Pour obtenir des régularisations, la grève de la faim justifie les moyens

par Gurvan Kristanadjaja, publié dans Libération, le 13 avril 2021

Alors que les démarches à la préfecture s’accumulent, souvent sans titre de séjour à la clé, patrons et hébergeurs de jeunes migrants comptent sur des méthodes extrêmes et sur la médiatisation qui en découle pour débloquer la situation.

Pendant quatre ans, Patricia Hyvernat, une boulangère de l’Ain, s’est rendue toutes les deux semaines à la préfecture de Bourg-en-Bresse pour y accompagner Mamadou Yaya Bah, un mineur isolé guinéen. Ils n’ont pas raté un seul rendez-vous, car elle et son mari, qui l’avaient déjà formé pendant un stage, espéraient pouvoir le prendre en apprentissage rapidement. Leur souhait ? Que le jeune homme bénéficie d’un titre de séjour, pour ne pas tomber dans l’illégalité comme c’est souvent le cas pour les mineurs isolés une fois la barrière des 18 ans atteinte. Au fil des saisons, malgré leur patience, rien n’a bougé. «On nous demandait simplement de revenir», se souvient l’artisane.

Fin janvier – Yaya a désormais 20 ans –, ils remarquent qu’un confrère vit une situation similaire à Besançon (Doubs). Sauf qu’à 200 kilomètres de là, devant la petite boutique de Stéphane Ravacley,les medias de tout le pays se pressent pour relater le combat du boulanger.  Au prix d’une pétition doublée d’une grève de la faim, ce patron fait la tournée des plateaux et obtient la régularisation de son apprenti en quelques jours. Patricia Hyvernat décide de l’appeler : «J’avais déjà pensé depuis longtemps à me mettre en grève de la faim parce que j’avais peur que Yaya soit expulsé. Stéphane m’a donné un conseil : “Ne la fais pas seule, personne ne te remarquera”», se souvient la boulangère de 53 ans.

Le relais médiatique pour faire bouger les lignes

Début février, elle entame donc une diète stricte, lance une pétition, et poste sur sa page Facebook un selfie sous lequel elle écrit : «Déjà trois jours sans avaler aucun repas. Un acte à la hauteur de mon affection pour toi Yaya. […] Merci à notre ami boulanger de Besançon de nous avoir confirmé qu’il ne faut rien lâcher.» Après quatre années d’attente, l’affaire est finalement réglée en quinze jours. Les médias locaux s’en étant fait l’écho, elle reçoit la visite du député LREM de sa circonscription, Stéphane Trompille, puis un mail de la préfecture. L’apprentissage de Mamadou Yaya Bah peut enfin débuter.

Depuis, bon nombre de ceux qui se battent au quotidien pour la régularisation de personnes sans papiers s’interrogent : la recette du boulanger de Besançon est-elle un gage de réussite ? «En tout cas, il y a clairement eu un avant et un après», assure Sarah Durieux, directrice de Change.org France, la plateforme de pétitions en ligne. «Ça a accéléré les choses, on est passé d’un cas individuel à un phénomène national. Après sa victoire, on a eu plus de vingt pétitions similaires qui ont été lancées», explique-t-elle. Stéphane Ravacley estime de son côté qu’il ressort de son initiative un «triptyque» gagnant : «Lancer une pétition, faire venir les médias et entamer une grève de la faim pour qu’on nous prenne au sérieux.»

Un révélateur de l’époque : puisque les polémiques fonctionnent à l’émotion, c’est désormais sur ce terrain que l’on fait bouger les pouvoirs publics. Le relais médiatique est la pierre angulaire, surtout pour des personnes migrantes dont la gestion par la classe politique est de plu en plus déshumanisée Pour le gouvernement, la question migratoire est un enjeu électoral fort qu’il faut – en général – traiter avec fermeté. Mais lorsqu’il s’agit d’un récit de vie cabossé que l’on raconte à tous les JT, impossible de rester sourd, au risque de paraître dénué d’empathie. Les combats de ces petits patrons racontés dans les colonnes des quotidiens locaux ont alors le mérite de replacer les vies humaines au centre du débat. «Les décideurs lisent la presse. A partir du moment où c’est traité, il y a un enjeu de réputation», avance Sarah Durieux, de Change.org.

Contre-exemple

Pour autant, la médiatisation n’est pas la garantie d’un succès certain. Au Puy-en-Velay (Haute-Loire), Véronique de Marconnay et son compagnon ont appliqué les mêmes méthodes jusqu’à la grève de la faim, mais le jeune Malien qu’ils hébergent, Madama Diawara, 19 ans et arrivé en France en 2018, est toujours menacé d’expulsion. Ils cherchent encore les raisons de cet échec : «On n’est pas des patrons. Stéphane Ravacley a su mobiliser des gens autour de lui grâce à ça. On est aussi des gens engagés dans un syndicat, SUD éducation, ça fait de nous des personnes un peu gênantes», estime l’enseignante.

Dans ce «triptyque» de l’accès à la régularisation, ceux qui sont passés par la case «grève de la faim», comme Stéphane Ravacley et Patricia Hyvernat, préviennent que ce n’est jamais une bonne solution, car elle «met la santé en danger». Mais cette pratique traduit surtout une méfiance palpable envers certains élus locaux, qui ne sont plus perçus comme des relais efficaces. «L’idée de contacter des élus ne m’est pas venue à l’esprit. Je ne voulais pas mettre de la politique dans ce combat», explique Patricia Hyvernat. «Il y a une méconnaissance des institutions, nous pouvons être des facilitateurs des démarches. Si Mme Hyvernat m’avait sollicité avant de passer par cette méthode extrême, on aurait pu éviter sa grève de la faim», certifie le député Stéphane Trompille. «Je pense aussi aujourd’hui qu’on peut faire autrement», acquiesce la boulangère.

