leur âge, sexe, situation familiale, etc. L’opération est simultanément sécuritaire et humanitaire. Cet éclairage peut aider à comprendre ce qu’il se passe en ce moment dans le camp de regroupement de Calais.

« Circulez, y’a rien à voir » : séparer les migrants de la ville

Les associations de citoyens bénévoles sont en train de se faire déloger du dispositif qui se met en place. On est maintenant dans une logique de type humanitaire-sécuritaire où ces associations ne trouvent plus leur place, ni ne savent comment donner sens à ce qu’elles font ou voudraient continuer à faire. Elles ne réussissent plus à distribuer du pain, de la nourriture, amener des vêtements, parler avec ceux des migrants que les bénévoles connaissent déjà, parce qu’il y a beaucoup trop de monde, parce que la foule même des migrants devient effrayante pour les personnes âgées ou les jeunes mères de famille qui viennent là avec leurs enfants pour faire et enseigner les actes de solidarité, et se trouvent désemparées. Leur propre marginalisation est le signe du passage d’une solidarité de citoyens quelconques à un dispositif technique dont le langage politique est « Circulez, on s’en occupe, y a rien à voir ». L’entreprise « Vie active » qui gère pour la préfecture le centre de service Jules Ferry (4 douches pour 3000 personnes à raison de 4 minutes par personne, distribution de repas une fois par jour, etc.) recrute maintenant du personnel de service en CDD (un contingent de trente places offertes mi-juin). Nous avons pu voir un jeune homme se présenter à l’embauche, muni de son diplôme d’auxiliaire de vie, quelque peu perplexe face au portail fermé où s’agglutinaient une cinquantaine de migrants ou plus, attendant l’heure de la douche. Il finit par se faire reconnaître d’un employé qui le fit entrer. Contrôlée par des agents de service munis de leur gilet orange et de leur talkie-walkie, l’entrée sécurisée n’est guère accueillante pour les bénévoles des associations. Ceux-ci voient leur manière de travailler contestée par  les responsables de l’entreprise gestionnaire, parce qu’ils ne sont pas ponctuels, pas rapides, pas assez professionnels en général. Les bénévoles des associations eux-mêmes sont excédés, se sentent rejetés, certains renonçant à achever l’intervention pour laquelle ils étaient venus, puis renonçant à revenir là.

Ajoutons que sur les trois voies qui longent l’espace du camp dans son ensemble, des voitures de police circulent en permanence. L’un des bords est l’autoroute qui conduit vers le port, sur lequel un haut grillage est en construction (une barrière existe déjà de l’autre côté de l’autoroute). C’est là que la police interpelle tous ceux qui sortent du camp et s’approchent de la route, pour les mener en centre de rétention.

Des ONG professionnelles humanitaires sont tentées d’intervenir dans un dispositif qu’elles « reconnaissent » pour avoir vu des choses similaires ailleurs, dans les pays du Sud et où elles se sentent les plus compétentes. Et l’on peut penser qu’en effet la scène sécuritaire qui se met en place à travers le regroupement et l’encampement de tous les migrants qui passent par là, se verrait bien augmentée d’un volet humanitaire. Ce dernier rendrait la mise à l’écart plus « acceptable » aux yeux des citoyens d’un pays démocratique selon le principe de la politique de l’indifférence.

La violence est ce qui domine la situation. Il y a quelques semaines, la leader du Front National, Marine Le Pen, avait répondu à une question d’un journaliste à propos de la « crise migratoire » et des morts en Méditerranée avec ces mots : « D’abord il faut arrêter de leur dire ‘Welcome’ ». La forme-camp qui se met en œuvre en ce moment à Calais correspond à cette injonction xénophobe, elle est compatible avec la fermeture des frontières. Il y a de ce point de vue un rapprochement à faire avec l’espace d’entre les frontières italo-françaises, à Vintimille, où sont confinés depuis plusieurs jours des migrants arrêtés sur leur parcours et regroupés là, dans ce qu’on appelait autrefois le « no man’s land » et qui s’avère être une frontière dense, un « full of men’s land ». De même, le camp de Calais fait fonction de frontière dans le même contexte. De plus en plus, la difficulté et bientôt l’impossibilité d’en sortir sont manifestes. D’abord par l’éloignement de la ville, puis par la séparation d’avec les citadins citoyens solidaires, puis avec la présence active de la police dans son pourtour, et maintenant par les expéditions violentes de certains groupes d’extrême droite contre les migrants pouvant apparaître en ville. L’étau se resserre.

Questions

Qu’est-il possible de faire ? Déjà, le fait étant accompli, la suppression pure et simple du camp, c’est-à-dire sa destruction, poserait de nouveaux problèmes et enclencheraient de nouvelles violences. Deux pistes me semblent cependant mériter l’attention.

D’une part, la moitié des encampés de Calais pourraient en sortir tout de suite si l’on procédait aux régularisations rapides du genre de celle que l’OFPRA (Office Français pour la Protection des Réfugiés et Apatrides) a faite pour les demandeurs d’asile érythréens au début du mois de juin. Beaucoup d’Érythréens non enregistrés à ce moment-là, des Soudanais du Sud ou du Darfour qui auraient autant de légitimité qu’eux à recevoir l’asile, d’autres Africains en errance depuis tant d’années qu’ils n’ont plus où « retourner » dans des conditions vivables, une partie au moins des Syriens, des Kurdes, une partie peut-être des « vieux » exilés afghans : l’OFPRA pourrait arriver sans mal à 50% de la population du camp régularisable de suite.  Ainsi légalisées, ces personnes pourraient circuler librement, et auraient droit à des aides et cadres d’accueil plus humaines et dignes.

D’autre part, il est vital pour combattre l’enfermement du lieu qu’il soit de plus en plus ouvert et transformé par la venue des journalistes, des associations de Calais et d’ailleurs, des étudiants, des élus. Ces visites peuvent rétablir la relation avec les migrants confinés là. « Ouvrir » le camp − et ainsi le faire disparaître comme lieu d’enfermement − c’est d’abord permettre à ses occupants d’en sortir en toute sécurité,  c’est y aller et faire connaître ce qui s’y passe, y organiser des événements qui impliquent les habitants de la ville autant que les migrants, et ainsi créer un lien entre le camp et la ville. Mais cela, c’est déjà l’histoire des lieux de mise à l’écart en général. Bienvenue dans le monde des camps !


Le 12 juin, Philippe Wannesson que j’ai interviewé pour m’aider à comprendre la situation du camp de Calais, a voulu m’interviewer à son tour, à chaud. Voir ici.

 

 (1) Michel Agier est anthropologue (IRD et EHESS). Il étudie depuis de nombreuses années les déplacements et la formation des lieux de l’exil. Sur les thèmes concernés par le camp de Calais, il a notamment publié Gérer les indésirables. Des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire (Flammarion, 2008), Je me suis réfugié là. Bords de routes en exil (avec S. Prestianni, éditions Donner Lieu, 2011), Paris refuge. Habiter les interstices (avec F. Bouillon, C. Girola, S. Kassa et A.-C. Vallet, éditions du croquant, 2011), Campement urbain. Du refuge naît le ghetto (Payot & Rivages, 2013) et Un monde de camps (sous sa direction, avec la collaboration de Clara Lecadet, La Découverte, 2014).