Rapport du Défenseur des droits // Réponse du Ministre de l’intérieur // Réaction du Défenseur des droits

Le 6 octobre 2015, le Défenseur des droits a publié un rapport accablant sur la situation des droits fondamentaux des exilés vivant sur le bidonville de Calais.

Vous trouverez ce rapport et une synthèse des recommendations ici.

Le 14 octobre, le Ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve a publié un courrier en réponse à ce rapport. Vous le trouverez ici.

A cette lettre, M. Toubon a répondu par une tribune dans Libération le 19 octobre, et sur le site web du Défenseur des droits en reprenant point par point les critique du Ministre.

Voici cette réponse:

Par un courrier en date du 14 octobre 2015[i], le ministre de l’Intérieur a réagi à la publication du rapport publié par le Défenseur des droits le 6 octobre précédent[ii].

Sur le fond, M. Toubon a pu exprimer son point de vue dans une tribune rendue publique ce jour.

La présente note a plus simplement pour objet de revenir sur les allégations d’erreurs factuelles qui seraient présentes dans le rapport.

Au préalable, on rappellera que les éléments développés dans le rapport publié le 6 octobre sont le fruit d’instructions contradictoires et de visites sur place menées mi-juin et mi-juillet 2015:

  • Déontologie de la sécurité : documents obtenus dans le cadre de demandes de communications de pièces auprès des autorités compétentes (DGPN, etc.) ;
  • Centre hospitalier et enfants : visites sur place, instructions classiques auprès du Centre hospitalier, du Procureur, de France Terre D’Asile ;
  • Hébergement et asile : visites sur place et renseignements donnés par la Vie Active et l’AUDASSE, associations agissant pour le compte de l’État.

1/ Sur les « violences policières » (pp. 9 et 10 du courrier)

Les « violences policières » que le Défenseur des droits impute aux forces de l’ordre seraient formulées « dans des termes très généraux qui ne paraissent pas permettre d’établir des faits (…), le rapport se born[ant] le plus souvent à rappeler des éléments déclarés par d’autres associations ou institutions que le ministère de l’Intérieur a déjà eu l’occasion de démentir » (p9, dernier § et suivants).

Le rapport expose longuement les raisons pour lesquelles le Défenseur des droits ne se prononce pas sur les réclamations individuelles dont il a été saisi, l’instruction contradictoire de ces réclamations étant en cours. Ce faisant, le Défenseur :

  • explique les raisons pour lesquelles l’instruction de ces réclamations n’a pas abouti (pp. 68 à 71): obstacles liés à la situation calaisienne (problème d’identification des policiers, peur des migrants de porter plainte du fait de leur situation de précarité sociale et administrative, durée limitée de vie à Calais) et obstacles juridiques (notre loi impose de demander au Procureur l’autorisation d’instruire ainsi que l’ensemble des pièces des procédures, ce que justement le Procureur ne fait malgré plusieurs relances. Le Défenseur a pointé que cette obstruction était exceptionnelle, n’avait pas lieu dans la plupart des dossiers instruits en matière de déontologie de la sécurité (p.70). A cet égard, le rapport a eu un effet très positif : toutes les procédures demandées depuis des mois ont été adressées aux services il y a quelques jours) ;
  • décide de décrire ce dont il est saisi et de le remettre dans le contexte de ce qui est plus généralement décrit par d’autres institutions (voir, notamment le rapport du Commissaire aux droits de l’homme du 17 février 2015[i]) ;
  • par ailleurs, sans prendre position sur les réclamations individuelles, le rapport pointe des éléments objectifs et précis, tirés notamment d’une note de la Direction zonale des CRS Nord du 17 décembre 2014 qui mentionne qu’« il a été fréquent de recourir à des moyens lacrymogènes […] pour tenter de repousser [les migrants], la peur de l’uniforme ne suffisant plus » et que ce recours doit même être « privilégié » pour « refouler les migrants qui viennent sur la rocade ou qui viennent trop au contact ». Le ministre ne fait mention de  cette information qui parait pourtant « établir des faits ».

