Le Monde // Pascal Brice: « L’OFPRA subit de plein fouet les failles du système européen de l’asile »

http://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2018/01/08/pascal-brice-l-ofpra-subit-de-plein-fouet-les-failles-du-systeme-europeen-de-l-asile_5238796_1654200.html#AtYRST7pzYj6m1dG.99

Pascal Brice, directeur de l’Office français de protection des réfugiés, analyse le bilan de l’année 2017.
le | Par Maryline Baumard
Le directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra), Pascal Brice, analyse les données 2017 de la demande d’asile. Il estime que faire attendre les demandeurs, ou tenter de les dissuader, « ne fait qu’aggraver les choses ».
Pour la première fois de son histoire, l’Ofpra a enregistré 100 000 demandes d’asile en 2017. Comment analysez-vous ce record ?
Pascal Brice Le cap des 100 000 demandes d’asile, dont près de 43 000 ont abouti à un statut de réfugié ou à une protection subsidiaire, est symbolique, certes, mais ne doit pas être interprété comme un afflux massif. Il s’agit d’une hausse de 17 % par rapport à l’année précédente et n’oublions pas que l’Allemagne enregistre encore deux fois plus de demandeurs que nous. Cette augmentation ne nous a pas empêchés de réduire fortement nos délais d’instruction des dossiers : environ trois mois aujourd’hui, et nous poursuivons nos efforts pour atteindre deux mois cette année.
Les entrées en France concernent de plus en plus souvent des migrants africains. En matière d’asile, 2017 aura-t-elle aussi été une année africaine ?
Les Soudanais, déjà parmi les nationalités les plus demandeuses depuis 2015, sont en quatrième position. Mais, effectivement, nous voyons apparaître quatre pays d’Afrique subsaharienne parmi les dix nationalités les plus demandeuses : outre le Soudan, la Guinée, la Côte d’Ivoire et la République démocratique du Congo (RDC). Reste que si l’augmentation de la demande africaine marque l’année, les Albanais sont encore les premiers demandeurs.
Le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, est pourtant parti en croisade contre la demande d’asile albanaise…
Leur demande a décru sur la deuxième partie de l’année. Leur taux de protection est à l’office de 6 %, pour plus de 27 % toutes nationalités confondues… La forte présence d’Albanais, comme d’Haïtiens en Guyane, qui fuient essentiellement la misère, a fait légèrement baisser le taux moyen de protection par rapport à 2016. En revanche, les niveaux de protection des Syriens (95 %), des Afghans (83 %) ou des Soudanais (60 %) restent élevés en raison des persécutions ou des conflits dans ces pays.
Il est parfois difficile de déposer sa demande en France. Est-ce acceptable ?
Nous devons rapidement parvenir en tout point du pays à une prise en charge complète, digne, juste et rapide de chaque demandeur d’asile, depuis l’accès à la procédure dans les préfectures, l’hébergement et jusqu’à l’instruction de la demande. C’est indispensable si l’on veut ensuite pouvoir tirer les conséquences des décisions prises, à la fois pour améliorer l’intégration des réfugiés et pour mieux assurer la reconduite des personnes déboutées qui n’ont pas de droit au séjour. C’est une question de moyens, mais au-delà c’est une véritable révolution culturelle qu’il faut conduire en France et en Europe : il faut arrêter de croire que faire attendre les gens, tenter de les dissuader, arrangerait quoi que ce soit. Cela ne fait qu’aggraver les choses pour tout le monde.
Les « pays tiers sûrs », un dispositif qui aurait permis de renvoyer des demandeurs hors Europe sans examen de leur dossier, ne figurera pas dans la prochaine loi sur l’asile. Est-ce une satisfaction pour vous ?
Je me réjouis de la décision de retirer cette disposition du projet de loi. C’eût été une dénaturation du droit d’asile tel qu’il est garanti par la Constitution et de la mission de protection de l’Ofpra. Je m’attends à une évolution du droit européen pleinement compatible avec ce choix.
Et Calais ? Est-il normal qu’il ne soit plus possible d’y déposer une demande d’asile ?
Il faut sur ce territoire, où nous nous substituons de fait aux Britanniques, renouer le fil de l’asile patiemment tissé pendant deux ans avec l’aide des associations et interrompu fin 2016 après l’évacuation complète du bidonville. Personne ne peut accepter que des campements s’y reconstituent et je comprends que les démarches ne se fassent pas sur place. Mais cela suppose que les personnes qui, malgré tout, arrivent dans cette impasse, et qui, au vu de leurs nationalités, ont toute chance de relever du droit d’asile, y soient dûment informées de leurs droits et accompagnées vers des hébergements et un accès à la demande d’asile quelque part sur le territoire national.
Le règlement de Dublin, qui renvoie les demandeurs d’asile dont les empreintes ont été enregistrées ailleurs en Europe, se solde par de nombreux retours. Une telle situation a-t-elle un impact sur l’Ofpra ?
L’Office subit de plein fouet les failles du système européen de l’asile. D’abord, il est inacceptable que nous perdions du temps à instruire le dossier de demandeurs déjà rejetés en Allemagne, qui viennent tenter leur chance en France. Mais tous les « dublinés » ne sont pas déboutés dans un autre pays européen, loin de là. Beaucoup ont simplement été contraints de laisser leurs empreintes sur leur route avant d’arriver en France. L’application actuelle des textes nous empêche d’instruire leur dossier dans un premier temps et en définitive, nous les récupérons ensuite, épuisés par de coûteux mois d’attente… Ce qui n’est bon pour personne.
La solution passe par la mise en place d’un office européen de l’asile, indépendant comme l’est l’Ofpra dans notre pays, mais aussi une répartition solidaire des réfugiés entre les pays européens, comme le chef de l’Etat l’a évoqué dans son discours de la Sorbonne.
En France, ces dernières semaines, le climat s’est alourdi. M. Collomb peut-il recenser le statut des migrants dans l’hébergement d’urgence ?
Il est normal que l’Etat souhaite connaître la situation administrative des personnes qui séjournent sur le territoire, mais cela doit se faire dans le respect de l’accueil inconditionnel des personnes en détresse, comme du travail des acteurs sociaux, et dans un climat de confiance qui suppose notamment que chacun, demandeurs d’asile comme accompagnants, puisse être convaincu que l’on garantit effectivement un accès rapide à l’examen de la demande d’asile.
Le débat qui se poursuivra autour du projet de loi au printemps s’ouvre-t-il sous de bons auspices ?
Je suis heureux qu’un débat s’ouvre, en espérant qu’il sera l’occasion de cesser les confusions entre le droit d’asile et la politique migratoire, car elles desservent finalement toutes l’accueil des réfugiés. Pour cela, il nous faut être totalement irréprochable sur l’exercice effectif du droit d’asile. La politique migratoire, elle, relève d’autres choix du gouvernement dont la mise en œuvre n’incombe pas à l’Ofpra. J’inciterais cependant volontiers à la réflexion sur des situations humanitaires qui nous interpellent, parce que le droit d’asile s’y trouve désarmé, comme pour les déplacés climatiques mais aussi des migrants qui ont été détruits physiquement et psychiquement par leur parcours migratoire – on pense aujourd’hui à l’enfer libyen – mais ne relèvent pas de l’asile car ils n’ont pas fait l’objet de menaces dans leur pays d’origine

La Croix // E.Macron se rendra à Calais en janvier

Emmanuel Macron aime les symboles. C’est à Calais qu’il devrait annoncer les grandes lignes d’un projet de loi sur l’immigration, lors d’une visite à Calais, a annoncé le premier ministre Édouard Philippe à l’issue du Conseil des ministres, mercredi 3 janvier.

La maire de Calais, Natacha Bouchart (LR), avait annoncé en novembre que le président s’était engagé à venir dans sa ville avant le sommet franco-britannique qui doit se tenir en janvier dans les environs de Londres. À cette occasion, pourrait être évoquée une éventuelle renégociation des accords du Touquet, qui fixent depuis 2004 la frontière britannique à Calais.

Les migrants pourchassés par la police à Calais

Sur place, malgré le démantèlement en octobre 2016 de la « jungle », un campement sauvage de plus de 7 000 migrants installé sur un terrain vague proche du port, et l’éloignement de ses habitants dans des Centre d’accueil et d’orientation (CAO) dans toute la France, de nombreux candidats au passage en Grande-Bretagne continuent à arriver à Calais.

Ils tentent chaque nuit de monter dans les camions qui montent dans les bateaux en route vers l’Angleterre, où ils espèrent retrouver des proches et décrocher un permis de travail, via le port de Calais.

Les associations d’aide aux migrants dénoncent des mauvais traitements de la part de la police, qui mène une politique stricte de lutte contre les « points de fixation », et la confiscation des tentes et des duvets des migrants.

Politique répressive du gouvernement

De manière générale, le gouvernement insiste depuis ces dernières semaines sur le volet répressif de sa politique migratoire. Le 16 octobre puis le 20 novembre, deux circulaires ont accru la pression sur les préfets pour qu’ils accélèrent les placements en rétention et les expulsions.

