Communiqué sur l’affaire Martine Landry: le parquet requiert la relaxe

http://www.anafe.org/spip.php?article474

La décision sera rendue le 13 juillet 2018

[Communiqué de presse AIF / Anafé]

Mercredi 30 mai 2018

Le tribunal correctionnel de Nice a mis son jugement en délibéré dans l’affaire des poursuites engagées à l’encontre de Martine Landry, pour ‘délit de solidarité’. Suite à l’audience qui s’est tenue aujourd’hui, le parquet a requis la relaxe de Martine. La décision sera rendue le 13 juillet 2018.

Amnesty International France (AIF) et l’Anafé (Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers) réitèrent leur soutien à leur militante.

« Cette décision est très attendue à l’heure où nous sommes régulièrement alertés par des citoyens et des organisations sur les entraves que les autorités françaises mettent à leurs actions d’aide humanitaire et de défense de droits des personnes migrantes et réfugiées. De Calais, de Briançon ou de Gap – où trois personnes seront jugées demain pour « aide à l’entrée irrégulière » – certains témoignent d’entreprises délibérées de dissuasion mises en place par l’Etat français pour freiner ou leur faire abandonner leurs actions », souligne Laure Palun, Coordinatrice associative de l’Anafé.

« Même avec les modifications apportées par l’Assemblée nationale à l’occasion de l’examen du projet de loi ‘asile- immigration’ la législation française souffre d’imperfections et le ‘délit de solidarité’ subsiste. Des poursuites injustes comme celles qui visent Martine Landry continueront d’être possibles si la loi est adoptée en ces termes », déclare Jean-François Dubost, Responsable du programme Protection des populations d’AIF.

Pourtant, le protocole de Palerme, ratifié en 2002 par la France, exclut que des actions pénales soient engagées à l’encontre de personnes ou d’organismes qui apportent une aide à des migrants en situation irrégulière, sans rechercher aucun avantage financier ni matériel, qu’il s’agisse de l’entrée ou du séjour de personnes sur le territoire d’un Etat. Ce protocole, par l’effet de la Constitution française, a une autorité supérieure à la loi.

« La France doit se conformer à ses engagements et s’aligner sur le droit international en cessant de criminaliser l’action de personnes ou d’associations qui viennent en aide à des personnes migrantes ou réfugiées, dès lors que cette aide ne donne lieu à aucun avantage financier ou matériel », rappelle Jean-François Dubost.

« L’examen par le Sénat du projet de loi doit être l’occasion de supprimer le ‘délit de solidarité’ afin de rendre impossible les poursuites pénales à l’encontre de personnes dont l’aide à l’entrée ou au séjour n’a été motivée que par un élan d’humanité », précise Laure Palun.

Dans l’attente de ce jugement, les deux organisations demandent aux autorités de mettre un terme à toutes les poursuites judiciaires relevant de cette situation. AIF et l’Anafé seront présentes aux côtés de Martine le 13 juillet à Nice.

INFORMATIONS COMPLEMENTAIRES

Martine Landry est membre d’Amnesty International depuis 2002. Elle est la référente régionale Provence-Alpes-Côte d’Azur sur la question des réfugiés et migrants depuis 2011 et est chargée d’une mission d’observation en zone d’attente pour AIF. En parallèle, elle conseille les demandeurs d’asile et les accompagne dans l’accès à leurs droits, missions pour lesquelles elle a bénéficié de plusieurs formations. Martine Landry travaille avec l’Anafé depuis 2011 et en est membre depuis 2017. Dans ce cadre, elle participe activement à la mission d’observation à la frontière franco-italienne.

Il lui est reproché d’avoir « facilité l’entrée de deux mineurs étrangers en situation irrégulière ». Elle risque jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende.

Résumé des faits

Le 28 juillet 2017, la police italienne a renvoyé, à pied, deux mineurs isolés étrangers vers la France.

Martine Landry les a « récupérés » du côté français de la frontière Menton/Vintimille, au panneau « France » plus exactement, pour les accompagner à la police aux frontières (PAF), munie des documents attestant de leur demande de prise en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE). Les deux mineurs, tous deux âgés de 15 ans et d’origine guinéenne, ont par la suite été pris en charge par l’ASE.

Le 31 juillet, Martine Landry s’est rendue à la PAF de Menton suite à l’interpellation et au transfert de onze migrants. Ce jour-là, elle se voit remettre une convocation pour une audition le 2 août. Le lendemain, Martine Landry reçoit une convocation du tribunal correctionnel de Nice. Elle devait être jugée le 8 janvier pour « avoir facilité l’entrée de deux mineurs étrangers en situation irrégulière […], en ayant pris en charge et convoyé pédestrement ces deux mineurs du poste frontière côté Italie au poste frontière côté France ». Son audience a été renvoyée à trois reprises : le 14 février, le 11 avril et enfin, le 30 mai 2018.

Droit international applicable

Le 29 octobre 2002, la France a ratifié le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, mer et air, additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée. Ce texte définit le trafic illicite de migrants comme « le fait d’assurer, afin d’en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel, l’entrée illégale dans un État […] d’une personne qui n’est ni un ressortissant ni un résident permanent de cet État ». En posant la condition d’en retirer un avantage financier ou un autre avantage matériel, les auteurs de ce texte ont clairement voulu exclure les activités des personnes apportant une aide aux migrants pour des motifs humanitaires ou en raison de liens familiaux étroits. L’intention n’était pas, dans le Protocole, d’incriminer les activités de membres des familles ou de groupes de soutien tels que les organisations religieuses ou non gouvernementales. Cette intention est confirmée par les travaux préparatoires des négociations en vue de l’élaboration de la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée et des protocoles s’y rapportant (2008), p. 514 – (Office des Nations unies contre la drogue et le crime, Travaux préparatoires).

« Le délit de solidarité » dans le projet de loi asile et immigration

Lors de l’examen à l’Assemblée nationale du projet de loi, la question du « délit de solidarité » été débattue alors même qu’il n’y avait rien dans le projet initial du gouvernement.

La mobilisation de la société civile a permis une prise de conscience des députés sur les situations auxquelles sont confrontées les personnes solidaires des migrants qui sont poursuivies.

Pourtant, la rédaction de l’amendement du gouvernement adopté par l’Assemblée n’apporte pas de modification suffisante par rapport à la situation actuelle. La liste des immunités et les conditions requises pour ne pas être poursuivi feront toujours courir un risque aux militants, citoyens et organisations qui agissent pour le respect des droits humains. Enfin, ces exceptions ne concernent que le séjour et la circulation et non l’entrée sur le territoire.

Ainsi, les actions des personnes, comme Martine Landry, qui viennent en aide à des personnes à la frontière, ne seront pas concernées.

Cependant, rien n’est encore acté car le projet de loi sera, à partir de juin, entre les mains des sénateurs. AIF et l’Anafé appellent donc les sénateurs à abroger le « délit de solidarité » afin de mettre un terme à toute poursuite judiciaire relevant de situations similaires.