Le ministre ne se prononce pas non plus sur les problèmes pointés par le rapport en ce qui concerne les cadres juridiques d’intervention qui pourraient être précisés (p.79 à 81). Or, le Défenseur des droits, pour démontrer que le cadre juridique de l’emploi de la force doit être précisé, s’appuie sur la note CRS précitée pour écrire que les forces de l’ordre elles-mêmes sont conscientes du flou qui entoure leur action et sont demandeuses de précisions :

« La défense du terrain que nous devons occuper pour des raisons stratégiques ne peut pas éternellement servir de palliatif juridique, d’autant que les agissements des migrants sont connus et répétitifs. Le cadre de la réaction perd là de son sens premier ». (p.80)

Par ailleurs, le ministre rappelle que les forces de l’ordre à Calais se trouvent confrontées « à une situation exceptionnelle extrêmement difficile ».

Le rapport revient longuement sur « les missions délicates confiées aux forces de l’ordre », c’est même le titre d’une sous-partie (pp. 78-79) au cours de laquelle il est pointé le « sentiment d’usure, voire d’impuissance des personnels » ayant notamment abouti à une vingtaine d’arrêts de travail pour raison médicale en juin 2015. Le rapport pointe même qu’ « au-delà de ce sentiment d’usure, domine également un défaut de sens donné à leur action ».

Effectivement, ce contexte de tension et d’usure, d’une part, ainsi que le manque de précisions du cadre d’action, d’autre part, favorise les « débordements ».

2/ Sur l’hébergement d’urgence et le centre de transit (pp. 4 et 5 du courrier) :

Le ministre « conteste [notre] analyse juridique selon laquelle il existerait une obligation inconditionnelle pour l’Etat d’héberger indéfiniment à Calais l’intégralité des migrants en situation irrégulière qui le souhaiteraient s’ils ne sont pas vulnérables ou s’ils ne s’engagent pas dans une démarche d’asile en France ».

Le rapport n’a jamais indiqué qu’il existait une telle obligation. Toutefois, d’une part, les migrants du bidonville sont sans abri et dans « une situation de détresse médicale, psychique et sociale » qui, aux termes du Code de l’action sociale et des familles, leur donne droit à cet hébergement (s’ils n’ont pas vocation à demeurer en France, ils seront reconduits à la frontière). D’autre part, beaucoup de demandeurs d’asile vivent encore dans le bidonville[ii] même si des efforts indéniables – que nous pointons dans le rapport – ont été réalisés dans ce sens. A ce titre, rappelons que « l’évolution favorable dans la prise en charge des demandeurs d’asile dans le Calaisis » est le titre d’une partie de près de 4 pages du rapport, pp. 38 à 41)

Le ministre fait une interprétation extensive de la jurisprudence du Conseil d’Etat sur l’hébergement d’urgence, en estimant que la juridiction administrative autorise les préfets à refuser un tel hébergement à tous « les étrangers en situation irrégulière » sauf s’ils sont dans une situation de vulnérabilité particulière.

Or, les ordonnances du Conseil d’Etat ne limitent l’inconditionnalité de l’hébergement d’urgence qu’à l’égard des déboutés du droit d’asile qui ne seraient pas dans une situation de vulnérabilité particulière. Une lecture extensive de cette jurisprudence pourrait conduire à l’étendre, tout au plus, aux étrangers faisant l’objet d’une OQTF[iii] mais en aucun cas à toute personnes (potentiellement) en situation irrégulière. Cela reviendrait à soumettre à une condition de régularité de séjour l’hébergement d’urgence, ce qui est illégal. En tout état de cause, comment considérer que ces migrants, eu égard à leurs conditions de vie, ne sont pas dans une telle situation de vulnérabilité, notamment lorsqu’il s’agit de femmes et d’enfants ?