Actions fortes des associations

Pour les associations d’aide aux migrants, le recours à ces méthodes fortes n’étonne pas. Ces dernières années, elles ont fait les mêmes constats : pour obtenir des avancées, il faut faire le plus de bruit possible. «Je pense que c’est le résultat d’une politique répressive et restrictive depuis 2015», analyse David Rohi de la Cimade. Pour faire bouger les lignes, des associations comme Utopia 56, jusque-là habituées à un travail de terrain (maraudes, distributions), ont par exemple mené ces derniers mois des actions fortes, comme l’installation d’un campement de la place de la République à Paris en novembre, avec un écho important au niveau national. «C’est vraiment dommage d’en arriver là, d’autant que ce n’est jamais une vraie solution. Les gens sont remis à la rue quelques jours après, quand tout ça est retombé. […] C’est assez symptomatique de ces dernières années et ça concerne plein de luttes sociales», estime Charlotte Kwantes, coordinatrice nationale d’Utopia 56.

Pour renouer le fil du dialogue, les artisans Stéphane Ravacley et Patricia Hyvernat ont décidé la semaine dernière de fonder leur association, «Patrons solidaires». Ils souhaitent que leurs expériences puissent servir à d’autres. «Aujourd’hui, nous sommes approchés par des personnes qui veulent vraiment que ça bouge», assure le boulanger de Besançon. Les deux artisans vont leur apporter une aide et une écoute. «Ce qu’on souhaite surtout, c’est faire en sorte qu’il n’y ait plus une seule grève de la faim pour ces motifs», affirment-ils à l’unisson.

« La question de l’immigration va longtemps continuer à fracturer notre société »

Tribune de Philippe d’Iribarne, Sociologue

Publié le 17 juin 2021

La vision républicaine française fondée sur l’universalisme et associant une large ouverture à la diversité avec une forte exigence d’intégration citoyenne est aujourd’hui en crise, analyse le sociologue Philippe d’Iribarne, dans une tribune au « Monde ».

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Tribune. L’immigration s’installe au cœur des fractures qui marquent la société française. Ceux qui s’opposent à son sujet semblent n’avoir même plus de terrain commun qui leur permettrait de se parler. Pourquoi cette radicalisation alors que l’immigration est fort ancienne ? C’est que l’évolution de la société a remis en cause le compromis tacite qui a longtemps régi la rencontre entre une vision politique de la nation et la vie du corps social.

La France est marquée par une vision politique qui associe une large ouverture à la diversité, avec une forte exigence d’intégration citoyenne. Le droit du sol y unit ceux qui peuplent un même territoire au-delà de leurs origines. Simultanément, une conception très exigeante de l’unité nationale, accompagnée d’un vif attachement à la laïcité, fait concevoir la société comme formée de citoyens indiscernables. Au cours du XIXe siècle et au début du XXe, cette vision politique universaliste a fait bon ménage avec un grand attachement de la masse du corps social à un héritage particulariste spécifiquement français.

« Nos ancêtres les Gaulois » ont été supposés devenir les ancêtres symboliques de toutes les populations issues de l’immigration. Le raccord entre universalisme politique et particularisme social s’est fait d’autant mieux que, de fait, ces populations se sont largement assimilées, devenant indiscernables pas seulement aux yeux de la loi mais aussi dans leur manière de vivre. La pression sociale en faveur d’une telle assimilation s’exerçait sans entraves. Il n’existait guère de contre-pressions exercées par des fractions de la société affirmant leur différence. La France étant déclarée patrie de l’universel, ce qui était spécifiquement français était facilement perçu comme de portée universelle. Mais cette situation n’est plus.

Pression assimilatrice

D’un côté, la résistance à l’assimilation est devenue très forte au sein de populations qui se vivent en bonne part comme des diasporas restées intimement liées à leurs pays d’origine, branchées sur leurs télévisions, y cherchant des conjoints pour leurs enfants, attachées à des pratiques qui marquent une forte distance symbolique par rapport à la société d’accueil. Nombre de leurs membres refusent de se déclarer français.

De plus, la pression assimilatrice assurée au quotidien par le corps social est combattue au nom du refus des discriminations et il n’est plus question d’apprendre aux jeunes générations une histoire empreinte de fierté nationale. De ce fait, selon les termes du président de la République [Emmanuel Macron, alors candidat en campagne en février 2017], « il n’y a pas de culture française ».

Face à cette situation, trois réactions s’opposent. Une première, que l’on trouve dans l’action actuelle du gouvernement, est de rester fidèle à la vision politique conduisant à combiner une large ouverture à l’immigration d’où qu’elle vienne avec une grande exigence d’intégration civique. Les résistances à la mise en pratique de cette vision sont dénoncées, qu’elles viennent de tendances séparatistes, au premier chef du séparatisme islamique, refusant l’intégration civique, ou au contraire de tendances populistes refusant l’ouverture à l’immigration. Il s’agit pour ce courant républicain de briser cette double résistance au nom d’un idéal politique.

Deux autres réactions sont fondées au contraire sur une mise en cause radicale d’une vision politique universaliste. Cette vision est présentée comme utopique en affirmant qu’il est impossible de combiner une réelle vision inclusive de la société et une forte exigence d’intégration civique. Pour sortir de la contradiction, deux tendances opposées mettent en cause soit l’un soit l’autre de ces éléments.

Perspectives populiste ou décoloniale

Dans une perspective plus ou moins populiste, de plus en plus partagée au sein de la société, il faut défendre la forte intégration civique de la société, lutter contre les séparatismes, et cela est impossible sans une remise en cause profonde de la politique d’immigration. Il faut cesser de prôner une ouverture à la diversité et cesser de qualifier de discrimination ce qui n’est que l’expression de la pression sociale en faveur d’une assimilation.