Enquête d’Amnesty International à la frontière franco-italienne « Des contrôles aux frontières du droit » : https://www.amnesty.fr/refugies-et-migrants/actualites/frontiere-franco-italienne-des-controles-aux-frontieres

Note de l’Anafé sur le « rétablissement des contrôles aux frontières internes et état d’urgence – Conséquences en zone d’attente » : http://www.anafe.org/spip.php?article412

Amnesty International France

Créée en 1961, Amnesty International est un mouvement mondial et indépendant de plus de 7 millions de membres et sympathisants qui œuvrent pour le respect, la défense et la promotion de tous les droits inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Amnesty International a reçu le prix Nobel de la paix en 1977. Amnesty International France (AIF) a été créée en 1971. Son financement repose sur la générosité du public (200 000 donateurs), sur les ventes de produits de soutien et les cotisations de ses 75 000 membres. AIF est agréée par le Comité de la charte du don en confiance.

www.amnesty.fr – @amnestypresse – Agir – Faire un don

Anafé (Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers)

Depuis 1989, l’Anafé (Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers) agit en faveur des droits des étrangers se présentant aux frontières françaises et européennes et dénonce les violations des droits des personnes maintenues en zones d’attente résultant des pratiques de maintien et de refoulement aux frontières. Les actions de l’Anafé sont financées notamment grâce à des subventions de fondations privées ou onusiennes, des cotisations de ses membres et des dons.

www.anafe.org – contact@anafe.org – Agir avec l’Anafé – Faire un don

Tribune dans le monde contre l’incrimination des aidant.e.s

« Nous avons aidé, nous aidons et aiderons toute personne migrante dans le besoin »

Un collectif, dont font partie Benoît Hamon, Cédric Herrou, J.M.G. Le Clézio ou François Morel, dénonce dans une tribune le procès intenté à trois personnes qui se sont montrées solidaires de migrants.

LE MONDE | 30.05.2018

Tribune. Le samedi 21 avril, quelques dizaines de militants du mouvement extrémiste Génération identitaire se retrouvent au col de l’Echelle, dans les Alpes, avec pour objectif de bloquer l’arrivée des personnes migrantes et de les renvoyer vers l’Italie, quitte à les mettre en danger. Ils déploient des banderoles haineuses et matérialisent symboliquement la frontière avec une barrière de chantier. Ils s’instaurent en milice, dont les slogans et motivations sont clairement racistes.

Nous rappelons que les provocations publiques à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale constituent un délit (art. 24, alinéa 6, loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse) punissable d’un an d’emprisonnement et/ou d’une amende de 45 000 euros au plus. Les forces de l’ordre ne sont pas intervenues pour mettre fin à cette action, la considérant donc, implicitement, comme tout à fait légale. Le ministre de l’intérieur lui-même a d’ailleurs minoré ces faits en les qualifiant de « gesticulations ».

En réaction à cela, plus de 160 personnes solidaires ont lancé un cortège spontané pour passer la frontière avec des personnes migrantes. Contrairement aux identitaires, les solidaires se sont heurtés à un cordon de gendarmes, qui ont finalement laissé la manifestation avoir lieu.

Lire aussi : Militants identitaires dans les Alpes : les autorités dénoncent « une opération de communication »

Quelques heures plus tard, alors que le cortège était terminé depuis longtemps, trois jeunes gens qui en faisaient partie, Bastien et Théo, deux Suisses, et Eleonora, une Italienne, ont été arrêtés et placés en garde à vue. Ils sont restés en détention provisoire à la maison d’arrêt des Baumettes à Marseille pendant neuf jours avant d’être libérés le 3 mai. Leur procès a été fixé à la date du 31 mai.

Poursuivis pour « aide à l’entrée de personnes en situation irrégulière en bande organisée », ils encourent une peine allant jusqu’à dix ans de prison et 750 000 euros d’amende, assortie d’une interdiction de pénétrer sur le territoire français. Bastien, Théo et Eleonora s’ajoutent à la longue liste de ceux que les médias ont appelés « délinquants solidaires » : Pierre-Alain, Francesca, René, Dan, Sylvain, Françoise, Raphaël, Martine, Cédric… Tous condamnés selon les articles L.622-1 et L.622-4 du Ceseda (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile), communément appelé le « délit de solidarité ».

Cet article a d’ailleurs été légèrement modifié par l’Assemblée nationale française le lendemain des faits relatés ci-dessus, lors de l’adoption du controversé projet de loi « asile et immigration » en première lecture. L’aide à la circulation ou au séjour irrégulier pourrait ne plus donner lieu à des poursuites pénales si « l’acte reproché a consisté à fournir des conseils et de l’accompagnement, […] des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci, ou bien tout transport directement lié à l’une de ces exceptions, sauf si l’acte a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte ou a été accompli dans un but lucratif ».
Fraternité illégale

Force est de constater que la preuve repose sur le simple citoyen et non pas sur le parquet, et que la notion de « contrepartie directe ou indirecte » est suffisamment floue pour permettre des poursuites pénales, alors que l’action n’est dictée que par le seul souci d’humanité et mue par la mise en œuvre de la fraternité, devise de la République. Rappelons par exemple que la cour d’appel d’Aix-en-Provence a reproché à Cédric Herrou une « contrepartie militante ». C’est pourquoi cette modification est inutile, et hypocrite.

CES CITOYENS SONT POURSUIVIS POUR AIDE À L’ENTRÉE, AU SÉJOUR ET À LA CIRCULATION DE PERSONNES EN « SITUATION IRRÉGULIÈRE », TERMES D’UNE FROIDEUR DÉSHUMANISANTE

Nous rappelons que la demande d’asile à la frontière est un droit fondamental très souvent bafoué par l’Etat français, créant des situations complexes, avec des personnes qui n’ont effectivement pas accès à leurs droits et qui sont considérées « en situation irrégulière ». Des citoyens se trouvent confrontés à cette réalité, décident de les aider, et réagissent pour beaucoup impulsivement.

Ils sont poursuivis pour aide à l’entrée, au séjour et à la circulation de personnes en « situation irrégulière », termes d’une froideur déshumanisante qui invitent à considérer les personnes migrantes dépossédées de leurs droits comme des sous-hommes… Avant d’agir pour assurer la dignité de la personne en face de soi, il faudrait l’interroger sur sa situation administrative, alors même que ce contrôle ne relève pas du citoyen.

Lire aussi : Entre l’Italie et la France, la frontière de tous les dangers

Aussi, s’il devient dangereux, illégal, d’aider ces « sous-hommes », alors que devient notre devise républicaine, et que deviennent nos valeurs d’égalité et de fraternité ? Nous, citoyens de la République française, déclarons que nous avons déjà aidé, que nous aidons actuellement, et que nous aiderons à l’avenir toute personne migrante dans le besoin, même en situation irrégulière, au nom des valeurs d’égalité et de fraternité inscrites dans notre devise nationale, qui est le socle de notre République.
Liste complète des signataires

1 Cédric Herrou, Président de DTC – Défends ta citoyenneté
2 Agnès Jaoui Cinéaste, Comédienne
3 Alice de Poncheville Scenariste, Ecrivaine
4 Alice Diop Cinéaste
5 Anne Vellay Médecin
6 Annie Ernaux Ecrivaine
7 Arié Mandelbaum Peintre
8 Arno Bertina Ecrivain
9 Audrey Estrogou Cinéaste
10 Benoit Hamon Homme politique
11 Bernard Pagès Sculpteur
12 Bertrand Tavernier Cinéaste
13 Bevinda Chanteuse
14 Bruno Caliciuri (CALI) Chanteur
15 Bruno Sol Acteur
16 Médecins du Monde
17 Carmen Castillo Ecrivaine, cinéaste
18 Catherine Corsini Cinéaste
19 Catherine Withol de Wenden Chercheuse au CNRS
20 Celhia de Lavarène Journaliste
21 Céline Chapdaniel Productrice
22 Christian Guémy (C215) Street artiste
23 Christian Olivier (Têtes Raides) Chanteur
24 Christophe Ruggia Cinéaste
25 Claire Simon Cinéaste
26 Colin Lemoine Historien de l’art
27 Costa-Gavras Cinéaste
28 Cyril Celestin (Guizmo du groupe Tryo) Chanteur
29 Didier Bezace Acteur, metteur en scène
30 Didier Super Humoriste, chanteur
31 Dominique Cabrera Cinéaste
32 Edmond Baudoin Auteur et dessinateur de BD
33 Eliette Abecassis Femme de lettres, scénariste
34 Elisabeth Perceval Cinéaste
35 Emmanuel Finkiel Cinéaste
36 Eric Bellion Navigateur
37 Eric Fassin Sociologue
38 Erick Zonca Cinéaste
39 Ernest Pignon Ernest Artiste plasticien
40 Etienne Balibar Philosophe
41 Farida Rahouadj Actrice
42 François Flahault Directeur de recherche émérite au CNRS
43 François Gèze Éditeur
44 François Morel Cinéaste
45 Françoise Vergès Politologue
46 Fred Vargas Ecrivaine
47 Frédéric Lordon Économiste
48 Geneviève Brisac Ecrivaine
49 Geneviève Garrigos Ancienne présidente d’Amnesty international
50 Gérard Krawczyk Cinéaste
51 Gérard Mordillat Romancier et cinéaste
52 Gilles Perret Documentariste
53 Guillaume Meurice Humoriste et chroniqueur radio
54 Guy Baudon Documentariste
55 Henri Leclerc Avocat
56 Imhotep du groupe IAM Compositeur
57 Ingrid Metton Avocate
58 Ingrid Thobois Écrivaine
59 Jalil Lespert Acteur
60 Jean-Michel Ribes Comédien
61 JMG Le Clezio Ecrivain
62 Jonathan Zaccai Réalisateur
63 José Bové Député européen
64 Joseph Beauregard Auteur, documentariste
65 Josiane Balasko Comédienne, cinéaste
66 Juliette Binoche Comédienne
67 Juliette Kahane Ecrivaine
68 Kaddour Hadadi (HK) Chanteur