Le ministre s’appuie sur les conclusions du rapport Aribaud-Vignon pour affirmer que l’hébergement doit « demeurer une perspective, le nombre de migrants présents aujourd’hui à Calais ne permettant pas de l’envisager à court terme ».

Pages 20 et suivantes du rapport, le Défenseur des droits critique précisément le constat fait par MM. Aribaud et Vignon au regard de l’inconditionnalité de l’hébergement d’urgence telle que prévue par la loi mais aussi au regard des articles 3, 8 et 14 de la CEDH. C’est pourquoi le Défenseur a demandé un inventaire de toutes les ressources foncières publiques afin que les bâtiments inoccupés soient utilisés pour loger ces migrants, à l’instar de ce qu’avait demandé le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (p.18).

Le centre de transit annoncé par le Premier ministre le 31 août serait en cours de réalisation.

Page 20 du rapport, le Défenseur des droits pointe le caractère sous-dimensionné d’un projet prévoyant 1 500 places alors que le nombre de migrants était estimé l’été dernier à près de 4 000 personnes (ce chiffre s’élèverait maintenant à 6000 selon les dernières informations délivrées par la presse). Il préconise un hébergement des intéressés dans de véritables structures en dur et encourage plutôt la création, avant l’hiver, de structures, plus petites qui ne soient pas concentrées en un seul lieu.

Le ministre ne donne aucun élément de réponse sur ces constats et recommandations.

3/ Sur le centre d’hébergement des femmes et le centre d’accueil Jules-Ferry

Le ministre prévoit un doublement de la capacité d’accueil du centre d’hébergement des femmes et des enfants « dans le cadre de la période hivernale » (p.4 §4), ce dispositif accueillant aujourd’hui une centaine de femmes et d’enfants.

Le rapport du Défenseur des droits donne les mêmes chiffres que le ministre quant à la centaine de femmes et d’enfants hébergées (p.49) et préconise le triplement de ce nombre de places (p.58). Ces projets vont dans le sens de la recommandation du Défenseur même s’ils restent en-deçà. En revanche, les annonces récentes faites dans la presse et celles faites aux associations évoquent plutôt des projets réalisés en mars 2016, soit après la période hivernale, ce qui n’est pas satisfaisant.

Le gouvernement rappelle avoir « pris la décision d’ouvrir un centre d’accueil de jour pour mettre  à la disposition des migrants un certain nombre de prestations auxquels ils n’avaient jusqu’alors pas accès (repas, sanitaires, douches, accès à l’eau, permanence médicale) ».

Le rapport du Défenseur pointe ces améliorations dès la page 9 :

« Si la création de ce centre, doté d’un budget de 10 millions d’euros par an conjointement alimenté par l’Union européenne, la Grande-Bretagne et la France, constitue indéniablement une amélioration au regard des conditions de vie des exilés totalement démunis, cette prise en charge n’en demeure pas moins sous-dimensionnée au regard des besoins ».

4/ Sur les critiques du rapport concernant l’asile en France (pp. 5 et 6)

Le ministre reconnait que le rapport du DDD pointe les efforts entrepris par l’ensemble des services de l’Etat » et tend à « apaiser [nos] craintes » du fait de l’existence de la nouvelle loi relative à l’asile.

Il est à noter que le Défenseur des droits a fait part de ses préoccupations en deux occasions lors de l’examen par le Parlement de la récente loi asile[iv], soulignant ce qui lui semblait insuffisant en matière de protection. A cet égard, la décision de la Commission européenne d’engager une procédure d’infraction à l’égard de la France pour défaut de communication des mesures de transposition des directives pertinentes en la matière, est de nature à conforter l’analyse du Défenseur.