Les migrants dits « dublinés », qui sont censés faire leur demande d’asile dans le premier pays européen où leurs empreintes ont été enregistrées, pourraient aussi bientôt être placés en rétention, puis renvoyés, comme le prévoit une proposition de loi du député Jean-Luc Warsmann. La durée maximale de rétention, qui est aujourd’hui de 45 jours, pourrait passer à 90, voire 105 jours.

Attendu en Conseil des ministres en février, le texte de loi « Asile et immigration » doit arriver à l’Assemblée nationale en mars.

Une circulaire qui prévoyait l’envoi d’équipes administratives dans les centres d’hébergement d’urgence pour recenser les migrants, notamment ceux qui sont en situation irrégulière, avait provoqué la colère des responsables associatifs fin 2017. Édouard Philippe doit de nouveau les rencontrer le 13 janvier.

Avis de la CNCDH sur le concept de pays tiers sur

https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000036251268

Assemblée plénière du 19 décembre 2017
Adoption à l’unanimité

1. Bien que le droit d’asile constitue un droit fondamental consacré tant par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne que par le droit français, force est de constater la multiplication des entraves à son exercice qui conduit à l’errance, la misère et la peur, voire la mort de milliers de personnes en quête de protection. Si crise de l’asile il y a, c’est en vérité une crise de la politique d’asile dont il faut parler. Tant au niveau européen qu’au niveau national, les Etats se dotent d’outils pour limiter l’accès aux procédures d’asile et externaliser le traitement des demandes d’asile. Le recours au concept de pays sûr constitue à cet égard une illustration particulièrement éloquente de la dérive des politiques d’asile (1).
2. Alors que l’encre des lois du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile et du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers est à peine séchée, la CNCDH a pris connaissance, par voie de presse, de certaines dispositions du nouveau projet de loi  » pour un droit d’asile garanti et une immigration maîtrisée « , notamment de celle visant à intégrer dans le droit français la notion de pays tiers sûr pour en faire un nouveau cas d’irrecevabilité des demandes d’asile. Sans attendre que le texte de ce projet soit définitivement arrêté et qu’elle en soit saisie afin d’exercer sa mission de promotion et de protection des droits de l’Homme, la CNCDH entend faire part de son inquiétude à l’égard d’un concept issu du droit dérivé de l’Union européenne qui, très contestable d’un point de vue juridique (I) et pratique (II), conduit à un bouleversement radical du droit d’asile.

I. – Un concept juridiquement contestable

3. Introduit par la directive du 1er décembre 2005 dans le cadre de l’harmonisation des politiques d’asile des Etats membres prévue par le traité d’Amsterdam (2),  » le concept de pays tiers sûr  » est repris par la nouvelle directive  » Procédures  » n° 2013/32/CE du 26 juin 2013 qui s’est attachée à fixer des procédures communes pour assurer la mise en œuvre d’un régime d’asile européen commun (RAEC) (3).
4. Aux termes des articles 33 et 38 de cette directive refondue, le concept de pays tiers sûr permet à un Etat membre de déclarer irrecevable une demande d’asile et de renvoyer le demandeur concerné vers un Etat non membre de l’Union avec lequel il a  » un lien de connexion « , rendant son renvoi  » raisonnable  » si ce pays est sûr pour lui. La sûreté du pays se caractérise d’une part, par l’absence de risque pour sa vie ou sa liberté pour l’un des motifs de la convention de Genève ou d’atteintes graves au sens de la directive qualification (4), d’autre part, par le respect par cet Etat du principe de non refoulement posé par l’article 33 de la convention de Genève, ainsi que de l’interdiction requise par le droit international de toute mesure d’éloignement susceptible de l’exposer à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, enfin par la possibilité d’y solliciter la reconnaissance de la qualité de réfugié et d’y bénéficier d’une protection conformément à la convention de Genève. L’application du concept de pays tiers sûr se voit subordonnée à un examen individuel en vue de déterminer si le pays tiers concerné est sûr pour le demandeur (5). En revanche, l’Etat membre est dispensé de l’examen au fond de la demande d’asile (6). La prévalence ainsi donnée à la définition d’espaces de sûreté sur l’obligation de protection, pourtant au cœur du droit d’asile, conduit à s’interroger tant sur la conventionnalité que sur la constitutionnalité de l’application de ce concept.

A. – Sur la conventionnalité du concept de pays tiers sûr

5. En disposant que  » le droit d’asile est garanti dans le respect des règles de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés et conformément au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne  » (7), l’Union européenne confirme au plus haut niveau l’exigence de conformité du droit européen d’asile à la convention de Genève qui en constitue la pierre angulaire, ainsi que le rappelle le droit dérivé relatif à l’asile. Or le concept de pays tiers sûr ne satisfait pas à cette obligation de conformité du droit d’asile à la convention de Genève tant au regard des stipulations de cette convention que de son objet.
6. A cet égard, la CNCDH se doit de rappeler au gouvernement que la convention de Genève subordonne la reconnaissance de la qualité de réfugié à quatre critères qu’elle énonce en son article 1 A 2 (craintes personnelles de persécution, motifs de persécution déterminés, départ du pays d’origine ou de résidence habituelle, perte de la protection de ce pays) (8) mais ignore le concept de pays tiers sûr. Dès lors, en permettant à un Etat membre de refuser de traiter une demande d’asile au motif qu’elle serait irrecevable en raison du passage du demandeur dans un pays tiers sûr, la directive ajoute une condition que la Convention de Genève n’a pas prévue. L’introduction de ce concept n’est donc pas conforme à l’article 1 A2, et ce d’autant que l’article 42 de cette convention interdit d’y apporter des réserves.
7. Le Conseil d’Etat n’a pas manqué de le relever depuis longtemps. Il a ainsi une première fois annulé en Assemblée pour erreur de droit le refus de la qualité de réfugié opposé à un ressortissant guinéen ayant séjourné quatre ans au Sénégal avant de venir en France, au motif qu' » il ne résultait pas de ce seul fait que l’intéressé ait pu être privé de la reconnaissance de cette qualité  » (9). Saisi quinze ans plus tard du refus opposé par le ministre de l’intérieur à l’entrée sur le territoire d’un demandeur d’asile libérien qui, arrivé en France en provenance du Cameroun, pays signataire de la convention de Genève, avait omis d’y demander la qualité de réfugié, il a de même censuré en Assemblée l’erreur de droit entachant un tel motif de refus en relevant qu' » une telle circonstance n’aurait pas par elle-même permis de refuser le statut qu’il sollicitait et qu’elle n’était pas dès lors, au nombre de celles dont le ministre de l’intérieur pouvait légalement tenir compte pour regarder comme  » manifestement infondée  » la demande de l’intéressé et lui interdire pour ce motif […] l’accès au territoire durant l’instruction de sa demande  » (10).
8. La CNCDH relève par ailleurs que si la convention de Genève énonce des clauses d’exclusion du statut de réfugié (art 1 D, E et F), le passage dans un pays tiers sûr ne correspond à aucune des hypothèses visées par ces clauses. Parfois évoquée, l’exclusion au titre de l’article 1 E d’une personne  » considérée par les autorités du pays dans lequel elle a établi sa résidence comme ayant des droits et des obligations attachées à la nationalité de ce pays  » ne saurait justifier l’irrecevabilité d’une demande d’asile présentée par une personne ayant transité ou même ayant séjourné dans un pays tiers sûr. L’application de cette clause requiert une protection élevée dans le pays d’accueil que l’on peut résumer à la condition  » précise et exigeante de possession de facto de la nationalité du pays d’accueil  » (11).
9. A fortiori l’article 31 de la convention de Genève qui interdit aux Etats parties à la convention de sanctionner pénalement les réfugiés arrivant directement sur leur territoire sans documents ne saurait fournir par une interprétation a contrario un appui ou un fondement au concept de pays tiers sûr car il porte sur  » une question différente « . L’immunité pénale n’emporte en effet aucune conséquence sur la reconnaissance du statut de réfugié et ne saurait donc conduire à réserver cette reconnaissance à ceux qui arrivent directement du territoire d’un pays dont ils fuient la persécution en écartant ceux ayant transité par un pays tiers sûr (12).
10. Ignoré de la convention de Genève et non-conforme à ses stipulations, le concept de pays tiers sûr en contredit plus largement l’objet et l’esprit. Il s’inscrit en effet dans une logique radicalement opposée à celle de protection qui fonde la convention. Rompant avec la définition des réfugiés par groupe de nationalités qui prévalait dans l’entre-deux-guerres, la convention a voulu, ainsi qu’il ressort de la définition du réfugié énoncée à l’article 1 A 2, protéger celui qui a des craintes personnelles de persécution. Certes cet article, en employant l’expression  » craindre avec raison  » la persécution, indique que le sentiment personnel de crainte doit prendre appui sur des éléments objectifs. Pour autant, l’on ne saurait inverser les priorités en privilégiant ces raisons objectives définies in abstracto pour conclure à la non-sûreté, ou a contrario à la sûreté d’un pays, et rejeter alors sur ce seul fondement la demande d’asile. De même, le principe de non refoulement vers un pays à risque énoncé à l’article 33-1 de la convention de Genève (13) ne saurait donner un fondement au concept de pays sûr. En effet, ce principe cardinal du droit des réfugiés constitue pour un demandeur d’asile déterminé une garantie fondamentale de non renvoi vers un pays où, pour l’un des motifs de craintes fondant le droit au statut de réfugié, il serait personnellement exposé à un risque pour sa vie ou sa liberté. Dès lors interpréter ce principe comme offrant une protection générale contre le renvoi vers un pays défini a priori comme  » à risques « , et a contrario comme permettant le renvoi d’un demandeur d’asile vers un pays considéré de manière générale comme sans risque, c’est à dire sûr, est contraire tant au texte qu’à l’esprit de cet article.
11. C’est dire que l’appréciation des craintes personnelles laquelle est au cœur du dispositif de Genève implique un examen individuel du besoin de protection, c’est-à-dire un examen au fond de la demande et non un examen de recevabilité ayant pour seul objet de s’assurer de la sûreté du pays de provenance ainsi que de la trajectoire empruntée par le demandeur.
12. Enfin la CNCDH rappelle l’attention particulière qui doit être portée aux préconisations du Haut-commissariat pour les réfugiés (HCR) lequel, aux termes de l’article 35 de la convention de Genève, est chargé d’en surveiller l’application. Or, très tôt préoccupé par les pratiques nationales de réadmission vers des pays tiers sûrs, pratiques informelles ou s’inscrivant dans le cadre d’accords de réadmission et susceptibles d’ouvrir la voie à des renvois en chaîne ou à des retours forcés vers des pays de persécution (14), le HCR a rappelé  » le principe que l’asile ne peut être refusé uniquement pour le motif qu’il aurait pu être demandé à un autre Etat  » (15). De même le fait qu’un réfugié a trouvé une protection efficace dans un autre pays ne délie pas l’Etat d’accueil de son obligation de non refoulement vers des pays à risque (16). Au-delà, le HCR s’est attaché à assortir ce concept de pays tiers sûr d’un ensemble de garanties de fond et de procédure si importantes que leur mise en œuvre parait aléatoire (infra II) et l’usage même de ce concept mis en cause.