Dans une perspective opposée portée par le mouvement décolonial, il faut poursuivre une large ouverture à l’immigration et à la diversité, et ce qui doit être remis en cause est la forte exigence d’intégration civique. Le modèle de société à prétention universaliste, avec en particulier sa conception étroite de la laïcité dont il est porteur, est considéré comme discriminatoire, expression d’un racisme systémique qu’il faut combattre au profit de pratiques réellement inclusives.

Les familles politiques sont divisées entre ces divers courants, la gauche entre républicains, qui portent haut le flambeau de l’universalisme civique, et indigénistes, défenseurs de la diversité, la droite entre d’autres républicains et populistes défenseurs d’un héritage proprement français. Les tensions sont parfois vives jusqu’au sein d’une même formation.

Cote mal taillée

On peut comprendre que les tenants de ces trois approches ne puissent se parler. C’est que, pour chacun, quelque chose de non négociable est en cause. Pour les uns, c’est un idéal politique indépassable, un héritage sacré, qu’il faut d’autant plus défendre qu’il est menacé. Pour les autres, cet idéal n’est qu’une idéologie ignorante de la réalité sociale, et c’est sur celle-ci qu’il faut se fonder. Mais ce sont deux optiques opposées qui mettent en avant soit, d’un côté, le droit d’une société ancrée dans une histoire et une culture à persévérer dans son être, soit au contraire le droit de ceux qui cohabitent sur un territoire à être traités en égaux, y compris dans le respect de leur culture d’origine.

Peut-on proposer une sortie de cette situation ? On ne voit pas comment le faire sans privilégier l’une ou l’autre des trois voies qui s’opposent. Arrivera-t-on à une forme de cote mal taillée qui ne satisfera personne mais permettra une paix civile ? Gageons en tout cas que l’immigration va continuer à fracturer notre société pour de longues années.

Philippe d’Iribarne est directeur de recherche au CNRS. Ses travaux portent sur la rencontre entre la modernité et la diversité des cultures et des religions. Dernier ouvrage : Islamophobie, intoxication idéologique, Albin Michel, 2019.

Philippe d’Iribarne(Sociologue)

Mineurs étrangers « maltraités », employés sous « pression » : une association accusée de graves dysfonctionnements

https://www.mediapart.fr/journal/france/280721/mineurs-etrangers-maltraites-employes-sous-pression-une-association-accusee-de-graves-dysfonctionnements

 Par Nejma Brahim

Climat de « terreur », insultes racistes, humiliations et maltraitance… Une responsable de l’association Le Lien, chargée de la gestion de lieux d’accueil réservés aux mineurs étrangers dans les Yvelines et les Hauts-de-Seine, est accusée de faire subir des pressions psychologiques à ses employés et des violences verbales ou physiques aux jeunes pris en charge. Ils sont une dizaine à dénoncer les faits auprès de Mediapart.

En y repensant, Nourdine* peine encore à croire à ce que lui et d’autres jeunes ont vécu. « Non mais c’est tellement fou… », lâche-t-il en interrompant sa phrase et en détournant le regard, attablé dans un kebab au nord de Paris. À son arrivée en France il y a quelques années, il dormait non loin de là, dans l’un des campements de migrants installés sous les ponts, évacués depuis par les autorités. Après avoir été évalué et reconnu mineur, l’adolescent a été placé sous la protection de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et donc sorti de la rue.

« La plupart des gens ont peur d’elle, poursuit-il. Ce n’est pas quelqu’un de bon. » Celle qu’il accuse sans sourciller est Mme B., la responsable de la direction « enfance et jeunes majeurs » (DEJM) de l’association Le Lien, mandatée par les départements des Yvelines et des Hauts-de-Seine pour loger et prendre soin des mineurs non accompagnés (MNA dans le jargon) pris en charge par ces collectivités, à qui revient la protection de l’enfance.

Après plusieurs mois d’enquête, Mediapart a recueilli une dizaine de témoignages, tous concordants, de certains employés de la structure et de jeunes. Ces derniers dénoncent les « pressions psychologiques » et la maltraitance dont ils disent faire l’objet.

À chaque fois, la responsable est mise en cause. Sollicitée à plusieurs reprises, Mme B. n’a pas souhaité nous répondre. Face à ces accusations, la directrice générale de l’association souligne sa « bienveillance » et les remontées positives qu’elle a pu avoir la concernant, lui apportant ainsi son soutien (lire sa réponse complète dans l’onglet Prolonger).

Mineurs isoles à Paris en juillet 2020. © Photo Julie
              Limont / Hans Lucas via AFP Mineurs isoles à Paris en juillet 2020. © Photo Julie Limont / Hans Lucas via AFP

« La façon dont elle nous parle à tous est rabaissante », jure Nourdine, évoquant des « insultes au quotidien » et des « paroles racistes »« Elle nous disait par exemple : “Vous les Noirs, vous les Africains…” Elle disait aussi : “Vous n’êtes pas chez vous ici”, sous-entendu en France ou encore “Vous n’êtes pas des singes !” quand elle voyait qu’on n’avait pas rangé notre chambre. Ses propos sont terrifiants. »

Nourdine et plusieurs autres jeunes accusent également la responsable de leur « hurler » dessus. « Une fois, elle m’a crié dessus pour rien. Elle me disait que je n’étais pas chez moi ici [au foyer], et que j’allais foutre le camp. Je suis resté à la regarder dans les yeux, sans répondre, puis je suis reparti dans ma chambre. »

« Elle aime bien crier pour nous faire peur »