5/ Sur les évacuations de campements illicites (pp. 6 et 7)

Selon le ministre, les expulsions auraient été réalisées sur le fondement de décisions de justice et auraient été menées dans un souci de protection des migrants installés sur un ancien site industriel chimique en cours d’exploitation.

Le Défenseur des droits, pas plus dans ce rapport que dans les dossiers concernant l’expulsion de familles « Roms » dont il a par ailleurs à connaître, ne conteste la nécessité de procéder aux évacuations de terrains occupés sans droit ni titre ordonnées par la justice. En revanche, il s’attache à examiner les conditions dans lesquelles celles-ci sont réalisées : qu’il s’agisse des violences policières alléguées dans ce cadre (les termes du rapport sont au conditionnel, pp. 76-77) ou bien de l’absence de diagnostic social, de solutions alternatives d’hébergement et de rupture dans la continuité des droits (alors que le droit européen ainsi que la circulaire interministérielle du 26 août 2012 l’imposent).

Le ministre précise que les jugements du Tribunal administratif de Melun annulant les OQTF pour détournement de pouvoir (car elles n’auraient eu pour objet que d’évacuer le campement et non d’éloigner les migrants du territoire français) ont été annulés par décision de la Cour administrative d’appel (CAA) de Paris le 7 octobre 2015.

En premier lieu, le Défenseur des droits ayant publié son rapport le 6 octobre, cette décision ne pouvait logiquement être prise en compte dans ces travaux. Ces jugements, frappés d’appel, n’étaient pas définitifs, pas davantage que l’arrêt évoqué susceptible de faire l’objet d’un pourvoi en cassation.

Cet arrêt de la CAA de Paris n’étant pas publié, on ne peut que se fonder sur les extraits cités par le ministre pour en apprécier la portée. Or, il semble, aux vues de ces extraits, que la CAA de Paris ne se prononce pas sur le caractère infondé en droit du moyen tiré du détournement de pouvoir mais sur l’insuffisance de faits permettant d’établir l’existence d’un tel détournement de pouvoir.

Dans les faits, il convient  de rappeler que dans ces affaires, la plupart des personnes concernées par les mesures d’éloignement précitées ont été libérées du centre de rétention par le Préfet lui-même, avant l’intervention du Juge de libertés et de la détention. Il est donc, en tout état de cause, permis de douter de sa volonté d’éloigner réellement ces personnes.

6/ Sur l’offre de soins

Il peut sembler étonnant que ce soit le ministre de l’intérieur qui réponde au Défenseur sur ce sujet qui relève de la compétence du ministère de la Santé. Cette réaction tend à confirmer ce que le Défenseur a déjà pointé à plusieurs reprises : la catégorie juridique « étranger » l’emporte sur n’importe quelle autre, le gouvernement perçoit et traite ces personnes en tant qu’étranger alors qu’elles sont avant tout malades ou en besoin de protection de santé, indépendamment de leur nationalité.

Les locaux de la permanence d’accès aux soins de santé (PASS) seraient indépendants de ceux centre de dépistage du VIH (p.8 §4)

Cette remarque a également été formulée par le directeur du Centre hospitalier de Calais.

Le rapport ne porte aucun jugement sur le fait que la PASS abrite dans ces locaux ce centre, n’en tire aucune conclusion. Il donne une description purement factuelle des lieux tels qu’ils ont été présentés par le médecin coordonnateur de la PASS, sans que cela n’ait d’ailleurs suscité le moindre commentaire de notre part.

Ces locaux ne seraient pas des « préfabriqués » mais des « structures modulaires » (p.8 §4)

Outre qu’il paraît difficile de faire la différence entre ces deux types de structures temporaires, cette précision est sans incidence dans la mesure où, de la même façon, le rapport n’en tire aucune conséquence, ni positive, ni négative. Il s’agit ici de la reprise d’un terme (« préfabriqué ») couramment utilisé par les intervenants locaux.

Il est regrettable que ce souci du détail prévale sur l’ensemble des développements positifs faits sur la PASS et les recommandations tendant à ce que ses moyens soient augmentés (p.37).