B. – Sur la constitutionnalité du concept de pays tiers sûr

13. Sur le fondement de l’alinéa 4 du Préambule de la Constitution de 1946, le Conseil constitutionnel a consacré par sa décision du 13 août 1993 le caractère de droit fondamental de valeur constitutionnelle du droit d’asile et en a précisé la portée (17). Si ce droit n’est pas un droit à l’asile, il implique toutefois un double droit pour le demandeur d’asile : un droit absolu à l’examen de sa demande ainsi qu’un droit au séjour provisoire, le temps du traitement de celle-ci.
14. La CNCDH se doit d’attirer l’attention du gouvernement sur la non-conformité du concept de pays tiers sûr avec l’une et l’autre de ces exigences constitutionnelles.
15. En premier lieu, elle rappelle que le droit absolu à l’examen de la demande d’asile, qui est fondé à la fois sur le respect du droit constitutionnel d’asile et sur les droits de la défense, également de valeur constitutionnelle, s’entend comme le droit à un examen au fond de cette demande par les autorités spécialement dédiées à cette mission, à savoir l’OFPRA et la CNDA. Cet examen doit permettre au demandeur d’être entendu pour exposer son besoin de protection et le bien-fondé de sa demande d’asile. C’est au demeurant le non-respect de cette obligation constitutionnelle qui avait conduit le Conseil constitutionnel à censurer dans sa décision du 13 août 1993 la disposition législative permettant au préfet de priver l’OFPRA du traitement des demandes d’asile relevant d’un autre Etat membre en application des accords européens de Schengen et Dublin (18). Le concept de pays tiers sûr, dont l’application conduit à rejeter pour irrecevabilité une demande d’asile au seul motif que le demandeur a transité ou séjourné dans un tel pays et après un examen portant sur la seule sûreté que présente ce pays pour lui et non sur le fond de sa demande de protection par l’OFPRA, est entaché du même grief d’inconstitutionnalité.
16. En second lieu, ce concept ne respecte pas l’exigence constitutionnelle d’un droit au séjour provisoire le temps du traitement de la demande d’asile. Certes ainsi qu’en a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 août 1993, ce droit peut être limité par le législateur  » en vue de le concilier avec d’autres règles ou principes de valeur constitutionnelle  » (19), et donc avec un objectif constitutionnel comme celui de la sauvegarde de l’ordre public. Reste toutefois à savoir si le fait de provenir d’un pays tiers sûr répond à une telle nécessité. Alors que le Conseil constitutionnel avait répondu positivement en 1993 dans un cas voisin (20), le commissaire du gouvernement Jean-Marie Delarue a au contraire souligné l’inconstitutionnalité de ce motif de provenance d’un pays tiers sûr, motif ne pouvant être rattaché à la nécessité de la sauvegarde de l’ordre public (21).
17. Enfin la CNCDH se doit de rappeler que si la Constitution comporte depuis la révision du 25 novembre 1993 un nouvel article 53-1 selon lequel  » La République peut conclure avec les Etats européens qui sont liés par des engagements identiques aux siens en matière d’asile et de protection des Droits de l’homme et des libertés fondamentales, des accords déterminant leurs compétences respectives pour l’examen des demandes d’asile qui leur sont présentées « , cette disposition permet seulement des accords visant à confier l’examen d’une demande d’asile à un Etat européen. Elle n’autorise pas la France à se délier de son obligation d’examen d’une demande d’asile en application du concept européen de pays tiers sûr qui exclut par définition le traitement de la demande par un Etat européen.
18. Elle relève de surcroît que s’il était envisagé d’imposer aux Etats membres d’appliquer le concept de pays tiers sûr, alors qu’il ne s’agit aujourd’hui que d’une faculté qui leur est laissée par la directive  » Procédures « , le droit constitutionnel dont les autorités de la République disposent d’accorder  » toujours  » l’asile à qui elles souhaitent en vertu de ce même article 53-1 de la Constitution serait également méconnu (22).

II. – La mise en œuvre aléatoire du concept de pays tiers sûr

19. Non seulement le concept de pays tiers sûr doit être écarté pour les raisons liées à son inconstitutionnalité et à son inconventionnalité, mais de surcroît les conditions de sa mise en œuvre condamnent son introduction dans le droit français et son maintien dans le droit de l’Union européenne.

A. – La sûreté : une notion incertaine

20. L’article 38-1 de la directive Procédures définit la sûreté dans le pays tiers de manière principalement négative par la protection contre les persécutions que peut assurer le pays tiers, tant au niveau juridique que pratique (23). Mais la définition même de la sûreté revêt un caractère aléatoire. Par ailleurs si de manière plus positive, la directive prend en compte la protection au titre de l’asile comme élément de la sûreté du pays tiers, il convient de noter qu’elle ne garantit qu’une possibilité de solliciter la reconnaissance du statut de réfugié et d’obtenir dans ce cas un statut conforme à la convention de Genève. S’agissant de cette dernière condition, la protection est à la fois forte car elle n’envisage que le statut de réfugié et non la protection subsidiaire, et faible car il ne s’agit que d’une possibilité de solliciter ce statut. Il n’est en outre pas envisagé que soit mis en place un système d’asile garantissant l’accès aux procédures et des conditions d’accueil des demandeurs. Au-delà du caractère insuffisant de la notion de sûreté appliqué à un pays, les conditions d’application du concept de pays tiers sûr sont aléatoires.
21. L’article 38 – 2 de la directive encadre l’application du concept par trois règles (24) qui renvoient à celles fixées dans le droit national. Cela signifie que ce sont les Etats qui doivent définir les conditions d’application du concept et qu’en conséquence, ils peuvent aller au-delà de la directive et élaborer des conditions plus restrictives, créant ainsi une disparité dans son application. Aucune des règles n’encadre véritablement les conditions d’application et laisse une grande latitude d’appréciation aux Etats.
22. La directive précise que des règles doivent prévoir  » un lien de connexion  » entre le demandeur et le pays tiers concerné. La notion de connexion est sujette à caution et peut revêtir de nombreuses formes. Mais dans la mesure où ce lien de connexion doit être tel qu’il soit  » raisonnable que le demandeur [se] rende [dans le pays en cause] « , il devrait uniquement être considéré comme tangible (25) et réel et se caractériser par la langue, les liens familiaux, la présence de biens dans le pays, l’intérêt particulier à vivre dans le pays etc., mais en aucun cas par la proximité géographique ou le fait d’être un simple pays de transit.
23. Le concept de pays tiers sûr rend ainsi compte d’une confusion entre les notions de persécution et de protection (26). Au lieu d’examiner les craintes de persécution du demandeur, ce seront finalement son itinéraire, la protection contre des mesures attentatoires à ses droits dans tout pays de passage et la simple possibilité d’y solliciter l’asile qui seront examinés dans un examen conditionnant la recevabilité de la demande. Le droit d’asile ne sera plus un droit personnel tenant compte de la situation de l’intéressé.
24. La directive prévoit ensuite que les Etats pourront choisir la méthode pour s’assurer que le concept de pays tiers sûr peut être appliqué à un pays déterminé ou à un demandeur déterminé. Si ces méthodes prévoient un examen au cas par cas, aucune obligation de procéder à un examen au fond n’est envisagée, ce qui ouvre la possibilité de recourir à des listes. L’établissement d’une liste commune aux Etats membres avait déjà été proposé pour les pays d’origine sûrs mais le Conseil y a renoncé devant l’incapacité des Etats à se mettre d’accord. Pour les pays d’origine sûrs, les Etats dressent eux-mêmes leur liste nationale. En France elle est établie par le conseil d’administration de l’OFPRA. Les disparités entre ces listes sont saillantes. Le nombre de pays figurant sur les listes varie sensiblement d’un Etat à un autre. Certains pays peuvent être considérés comme sûrs dans certains Etats et non sûrs dans d’autres. Ainsi, la France avait déclaré l’Albanie comme pays sûr et non le Kosovo alors que la Belgique avait déclaré l’inverse, à quelques jours d’intervalle (27). L’insécurité créée par cette disparité confirme qu’il n’est pas possible d’établir de liste applicable à tous les Etats membres, comme l’a souligné la CNCDH dans plusieurs de ses avis (28).
25. Le Conseil d’Etat exerce un contrôle des listes des pays d’origine sûrs qui s’est peu à peu renforcé qu’il s’agisse des motifs de classement ou de l’intensité de son contrôle en vérifiant, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, si l’OFPRA a fait une juste appréciation de la sûreté. Ce contrôle exercé sur des listes qui évoluent fréquemment atteste de la volatilité de la notion de sûreté et soulève la question de l’évaluation régulière des situations locales.