Chris*, un jeune originaire d’Afrique pris en charge dans les Hauts-de-Seine, décrit un comportement similaire. « Je l’ai déjà vue crier sur des gens comme si elle allait les frapper, témoigne-t-il. Elle humiliait un pote à moi à chaque fois qu’elle venait nous voir. Elle lui disait : “Ferme ta bouche, quand je parle tu n’as pas le droit de parler.” » Il affirme avoir été lui aussi « humilié » un jour, après avoir été convoqué dans le bureau de la directrice pour avoir fait une « bêtise ». « Mme B. me parlait, je répondais : “OK, j’ai compris”, et je baissais la tête. Elle me reprochait de ne pas la regarder et de ne pas sourire. Elle aime bien crier pour nous faire peur, alors elle s’est mise à me crier dessus. Elle m’a pris en photo avec son portable et m’a dit : “Regarde comme tu es moche quand tu ne souris pas.” »

Ce jour-là, la responsable du Lien serait allée plus loin selon lui, passant à un degré de violence plus élevé : « Elle a fini par se lever, m’a attrapé par la gorge avec ses deux mains et a commencé à me secouer la tête. Elle me disait que j’étais trop têtu et demandait pourquoi je ne voulais pas changer. J’ai interpellé sa collègue, qui était juste à côté, en criant “Regardez, elle m’étrangle devant vous !”, mais elle n’a rien dit ni rien fait. Tout le monde a peur d’elle », conclut-il, désabusé.

Chris n’est pas le seul à faire état de maltraitances au sein des hébergements gérés par l’association. « Une fois, elle était en colère contre un jeune. Elle était derrière lui et l’a attrapé par le cou [en enroulant son bras autour de son cou – ndlr] tout en lui criant dessus », complète Nourdine, en mimant le geste, l’air éberlué. « Les employés de l’hôtel sont intervenus pour lui dire d’arrêter. Même si le jeune avait fait quelque chose d’anormal, elle n’avait pas le droit de faire ça ! »

Kinza*, un autre MNA passé par différents hôtels gérés par Le Lien, prétend lui aussi avoir vécu cela. Selon lui, la responsable serait devenue « plus dure » envers eux durant le confinement : « Elle nous criait dessus, elle nous parlait mal et tenait des propos racistes et violents. Une fois, alors qu’elle nous avait réunis pour nous parler, j’ai posé une question et ça ne lui a pas plu. Elle m’a dit qu’elle allait m’apprendre le respect. Elle a mis sa main droite sur mon cou, elle a serré un peu et m’a repoussé vers l’arrière. Je n’ai rien pu faire, je me suis juste défendu en répétant que je n’avais rien fait… Après ça, je me taisais et restais dans mon coin, je ne voulais plus de problèmes », relate celui qui a depuis été renvoyé du Lien et qui vit actuellement « à la rue ».

Humiliations, propos « racistes » et gestes violents

Une scène similaire à celle à laquelle a assisté Adra, une ancienne employée d’un hôtel situé à Saint-Cyr où des MNA sont placés par le Lien. « J’ai vu Mme B. attraper un jeune par le col de son tee-shirt et essayer de le soulever. Il a fallu qu’on intervienne pour qu’elle arrête… Lui la regardait sans rien oser dire. » Sans papiers à l’époque, la quadragénaire affirme avoir été exploitée par le gérant de l’établissement, qu’elle poursuit aujourd’hui aux prud’hommes avec quatre autres personnes, toutes employées sans être déclarées.

Dans son appartement situé en banlieue parisienne, sous le regard de ses deux filles, Adra sort un épais dossier, constitué avec l’aide de son avocat, réunissant les preuves de ce qu’elle avance. Photos, certificats médicaux, virements bancaires… « Je ne vais pas le lâcher. J’ai perdu 57 kilos à cause de lui, sans compter mes problèmes de dos à force de tout porter à l’hôtel. »

Embauchée initialement pour gérer la réception et de l’administratif, Adra se retrouve vite à faire le ménage, l’entretien de l’hôtel, la vaisselle et la lessive des jeunes. « Je devais aussi leur donner des médicaments alors que je ne voulais pas porter cette responsabilité. Je commençais tôt le matin jusqu’au soir. Tout ça pour 700 euros par mois. » À ses yeux, Mme B. aurait été aussi responsable que le gérant de l’hôtel : « Elle savait que j’étais exploitée et que je travaillais indirectement pour Le Lien, puisque je faisais tout pour les jeunes. Elle m’a fait croire qu’elle allait m’aider pour que je continue de travailler. Elle m’a manipulée et n’a rien fait. »

Adra revoit la responsable « tirer les cheveux d’un jeune  » en lui demandant de les couper ou en menacer un autre de « lui enlever les yeux » en positionnant ses deux doigts devant ses orbites. « Elle aime les impressionner », résume-t-elle, avant d’ajouter que les jeunes subissent un « harcèlement moral important » là-bas.

« En fait, elle n’est pas là dans l’intérêt des enfants », juge Adra, qui se remémore également des propos « racistes » dans la bouche de la responsable. « Elle n’aime pas les Noirs. Elle leur disait d’oublier leurs traditions, d’oublier tout ce qui venait de chez eux. Elle leur disait : “Il y a des toilettes ici, ce n’est pas le bled.” » D’après elle, la responsable reprochait aussi aux ados de ne pas porter de sous-vêtements. « Elle a rabaissé un jeune devant moi et lui a demandé, en tirant sur son jogging au niveau de la taille, s’il avait mis un caleçon. Puis elle s’est tournée vers moi pour me dire : “Tu sais en Afrique, ils ne portent pas de caleçon” », raconte-t-elle.

Ce même jeune, traumatisé par l’exil, aurait également été humilié car souffrant d’énurésie. « Elle lui disait, devant les autres, que ça puait et qu’il devait aller se laver. » À l’été 2020, Adra a alerté à deux reprises la Direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) par mail pour dénoncer ses conditions de travail mais aussi le comportement de Mme B. à son égard, concluant le message en implorant de ne pas « laisser les enfants mineurs entre les mains de personnes qui ne respectent pas la loi » et leur « donnent une mauvaise éducation ». Des mails restés sans réponse.