En dépit des efforts fournis par le personnel médical, manifestement très investi, la consultation médicale de la PASS souffre d’une saturation quotidienne (p.32).

Selon le ministre, la PASS prendrait « en charge tous les patients qui se présentent l’après-midi, même ceux qui se présentent au-delà de l’heure de fermeture ». « L’affirmation selon laquelle seuls les patients accompagnés à la PASS par les associations seraient pris en charge n’est donc pas conforme à la réalité » (p.9 §2)

Page 32 dernier § du rapport, on lit :

« Conçue pour accueillir une file active de cinq cents patients par an, la PASS accueille désormais quatre mille cinq cents patients pour la même période. Exerçant dans la contrainte, le personnel de la PASS est parfois obligé de refuser des patients, amplifiant ainsi les renoncements aux soins. Seuls les patients accompagnés à la PASS par des associations (La Vie Active, Médecins du Monde) sont assurés d’accéder à une consultation le jour de leur venue, les associations prenant soin d’avertir le personnel de la PASS de l’urgence de la situation ».

Il ressort de ce passage que le rapport n’a jamais affirmé ce que le ministre présente comme étant nos conclusions. Il est même tout à fait logique que, dans la mesure où il arrive que tous les patients ne puissent être pris en charge, des associations telles La Vie Active ou MDM puissent signaler aux médecins de la PASS plusieurs cas qui méritent selon elles un traitement en urgence et qu’il soit fait droit à cette demande.

Par ailleurs, c’est leur interlocuteur local qui a expliqué à trois agents assermentés du Défenseur des droits que les choses se déroulaient ainsi.

Les infirmiers viendraient désormais le matin et l’après-midi au centre Jules-Ferry selon le ministre et ce, depuis le 31 août.

Au vu des vérifications réalisées auprès des acteurs locaux le 15 octobre, il s’agit d’une organisation datant d’une semaine, soit postérieure à la publication du rapport du Défenseur (ce serait 10h-15h30 pour les hommes ou femmes non hébergées et 15h30-17h pour les femmes mises à l’abri). Auparavant, la présence était de 3 heures le matin, dont une heure pour les femmes mises à l’abri dans Jules-Ferry.

Par ailleurs, il est erroné d’écrire qu’une permanence médicale est installée à Jules-Ferry, seule une permanence infirmière y fonctionnant. La création d’une « permanence d’accès aux soins de santé mobile intervenant au sein du bidonville » est en revanche une recommandation du rapport (p.37).

L’offre en soins dentaires serait une exception dans une PASS (p.9, §1)

Le rapport décrit cette offre en des termes plutôt valorisants mais estime qu’au regard des besoins (près de 4 000 personnes en situation de très grande précarité), cette offre d’une demi-journée par semaine reste insuffisante (p. 33).

« Les soins dentaires sont assurés dans un local équipé et dédié à cet effet par un chirurgien-dentiste présent une matinée par semaine. Le praticien peut néanmoins donner un rendez-vous sous sept jours pour les soins les plus urgents. En attendant cette échéance, les infections et les douleurs dentaires sont prises en charge en consultation médicale. Il n’en reste pas moins que les moyens matériels et humains restent insuffisants pour faire face à l’importance de la demande ».

C’est dans ce sens que le Défenseur préconise une augmentation des moyens de la PASS, recommandation que ne relève pas le ministre de même qu’il passe sous silence les problèmes liés au défaut de protection maladie pointé par le rapport (p.34).

« À défaut d’une couverture maladie, les migrants n’ont pas accès à la médecine de ville, ce qui permettrait de désengorger de facto les services de la PASS et du centre hospitalier. Plus globalement, cette absence de prise en charge par l’assurance maladie implique qu’ils ne sont éligibles qu’aux seuls soins urgents et vitaux – c’est-à-dire ayant un caractère inopiné – ce qui exclut le traitement de toute affection de longue durée ».