B. – Les difficultés d’application du concept

26. La déclaration UE-Turquie du 18 mars 2016, bien qu’elle ne mentionne pas explicitement la notion de pays tiers sûr, illustre la relativité du concept de sûreté. En pratique, elle permet le renvoi vers la Turquie de tous les migrants entrés irrégulièrement en Grèce ou interceptés avant leur entrée (29), en les faisant  » bénéficier  » d’une procédure dite accélérée à la suite d’un entretien individuel et en application des règles européennes et nationales de l’asile. Si cette procédure a été confirmée par le Conseil d’Etat hellénique (30), son application fait l’objet de nombreuses critiques en raison notamment des violations des droits fondamentaux et libertés constatées dans le pays et de la violation du principe de non refoulement par la Turquie (31), principe pourtant cardinal garanti par la Convention de Genève relative au statut des réfugiés. A cet égard, l’OFPRA a refusé de participer à l’examen de recevabilité conduit dans les  » hotspots  » auprès des réfugiés arrivés après le 20 mars (2016) (32).
27. La déclaration UE-Turquie confirme que la définition de la sûreté est loin d’être harmonisée. Son évolution est incertaine comme en attestent les discussions au niveau européen autour de l’extension de la notion de sûreté à des zones au sein d’un pays tiers (qui ne serait lui-même pas sûr) (33), faisant écho à la notion déjà existante en droit de l’Union européenne et en droit français d’asile interne dans le pays d’origine. De telles évolutions sont dangereuses car elles ouvrent la possibilité d’une reconnaissance quasi infinie de zones sûres et peuvent rendre de facto sûrs quasiment tous les pays.
28. Des obligations concrètes pèsent sur les Etats en ce qui concerne les conditions d’accès à la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’asile, qui ont été définies peu à peu par la jurisprudence européenne mais aussi administrative. La CNCDH rappelle à cet égard la très abondante et importante jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et notamment l’arrêt M. S.S. c. Belgique et Grèce (34) qui, à propos du Règlement Dublin III, a rappelé notamment les conditions que doit vérifier l’Etat membre avant tout renvoi tandis que la Cour de justice de l’Union Européenne, pointant du doigt les possibles défaillances systémiques en matière d’asile, a pris acte que la sûreté des Etats membres eux-mêmes pouvait être sujette à caution (35).
29. En conséquence, les demandeurs d’asile doivent pouvoir bénéficier de garanties procédurales mais leur mise en œuvre n’est pas effective.
30. L’application du concept de pays tiers sûr a pour effet de renverser la charge de la preuve puisqu’en cas d’irrecevabilité, le demandeur d’asile doit prouver, en se fondant sur sa situation individuelle, que le pays tiers réputé sûr ne l’est pas pour lui. S’il est indispensable que la présomption de sûreté puisse être renversée, elle crée néanmoins une nouvelle situation d’insécurité pour des demandeurs d’asile qui, par nature sont extrêmement vulnérables. Au surplus, le renversement de la présomption de sûreté risque d’être très difficile à opérer, surtout dans des délais courts, ce qui revient en pratique à rendre le recours contre une décision d’irrecevabilité illusoire.
31. Dans ce contexte, la CNCDH rappelle avec force qu’il est indispensable de garantir le droit à un recours effectif devant la juridiction spécialisée du droit d’asile, qu’est la CNDA, conformément à l’article 13 de la CESDH (36), notamment en prévoyant un recours ayant systématiquement un effet suspensif contre la décision d’irrecevabilité (37). Cela est d’autant plus important que les autorités françaises ne cachent pas leur volonté d’appliquer cette notion en Guyane aux demandeurs d’asile ayant notamment transité par le Brésil. Il convient de noter que le régime dérogatoire applicable aux obligations de quitter le territoire français dans les Outre-mer (38) rendrait de facto possible un renvoi massif des demandeurs d’asile vers le Brésil avant toute décision de justice, car le référé liberté ne fonctionne pas en pratique (39).
32. L’application du concept de pays tiers sûr est par ailleurs de nature à alourdir le traitement des demandes d’asile et de le rendre plus complexe car il implique l’examen individuel de la situation du demandeur, la vérification de sa situation (même s’il s’agit uniquement de vérifier son trajet), l’opposabilité du concept de pays tiers sûr, la possibilité de renverser la présomption de sûreté, la contestation du lien avec le pays tiers de renvoi, les recours contentieux à caractère suspensif, sans oublier les cas de déni par l’Etat tiers de sa capacité à accueillir le demandeur d’asile, avec en conséquence l’introduction d’un examen au fond de la demande. La notion de pays tiers sûr aura en outre pour effet de créer une véritable usine à gaz juridique et de d’accroître encore un peu plus un contentieux déjà de masse en matière d’asile.
33. Enfin, au-delà des conditions de mise en œuvre de ce concept, l’Etat tiers doit garantir des conditions matérielles d’accueil comprenant un accès à des moyens de subsistance suffisants : l’accès aux soins, à la santé, à l’éducation, à l’hébergement, au regroupement familial etc. La vulnérabilité inhérente au demandeur d’asile doit par ailleurs être prise en compte et la législation lui offrir en conséquence une protection stable avec la délivrance de titres de séjour spécifiques pour les demandeurs d’asile. Or, il apparaît aujourd’hui que peu d’Etats remplissent toutes ces conditions. Les accords de coopération qui se dessinent entre l’Union européenne et certains pays africains, laissent à penser que les pays tiers qui pourraient être considérés comme sûrs, ne garantissent pas encore l’accès à l’ensemble de ces droits.
34. La CNCDH se voit donc une nouvelle fois conduite à rappeler sa ferme opposition à cette notion. Ses inquiétudes sont d’autant plus sérieuses qu’un projet de règlement européen (comme tel directement applicable dans la législation des Etats membres) prévoit une réforme de l’application de la notion de pays tiers sûr avec notamment l’établissement d’une liste commune qui devrait s’appliquer à tous les Etats après une période de cinq ans suivant l’entrée en vigueur du règlement. Les Etats ne disposeraient plus d’aucune latitude dans l’application de ce concept.
35. La CNCDH entend souligner la gravité de la situation et appelle le gouvernement à renoncer à cette notion qui vide le droit d’asile de sa substance et confirme son instrumentalisation au service de la régulation de flux migratoires.
36. Face à ce bouleversement radical de l’esprit de la convention de Genève, la CNCDH invite le gouvernement non seulement à renoncer au concept de pays tiers sûr mais également à agir auprès de l’Union européenne pour qu’il soit abandonné.

(1) C. Teitgen-Colly,  » le concept de pays sûr « , Mélanges F.Julien-Laferrière,Bruylant 2011, p. 525 ; X.Créach,  » La notion de  » pays tiers sûr « ou l’instrumentalisation des itinéraires par les Etats d’accueil « , Recherches et asile, n° 2, 1997, p. 23.