69 Kéthévane Davrichewy Ecrivaine
70 Laurence Côte Actrice
71 Laurent Cantet Cinéaste
72 Les Ogres de Barback Groupe de musique
73 Lilian Thuram Président de la Fondation Education contre le racisme
74 Lou de Fanget Signolet Scénariste
75 Lucas Belvaux Comédien
76 Magyd Cherfi Chanteur
77 Mariana Otero Cinéaste
78 Marianne Chaud Ethnologue, cinéaste
79 Marie Darrieussecq Ecrivaine
80 Marie Hélène Lafon Ecrivaine
81 Marie Payen Actrice
82 Marie-Christine Vergiat Députée européenne
83 Mark Melki Photographe
84 Martine Voyeux Photographe
85 Maryline Desbiolles Ecrivaine
86 Michel Agier Anthropologue
87 Michel Broué Mathématicien
88 Michel Toesca Cinéaste
89 Michèle Ray Gavras Productrice
90 Natacha Régnier Actrice
91 Nicolas Bancel Professeur ordinaire à l’université de Lausanne / CRHIM
92 Nicolas Bouchaud Comédien
93 Nicolas Klotz Cinéaste
94 Nicolas Philibert Cinéaste
95 Nicolas Sirkis (Indochine) Chanteur
96 Pascal Blanchard Historien
97 Pascale Dollfus Anthropologue, CNRS
98 Patrick Pelloux Syndicaliste / écrivain
99 Philippe Claudel Ecrivain
100 Philippe Faucon Cinéaste
101 Philippe Poutou Ouvrier, syndicaliste
102 Philippe Torreton Comédien
103 Pierre Grosz Auteur
104 Pierre Lemaitre Ecrivain
105 Pierre Salvadori Cinéaste
106 Pierre Schoeller Cinéaste
107 Rachid Oujdi Réalisateur
108 Rachida Brakni Comédienne
109 Raphaël Glucksmann Essayiste
110 Rithy Panh Cinéaste
111 Robert Guédiguian Cinéaste
112 Robin Campillo Cinéaste
113 Rokhaya Diallo Journaliste et réalisatrice
114 Sam Karmann Comédien, Réalisateur
115 Samuel Le Bihan Acteur
116 Sophie Adriansen Ecrivaine
117 Valérie Rodrigue Ecrivaine
118 Vincent Fillola Avocat, président d’Avocats Sans Frontières
119 William Karel Cinéaste
120 Yvan le Bolloc’h Acteur
121 Yves Cusset Philosophe

Manifeste des Assemblées Locales réunies pour la 1ère session plénière des États Généraux des Migrations

États généraux des Migrations

États Généraux des Migrations : déclaration historique pour une politique migratoire alternative

La première assemblée plénière des États Généraux des Migrations s’est tenue les 26-27 mai à Montreuil. Les centaines de participant.e.s ont adopté une déclaration inédite, fruit de la consultation de dizaines de milliers de citoyens, afin de proposer « un socle commun pour une politique migratoire respectueuse des droits fondamentaux et de la dignité des personnes ».

Plus de 500 personnes, représentant les quelques 106 assemblées locales présentes dans 76 départements, ont assisté deux jours durant à la première session nationale des États Généraux des Migrations qui se tenait dans la grande salle des fêtes de la mairie de Montreuil.

Cette rencontre est l’aboutissement d’un processus de concertation citoyenne ayant réuni environ 10 000 personnes, citoyen.ne.s français.e.s et exilé.e.s, lancé en novembre 2017 par 450 associations et collectifs citoyens de solidarité avec les personnes étrangères, lassés de ne pas être entendus par les pouvoirs publics dans la définition de la politique migratoire. Huit mois durant, ces assemblées locales ont travaillé afin de rédiger des cahiers de doléances visant à lister les situations inacceptables, ainsi qu’à collecter des propositions pour un accueil digne des personnes étrangères.

Ces propositions ont servi de base à une déclaration historique, le « Manifeste des Assemblées locales des États Généraux des Migrations pour une politique migratoire respectueuse des droits fondamentaux et de la dignité des personnes », débattue et adoptée durant cette première assemblée plénière. Ce manifeste comporte une quarantaine de propositions concrètes, véritable socle politique pour répondre à la « crise des politiques migratoires ». Dans son préambule, le manifeste rappelle « la situation humanitaire déplorable dans laquelle sont laissées nombre de personnes étrangères sur le territoire français ou à ses frontières » et les nombreuses condamnations de la France pour ses « entorses au droit international et aux conventions internationales ratifiées ». Le manifeste proclame notamment « un respect du droit d’asile effectif, qui ne soit plus prétexte à une logique de tri » et « une égalité des droits entre Français· e·s et étranger·ère·s présent·e·s sur le territoire ». Le règlement Dublin, la rétention des étrangers, et les expulsions sont aussi dénoncés.

Cette assemblée plénière marque la première grande réussite des États Généraux des Migrations, processus qui ne cesse de s’élargir et regroupe aujourd’hui plus de 1 600 organisations locales et nationales. Les participant.e.s ont décidé de poursuivre ce processus collectif pour résister aux discours xénophobes qui gangrènent la politique française et alimentent le racisme. Mais également pour aller plus loin dans la construction d’une politique migratoire alternative et créer un mouvement d’opinion. Toutes ces associations et collectifs sont aussi mobilisés pour dénoncer le projet de loi Asile et Immigration qui sera prochainement débattu au Sénat, loi qui constitue l’antithèse répressive et dégradante du Manifeste des États Généraux des Migrations.