Selon le ministre, le système d’identification des patients jugé « indigne » par le Défenseur « renvoie à la procédure PG/DQA/002 applicable au 5 janvier 2013 visant à identifier administrativement les patients inconscients ou désorientés et non accompagnés et que le centre hospitalier applique, par extension, aux migrants qui refusent de décliner leur identité » (p. 9 §3).

Si cette procédure d’indentification s’entend bien évidemment pour les patients dans l’incapacité de décliner leur identité, elle ne saurait aboutir à faire mention de noms portant atteinte à leur dignité. Or, c’est bien un interlocuteur de la PASS, qui a indiqué aux services du Défenseur le 15 juin 2015 que des noms de fruits, de légumes ou d’animaux pouvaient être donnés, information que nous avons pris le soin de revérifier auprès d’un autre intervenant de la PASS lors d’un entretien de 2 heures qui s’est déroulé le 20 juillet 2015. Ce médecin nous a indiqué désapprouver de telles méthodes. Depuis, les associations locales nous ont confirmé que d’autres termes du type « bidule » ou « machin » pouvaient également être utilisés.

Le ministre justifie cette pratique à l’égard des migrants qui refusent de décliner leur identité. Nos interlocuteurs locaux nous ont au contraire fait part d’un « présupposé » à l’égard des migrants, conduisant les services de l’hôpital à anticiper que les intéressés ne donneraient pas leur véritable nom et qu’il convenait dès lors de leur attribuer cette identification provisoire qui, en réalité, n’a rien de provisoire. En effet, contrairement à une personne arrivée inconsciente à l’hôpital et qui a de fortes probabilités d’être identifiée avant sa sortie, le migrant à qui l’on attribue une « fausse » identité la gardera jusqu’à sa sortie et lorsqu’il reviendra à l’hôpital s’en verra attribuer une autre. Au regard du droit au suivi médical dont doit pouvoir bénéficier tout patient, ceci n’est absolument pas satisfaisant.

7/ Sur les infrastructures

Il ressort des dernières confirmations obtenues des associations locales le 16 octobre 2015, les éléments de réponse suivants :

Des chemins d’accès auraient été « aménagés pour assurer l’accessibilité aux véhicules de secours ».

Les seuls chemins aménagés par les pouvoirs publics sont ceux qui partent de la rue des Garennes sur 200 à 300 m, les chemins intérieurs au bidonville ayant été réalisés par les migrants et les associations. Il n’y a pas d’autres chemins et il nous a été confirmé que les secours n’entrent toujours pas dans le bidonville[v]. Seuls quatre points d’extraction des éventuels blessés existent aux abords (à l’extérieur du bidonville) et sont les lieux où doivent être amenés les migrants malades pour être pris en charge par les secours. A cet égard, certaines associations envisagent de former des personnes aux premiers secours et au transport de blessés.

L’ouverture du centre Jules-Ferry aurait lieu de 10h30 à 19h30 selon le ministre.

Les horaires de Jules-Ferry ont changé lundi 5 octobre, la veille de la sortie du rapport, pour prendre en compte la période hivernale. Les horaires de distribution de repas ont donc été avancés à 15h et le centre ouvre, depuis moins de 10 jours, de 9h à 17h. Il n’a jamais été ouvert de 10h30 à 19h30 comme l’indique le ministre.

Il y aurait quinze robinets et non trois selon le ministre

Il existe bien trois points d’eau sur le bidonville chacun avec plusieurs robinets (environ cinq). Il est vrai que le rapport cite en un endroit l’existence de trois robinets, ce qui est en effet une coquille puisque dans tous les autres développements suivants sont bien évoqués (y compris dans les recommandations) les points d’eau et non les robinets au motif qu’ils doivent être répartis de manière à limiter au maximum la distance à parcourir pour y accéder (pp. 25-26). Il est clair, à la lecture du rapport que ce sont bien les trois points d’eau qui sont insuffisants eu égard au nombre de personnes présentes sur le site, le nombre de robinets disponibles étant d’une importance relative.