(2) Directive 2005/85/CE du 12 décembre 2005 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale. Le renvoi vers un pays tiers a été envisagé dès la convention de Dublin (art.5-3) puis repris et développé dans les Résolutions et conclusions dites de Londres adoptées le 30 novembre et 12 décembre 1992 par les ministres des Etats membres de la Communauté européenne.

(3) La nouvelle directive ne considère plus une telle demande comme une demande infondée ouvrant comme telle aux Etats membres la possibilité de la traiter en procédure prioritaire (Dir. 2005/85/CE, art.23-4).

(4) Les atteintes graves sont :  » a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international « .

(5) Art. 38-2.

(6) Point 44.

(7) Article 18 de la Charte des droits fondamentaux.

(8) Aux fins de la présente Convention, le terme réfugié s’appliquera à toute personne 2) qui par suite d’événements survenus avant le 18 janvier 1951 er craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.

(9) CE Ass. 16 janvier 1981, Conté, n° 20527.

(10) CE Ass.18 décembre 1996, Rogers, Concl. J.-M. DELARUE, RFDA, 1997 p. 281.

(11) Concl. Bacquet sur CE, Ass 16 janvier 1981, Conté, n° 20527, AJDA 1981, 366.

(12) De surcroît comme l’a relevé J-M Delarue dans ses conclusions sur l’arrêt Rogers, l’article 31 ne dit rien des Etats autres que celui de premier asile et  » il ne saurait y avoir d’a contrario dans [sa] formulation « .

(13) Aux termes de l’article 33-1  » Aucun des Etats contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.  »

(14) UNHCR, Considerations on the Safe Third Country” Concept, Vienne 8 -11 juillet 1996.

(15) Conclusions n° 6 (XXVIII) et n° 125 (XXX) adoptées en 1977 et 1979.

(16) UN HCR, Considerations…prec.1996.

(17) Décision n° 93-325 du 13 août 1993 13 août 1993.

(18) Censure qui fut surmontée par la révision de la Constitution (v. nouvel article 53-1 (infra).

(19) CC 13 août 1993, cons.81.

(20) Motif prévu à l’article 31 bis 2° de l’ordonnance du 2 novembre 1945 d’admissibilité effective du demandeur dans un Etat tiers autre que son pays d’origine et de la possibilité pour lui d’y bénéficier d’une protection effective. Ce motif a été abrogé par la loi du 11 mai 1998.

(21) Concl. sur CE Ass. 1996, Rogers, préc. N’étant pas juge de la constitutionnalité de la loi, le Conseil d’Etat n’a pu se prononcer sur ce point. La loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme de l’asile a prévu un cas d’irrecevabilité s’agissant d’un demandeur bénéficiant du statut de réfugié et d’une protection effective dans un Etat tiers où il est effectivement réadmissible ; (art L.723-11, 2°), la loi n’ayant pas été déférée au Conseil constitutionnel, il ne s’est pas prononcé sur la constitutionnalité de cette irrecevabilité nouvelle issue du droit de l’Union qui consacre  » le concept de pays de premier asile « .

(22) Pour les nouvelles irrecevabilités fondées sur l’application du concept de premier asile introduites en 2015 à l’occasion de la réforme de l’asile, le législateur a pris soin d’indiquer que  » L’office conserve la faculté d’examiner la demande présentée par un étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection pour un autre motif  » (art.L723-11 ceseda).

(23) Absence de risque pour sa vie ou sa liberté pour l’un des motifs de la convention de Genève, respect du principe de non refoulement posé par l’article 33, non édiction de mesures d’éloignement contraires aux exigences du droit international, notamment l’interdiction de la torture ou de traitements inhumains et dégradants.

(24) Article 38 – 2 : L’application du concept de pays tiers sûr est subordonnée aux règles fixées dans le droit national, et notamment :

a) Les règles prévoyant qu’un lien de connexion doit exister entre le demandeur et le pays tiers concerné, sur la base duquel il serait raisonnable que le demandeur se rende dans ce pays ;

b) Les règles relatives aux méthodes appliquées par les autorités compétentes pour s’assurer que le concept de pays tiers sûr peut être appliqué à un pays déterminé ou à un demandeur déterminé. Ces méthodes prévoient un examen au cas par cas de la sécurité du pays pour un demandeur déterminé et/ou la désignation par l’État membre des pays considérés comme étant généralement sûrs ;

c) Les règles, conformes au droit international, qui autorisent un examen individuel en vue de déterminer si le pays tiers concerné est sûr pour un demandeur déterminé, ce qui, au minimum, permet au demandeur de contester l’application du concept de pays tiers sûr au motif que le pays tiers n’est pas sûr dans son cas particulier. Le demandeur est en outre autorisé à contester l’existence d’un lien entre lui-même et le pays tiers conformément au point a.

(25) Audition de Jacques Dia Gondo, HCR, administrateur principal chargé de protection du 4 décembre 2017.

(26) Xavier Créach , article précité.

(27) A la suite d’une décision du 16 décembre 2013 par laquelle le conseil d’administration de l’OFPRA avait ajouté l’Albanie et le Kosovo à la liste des pays d’origine sûr, le Conseil d’Etat a annulé partiellement, le 10 octobre 2014, cette dernière, conduisant au retrait du Kosovo de cette liste, estimant qu’il ne pouvait être considéré comme  » d’origine sûr  » eu égard notamment à l’instabilité du contexte politique et social et à l’insuffisance de protection offerte par les autorités publiques, alors qu’il estimait que l’Albanie pouvait être maintenue sur la liste en raison des évolutions positives constatées dans ce pays depuis 2011 (remaniant ainsi sa position exprimée sur la même question le 26 mars 2012 où il avait annulé la décision du conseil d’administration de l’OFPRA pour les deux pays). A l’inverse, le 23 octobre 2014, soit treize jours plus tard, le Conseil d’Etat belge a estimé que l’Albanie ne pouvait pas être considérée comme un pays d’origine  » sûr « , notamment eu égard au taux de reconnaissance élevé en Belgique du statut de réfugié pour ce pays alors qu’il n’a pas vu d’objection à ce que les autres pays de la liste, y compris le Kosovo, aient été désignés comme  » sûrs « .

(28) CNCDH, Avis sur le régime d’asile européen commun, adopté le 28 novembre 2013, JORF n° 0287 du 11 décembre 2013, texte n° 82, CNCDH, Avis sur le projet de loi relatif à la réforme de l’asile, adopté le 20 novembre 2014, JORF n° 0005 du 7 janvier 2015, texte n° 57.

(29) CNCDH, Déclaration à propos du projet d’accord de l’Union européenne -Turquie des 17 et 18 mars 2016, JORF n° 0084 du 9 avril 2016, texte n° 103.

(30) CE hellénique du 22 septembre 2017- jugements 2347/2017 et 2348/2017.

(31) Christoph Tometten,  » la fortification juridique de l’asile en Europe « , La Revue des droits de l’homme, actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 7 novembre 2017.

(32) Voir l’audition de Pascal Brice devant le Sénat du 18 mai 2016, lien au 8 décembre 2017 : http://www.senat.fr/rap/r16-038/r16-03825.html

(33) Carine Fouteau  » Le diabolique projet de l’Europe pour les demandeurs d’asile « , Médiapart.fr : 28 novembre 2017.

(34) CEDH, G.C. 21 janvier 2011, M. S.S. c. Belgique et Grèce, req. n° 30696/09.

(35) CJUE 21 décembre 2011, aff. C-411/10 NS c/ Secretary of State for the Home Department.

(36) Article 13 – Droit à un recours effectif : Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles.

(37) Audition de Serge Slama du 137 décembre 2017.

(38) CNCDH, avis sur  » le droit des étrangers et le droit d’asile dans les Outre-mer. Le cas de la Guyane et de Mayotte « , adopté le 26 septembre 2017, JORF n° 0276 du 26 novembre 2017 texte n° 41.

(39) Audition de Gérard Sadik du 1er décembre 2017.

Huffingtonpost // Gérard Collomb renonce à l’idée de « pays tiers sur » dans sa loi sur l’immigration

Gérard Collomb renonce à l’idée du « pays tiers sûr » dans sa loi sur l’immigration

Très décriée par les associations, cette mesure prévoyait le renvoi d’un débouté du droit d’asile vers le pays par lequel il a transité.

http://www.huffingtonpost.fr/2017/12/20/gerard-collomb-renonce-a-lidee-du-pays-tiers-sur-dans-sa-loi-sur-limmigration_a_23312661/

 

POLITIQUE – Ça commençait à faire beaucoup. Alors que la majorité se met clairement à exprimer son malaise à l’égard de la politique gouvernementale vis-à-vis des migrants, Gérard Collomb se voit contraint de lâcher du lest concernant son projet de loi sur l’immigration et le droit d’asile prévue pour la mi-janvier.

 

C’est notamment ce qui ressort de l’interview accordée par le député LREM de la Vienne Sacha Houlié ce mercredi 20 décembre à Europe 1, ce qu’a confirmé le ministère quelques minutes plus tard à l’AFP. Le vice-président de l’Assemblée nationale a annoncé que la notion de « pays tiers sûr » ne figurerait pas dans la loi qui sera présentée par le ministre de l’Intérieur. Or cette mesure figurait bien dans le texte que l’AFP avait pu consulter.