Deux des jeunes qui se sont confiés à Mediapart assurent par ailleurs avoir constaté une retenue sur l’aide financière qui leur est versée à la fin du mois. On leur aurait répondu qu’il s’agissait d’une « punition » pour des « bêtises » qu’ils avaient pu faire. Une pratique inscrite dans le règlement selon plusieurs éducateurs interrogés.

Plusieurs alertes au CSE

Au siège du Lien, plusieurs employés ont tenté de tirer la sonnette d’alarme. C’est le cas de Julien*, éducateur spécialisé, licencié en mai 2021 pour « propos calomnieux »« J’ai dénoncé les faits de violence, appuyé par l’une de mes collègues qui a adressé un courrier au CSE [comité social et économique – ndlr]. Il y a eu plusieurs remontées faites au CSE, rien n’a été fait pour arranger la situation. Et de ce que je sais, aucun de mes collègues éducateurs n’a été interrogé », assure-t-il.

Selon plusieurs travailleurs sociaux, deux jeunes concernés par les faits de violence auraient été convoqués par la directrice générale du Lien… en présence de Mme B. Ces derniers auraient nié les faits par peur de représailles. « Une réunion d’équipe a suivi, Mme B. a demandé qui avait témoigné auprès du CSE, précisant que les personnes qui n’étaient pas d’accord avec ses façons de faire avaient la possibilité de ne plus travailler ici. Julien s’est fait renvoyer une semaine plus tard », témoigne Ines*, éducatrice au Lien.

Par souci de transparence, Julien précise qu’avant d’être licencié, lui-même a rencontré un problème avec un jeune, qui a tenté de descendre de voiture sur le périphérique parisien alors que le véhicule était en mouvement. « Je l’ai retenu, j’ai fermé la porte et lui ai remis la ceinture. J’ai eu peur pour sa vie et pour la mienne, je lui ai tiré l’oreille. Le jeune a été convoqué et recadré par Mme B., qui m’a par la suite rappelé que je n’aurais pas dû faire ça, sans s’en indigner outre mesure. Quelques semaines plus tard, après que j’ai alerté la direction sur les faits de maltraitance, Mme B. m’a ressorti cette histoire. Je lui ai rappelé qu’elle s’en prenait elle-même physiquement aux ados, ce qu’elle n’a pas nié », détaille Julien, qui affirme avoir vu la responsable mettre une tape sur la main des jeunes, les attraper par le menton ou leur tirer les cheveux.

Ines assure, elle aussi, avoir été témoin de maltraitances physiques et verbales. « Ça dure depuis des années. En entretien, elle demande au jeune de lui tendre la main et lui met une tape, elle prend fermement les plus jeunes par le menton et leur secoue la tête. Une fois, elle a tiré les cheveux d’un jeune qui avait des dreads, en disant  :“C’est quoi cette coiffure ? T’as une coiffure de fille.” » Et de compléter : « Elle leur dit aussi des choses inutiles, qui les font se sentir mal, comme “tu sers à rien”, “tu vas rien faire de ta vie” ou “tu as un problème avec moi parce que je suis une femme blanche”. » « À moi, elle disait qu’on n’était pas en Afrique ici, avec les hommes qui commandent les femmes. Ça m’énervait car c’est de la discrimination », complète Chris, le jeune déjà cité.

Océane*, une autre éducatrice, a alerté le CSE de deux faits, dont elle garde un souvenir précis, dans un document que Mediapart a pu consulter. « Une fois, je l’ai vue tirer les cheveux à un jeune au point que sa tête tombe vers l’avant. Je ne pense pas qu’il ait eu mal, mais il y avait un côté tyran, à vouloir montrer sa force. C’était dégradant et j’ai vu le visage du jeune se fermer, il était au bord des larmes. Une autre fois, elle a hurlé sur un jeune devant tout le monde pendant un long moment, jusqu’à ce que ça s’apaise. Elle est ensuite revenue à la charge, puis a prononcé une phrase qui m’a choquée : “Un jour, tu te mettras à genoux devant moi pour me remercier de ce que j’ai fait pour toi.” Le môme n’a pas bronché, il y avait au moins vingt autres jeunes dans la salle. Certains étaient sidérés, d’autres continuaient à faire leur vie. Ils n’ont pas le choix, ils savent ce qu’il se passe si Mme B. décide de les virer. »

Mineurs isoles à Paris en avril 2020. © Photo Julie
              Limont / Hans Lucas via AFP Mineurs isoles à Paris en avril 2020. © Photo Julie Limont / Hans Lucas via AFP

Selon plusieurs professionnels présents lors de la réunion d’équipe, la direction aurait défendu une « stratégie de théâtralisation »« On nous a dit que c’était une approche expérimentale. Je vis très mal ce qui arrive aux jeunes, parce que notre mission première est de les protéger. Mais il y a un tel climat de peur que lorsqu’on voit des actes maltraitants, il y a de la sidération, on ferme les yeux de peur de subir le courroux de la direction », explique Greg*, un autre travailleur social de la structure, qui confirme des faits de maltraitance verbale et physique sur les MNA.

Il ajoute qu’une enquête interne aurait été déclenchée par le CSE, mais serait « biaisée » : « La présidente du CSE [directrice générale du Lien – ndlr] est très amie avec Mme B. Elle cautionne tous ses agissements. Tout fonctionne à l’affect dans cette structure », dénonce-t-il.

Contactés, les représentants du personnel affirment que depuis son élection fin 2018, le CSE a « toujours rempli son rôle de dialogue social auprès de l’ensemble des salariés du Lien, en faisant remonter systématiquement auprès de la directrice générale les problèmes ou questions soulevées par les salariés » – sans confirmer si une enquête a bien été diligentée – et nous renvoient vers la direction générale « compte tenu du devoir de confidentialité vis-à-vis des salariés ».

