Une carte à abattre

https://neocarto.hypotheses.org/1963

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Camarades cartographes, je suis en colère. Depuis quelques semaines, une carte circule sur Internet. Largement relayée sur les réseaux sociaux, cette carte issue du site Lucify, met en scène les flux de demandeurs d’asiles vers l’Union européenne sur la période 2012-2015. Comme toutes les cartes, celle-ci raconte une histoire. Or cette histoire est contestable par bien des aspects. Je tente ici de la décrypter rapidement. Comme d’habitude, vos commentaires et critiques sont les bienvenus.

Tout d’abord, sur cette carte, seuls les flux vers l’Europe sont représentés. Or, cette sélection européocentrisme de l’information est largement contestable. Doit-on rappeler que que la majorité des mouvements de populations ont lieu entre les pays du Sud ? En ne sélectionnant qu’une partie de l’information (uniquement les flux Sud-Nord), cette carte montre une vision partiale de la réalité non clairement énoncée. Pire, cette vision est erronée. Le site de la banque mondiale nous informe par exemple que la Turquie accueille 1 587 374 réfugiés sur la période 2011-2015 contre seulement 252 264 pour la France sur la même période, soit 6 fois plus (ref). Pourtant, sur cette carte, la Turquie est représentée comme a pays “émetteur” de migrants et non comme un pays d’accueil.  Cette carte ment donc sciemment en dissimulant une partie importante de l’information.

Concernant la carte elle-même, les choix graphiques utilisés ne sont pas anodins non plus. Si le progrès technique est neutre, son utilisation elle ne l’est pas. Sur cette carte animée, les mouvements de populations (les demandeurs d’asile) sont représentés par de petits traits qui se déplacent des pays de départ vers les pays d’arrivée. Cette sémiologie graphique décrit, par son mouvement, un flux migratoire en continu qui ne se tarit jamais, jusqu’au débordement. C’est allégorie de la fuite d’eau de Nicolas Sarkozy (ref). Sur cette carte, les tracés représentés sont rectilignes. Les réalités sinueuses des trajectoires réelles sont annihilées. Contrairement à ce qui peut sembler au premier abord, cette carte ne se situe donc pas au niveau des parcours individuels. Elle ne raconte pas les histoires des migrants. Pire, elle les déshumanise. Sur cette carte, chaque trait (qui représente 25 ou 50 personnes) suit une trajectoire rectiligne comme un missile lancé vers l’Europe. Un missile qu’il serait impossible d’arrêter, un missile qui détruit ce qu’il touche. Bref, par bien des aspects, cette sémiologie graphique met en scène un scénario d’invasion, quasi militaire, avec des pays européens attaqués (et envahis) par les étrangers. Écœurant !

Si au premier abord, la technique de cette carte peut séduire, elle masque en fait la réalité des mobilités internationales dans l’espace euro-méditerranéen. Cette carte n’informe pas, elle déforme. En sélectionnant une partie de l’information, en choisissant de la mettre en scène de cette façon, cette carte produit un discours erroné. Un discours qui n’éclaire pas mais qui aveugle. Bref, c’est une carte à oublier…