 

« C’est une annonce que je peux faire parce que je me suis entretenu hier soir avec Gérard Collomb qui nous a assuré que ça ne serait pas repris dans le texte qui nous sera présenté en 2018 », a assuré Sacha Houlié, qui a visité mardi un centre d’accueil en compagnie du ministre de l’Intérieur (vidéo ci-dessous).

 

Très décriée par les associations, cette notion de « pays tiers sûr » prévoit le renvoi d’un débouté du droit d’asile vers le pays par lequel il a transité. Autrement dit, un ressortissant du Darfour pourrait être renvoyé vers un pays du Maghreb par lequel il est passé pour rejoindre la France.

 

Cette disposition est autorisée par le droit européen. Pour autant, pas question pour Sacha Houlié d’y recourir. « S’ils ont transité par un pays vers lequel on serait autorisé à les renvoyer, nous nous priverons de cette possibilité parce que nous considérons que ça n’a pas à figurer dans le texte », a-t-il insisté.

« Certains le font déjà, comme la Hongrie, qui renvoie en Croatie et en Serbie les migrants qui arrivent sur son territoire, au nom de ce concept de pays tiers sûr et ce, pour fermer la route des Balkans », expliquait au Monde, Serge Slama, professeur de droit public à l’université de Grenoble. Pour Gérard Sadik, responsable de l’asile à la Cimade, cette approche « déroge à la tradition française de l’asile ». Ce que les députés LREM ont visiblement réussi à faire entendre à Gérard Collomb

L’Humanité// François Gemenne « La crise humanitaire n’est pas derrière nous »

Entretien réalisé par Ixchel Delaporte
Mardi, 24 Octobre, 2017

Un an après le démantèlement de la « jungle » de Calais, la situation est loin de s’être améliorée, rappelle le chercheur François Gemenne, qui dénonce une politique axée sur le sécuritaire.

Des files d’attente à l’entrée de bus, des valises à la main… Le 24 octobre 2016, l’État démarrait le transfert de quelque 7 400 migrants de la « jungle » de Calais vers des centres d’accueil en régions. Un an après le démantèlement de ce vaste bidonville, François Gemenne, chercheur en sciences politiques à l’université de Liège et à celle de Saint-Quentin-en-Yvelines, dresse le bilan de cette opération et constate le manque flagrant de solutions à plus long terme.

Un an après le démantèlement de la « jungle » de Calais, quel bilan dressez-vous ?

François Gemenne On peut considérer que la situation est pire, sans doute, par rapport à ce qu’était la « jungle ». À Calais, les conditions de vie et les droits humains, le droit à l’eau et à un toit, ne sont pas respectés a minima. La France est condamnée moralement à la fois par l’ONU, par le Défenseur des droits et par le Conseil d’État. La logique du gouvernement d’éviter tout « point de fixation » est absurde. Tant que Calais restera situé à 30 kilomètres des côtes anglaises et tant que la géographie de la France et de l’Angleterre restera ce qu’elle est, cet endroit restera un point de passage attractif pour les migrants. La traque permanente organisée par la police occasionne une tension très forte avec les associations et les migrants. Mais ces actions policières sont des gesticulations. C’est incroyable que la police empêche les associations d’aider, alors qu’elles pallient les manques de l’État. Calais est devenu un symbole de la politique d’asile de la France. Ces démonstrations de force n’ont aucun effet sinon de politiser le dossier à outrance.

L’évacuation de la « jungle » s’est aussi accompagnée d’une ouverture de centres d’accueil et d’orientation (CAO) partout en France. Que pensez-vous de cette politique de répartition ?

François Gemenne Sur le fond, cette politique est une bonne chose. Les solutions locales, avec des groupes de réfugiés moins nombreux, permettent un meilleur accueil, de moins inquiéter la population et de pratiquer une politique d’insertion plus réussie. Cela dit, cette répartition en CAO ne peut être faite de manière directive. Or c’est trop souvent ce qui s’est passé en France. Contrairement à l’Allemagne, où un plan de répartition plus réfléchi a été élaboré, les autorités françaises, je trouve, n’ont pas assez pris en compte les desiderata des réfugiés, dont beaucoup ne souhaitaient pas aller dans les centres qu’on leur imposait plus ou moins.

Que préconisez-vous pour améliorer la situation spécifique de Calais ?

François Gemenne Le Royaume-Uni a chargé la France d’appliquer sa politique migratoire. Il faudrait renégocier les accords du Touquet pour que cela se fasse de façon plus équilibrée. Et contraindre le Royaume-Uni à accepter les mineurs et à respecter un minimum les droits de l’homme. La France fait la même chose avec l’Italie dans la vallée de la Roya. Sans parler de ce que fait l’Europe avec la Turquie… Il faut cesser ces logiques de sous-traitance. Pour Calais, il est urgent d’ouvrir un centre humanitaire d’accueil qui fournisse les services de base.

Sur le plus long terme, quelles solutions envisagez-vous ?

François Gemenne D’abord, il y a des urgences humanitaires : les violences dont sont victimes les migrants et les noyades. On croit à tort que la crise humanitaire est derrière nous. Elle n’a jamais été aussi aiguë. Il faut lancer une opération de secours de grande envergure. Ensuite, la procédure d’asile est à bout de souffle. Donc il faudrait une agence européenne de l’asile. L’Union doit se doter d’une vraie politique d’asile commune. Mais aussi d’une politique d’immigration, en déterminant des voies d’accès sûres et légales pour ceux qui veulent migrer, sans opposer migrants économiques et réfugiés politiques. Le phénomène migratoire est complexe. Il possède des dimensions aussi bien politiques, environnementales qu’économiques. Et toutes les trois s’influencent mutuellement.

François Gemenne est politologue à l’université de Liège (Cedem)

42 % d’exilés ont obtenu l’asile

D’après l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), 42 % des migrants vivant dans la « jungle » de Calais et ayant demandé l’asile l’ont obtenu et 46 % attendent toujours une décision définitive. Au total, 5 466 adultes ont été acheminés dans l’un des 301 centres d’accueil et d’orientation en régions et 1 952 mineurs non accompagnés ont été orientés vers des CAO dédiés. Pour les mineurs, 515 d’entre eux ont été transférés vers le Royaume-Uni ou l’Irlande, 194 orientés vers l’Aide sociale à l’enfance, alors que 709 ont fugué. Ils sont 333 à avoir été évalués majeurs et redirigés vers un CAO.

Communiqué commun // Ces préfectures hors la loi

Action collective

Ces préfectures hors la loi

Dans le zèle qu’ils mettent à toujours accueillir moins et expulser plus, plusieurs préfets ont allègrement franchi le cap de la violation délibérée de la loi.

Ce sont les « dubliné-e-s » qui en font les frais, ces demandeurs et demandeuses d’asile auxquel-le-s il est imposé de retourner effectuer cette démarche dans le premier pays européen d’accueil, en application du règlement dit « Dublin III ».

Par un arrêt du 15 mars 2017 [1], la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que celles et ceux qui doivent être transféré-e-s dans ce premier pays d’accueil ne peuvent être préalablement placé-e-s en centre de rétention que si la loi nationale a déterminé les critères objectifs permettant de craindre qu’ils-elles prennent la fuite. Et par un arrêt du 27 septembre 2017 [2], la Cour de cassation a jugé « qu’en l’absence [dans la législation française] de disposition contraignante de portée générale, fixant les critères objectifs sur lesquels sont fondées les raisons de craindre la fuite du demandeur d’une protection internationale qui fait l’objet d’une procédure de transfert », un tel placement en rétention était illégal.

Et pourtant, nombre de ces hommes et femmes « demandeurs d’une protection internationale » sont encore convoqué-e-s dans les préfectures pour y être interpellé-e-s et placé-e-s en rétention, avant d’être ensuite rapidement transféré-e-s dans un autre pays avant même qu’un juge ait pu constater l’irrégularité de la procédure.

Autrement dit, ces préfets pratiquent la privation de liberté en dehors de tout cadre légal.

Faut-il rappeler que les personnes concernées n’ont commis aucun délit, qu’elles sont parmi les plus vulnérables, qu’elles ont fui leur pays pour préserver leur liberté ou sauver leur vie, et qu’elles attendent simplement que l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) – ou tout autre organisme équivalent dans un pays de l’Union européenne – statue sur leur cas ?

Le gouvernement organise-t-il la violation de la loi en ordonnant aux préfectures d’organiser des procédures aussi illégales qu’expéditives, ou s’agit-il d’initiatives individuelles de préfets zélés qui, coïncidence troublante, décideraient au même moment de s’opposer aux décisions des plus hautes juridictions ?   Dans un cas comme dans l’autre, un retour à l’État de droit s’impose. C’est pour que ses exigences soient fermement rappelées que les associations de défense des droits et les avocats qui défendent les personnes demandeuses d’asile s’adressent solennellement au gouvernement.