La directrice générale du Lien, Christine Baudère, nie quant à elle l’ouverture d’une quelconque enquête. Elle ne pouvait cependant ignorer les accusations portées à l’égard de la responsable de la DEJM : le procès-verbal d’une réunion du CSE datant du 9 avril 2021, signé de sa main, fait état de salariés ayant « fait remonter leurs interrogations quant à certaines pratiques qui auraient été constatées au sein de la DEJM ». L’employeur y vante le travail réalisé par la DEJM – son « professionnalisme » ou sa « bienveillance » – avant d’insister « pour que de tels propos non fondés, graves et inutilement injurieux cessent immédiatement ».

« Il n’y a pas un mois qui passe sans qu’un collègue démissionne »

Sollicitée par Mediapart à plusieurs reprises, la responsable de la DEJM n’a pas répondu à nos questions. La directrice générale du Lien a tenu à rappeler, dans un exposé général sans réponse aux points précis sur lesquels nous l’avons interpellée, que l’association place « au-dessus de tout l’intérêt de ces adolescents, demandant à [leurs] collaborateurs travaillant auprès d’eux un réel engagement, le respect d’un cadre de travail exigeant s’exerçant dans le contexte de la Protection de l’enfance ». Une mission « à forte charge émotionnelle, avec la nécessité de couvrir tous les besoins des jeunes qui sont isolés sans parents, dans une prise en charge 24/24h et sur 365 jours de l’année ».

« La directrice de l’Enfance, mise en cause, a forgé son expérience auprès des familles relogées dans les débuts du Lien, ajoute-t-elle. Certaines d’entre elles exprimaient leur reconnaissance du soutien attentif qu’elle leur portait soulignant sa bienveillance. De la même façon, […] je suis souvent frappée de la façon spontanée dont [de nombreux adolescents] parlent d’elle comme d’un repère sécurisant et avec un profond respect ».

Sollicité par Mediapart, le département des Yvelines n’a pas répondu à l’heure où nous publions cet article. Celui des Hauts-de-Seine indique qu’il « n’a pas été informé à ce stade d’une enquête interne » et qu’il a été « demandé à l’association de [lui] communiquer l’ensemble des éléments lorsque celle-ci sera finalisée ».

Dans son rapport 2020 établi dans le cadre de la mission de contrôle de l’ASE des Hauts-de-Seine, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) mentionne Le Lien sans faire état du mal-être des jeunes, précisant que les « conditions matérielles, éducatives et sanitaires sont apparues très positives ».

L’inspection du travail aurait par ailleurs visité la structure à la fin juin 2021. Plusieurs employés, anciennement ou actuellement en poste au Lien, dénoncent aussi un climat de « terreur » pour le personnel, se disant victimes de « pressions psychologiques » au quotidien, avec des cas de burn-out et des arrêts maladie répétés, conduisant certains à partir.

« Il n’y a pas un mois qui passe sans qu’un nouveau collègue démissionne, souvent à cause du fonctionnement de la DEJM. La directrice a un rapport à une toute-puissance, des conduites arbitraires, des réactions qui font que les collègues se murent, se terrent et sont terrorisés face à elle », indique une professionnelle de santé employée au Lien, ajoutant que « beaucoup de personnes sont en souffrance » au sein de la structure.

Pour elle, les remontées faites au CSE ont été, au moment de la réunion, « tout simplement annulées »« C’est une aberration totale : il n’y a pas eu d’écoute, pas d’instance pour protéger les employés. Comment agir pour la dignité des jeunes si nous ne sommes pas nous-mêmes considérés ? Les personnes sont isolées et chacun tient comme il peut. »

« C’est un tyran, tranche Ines, l’éducatrice, à propos de la responsable de la DEJM. À deux reprises, elle a hurlé sur des collègues en réunion devant tout le monde alors que ce n’était pas justifié. Elle en a fait pleurer une, puis lui a dit : “Tu vois, t’es pas capable de parler sans pleurer.” Elle lui avait même dit qu’elle n’était pas faite pour être éducatrice. Une bonne partie du personnel (éducateurs, référents santé, techniciens, assistants administratifs, cadres) s’en est pris plein la tronche au moins une fois en réunion. » Et Greg d’ajouter : « Mme B. exerce des pressions psychologiques sur les collaborateurs, elle aime avoir de l’emprise sur eux. J’ai vu des salariés sortir en larmes de son bureau. »

La direction défend la « bienveillance » de la responsable mise en cause

Cathy*, une ancienne employée partie « à cause de ce climat », évoque un « management par la peur »« J’ai dénoncé le harcèlement dont ma collègue et moi faisions l’objet. Tout a été étouffé, j’ai laissé des traces au niveau de la médecine du travail. »

« Il faut rentrer dans son moule, poursuit Ines. Si elle n’aime pas notre personnalité, elle fait presque tout pour qu’on parte. » Océane parle elle aussi de « tyrannie » et évoque une ambiance « pesante »« On a la pression quand elle est là. Par des phrases cinglantes ou un simple regard, elle peut imposer quelque chose de très particulier. Elle prend un malin plaisir à faire taire quelqu’un, les employés comme les jeunes, devant l’ensemble d’un groupe. Beaucoup de gens se taisent parce qu’ils ont peur. »

La directrice générale de l’association, qui rappelle que sa « porte est toujours ouverte pour d’éventuelles demandes de médiation ou d’arbitrage », estime que les équipes ont « accompagné l’évolution du Lien au fil des années, de façon très stable »« Beaucoup de salariés au Lien ont entre dix et vingt ans d’ancienneté, ce qui est rare dans le contexte du travail aujourd’hui. Les valeurs qui ont été au cœur de notre création sont notre ADN et nous y sommes tous très attachés. Le management exercé s’inspire de ces valeurs », assure Christine Baudère.