Lien vers le texte du Manifeste : https://eg-migrations.org/Manifeste-des-Assemblees-Locales-reunies-pour-la-1ere-session-pleniere-des

Le 28 mai 2018

Manifeste des Assemblées Locales réunies pour la 1ère session plénière des États Généraux des Migrations [1]
Socle commun pour une politique migratoire respectueuse des droits fondamentaux et de la dignité des personnes

Considérant :

  • la situation humanitaire déplorable dans laquelle sont laissées nombre de personnes étrangères sur le territoire français ou à ses frontières, privées de la satisfaction de leurs besoins fondamentaux ;
  • les difficultés rencontrées par les personnes étrangères pour faire reconnaître la légitimité de leurs parcours, leurs compétences et leurs droits ;
  • les conséquences désastreuses de politiques principalement répressives, fondées sur une application « minimaliste » du droit d’asile, les conditions drastiques pour la délivrance de titres de séjour, la criminalisation de l’entrée irrégulière sur le territoire, la traque, la rétention et l’expulsion de personnes dont la seule faute est de ne pas disposer des bons papiers au bon moment ;
  • les coûts humains et financiers exorbitants de ces politiques, que ne justifient ni la dangerosité fantasmée des personnes étrangères, ni les résultats attendus de la prétendue « fermeture des frontières », toujours démentie par les faits ;
  • les entorses au droit international et aux conventions internationales ratifiées par la France, et les condamnations qui ont été prononcées à son encontre par des juridictions européennes ou internationales ;
  • la militarisation croissante des frontières, la création de régimes d’exception dans les zones frontalières ainsi que dans certains territoires ultra-marins, et leurs conséquences meurtrières ;
  • l’absence de concertation avec les personnes étrangères et les acteurs de la société civile ainsi que l’absence d’évaluation des politiques mises en œuvre depuis des décennies ;
  • la mise en concurrence, à travers les discours et les décisions des pouvoirs publics, des personnes subissant toutes formes de précarité, étrangères ou non ;
  • la juste indignation, la mobilisation et la solidarité dont témoignent un nombre croissant de citoyen·ne·s partout sur le territoire ;
  • la remise en cause quasi systématique de la présomption de minorité, les lacunes de la prise en charge par l’ASE, la maltraitance et l’enfermement des mineur·e·s ;

Nous, citoyen·ne·s français·e·s et étranger·ère·s résidant en France, associations, collectifs et syndicats engagés à l’échelon local, national et international pour la défense des droits des personnes étrangères au sein des États Généraux des Migrations,

  • sommes réuni-e-s au sein de 106 assemblées locales en France métropolitaine et d’outre-mer pour poser, dans la déclaration qui suit, les bases d’un renversement du discours dominant sur la question des migrations ;
  • inscrivons la déclaration qui suit dans la continuité de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ainsi que de tous les engagements internationaux de la France en matière de respect des droits des personnes ;
  • affirmons qu’il n’y a pas de « crise migratoire » mais une « crise des politiques migratoires » ;
  • appelons toutes et tous à nous rejoindre pour promouvoir une politique migratoire fondée sur les droits fondamentaux et régie par les principes suivants :

1. Un accueil digne des nouveaux arrivants

1-1 Création de dispositifs publics de premier accueil, à dimension humaine, répartis sur l’ensemble du territoire, où pourraient se rendre librement les personnes étrangères à leur arrivée sur le territoire ;

Principes de ces dispositifs :

1-2 Accueil inconditionnel ;

1-3 Prise en charge adaptée des personnes les plus vulnérables ;

1-4 Hébergement, obligation de mise à l’abri immédiate et prise en charge des moyens de subsistance ;

1-5 Information sur les possibilités offertes sur le territoire, sur les droits, sur les démarches à entreprendre, en tenant compte des projets de chacun·e.

2. Un respect du droit d’asile effectif, qui ne soit plus prétexte à une logique de tri

2-1 Nécessité de rendre effectif le droit des personnes menacées de persécution à une protection internationale, passant en particulier par :

2-2 L’arrêt des renvois des personnes vers le pays d’entrée dans l’Union Européenne ;

2-3 La suppression des procédures accélérées ;

2-4 L’abandon de la notion de pays d’origine sûrs ;

2-5 L’élargissement des critères ouvrant droit au statut de réfugié pour prendre en compte les causes très variées d’exil forcé ;

2-6 Le rejet de toute mesure qui prive les réfugié·e·s potentiel·le·s d’un examen équitable de leur demande et de possibilités effectives de contester un refus de l’Ofpra.

2-7 Le droit d’asile ne doit jamais être utilisé comme prétexte pour organiser une logique de tri, qui fait la distinction entre les personnes étrangères qui auraient « vocation à » venir s’installer en France et les autres, qualifiées de « migrants économiques » et considérées comme indésirables.

3. Vers une égalité des droits entre Français·e·s et étranger·ère·s présent·e·s sur le territoire

3-1 Respect effectif des droits fondamentaux, des textes internationaux ratifiés par la France via les mesures suivantes :

3-2 Respect du droit des mineur·e·s isolé·e·s aux dispositifs de la protection de l’enfance, sur la base de la présomption de minorité ; prise en compte de l’attention primordiale qui doit être accordée à l’intérêt supérieur de l’enfant, seul ou accompagné, dans toutes les décisions le concernant ;

3-3 Suppression des tests osseux pratiqués dans de la cadre de l’évaluation de la minorité pour déterminer si un.e jeune relève de la protection de l’enfance ;

3-4 Fin des contrôles au faciès ;

3-5 Fin de toutes les formes d’enfermement et d’assignation à résidence pour entrée ou séjour irréguliers ;

3-6 Droit à la régularisation pour les personnes résidant en France ;

3-7 Autorisation de travail pour toutes les personnes titulaires d’un titre autorisant au séjour (carte de séjour, attestation de demandeur d’asile, récépissé), et accordée dès la signature d’un contrat de travail et/ou le constat d’une relation de travail ;

3-8 Annulation des conditions spécifiques aux personnes de nationalité étrangère pour l’exercice d’un emploi ou la création d’une activité économique ;

3-9 Accès à la formation (apprentissage de la langue, scolarisation des enfants, études, formation professionnelle) ;

3-10 Élargissement de la reconnaissance de diplômes équivalents ;

3-11 Suppression des conditions limitant le droit au regroupement familial ;

3-12 Levée des barrières pour un accès, effectif et inconditionnel aux soins de santé (somatique et mentale) adossé sur le droit commun ;

3-13 Respect du principe d’égalité devant les services publics à tous les niveaux. Accès inconditionnel à un service d’interprétariat ;

4. Une reconnaissance des initiatives citoyennes dans l’accueil et le soutien aux personnes étrangères

4-1 Suppression effective du « délit de solidarité » et de toute mesure d’intimidation à l’encontre des personnes qui aident des étranger·ère·s de façon inconditionnelle et sans but lucratif ;

4-2 Reconnaissance et valorisation des initiatives solidaires comme des actions d’intérêt général ;

4-3 Reconnaissance et valorisation par les pouvoirs publics des manifestations de solidarité émanant de citoyen·ne·s ou de collectivités.

5. Modification des règles concernant l’accès au territoire français et des politiques européennes et internationales

Dans un souci de cohérence avec ce qui précède, il importe de réviser les règles d’accès au territoire français, fondées elles aussi sur une logique de tri, et de promouvoir ce changement au sein des instances européennes.

5-1 Abandon du règlement Dublin, droit des personnes étrangères au libre choix de leur pays de destination ;

5-2 Liberté d’entrée, de circulation et d’installation dans l’espace européen pour les personnes étrangères à l’Union européenne ;

5-3 Fin des mesures d’exception dans les espaces frontaliers de la métropole ainsi que dans les Collectivités et Territoires d’Outre-mer ;

5-4 Arrêt des politiques d’externalisation, de l’approche dite « hotspots » et de la multiplication de centres de tri sur les routes des migrant·e·s ;

5-5 Fin des expulsions, des bannissements, notamment par le biais d’IRTF (Interdiction de Retour sur le Territoire Français).

