Un an après le démantèlement de la « jungle » de Calais, la situation est loin de s’être améliorée, rappelle le chercheur François Gemenne, qui dénonce une politique axée sur le sécuritaire.
Des files d’attente à l’entrée de bus, des valises à la main… Le 24 octobre 2016, l’État démarrait le transfert de quelque 7 400 migrants de la « jungle » de Calais vers des centres d’accueil en régions. Un an après le démantèlement de ce vaste bidonville, François Gemenne, chercheur en sciences politiques à l’université de Liège et à celle de Saint-Quentin-en-Yvelines, dresse le bilan de cette opération et constate le manque flagrant de solutions à plus long terme.
Un an après le démantèlement de la « jungle » de Calais, quel bilan dressez-vous ?
François Gemenne On peut considérer que la situation est pire, sans doute, par rapport à ce qu’était la « jungle ». À Calais, les conditions de vie et les droits humains, le droit à l’eau et à un toit, ne sont pas respectés a minima. La France est condamnée moralement à la fois par l’ONU, par le Défenseur des droits et par le Conseil d’État. La logique du gouvernement d’éviter tout « point de fixation » est absurde. Tant que Calais restera situé à 30 kilomètres des côtes anglaises et tant que la géographie de la France et de l’Angleterre restera ce qu’elle est, cet endroit restera un point de passage attractif pour les migrants. La traque permanente organisée par la police occasionne une tension très forte avec les associations et les migrants. Mais ces actions policières sont des gesticulations. C’est incroyable que la police empêche les associations d’aider, alors qu’elles pallient les manques de l’État. Calais est devenu un symbole de la politique d’asile de la France. Ces démonstrations de force n’ont aucun effet sinon de politiser le dossier à outrance.
L’évacuation de la « jungle » s’est aussi accompagnée d’une ouverture de centres d’accueil et d’orientation (CAO) partout en France. Que pensez-vous de cette politique de répartition ?
François Gemenne Sur le fond, cette politique est une bonne chose. Les solutions locales, avec des groupes de réfugiés moins nombreux, permettent un meilleur accueil, de moins inquiéter la population et de pratiquer une politique d’insertion plus réussie. Cela dit, cette répartition en CAO ne peut être faite de manière directive. Or c’est trop souvent ce qui s’est passé en France. Contrairement à l’Allemagne, où un plan de répartition plus réfléchi a été élaboré, les autorités françaises, je trouve, n’ont pas assez pris en compte les desiderata des réfugiés, dont beaucoup ne souhaitaient pas aller dans les centres qu’on leur imposait plus ou moins.
Que préconisez-vous pour améliorer la situation spécifique de Calais ?
François Gemenne Le Royaume-Uni a chargé la France d’appliquer sa politique migratoire. Il faudrait renégocier les accords du Touquet pour que cela se fasse de façon plus équilibrée. Et contraindre le Royaume-Uni à accepter les mineurs et à respecter un minimum les droits de l’homme. La France fait la même chose avec l’Italie dans la vallée de la Roya. Sans parler de ce que fait l’Europe avec la Turquie… Il faut cesser ces logiques de sous-traitance. Pour Calais, il est urgent d’ouvrir un centre humanitaire d’accueil qui fournisse les services de base.
Sur le plus long terme, quelles solutions envisagez-vous ?
François Gemenne D’abord, il y a des urgences humanitaires : les violences dont sont victimes les migrants et les noyades. On croit à tort que la crise humanitaire est derrière nous. Elle n’a jamais été aussi aiguë. Il faut lancer une opération de secours de grande envergure. Ensuite, la procédure d’asile est à bout de souffle. Donc il faudrait une agence européenne de l’asile. L’Union doit se doter d’une vraie politique d’asile commune. Mais aussi d’une politique d’immigration, en déterminant des voies d’accès sûres et légales pour ceux qui veulent migrer, sans opposer migrants économiques et réfugiés politiques. Le phénomène migratoire est complexe. Il possède des dimensions aussi bien politiques, environnementales qu’économiques. Et toutes les trois s’influencent mutuellement.
François Gemenne est politologue à l’université de Liège (Cedem)
42 % d’exilés ont obtenu l’asile
D’après l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), 42 % des migrants vivant dans la « jungle » de Calais et ayant demandé l’asile l’ont obtenu et 46 % attendent toujours une décision définitive. Au total, 5 466 adultes ont été acheminés dans l’un des 301 centres d’accueil et d’orientation en régions et 1 952 mineurs non accompagnés ont été orientés vers des CAO dédiés. Pour les mineurs, 515 d’entre eux ont été transférés vers le Royaume-Uni ou l’Irlande, 194 orientés vers l’Aide sociale à l’enfance, alors que 709 ont fugué. Ils sont 333 à avoir été évalués majeurs et redirigés vers un CAO.