Nourdine, l’un des MNA, prêt à « porter plainte contre Mme B. », a tenté de se rassembler avec d’autres jeunes. En vain. « Quand on a parlé de mener une action collective, certains camarades se sont défilés. J’ai laissé tomber la plainte car il n’y avait pas assez de gens décidés. » « Je connais des jeunes qui ont voulu la dénoncer, abonde Chris. Moi-même, je lui avais dit qu’elle nous faisait souffrir et elle avait répondu qu’on était comme ses enfants. Mais ma mère ne m’aurait jamais fait souffrir comme ça ! » De son côté, Kinza affirme lui aussi avoir été perdu face à une telle situation : « Où aller se plaindre, comment faire ? Les autres jeunes me disaient que c’était elle la cheffe et que si je me plaignais, j’aurais des problèmes. »

« Je ne veux pas que d’autres jeunes subissent la même chose »

Plus nuancée, la professionnelle de santé déjà citée souligne un « vrai paradoxe » dans la vie de l’association : « Quelques jeunes se sont confiés sur des violences verbales et psychologiques, d’autres se disent contents de la prise en charge, parce qu’ils ont connu la rue, la traversée en mer, la prison ou la Libye, et ne réagissent pas forcément à la violence qu’ils peuvent retrouver ici. Du côté des employés, on voit qu’il y a des dysfonctionnements et des choses inadaptées, mais on est tous passionnés et on tient comme ça, les équipes arrivent malgré tout à travailler et la plupart des jeunes s’en sortent. Il y a aussi des choses positives au sein de la DEJM, et les méfaits sont tolérés parce que ça semble fonctionner », observe-t-elle, relevant « l’implication » de la responsable du service, qui ne se rend peut-être pas compte, à ses yeux, « de la violence que représente sa stratégie de “théâtralisation” ».

Contactés par Mediapart, plusieurs autres MNA pris en charge par Le Lien ont préféré garder le silence, sans nier les faits de violence reprochés à Mme B. « Une dizaine de jeunes m’avaient confié avoir des choses à dénoncer, mais ils sont régulièrement menacés d’être remis à la rue, et Le Lien a tous les moyens de trouver un argument pour le faire », assure Cathy, l’ex-employée. « Je veux que ça s’arrête. On ne vient pas ici [en France] pour faire du mal ou tuer des gens, alors quand on cherche à s’intégrer, il faut qu’on nous aide un minimum. Je ne veux pas que d’autres jeunes subissent la même chose », clame Nourdine.

« Dommage », aux yeux d’Océane, que l’image de la structure soit ainsi entachée malgré les efforts fournis par le personnel. « Il y a des professionnels expérimentés, bienveillants, impliqués dans leur travail, mais aussi des infrastructures très intéressantes, comme des appartements en autonomie, qui permettent aux jeunes de s’inscrire dans différents projets de vie adaptés. Il faut que Le Lien et les équipes compétentes puissent continuer de travailler, mais que les agissements de la direction changent », conclut l’éducatrice. Un sentiment partagé par Greg, qui maintient que l’association « doit poursuivre son activité », mais « dans de meilleures conditions ».

Si vous avez des informations à nous communiquer, vous pouvez nous contacter à l’adresse enquete@mediapart.fr. Si vous souhaitez adresser des documents en passant par une plateforme hautement sécurisée, vous pouvez vous connecter au site frenchleaks.fr

Sans-abris sur la très chic place des Vosges

Libération, par Eva Moysan, 29 juillet 2020

Entre 400 et 600 personnes sans abri sont regroupées sur la place des Vosges, sous la houlette d’associations qui réclament des solutions d’hébergement pour tous. Elles devraient passer la nuit sur place.

Des tentes rouges, vertes et grises sont plantées dans le square propret de la très chic place des Vosges. C’est au cœur du IVe arrondissement de Paris que le collectif Réquisitions – dont le DAL ou Utopia 56 – a décidé d’organiser sa septième installation. Leur but : rendre visible la situation des personnes sans abri dans la capitale et leur trouver une solution d’hébergement. Entre 400 et 600 d’entre eux sont sur la place reconnaissable à ses immeubles en brique rouge.

Loin des tensions policières comme sur la place de la République, en novembre dernier, l’ambiance est légère en ce jeudi après-midi estival. Des enfants jouent dans la fontaine qui s’est remplie de mousse, des vacanciers se posent dans l’herbe un livre à la main, à côté de jeunes sans abri, la mine fatiguée. Une femme âgée, dont le sac en plastique siglé d’une marque de luxe signale un achat récent, traverse l’allée centrale, manifestement interloquée. Un peu plus loin, un groupe de bénévoles se lance dans une distribution de sandwiches. Trois jeunes lycéens observent, un peu amusés, ce mélange des genres en dégustant leurs glaces.

«Seule façon de se faire entendre»

Les associations du collectif ont prévu d’occuper le square tant qu’une solution d’hébergement n’aura pas été proposée à toutes les personnes sans-abri présentes. «On envoie régulièrement des alertes aux pouvoirs publics mais on n’a jamais aucune réponse. La seule façon de se faire entendre, c’est d’occuper des lieux», résume Kerill Theurillat, coordinateur de l’antenne parisienne de l’association Utopia 56. Il demande l’application de mesures de réquisitions des logements vacants, une mesure peu coûteuse qui pourrait mettre à l’abri des milliers de personnes dans la capitale, selon lui.