6. Conditions de réalisation et de mise en œuvre d’une telle politique alternative

6-1 Fin de la logique de discrimination et de suspicion généralisée envers les personnes étrangères, qui conduit à des drames, des violences, des souffrances, des humiliations et du harcèlement ;

6-2 Transfert des budgets engagés dans l’actuelle politique sécuritaire et répressive aux différents dispositifs d’accueil et d’accompagnement ;

6-3 Changement de gouvernance : la politique migratoire ne doit plus être confiée au seul ministère de l’Intérieur. Privilégier une approche interministérielle fondée sur le droit commun ;

6-4 Formation des personnels administratifs, fonctionnaires et travailleurs sociaux à la compréhension des questions migratoires, à l’interculturalité et à la logique de bienveillance ;

6-5 Fin de l’impunité des élu·e·s et représentant·e·s de l’État en cas de violations des droits imprescriptibles des personnes étrangères : systématisation des enquêtes des organisations de la société civile et pouvant être ordonnées par les tribunaux afin que soient sanctionnées les personnes responsables de ces manquements à leur mission, et protection des agents qui dénoncent ces violations ;

6-6 Mise en place de cadres de concertation et de coopération entre la société civile et les autorités (sans que cela conduise à pallier les carences de l’État) ;

6-7 Évaluation transparente et menée par des autorités indépendantes des politiques migratoires, avec un mécanisme qui engage les pouvoirs publics à tenir compte des recommandations.

[1Réuni.e.s pour une premières session plénière, 500 participant.e.s ont adopté ce premier texte, 8 mois après le lancement du processus des Etats Généraux des Migrations (106 assemblées locales, sur 76 départements, dont 3 ultra-marins).

GISTI sur l’expulsion des campements d’exilé.e.s à Paris

Communiqué

Évacuer dans le respect du droit : une imposture

Le ministère de l’intérieur informe avoir convoqué le préfet de Paris et celui d’Île-de-France pour « concevoir » l’évacuation « à bref délai » des campements d’exilés à Paris. Dans son communiqué du 23 mai, il prétend agir « face à l’ampleur » des camps, et vouloir « concili[er] les exigences de la mise à l’abri et de l’application du droit des étrangers ». D’après le ministre, évacuer les 2 300 personnes qui vivent dans des tentes sur les bords des canaux parisiens, c’est « remédier aux enjeux humanitaires qui ne sont plus supportables pour les Parisiens ».

Comment soutenir, une fois de plus, qu’évacuer des campements peut se faire dans le respect du droit – du droit à l’hébergement d’urgence et du droit des étrangers en général ? Si le ministre de l’intérieur connaissait vraiment les dossiers de son ressort, il n’ignorerait pas que la violation de ces droits – qu’il prétend vouloir préserver – a été sciemment orchestrée par les gouvernants successifs depuis près de vingt ans. Le droit à l’hébergement d’urgence, qui ne concerne pas que les personnes étrangères, est bafoué partout en France. S’agissant des personnes en demande d’asile, ce sont des dizaines de milliers de places qui manquent depuis des années pour les héberger, des milliers de places d’hébergement insalubres qui leur sont proposées, seulement pour quelques jours, avant qu’ils et elles soient contraint⋅e⋅s de regagner une tente ou un abri sous un porche. Aucune solution pérenne, même de premier accueil, n’a réussi à être « conçue » depuis 20 ans. En réalité, c’est la mise à la rue des étrangers qui parviennent jusqu’ici qui est organisée par l’État, en violation du droit.

Toujours en violation manifeste du droit, les exilé⋅e⋅s qui veulent demander l’asile n’ont même plus accès à la procédure ; partout en France, ils et elles font des queues littéralement interminables devant les préfectures ou passent des heures au téléphone ou devant un ordinateur dans l’espoir d’un rendez-vous hypothétique à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), première étape pour déposer leur demande. En attendant, ils et elles sont et restent des « migrants économiques » irréguliers, destinés à se retrouver en rétention lors de l’évacuation « légale » d’un campement. Ceux et celles dont les empreintes ont déjà été relevées ailleurs en Europe sont exclu⋅e⋅s du circuit de l’asile grâce à la machine infernale « Dublin ». C’est la case rétention qui leur est promise après l’évacuation de leur campement.

Prétendre vouloir soulager les Parisien⋅ne⋅s en recourant à la force publique pour déloger des exilé⋅e⋅s auxquelles on ferme par ailleurs toutes les portes, n’est pas supportable. Heureusement, nombreux sont les Parisien⋅ne⋅s qui partagent une autre vision politique et sensible de la situation des exilé⋅e⋅s encampé⋅e⋅s : bien différente de celle, désincarnée et brutale, d’une machine d’État qui cherche désespérément à exister en luttant contre l’immigration. Comme le ministère l’admet lui-même, les campements se reformeront, cette 35e évacuation ne servira à rien. Sauf peut-être à conforter les habitant⋅e⋅s de Paris et d’ailleurs dans leur conviction d’être gouverné⋅e⋅s par des imposteurs…


Le 28 mai 2018

Pétition de la Cimade

La Cimade lance une pétition « Faisons respecter le droit d ‘asile : sortons de l’enfer du système Dublin »

Vous pouvez la signer via le lien : http://agir.lacimade.org/dublin

Cette pétition intervient dans une période où le nombre de personnes Dublinées a fortement augmenté ces dernières années en France et où des négociations sont actuellement en cours à l’échelle européenne pour réformer le règlement Dublin.

Dans ce contexte, La Cimade a créé un groupe de travail dont les échanges ont abouti à une position de l’association sur le sujet.

De nombreuses personnes exilées, des collectifs locaux, des associations locales et nationales sont mobilisé·e·s contre ce système injuste et violent partout en France. C’est également le cas de partenaires dans d’autres pays européens. Ensemble, faisons monter la pression pour redire l’urgence de changer de cap !

A relayer largement dans vos réseaux !

Mediapart // Les exilés kurdes pleurent Mawda, 2 ans, tuée par balle en Belgique

https://www.mediapart.fr/journal/france/190518/grande-synthe-les-exiles-kurdes-pleurent-mawda-2-ans-tuee-par-balle-en-belgique

Par Elisa Perrigueur et Laurène Daycard

– Mediapart.fr

À l'intérieur du gymnase, les familles se sont recréé des
          espaces individuels en délimitant des espaces avec des lits
          picot et des draps tendus. © EPÀ l’intérieur du gymnase, les familles se sont recréé des espaces individuels en délimitant des espaces avec des lits picot et des draps tendus. © EP
 

Une course-poursuite entre une camionnette de migrants et la police belge a provoqué, jeudi 16 mai, la mort d’une fillette kurde hébergée dans un camp à Grande-Synthe. L’enfant a été tuée par balle. Après avoir démenti une première fois l’information jeudi, le parquet de Mons a admis vendredi que l’enfant avait été tuée par une balle. Dans le camp de Grande-Synthe où sont réunis plus de 400 exilés, la douleur est vive et les langues se délient quant aux conditions de passage.

Dans un recoin du gymnase de Grande-Synthe, près de Dunkerque, un cercle silencieux se forme autour d’Ako, jeudi 17 mai au matin. Cet exilé aux yeux rougis est au téléphone avec un ami, hébergé lui aussi dans ce bâtiment municipal jusqu’à la veille, avec sa femme et ses deux enfants. Plus de 400 migrants, presque tous des Kurdes d’Irak, logent sur ce site, dont 150 dans des tentes en extérieur. On entend son interlocuteur hurler de douleur : « J’ai tout perdu. Mon bébé. Ils ont tué mon bébé. » Assise à ses côtés, l’épouse d’Ako plonge son visage dans un mouchoir. Personne ne sait trop quoi dire pour calmer la détresse de l’homme au bout du fil.

Ce père s’appelle Shamdine. Il parle depuis une prison en Belgique, il a dissimulé son portable dans la couche d’un bébé, d’après les exilés. L’homme s’est fait arrêter dans la nuit, vers 2 heures du matin. Cinq heures plus tôt, il était parti avec sa famille, son épouse et ses deux enfants en Belgique pour monter clandestinement à bord de camions de marchandises allant jusqu’en Grande-Bretagne. Des passeurs étaient venus les récupérer en mini-van à Grande-Synthe, à une vingtaine de kilomètres de la frontière belge, avec une trentaine d’autres migrants.