Un éclairage public de nuit aurait été installé selon le ministre

Cet aménagement est en effet intervenu depuis le 14 juillet, soit postérieurement à notre première mission (effectuée les 16 et 17 juin) qui avait justement pour but de faire le point sur l’ensemble de ces infrastructures. La seconde mission, dépêchée le 20 juillet, avait pour objectifs de traiter de la situation des enfants et de l’accès aux soins et, par suite, n’a pas, il est vrai, procéder à une nouvelle vérification de tous les points relevés en juin. L’affirmation contenue dans le rapport était donc exacte à la date du constat effectué par nos soins. Nous aurions dû en effet procéder à une mise à jour.

Nombre de bennes et ramassage des ordures selon le ministre et la maire de Calais

Le ministre évoque l’existence de quatre bennes de 20m3, une autre benne en construction, un ramassage à l’extérieur et à l’intérieur de la dune. La maire évoque quant à elle trois bennes de 15m3 et le projet d’installation d’une autre.

Selon les informations vérifiées le 16 octobre, il y a bien trois bennes (parfois une ou deux supplémentaires) à l’extérieur du bidonville et qui sont vidées régulièrement. Depuis une dizaine de jours environ, il y a un ramassage à l’intérieur du bidonville qui est financé par Médecins Sans Frontières. Des intérimaires font des rondes dans le bidonville, fournissent des sacs poubelles et ramassent les sacs pleins. Sur ce dernier point, l’affirmation du ministre selon laquelle « les services de la ville de Calais procèdent à un ramassage des ordures (…) à l’intérieur de la lande » est donc erronée.

Précisions ministérielles sur le nombre de toilettes

Dans le rapport, nous n’avions pas mentionné de chiffre sur ce point, les choses étant en évolutions et les informations données pas suffisamment fiables. Il convient de noter que le ministre indique qu’ « il est prévu d’installer 9 blocs de WC ». Selon des informations croisées datant du 15 octobre, l’Etat a installé dans le courant du mois de juillet 12 latrines chimiques à l’entrée  du bidonville rue des Garennes et 12 latrines chimiques sur le chemin de Dunes. Depuis lors, Solidarités International en a installé 15 qui viennent d’être remplacées par des 44 latrines chimiques installées par Médecins Sans Frontières. Sur ce plan aussi, l’initiative privée et associative est plus importante que la prise en charge des pouvoirs publics.

*

Au regard de l’ensemble des éléments de cette note, il semble donc que « ce sujet sensible et difficile » ait été traité, contrairement à ce qu’affirme le ministre, différemment que par une simple « compilation d’éléments, souvent imprécis, voire inexacts » mais en se fondant au contraire sur une analyse et une connaissance sérieuses du sujet, fruit de recherches, d’instructions et de visites sur place.

Ces écrits rappellent la réaction qu’avait suscitée la décision du Défenseur des droits n°2011-113 en date du 13 novembre 2012 par laquelle l’institution avait pointé des pratiques des forces de l’ordre (harcèlement et humiliations à l’égard des migrants). La réponse du ministre de l’Intérieur, Manuel Valls fait écho à celle que le Défenseur vient de recevoir.

Le ministre jugeait en effet, le 6 mars 2013, que le Défenseur des droits, s’appuyait sur des faits « non vérifiables » et « anciens » et ce, en ces termes : « les faits annoncés dans votre décision reposent essentiellement sur des déclarations de responsables d’associations rapportant des propos non vérifiables et concernant des faits anciens qu’aucun élément objectif ne peut soutenir aujourd’hui ». Et de rajouter que les plaintes existant n’avaient établi aucun « manquement aux règles disciplinaires et déontologiques » de la police et n’avaient donné lieu à aucune poursuite judiciaire.