25 octobre 2017

Signataires : Acat, ADDE, Ardhis, Centre Primo Levi, Droits d’urgence, Fasti, Gisti, JRS, La Cimade, Ligue des droits de l’Homme, Mrap, Observatoire citoyen du CRA de Palaiseau, OEE, revue Pratiques, Saf, SMG, Syndicat de la magistrature.

Communiqué inter-associatif // CPA – trois lettres pour dissimuler la politique de « non accueil »

Action collective

CPA : trois lettres pour dissimuler la politique de « non-accueil »
Observations aux abords du centre de premier accueil de la Porte de La Chapelle à Paris du 13 au 30 juin 2017

Le centre de premier accueil (CPA) a été mis en place à Paris en novembre 2016 afin de « mettre à l’abri » les exilé·e·s qui arrivent dans la capitale et d’éviter que ces personnes ne vivent dans des campements insalubres sur les trottoirs. Dès son ouverture, il a rapidement montré ses limites et son incapacité à empêcher la formation de campements d’exilés à Paris.

Quelques semaines après les observations rapportées ci-après, qui se sont déroulées entre le 13 et le 30 juin 2017, une énième évacuation de campements parisiens a eu lieu (le 7 juillet 2017). Moins d’une semaine plus tard, les campements s’étaient reformés et les mêmes problèmes se posaient. Ces observations sur les conditions d’accès au centre de la Porte de la Chapelle sont destinées à servir de témoignage sur la violence et l’arbitraire que subissent les exilé·e·s à l’entrée d’un dispositif inscrit dans un contexte de sous-dimensionnement structurel des solutions d’accueil.

Sans une véritable politique d’accueil dotée de moyens suffisants, les situations décrites sont amenées à se répéter si le « modèle CPA » est reproduit à l’identique [1].

Manque de places au sein du CPA et difficultés d’orientation vers un dispositif d’hébergement saturé

Au regard des arrivées quotidiennes de migrants sur la capitale, le quota de 50 personnes devant être admises dans le centre chaque jour était d’emblée insuffisant pour faire face à la demande des exilé·e·s sans hébergement. Pour autant, nos observations montrent que le nombre de personnes accueillies quotidiennement au sein du CPA est largement inférieur à ce chiffre initialement prévu.

Selon la ville de Paris et le gestionnaire du CPA, une des causes importantes de la saturation à l’entrée du centre tient aux difficultés d’orientation lors de la sortie. Après les quelques jours de répit dans le centre et l’examen de leur situation administrative, les personnes sont censées se voir proposer une place plus pérenne dans un centre d’hébergement d’urgence pour migrants (Chum) de la région parisienne, ou, plus loin dans une autre région, dans un centre d’accueil et d’orientation (CAO).

Toutefois, le manque de places disponibles dans le dispositif d’hébergement dédié empêche cette orientation depuis le CPA.

Cette saturation du dispositif d’hébergement, est aussi un effet de la stratégie du ministère de l’intérieur à l’égard des « dublinés ». Depuis une circulaire du 19 juillet 2016, il est demandé aux préfectures de systématiser la mise en œuvre des procédures de « réadmission Dublin » à l’encontre des demandeurs d’asile ayant transité par d’autres pays européens. Cette procédure, dont il a été démontré maintes fois le caractère absurde et inéquitable du fait notamment des disparités entre les États européens dans l’accueil et l’examen de la demande d’asile, a comme conséquence de prolonger inutilement le séjour en Chum ou CAO de personnes demandeuses d’asile en France.

C’est ainsi, qu’en début de chaîne, le CPA fait les frais du manque de rotation des places d’hébergement et peine à recevoir les nouveaux migrants présents chaque matin à ses portes.

La situation de saturation constante génère une violence pour les personnes qui se voient obligées de dormir dans la rue, parfois de nombreuses nuits d’affilée. Des violences policières sont constatées régulièrement, soit aux abords du campement soit à l’entrée dans le CPA.

Le CPA, un centre de tri plus qu’un centre de premier accueil

Le nombre limité d’entrées dans le centre est lié à ses capacités matérielles d’hébergement, mais aussi au nombre de dossiers pouvant être traités par la préfecture au sein du Centre d’examen de situation administrative (Cesa). Le Cesa est un centre unique en France, créé spécialement pour contrôler la situation administrative des personnes accueillies au CPA. Les agents de la préfecture qui y travaillent ont comme consigne de ne pas enregistrer les demandes d’asile. Ils vérifient en revanche si les empreintes ont été relevées dans un autre pays de l’Union européenne. Le cas échéant, la préfecture de police mettra en œuvre une procédure spécifique de transfert dans un autre État européen. Ces personnes sont ensuite regroupées, la plupart du temps, dans des centres d’hébergement d’urgence pour migrants en Île-de-France afin de mieux les contrôler.

Les conditions d’hébergement et d’accompagnement sont très disparates et l’accès à des informations fiables et à un accompagnement juridique et social est souvent très limité voire absent. Ces personnes sont, en outre, privées des droits sociaux prévus pour les demandeurs d’asile (allocation financière, assurance maladie), et risquent à tout moment lors d’une convocation en préfecture d’être interpellées et expulsées.

Cette politique est la suite logique d’un durcissement contre ceux et celles passées par un autre pays européen.

Pour les personnes non identifiées comme ayant transité par un autre État européen, l’enregistrement de leur demande d’asile et l’accès à leurs droits sociaux seront reportés après leur orientation vers le lieu d’hébergement dédié.

Le passage obligé par le Cesa a, de fait, éloigné le CPA de sa fonction première (la mise à l’abri) en le transformant en centre de tri par la préfecture en fonction de la situation administrative des migrants.

Le CPA, une strate de plus dans le système d’asile déjà bien complexe en France

De nombreuses personnes croient, à tort, en sortant du Cesa, que leur demande d’asile est enregistrée, et ne comprennent pas la distinction entre plate-forme d’accueil des demandeurs d’asile (Pada), guichet unique des demandeurs d’asile (Guda), centre de premier accueil (CPA) et Centre d’examen de situation administrative (Cesa). Ces dispositifs sont tout aussi illisibles pour les travailleurs sociaux des centres d’hébergement, qui voient apparaître de nouvelles situations administratives (des demandeurs d’asile non enregistrés et des personnes placées sous « procédure Dublin » sans être demandeuses d’asile) et sont dans l’incapacité de conseiller les exilés et de les aider à faire valoir leurs droits.

En multipliant les étapes pour faire enregistrer une demande ou pour bénéficier d’une prise en charge, l’État accroît les sources d’embolie du système d’asile, générant précarité et campements informels. Les mêmes personnes se trouvant devant le CPA se retrouveront par la suite dans les campements qui se forment devant l’une des Pada pour tenter de faire enregistrer leur demande d’asile.

Les conséquences de cette dissimulation d’une politique de non-accueil sont, en premier lieu et à court terme, le développement de violences, l’apparition de maladies comme la gale, l’exacerbation des troubles de santé mentale liés à l’exil, ensuite et à moyen terme le non-accès à la prévention et aux soins, comme à un accompagnement social et juridique. La pérennisation de cette situation entraîne la dégradation des représentations sociales vis-à-vis des exilés, alimentant la stigmatisation, voire le risque d’actions violentes vis-à-vis de ces exilés et étrangers.

Il est ainsi plus judicieux et urgent, à Paris comme ailleurs, de concentrer les moyens sur un seul système, compétent pour l’enregistrement des demandes et l’orientation vers les hébergements disponibles, un système qui respecte les droits fondamentaux des personnes exilées, au sein d’une véritable politique d’accueil.

4 septembre 2017

Signataires :

  • ACAT
  • Centre Primo Levi
  • Cimade
  • Comede
  • Dom’asile
  • Gas
  • Gisti
  • Secours catholique – Île-de-France

 

OFPRA // Bilan provisoire de l’asile en 2016

https://www.ofpra.gouv.fr/fr/l-ofpra/actualites/premiers-chiffres-de-l-asile-en-0

D’après les premières données portant sur l’ensemble de l’année 2016 – données qui seront affinées lors de la publication du rapport annuel de l’Ofpra – 36 233 personnes ont été protégées en France l’an dernier par l’Ofpra ou la CNDA, en hausse de 35% par rapport à 2015 (contre 14 293 personnes protégées en 2012). Dans la continuité de l’année 2015, ¾ de ces accords ont été octroyés par l’Ofpra, le taux de protection étant de 29% à l’Ofpra et de 38% après la CNDA.

Le nombre de demandes d’asile a également progressé, puisque 85 244 demandes d’asile ont été enregistrées en 2016, soit une hausse de 6,5% par rapport à l’année précédente (hors personnes placées en procédure Dublin). Les ressortissants d’Afghanistan, du Soudan, de Syrie, d’Albanie et d’Haïti représentent près de 40% de l’ensemble des demandeurs d’asile. À noter qu’en 2016, ce sont également 5 205 petites filles qui ont été protégées par l’Ofpra contre le risque d’excision.