Quand la police belge a tenté de le contrôler, le convoi de migrants a filé dans la nuit, sur la route E42 reliant Namur et Maisières. Au total, quinze véhicules de police les ont pris en chasse dans cette course-poursuite mortelle pour la fille de Shamdine. L’enfant « s’appelait Mawda », selon les Kurdes de Grande-Synthe. Âgée de 2 ans, elle est morte dans l’ambulance.

Vue du carré occupé par la famille de Mawda. En
            partant, ils ont abandonné ce siège pour bébé. © EP Vue du carré occupé par la famille de Mawda. En partant, ils ont abandonné ce siège pour bébé. © EP

Selon des médias belges, la petite aurait été brandie à l’extérieur de la camionnette, peut-être par un passeur, pour dissuader les policiers, une version non confirmée officiellement. « Les réseaux kurdes sont dangereux car capables de prendre l’autoroute en sens inverse, de percuter des véhicules pour s’enfuir, de rouler comme des fous, constate une source policière française. Nous le savons et ne faisons pas de courses-poursuites sur les routes avec des camionnettes de passeurs en France, trop dangereux. »

L’exilé kurde Ako, lui, s’emporte : « On est venus ici pour trouver la sécurité. Vous nous parlez des droits humains. Mais vous tirez sur des bébés. » Il exhibe sur l’écran de son téléphone des images de la fillette. Le regard espiègle, elle pose sa main sur sa bouche. Sur une autre, on voit cette enfant aux cheveux de jais dans un manège avec son grand-frère de 4 ans. « Elle a reçu une balle dans la joue », glisse Ako, le ton dur, en mimant un impact transperçant son visage.

Au moment de cet échange, jeudi 17 mai, le parquet belge de Mons n’évoque pas encore les tirs. Il faudra attendre le lendemain, le 18 mai, pour que les causes du décès de l’enfant soient officialisées. « On n’exclut pas que cette balle pourrait provenir d’une arme d’un policier », concède le substitut en conférence de presse. L’autopsie est en cours.

Ako a appris la macabre nouvelle très tôt le matin, sous la forme d’un SMS envoyé par Shamdine. Il nous emmène voir le « carré » octroyé à cette famille. Il reste quelques affaires abandonnées : des couvertures, une valise à roulettes. Un siège bébé trône au milieu. L’ancien terrain de sport est quadrillé par des lits de camp renversés sur les côtés, comme des barricades. Les exilés s’en servent pour se délimiter un « chez-soi » d’environ 2 mètres carrés. Ce peu d’intimité se paye au prix de nuits passées à dormir sur des couvertures à même le sol. Nerveux, Ako avait longuement hésité avant de nous donner son prénom. Il refuse de livrer toute autre information personnelle, mis à part le fait qu’il a été professeur d’anglais au Kurdistan irakien. Il se méfie presque autant des journalistes que de la police. Il parle car il veut que l’histoire de Mawda se sache.

Sa famille était arrivée à Grande-Synthe il y a un mois et demi. Les parents avaient quitté Ranya, au Kurdistan irakien, pour rejoindre l’Europe dès 2015, via la Turquie puis la « route des Balkans ». La fillette est née en Allemagne mais ses parents ont été déboutés du droit d’asile. Une grande partie des Kurdes de Grande-Synthe sont dans la même situation : ce ne sont plus des migrants nouvellement arrivés sur le continent. Il peut aussi s’agir de « dublinés » d’Espagne, de Grèce… où leur première demande d’asile a été déposée. Tous voient désormais la Grande-Bretagne voisine comme leur espoir, où ils peuvent trouver du travail plus facilement et rejoindre la famille. Celle de Mawda avait « des proches à Londres et à Birmingham », détaille Ako.

Intervention policière à Grande-Synthe, jeudi 17 mai,
            vers 14h30. © EP Intervention policière à Grande-Synthe, jeudi 17 mai, vers 14h30. © EP

Vers midi, jeudi, une centaine d’exilés furieux manifestent leur colère. Direction l’autoroute A16, toute proche. Ils bloquent la circulation le temps d’une heure, provoquant un bouchon sur plusieurs kilomètres. En réaction, vers 14 h 30, les CRS encerclent le gymnase pour fouiller les hommes. Deux ou trois tentes sont détruites et une dizaine d’entre eux sont interpellés. Certains d’entre eux avaient été placés en garde à vue pour « entrave à la circulation », ils ont tous été relâchés. Selon des agents municipaux, les forces de l’ordre cherchaient aussi des armes. Les passeurs kurdes vivent généralement parmi les migrants. Ils peuvent dissimuler leurs armes en les enterrant non loin des camps.

Dans les souvenirs des voisins du gymnase, la famille de Mawda tentait deux à trois fois par semaine la traversée. Ils faisaient appel aux passeurs organisés du secteur. Des cellules kurdes très présentes sur le littoral depuis les années 2000. Issues de différentes communautés (Erbil, Rania, Kirkouk, Halabja…), elles sont composées de 5 à 6 personnes. Ces réseaux prennent environ 3 000 euros par personne pour un passage pour un migrant kurde irakien – des prix qui varient selon les nationalités. Ils repèrent les aires d’autoroute non surveillées, où ils espèrent cacher les migrants dans les camions qui gagnent le port de Calais, principal point d’entrée du Royaume-Uni, avec un trafic quotidien moyen de 15 000 poids lourds.

La Belgique est un point de départ de plus en plus prisé des réseaux. « Ils s’y reportent depuis longtemps car les aires de repos autour de Calais ferment [par arrêté préfectoral, pour éviter que les camions ne se garent – ndlr] », précise une source policière française. « Les passeurs chargent 20 à 30 personnes dans une camionnette et s’arrêtent le long des routes, sur plusieurs parkings belges en faisant monter dans les camions des petits groupes. Cela peut leur paraître plus simple car la police belge n’a pas d’unité antipasseurs, ils ne sont pas habitués à traquer ces réseaux. »

À l'intérieur du gymnase, les familles se sont recréé
            des espaces individuels en délimitant des espaces avec des
            lits picot et des draps tendus. © EP À l’intérieur du gymnase, les familles se sont recréé des espaces individuels en délimitant des espaces avec des lits picot et des draps tendus. © EP

Pour les familles, surtout lorsqu’il y a des enfants en bas âge, ce report vers la Belgique complique le passage car cela rallonge le temps de confinement au milieu des marchandises, souligne Ali. Alors que le gymnase est toujours cerné par les CRS, cet ancien plombier de 34 ans raconte qu’il essaie lui aussi de passer avec sa femme et ses enfants. Les passeurs lui facturent ce « service » 28 500 euros, qu’importe le nombre de tentatives. Pour éviter de se faire repérer à cause des pleurs, certains parents donnent des somnifères aux enfants en bas âge, assure Ali.

L’expérience est dangereuse : « La semaine dernière, nous sommes allés jusqu’à Rouen pour monter dans un camion de pièces détachées. Nous avons passé deux nuits dans la cargaison mais il ne démarrait pas. C’était dur de respirer. Mes enfants, même l’aîné, portaient des couches. Nous, on faisait avec des bouteilles. » La tentative a été vaine et il est retourné au gymnase pour reprendre des forces.

Au début des années 2000, Ali avait déjà fait ce voyage seul vers la Grande-Bretagne en passant par Grande-Synthe. Il avait déboursé 500 euros pour venir depuis sa ville d’origine. Il avait pu obtenir son titre de séjour et s’était fait embaucher par un transporteur jusqu’à son retour au pays en 2010. Les conséquences de la guerre avec Daech l’a de nouveau poussé à l’exil. Revenu dans le nord de la France, il a découvert la frontière transformée, barricadée, des prix de passages décuplés et de plus en plus de victimes, comme Mawda.

Elle devrait être enterrée mercredi 23 mai en Belgique, au cimetière des indigents de Jolimont, à La Louvière, d’après les médias belges. Ses parents auraient reçu un ordre de quitter le territoire belge après la cérémonie.