On sait depuis que les instances européennes et internationales ont repris à leur compte les conclusions du Défenseur.

De façon plus positive, il est manifeste que le rapport du Défenseur des droits a d’ores et déjà contribué à faire évoluer certaines choses. Hormis les améliorations postérieures à la publication du rapport comme le doublement de la présence infirmière au centre Jules-Ferry, deux exemples peuvent être donnés :

  • Le Procureur de Boulogne-sur-Mer a transmis le 12 octobre 2015 toutes les procédures en attente, ce qui permettra d’être enfin en mesure de traiter ces affaires même si le retard pris par cette obstruction risque de rendre l’instruction plus difficile à mener (déperdition des preuves, départ des intéressés, etc.) ;
  • La mission sanitaire qui a été missionnée sur place le 14 octobre 2015 pour rendre des conclusions sous 8 jours a clairement expliqué aux associations « médicales » et aux autres interlocuteurs locaux concernés par la question sanitaire, que leur venue était directement liée au rapport du Défenseur des droits.

Enfin quant à l’analyse de la situation de Calais dans le contexte plus général de la situation des exilés en Europe, le ministre rappelle que « les propositions que la France a formulées alors ont préfiguré les décisions qui ont été prises ces dernières semaines au niveau européen » notamment à l’égard « des personnes en besoin manifeste de protection » qui doivent être relocalisées de manière équitable dans les autres Etats-membres.

Si le rapport relève à plusieurs reprises l’intérêt qui s’attache au système de relocalisation initié par la France et l’Allemagne, il constate que cela n’a pas eu d’impact sur les personnes présentes à Calais et ayant pourtant un besoin manifeste de protection.

Voir, par exemple, p. 45 du rapport : « En atteste d’ailleurs le fait que, si les décisions de « relocalisation » des demandeurs d’asile peuvent être jugées pertinentes en termes de volonté de rendre solidaire le traitement des demandes d’asile, elles sont néanmoins restées sans effet sur la résorption des regroupements de migrants aux frontières de l’Europe, à Calais en particulier ».

Ces dispositifs de relocalisation sont même mis en avant pour étayer nos recommandations tendant à la suspension de Dublin puisque, par définition, les règles de Dublin ne sont pas appliquées lorsqu’on « redistribue » les exilés sur le territoire européen en les relocalisant :

« Les dispositifs de relocalisation des demandeurs d’asile sur lesquels les États membres essaient aujourd’hui de s’accorder révèlent actuellement la prise de conscience par ces derniers des effets pervers induits par le règlement Dublin et de la nécessité de développer, au sein de l’Union, les mécanismes de solidarité indispensables au développement d’une véritable politique d’asile commune. Ils laissent néanmoins sans réponse la question des entraves portées au droit d’émigrer par le renforcement toujours accru des frontières extérieures de l’Europe » (p.45).

A cet égard, la critique relative à la recommandation de suspendre Dublin « qui revient à nier la crise migratoire actuelle » (p.6 §1 du courrier) est excessive : les choix opérés notamment par l’Allemagne de suspendre temporairement son application et les résolutions du Parlement européen du 8 septembre 2015 attestent que les recommandations du Défenseur des droits ne sont pas déconnectées de la réalité et qu’elles sont au contraire préconisées ou même réalisées ailleurs.

[ii] Exilés et droits fondamentaux : la situation sur le territoire de Calais

[ii] A notre connaissance, au moins 100 demandeurs d’asile sont sans solution d’hébergement depuis plusieurs semaines.

[iii] OQTF : Obligation de quitter le territoire français

[v] Cette information a, par ailleurs, été récemment rapportée par des médecins et des infirmiers le 7 octobre 2015 dans une tribune du Monde : Dans la « jungle » de Calais : « Médicalement, ce que nous avons vu est inacceptable ».