L’Ofpra a rendu 89 500 décisions en 2016, en hausse de 12% par rapport à l’année précédente. En parallèle, le délai moyen d’instruction est passé de plus de 7 mois en 2015 à 5 mois en 2016, rapprochant l’Office du délai moyen de 3 mois en 2017, et 511 000 documents d’état civil ont été délivrés (en augmentation de 20% par rapport à 2015).

Enfin, si l’Ofpra a reçu 143 170 demandeurs d’asile et protégés à Fontenay-sous-Bois durant cette année (+ 9% par rapport à 2015), sa mobilisation « hors les murs » s’est encore accrue en 2016. Ainsi, outre les missions hebdomadaires d’information sur l’asile à Calais et Grande-Synthe, l’Ofpra a organisé 42 missions en régions, Outre-mer, en Grèce, en Italie, au Liban, en Turquie et en Jordanie. Ce sont ainsi 3 000 personnes qui ont été entendues par l’Ofpra avec l’appui du HCR en Turquie, au Liban et en Jordanie dans le cadre de missions de réinstallation en France et 2 000 personnes entendues en Grèce et en Italie au regard du dispositif de relocalisation européenne. 15 officiers de protection ont également été présents tout au long de l’année 2016, tant en Grèce continentale qu’en Italie, pour des missions d’appui à la relocalisation (pré-enregistrement et information sur le dispositif).

Pour l’année 2017, l’Ofpra dispose d’un budget de 65 millions d’euros pour 2017 (37 millions en 2012) et compte 800 agents (475 en 2012).

L’EUROPE TERRE D’EXPULSION

Communiqué du Centre Primo Lévi

Tous ceux pour qui le droit d’asile a un sens (et ils restent heureusement nombreux) le disent haut et fort : l’accord conclu entre l’Europe et la Turquie le 18 mars dernier et appliqué depuis le 4 avril est absolument immoral vis-à-vis de ces personnes fuyant pour la plupart la violence.

Image HCR_format okL’accord conclu entre l’Europe et la Turquie le 18 mars dernier prévoit le renvoi en Turquie de toute personne arrivée irrégulièrement en Grèce après le 20 mars. En contrepartie, pour chaque Syrien renvoyé, un autre doit être « réinstallé » dans l’UE depuis le territoire turc, dans la limite maximale de 72 000 places.
Comment les dirigeants de 27 Etats ont-ils pu proposer et accepter un tel marchandage ? Une famille qui a fui l’Erythrée, la Syrie ou tout autre pays politiquement instable, qui a tout quitté pour sauver sa peau, et qui arrive au terme d’un parcours chaotique sur les côtes européennes où elle espère pouvoir enfin poser ses bagages et reprendre une vie aussi normale que possible, peut-elle décemment être renvoyée vers un pays où les droits de l’homme sont bafoués et où les garanties de protection sont encore plus faibles qu’en Europe ? Comment un tel court-circuitage de la procédure d’asile a-t-il pu même être envisagé ?

L’examen préalable des demandes d’asile : une promesse vaine

Pour se conformer au moins en apparence aux conventions internationales, la Grèce s’est engagée avant tout renvoi à examiner au cas par cas les demandes d’asile. Problème : si, depuis l’été 2015, l’Europe toute entière n’arrive pas à suivre le rythme des arrivées et à examiner toutes les demandes dans des délais raisonnables, comment la Grèce à elle seule, prise depuis 2008 dans une crise financière sans précédent, le pourrait-elle ? Athènes a dû s’engager à limiter à 15 jours maximum le délai d’examen des demandes. Or pour les quelque 6 000 réfugiés déjà arrivés depuis le 20 mars, seul un dixième des 2 300 agents attendus là-bas – principalement policiers et experts de l’asile – est actuellement déployé sur les îles, selon la Commission européenne. Résultat, les demandeurs ne bénéficient d’aucune aide juridique et les demandes sont examinées de façon expéditive – lorsqu’elles le sont : ainsi, récemment, le représentant du Haut-Commissariat aux Réfugiés a craint que « 13 personnes pour la plupart Afghanes, qui avaient exprimé le souhait de pouvoir demander l’asile, n’aient pas pu être enregistrés à temps » et aient été incluses à leur corps défendant dans la première vague de renvoi qui a eu lieu le 4 avril.
En outre, l’accord ne résout pas le problème des près de 50 000 autres migrants et réfugiés arrivés en Grèce avant le 20 mars et qui y sont bloqués depuis la fermeture de la route des Balkans.

Enfermés pour être renvoyés

Dans ce chaos politique, les tristement fameux « hotspots », initialement conçus comme des dispositifs de « premier accueil » dans les États membres situés en première ligne, puis rapidement appelés « centres d’enregistrement et d’identification », sont devenus de véritables camps de rétention. Dénonçant les conditions indignes qui y règnent, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et Médecins sans frontières ont même décidé de s’en retirer.
Protestations, panique, menaces de suicide : voilà le climat qui règne sur les îles grecques depuis les rixes qui ont provoqué la fuite de 600 personnes, selon les médias, hors du camp de rétention de Vial (sur l’île de Chios) d’où sont censés être coordonnés les départs.

La Turquie n’est pas un pays sûr pour les réfugiés

De cet accord, la Turquie sort gagnante : l’Union européenne lui versera 6 milliards d’euros d’ici fin 2018 pour l’accueil des réfugiés renvoyés sur ses côtes, promet plus de visas pour ses ressortissants et accepte de faire avancer les discussions concernant son adhésion. Et comble des machinations, la Turquie a même été promue par la Grèce au rang de « pays tiers sûr » pour que le renvoi de personnes réfugiées vers ses côtes soit légal. En contrepartie, et pour le principe, le Conseil européen a simplement déclaré attendre de la Turquie « qu’elle respecte les normes les plus élevées qui soient en ce qui concerne la démocratie, l’Etat de droit et le respect des libertés fondamentales, dont la liberté d’expression ».
Ce que les 27 savent pourtant pertinemment, c’est que l’Etat de droit est loin d’être acquis en Turquie. Concernant les risques encourus spécifiquement par les réfugiés dans ce pays, Amnesty International fait état, dans un communiqué du 1er avril, denombreuses expulsions forcées vers la Syrie, y compris de personnes en cours de demande d’asile, d’enfants seuls et d’une femme enceinte de huit mois. L’organisation affirme aussi que la Turquie a récemment « ouvert le feu sur certaines personnes ayant tenté de franchir clandestinement la frontière ».
De même, la « pratique administrative n'[y] est pas suffisante pour la protection notamment des Irakiens et des Afghans », a relevé Philippe Leclerc, représentant du Haut-Commissariat aux Réfugiés en France. Rappelons que la Turquie n’a pas ratifié la Convention de Genève et que par conséquent, c’est le HCR qui y examine les demandes de protection internationale et, dans le cas d’un octroi, qui cherche un pays de relocalisation.

En 2015, 76% des « migrants » n’étaient pas des migrants économiques

Aux fondements de cet ignoble accord se trouve, entre autres, la conviction de plus en plus ancrée que la plupart des personnes arrivées illégalement en Europe sont des migrants économiques. Alors que les chiffres pour étayer ou contredire cette hypothèse étaient jusqu’à présents très rares, un rapport de l’Institut national d’études démographiques (Ined) publié ce mercredi 6 avril affirme qu’avec l’évolution progressive des « flux » (en particulier marquée par l’exode syrien massif et par la présence toujours aussi importante des Érythréens et des Afghans), les personnes fuyant la guerre ou les persécutions sont désormais majoritaires. D’après cette étude, la proportion des réfugiés dans la population totale des personnes entrées illégalement en Europe est même passée de 33 % à 76 % au cours des cinq dernières années.

Conclusion

Cet accord infondé, injuste et inefficace, vigoureusement dénoncé par toutes les ONG de défense des droits de l’homme, par le pape François, par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe ou encore par le conseiller spécial de l’ONU sur les migrations, est le scandale de trop dans un monde déchiré par les guerres et dans un contexte généralisé de crise de l’accueil et de la solidarité. Les médias évoquent une « crise des réfugiés sans précédent depuis la Seconde Guerre Mondiale », mais se rappellent-ils que c’est précisément pour éviter de revivre le même chaos qu’ont été rédigées les Conventions de Genève ?
Aujourd’hui, l’histoire se répète au détriment de centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants nés au mauvais endroit, au mauvais moment. Finalement, les seuls dont cette situation fasse le bonheur et la fortune sont les passeurs, vers lesquels nombre de ces personnes en détresse sont poussées, en Europe comme en Turquie, à cause du renforcement de la sécurité aux frontières et de l’impossibilité de les franchir en toute légalité.
Alors que les débats restent vifs à la Commission européenne, où de nouvelles propositions sont en train d’émerger, espérons que la lucidité et l’humanité viennent rapidement éclairer nos gouvernements et ouvrir la voie à une vraie politique de l’accueil, respectueuse de la dignité de chaque être.