Le Monde // La petite kurde Mawda, 2 ans, a été tuée par un policier belge

La petite Kurde Mawda, 2 ans, a été tuée par un policier belge

Le parquet de Mons a confirmé, mardi, le récit des parents de la fillette. Le tireur, laissé en liberté, sera interrogé par le comité de surveillance des polices.

LE MONDE | • Mis à jour le | Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, Correspondant)

C’est bien une balle tirée par un policier qui a tué la petite Kurde irakienne Mawda Shawri, 2 ans, lors d’une course-poursuite sur une autoroute qui s’est terminée tragiquement à Maisières, en Belgique, dans la nuit de jeudi 17 à vendredi 18 mai. Après des hésitations et une autre version, le parquet de Mons a finalement confirmé, mardi 22 mai, le récit des parents de la fillette.Une seule balle a été tirée à l’issue de la poursuite entre plusieurs voitures de police et une fourgonnette munie de fausses plaques. Celle-ci transportait une trentaine de migrants, dont quatre enfants. Le passeur comptait acheminer ses passagers vers la France, avant qu’ils tentent de gagner le Royaume-Uni. « Nous voyons régulièrement des gens qui transportent des migrants dans des conditions inhumaines, voire criminelles, au mépris de la santé d’autrui », a expliqué le parquet. Le phénomène s’est accru depuis le démantèlement de la « jungle » de Calais (Pas-de-Calais), insistent les magistrats.

Lors de cette course folle, un policier aurait tenté de viser le conducteur de la fourgonnette, qui effectuait des manœuvres dangereuses, essayant notamment de précipiter une voiture des forces de l’ordre sur le bas-côté. La balle tirée par le fonctionnaire a, en fait, atteint la petite Mawda au visage.

Aucune arme n’a été trouvée dans le véhicule. Quant au conducteur, il n’a pas pu être formellement identifié, les migrants respectant la loi du silence. Le tireur est, lui, connu et a été laissé en liberté. Il sera interrogé par le Comité P – comité permanent de de contrôle des services de police –, qui agit sur requête d’un juge d’instruction.

Les questions de l’opposition restées sans réponse

L’affaire a été évoquée, mardi, au Parlement belge. Interrogé par la commission de l’intérieur de la Chambre des députés, le premier ministre, Charles Michel, a renouvelé sa promesse d’une enquête totalement indépendante. Il a précisé avoir reçu pendant quatre-vingt-dix minutes les parents de la petite fille, qui devait être enterrée mercredi à Mons.

Le chef du gouvernement a expliqué que la famille Shawri – les parents et le frère de la jeune victime – pourrait rester légalement en Belgique. « Il existe une possibilité pour les personnes victimes de trafiquants ou de passeurs de rester sur le territoire. La famille peut utiliser cet instrument juridique », a fait savoir M. Michel, affirmant veiller au « devoir d’humanité ». La procédure en question prévoit une aide et une protection pour ceux qui livrent des informations permettant de démanteler des réseaux de passeurs. Les Shawri pourraient aussi invoquer des circonstances exceptionnelles pour demander un titre de séjour.

Mardi, l’avocat de la famille signalait cependant que le groupe de migrants, y compris ses clients, avait reçu l’ordre de quitter le centre où ils résident après les funérailles de Mawda.

Des députés d’opposition se sont étonnés de cette hâte à délivrer des ordres de quitter le territoire alors que l’enquête ne fait que commencer. Ils ont aussi tenté, sans succès, d’obtenir du premier ministre des réponses à une série de questions. Pourquoi les parents de la fillette, menottés, n’ont-ils pas été autorisés à accompagner l’enfant dans l’ambulance qui la transportait ? Pourquoi celle-ci n’est-elle arrivée qu’au bout de plusieurs dizaines de minutes, alors que Mawda agonisait ? Pourquoi le parquet de Mons a-t-il manqué de prudence, en évoquant d’abord l’absence de tir et le « traumatisme crânien » qui aurait été à l’origine de la mort ?

A toutes ces questions, M. Michel n’a pas répondu, se retranchant derrière la nécessité d’attendre le résultat des enquêtes de la justice et du Comité P. Précisant qu’il s’opposerait à toute « instrumentalisation » du dossier, il a aussi évité de commenter les propos de son ministre de l’intérieur, le nationaliste flamand Jan Jambon, qui avait rapidement déclaré que les policiers avaient « fait leur travail » dans le cadre de la lutte contre les passeurs.

Le Monde // Plusieurs centaines de migrant.e.s de Grande Synthe évacués vers des structures d’hébergement

Des CRS et des membres de l’Office français de l’immigration et de l’intégration étaient sur place pour encadrer cette évacuation qui a débuté à 7 heures.

Le Monde.fr avec AFP |

L’évacuation des migrants de Grande-Synthe a débuté jeudi 24 mai à 7 heures, encadrée par des CRS et des membres de l’Office français de l’immigration et de l’intégration.

L’évacuation du gymnase communal de Grande-Synthe (Nord) où vivent environ 400 migrants depuis le début de l’hiver, a commencé tôt jeudi 24 mai au matin. A 8 h 30, trois cars étaient partis avec à leur bord des dizaines de migrants en route pour des structures d’hébergement. Des CRS et des membres de l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration) étaient sur place pour encadrer cette évacuation qui a débuté à 7 heures.À 9 heures, 196 personnes avaient été prises en charge, en priorité les familles et les mineurs non accompagnés, selon un communiqué de la préfecture. La cinquantaine de migrants vivant dans le bois du Puythouck, à quelques kilomètres du gymnase, en contrebas de l’autoroute qui mène à Calais, devaient aussi se voir proposer des places dans les CAO et CAES, toujours selon la préfecture.

« Très clairement, les instructions sont : pas de camp sur le littoral. Ces camps, d’abord, font un appel d’air, se transforment en bidonville et après les gens vivent dans des conditions indignes », a expliqué le sous-préfet de Dunkerque, Eric Etienne, rappelant les récentes opérations contre des passeurs à proximité.

Accueil de plusieurs centaines de migrants jour et nuit

« Il y avait environ 400 personnes migrantes, 300 dans le gymnase et une petite centaine à l’extérieur. Ces personnes sont toutes orientées vers des centres d’accueil et d’hébergement dans les Hauts-de-France, pour l’essentiel d’entre elles », a fait savoir Eric Etienne.

« La ville, légitimement, veut reprendre son gymnase et le rendre à la population. Nous avons les places pour les héberger, [les personnes] ont été prévenues et elles étaient volontaires jusqu’à maintenant », a-t-il ajouté. Ce gymnase communal a été ouvert aux migrants le 12 décembre par la mairie. Une convention entre l’Etat et la mairie fut signée jusqu’au 31 mars, puis a été prolongée.

Couvertures, matelas, chauffage, douches, toilettes, distribution de nourriture : le site accueillait plusieurs centaines de migrants jour et nuit, essentiellement des Kurdes irakiens. Selon M. Etienne, cette salle ne se justifie plus vu les températures désormais « clémentes ».

De son côté, Magalie de Lambert, coordinatrice d’accès aux droits à Grande-Synthe pour la Cimade, une association d’aide aux migrants, a précisé que les hommes seuls devaient partir en CAO (centre d’accueil et d’orientation) et CAES (centre d’accueil et d’examen des situations), et les mineurs isolés, environ 40, être pris en charge par le département. Mais, « aucune information n’a été délivrée auprès des exilés », a-t-elle regretté, interrogée par la presse sur place.

Communiqué de Médecins du Monde après l’expulsion du Puythouck à Grande Synthe

Médecins du Monde Hauts-de-France17 h ·

#GrandeSynthe 24/05/2018
Entre 50 et 80 personnes vivent toujours dans le bois du Puythouck, privé-e-s d’eau potable et de tout accès à des conditions de vies décentes. Aujourd’hui, ce qui devait être une expulsion générale (comprendre mise à l’abri) s’est soldé, pour ce qui concerne le Puythouck et sans que l’on n’en connaisse la raison, par une triste opération de destruction des abris et autres lacérations des toiles de tentes, couplée d’une série d’arrestations (18). Comme si cela ne suffisait pas, Damien Carême réitère son message à Médecins du Monde: il ordonne à nouveau (cet après-midi) que nous cessions (ainsi que toute association) d’intervenir, donc de porter secours et assistance pour ce qui nous concerne, auprès des exilé-e-s présent-e-s sur la base de loisirs du Puythouck. Mr Carême comprendra que nous ne recevons pas d’ordre de lui, et encore moins dans un contexte aussi dégradé.

Avis du Conseil Economique et Social sur l’accueil des demandeur.euse.s d’asile dans l’UE

Parcours et politiques d’accueil des demandeur.euse.s d’asile dans l’Union européenne

rapport du Conseil économique et social

http://www.liberation.fr/france/2018/05/23/migrants-le-conseil-economique-et-social-appelle-a-mieux-penser-le-premier-accueil_1652101

Dans un avis adopté ce mercredi, l’instance juge avec sévérité la politique migratoire française et européenne. Elle recommande notamment de faire de l’Ofpra un acteur unique du traitement de la demande d’asile, ou encore de permettre aux exilés de ne pas attendre neuf mois pour travailler.

Réformer d’urgence le règlement de Dublin. Simplifier le premier accueil des migrants. Intégrer, notamment via la langue et l’emploi, plus tôt dans le processus de demande d’asile. Voilà les trois points saillants de l’avis adopté ce mercredi, à une très large majorité (178 voix pour, 0 contre, 2 abstentions), par le Conseil économique, social et environnemental (Cese) sur les «parcours et politiques d’accueil des demandeurs d’asile dans l’Union européenne». Plutôt sévère sur la politique migratoire française et européenne, le texte, validé dans l’après-midi par cette assemblée composée de membres de syndicats, d’associations, du patronat, de la société civile, et dont le rôle est d’apprécier les politiques publiques, a notamment relativisé l’ampleur de ce qui est présenté comme une «crise» : «La « crise des réfugiés » a davantage été une crise des politiques de l’accueil», dénonce le chapitre premier de l’avis.

L’avis du Cese rappelle également que la migration est une chose normale. Tout en pointant qu’avec l’augmentation à venir du nombre de réfugiés climatiques, il conviendrait d’établir au plus vite de bonnes conditions d’accueil. «La peur de l’étranger paraît souvent l’emporter sur un discours de raison, écrivent les auteurs de l’avis, dont les rapporteurs se nomment Paul Fourier et Emelyn Weber. Ces crispations conduisent les Etats et l’Union européenne à durcir une politique de restriction des flux migratoires en multipliant les obstacles sur la route des personnes en exil et en oubliant que l’accueil des réfugiés ne peut se penser indépendamment des droits fondamentaux, élément constitutif de l’identité européenne.»

Le Défenseur des droits, invité à s’exprimer ce mercredi, l’a dit en d’autres termes : «Cette question [migratoire] n’est pas un problème, elle est simplement une donnée du monde actuel […] Ne croyons pas que nous vivons aujourd’hui des temps exceptionnels. […] Contrairement à ce qu’on dit, ce n’est pas l’appel d’air qui fait la migration, c’est la situation intenable qui existe dans un certain nombre de pays. Les migrants, ce n’est non pas l’appel d’air qui fait qu’ils vont venir, non, si je voulais être grossier et trivial, [je dirais qu’]ils ont le feu aux fesses», a déclaré, dans un discours très applaudi, Jacques Toubon. Libération a consulté cet avis et en a retenu trois points saillants.

1. Règlement de Dublin : réformer pour mieux faire vivre le droit d’asile

Sévères, les auteurs se demandent «si les politiques d’accueil mises en œuvre par les Etats membres de l’Union européenne atteignent l’objectif de la garantie du droit d’asile, prévue par l’article 18 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE». Dans leur ligne de mire, le règlement de Dublin selon lequel un exilé doit faire sa demande d’asile dans le premier pays où ses empreintes ont été enregistrées (c’est pourquoi certains migrants refusent de laisser leurs empreintes dans un pays où ils ne comptent que faire étape…). «Force est de constater que les Etats membres ne se sont pas montrés à la hauteur de ce défi humain, en particulier en laissant le fardeau de la prise en charge des demandeurs d’asile aux Etats de première entrée», souvent la Grèce ou l’Italie, notent les auteurs de l’avis.

«Dublin repose sur la fiction que les personnes ont les mêmes chances d’obtenir la protection dans les différents pays européens. C’est faux», a estimé à la tribune la rapporteure Emelyn Weber. En l’état, le règlement de Dublin aboutit souvent à ce que des personnes censées déposer leur demande d’asile par exemple en Italie mais ayant de la famille en Allemagne, soient vouées à faire des allers-retours entre l’Allemagne, où elles veulent vivre, et l’Italie, vers laquelle on les renvoie. Ce mouvement perpétuel empêche leur intégration et les condamne à la précarité. C’est pourquoi le Cese soutient dans son avis la proposition de réforme du règlement de Dublin émanant du Parlement européen, qui prévoit un mécanisme de relocalisation intégrant les liens éventuels des demandeurs d’asile avec un pays (parce qu’ils y auraient de la famille ou en parleraient la langue par exemple), et qui permettrait aux demandeurs de choisir entre quatre pays d’accueil plutôt que de les forcer à rester là où ils sont arrivés en premier.

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2. Simplifier et mettre le paquet sur le premier accueil

Lors de l’examen du projet de loi sur l’asile et l’immigration porté par le gouvernement, plusieurs acteurs associatifs s’étaient inquiétés du fait que le texte ne pensait pas le premier accueil. C’est à peu près ce que redit aujourd’hui le Cese : «En France, la politique conduite vis-à-vis des réfugiés est nettement déficitaire, en particulier au niveau du premier accueil. […] Des migrants sont tenus en marge des dispositifs auxquels ils pourraient avoir accès, faute de centres dédiés.»

Pointant les «situations de grande précarité» et les «risques de rupture des droits» des migrants, le Cese recommande la création de Centres d’accueil initial (CAI), qui concentreraient «l’ensemble des fonctions nécessaires à la prise en charge des réfugiés» : enregistrement des demandes d’asile, information sur les démarches, orientation vers l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), lequel deviendrait le principal interlocuteur sur la demande d’asile (exit, donc, les guichets uniques en préfecture), la prise en charge de l’hébergement, l’accompagnement social.

Enfin, le Cese recommande que les migrants aient accès dès leur arrivée sur le territoire, à des soins de santé : «Aujourd’hui, l’accès à la protection universelle maladie est conditionné à la délivrance d’une attestation de demandeur d’asile, qui n’est obtenue parfois que dans un délai de plusieurs mois», remarquent les auteurs.

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3. Intégration : apprendre la langue et pouvoir travailler plus tôt

Deux recommandations de l’avis du Cese reprennent des propositions du rapport commandé par le gouvernement au député LREM du Val-d’Oise Aurélien Taché : d’abord, augmenter largement le volume d’heures d’apprentissage du français (passer de 200 à minimum 600 heures), tout en faisant commencer les cours plus tôt dans le processus de demande d’asile. Aujourd’hui, l’apprentissage officiel commence une fois l’asile ou la protection subsidiaire accordés ; de nombreux migrants dépendent donc des bonnes volontés des riverains ou des associations pour commencer l’apprentissage de la langue au plus tôt. D’autre part, le Cese souhaite qu’il soit permis aux exilés de travailler au bout de trois mois après leur enregistrement en France, au lieu de neuf. «L’accès au travail est reconnu comme l’une des meilleures formes d’intégration des demandeurs d’asile, l’emploi leur procurant une véritable place dans la société», note le Cese.