Les militants ont rassemblé les personnes qu’ils suivent régulièrement, habituellement disséminées dans la capitale et surtout dans la banlieue nord. Des petits groupes se sont formés. Une bande de jeunes d’origine africaine esquisse quelques pas de danse sur la chanson Ramenez la coupe à la maison. Ce sont des mineurs exilés que suit l’association Timmy. La plupart d’entre eux ont été décrétés majeurs lors du premier entretien réalisé par la Croix-Rouge et ont déposé un recours devant le tribunal pour essayer de prouver qu’ils ont moins de 18 ans.

C’est le cas d’un jeune camerounais, qui ne préfère pas donner son prénom et propose qu’on l’appelle Killian, «comme Mbappé !» s’enthousiasme un autre. Il est à la rue depuis le 16 juillet, après trois mois à l’hôtel. «C’est très dur, je dors mal, je fais des cauchemars», raconte-t-il. Killian montre une sorte de pustule, sur son doigt, qui le fait souffrir. Il s’est blessé dans la rue et il n’arrive pas à la soigner. «Je veux juste aller à l’école, faire une formation et travailler dans la mécanique», réclame-t-il, le regard un peu désespéré.

La présidente de l’association Timmy, Espérance Minart, dénonce une politique «irresponsable», qui pousse les jeunes sans ressources dans les bras des réseaux de trafiquants. Elle déplore que l’Aide sociale à l’enfance (ASE), «qui devrait les prendre en charge», se repose sur le travail des associations et de leurs bénévoles. Elle fait le même constat qu’Utopia 56 : seules les installations sur les places publiques fonctionnent pour qu’on fournisse un logement à ces jeunes sans abri.

Omba Chanty s’est installée dans une tente dans un coin plus familial. Cette Congolaise d’une quarantaine d’années est à la rue avec ses quatre enfants depuis un mois et demi, après le rejet de sa demande d’asile. En ce moment, ils dorment tous ensemble près de Bercy dans des tentes. Mais cette situation ne peut plus durer : «Mes enfants vont à l’école depuis 2019, ils ont besoin de stabilité.» L’une de ses filles court dans tous les sens, ses tresses aux perles multicolores tressautant dans les airs. A mesure que la rentrée approche, Omba s’inquiète. «Ça peut vraiment dérouter les enfants dans leur apprentissage», s’alarme-t-elle.

L’après-midi s’écoule et les discussions de relogement avec la préfecture avancent lentement. Les associatifs se résignent déjà à passer la nuit sur place mais espèrent une proposition d’hébergement demain. «Il faut une solution rapide, quitte à passer par des gymnases dans un premier temps», prône Léa Filoche, adjointe à la mairie de Paris en charge des solidarités, qui a fait le court déplacement depuis l’hôtel de ville. Elle espère que le square, qui doit fermer à minuit, garde ses portes ouvertes toute la nuit. «On ne peut pas enfermer les gens», estime-t-elle.

L’adjointe est également venue sur la place en espérant que cela convainc les services de police de ne pas intervenir. «Une vraie crainte», même si elle note que les forces de l’ordre se font discrètes. Après une première ronde lors de l’installation des tentes, les uniformes ont vite disparu de la place.

Tokyo : l’équipe des réfugiés, de la lutte au rêve olympique

Libération, par Léa Masselin

publié le 23 juillet 2021 à 10h15

Pas moins de 29 athlètes réfugiés, originaires de 11 pays, concourront sous le drapeau olympique lors des Jeux de Tokyo, à l’instar de la cycliste afghane Masomah Ali Zada, «petite reine de Kaboul».

Pour certains athlètes, participer aux Jeux olympiques relève avant tout d’un acte politique. C’est en tout cas ainsi que Masomah Ali Zada qualifie sa participation au plus grand événement multisports de la planète. Pas dans n’importe quelle équipe : elle fait partie des 29 athlètes qui concourront dans l’équipe olympique des réfugiés, à partir du 24 juillet, à Tokyo. «[Cet événement] sera un symbole d’espoir et rendra le monde plus conscient. C’est aussi une manière de montrer à la communauté internationale que les réfugiés sont nos frères et sont un enrichissement pour la société», a déclaré Thomas Bach, président du Comité international olympique (CIO), à l’origine de l’initiative, en partenariat avec le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR). L’agence des Nations unies estime que plus de 80 millions de personnes sont déracinées à travers la planète.

Parcours semé d’embûches

Lors de la cérémonie d’ouverture, ce 23 juillet, les athlètes originaires de 11 pays – République démocratique du Congo (RDC), Erythrée, Iran, Soudan, Irak, Syrie, Venezuela… – ne défileront donc pas derrière le drapeau d’une nation, mais des Jeux olympiques eux-mêmes. Ils affronteront 205 équipes nationales dans 12 sports : l’athlétisme, la lutte, le badminton, la boxe, le canoë, le cyclisme, la natation, le judo, le karaté, le taekwondo, le tir sportif et l’haltérophilie.

Pour la cycliste Masomah Ali Zada, dont le parcours a été semé d’embûches, participer à l’expérience olympique est le rêve d’une vie. Née en Afghanistan, la «petite reine de Kaboul», du nom d’un documentaire qui lui a été consacré, a fui son pays en 2016 pour la France. Cette année-là, les talibans multiplient les attentats suicides contre les forces afghanes. «Quand ils sont arrivés, ils ont empêché les femmes d’aller à l’école et au travail. Pour eux, elles devaient rester à la maison», se souvient-elle, dans un français à la sonorité afghane. Impossible de porter des vêtements de sport ou de faire du vélo, une discipline qu’elle a débutée en Iran lors de ses premières années d’exil, sous l’œil bienveillant de son père. «A mon retour en Afghanistan, c’était plus dur. Dans la rue, parce que nous étions des femmes, certaines personnes nous menaçaient, insultaient et même nous jetaient des pierres», ajoute, dans une vidéo sur son parcours, celle qui est désormais étudiante en génie civil à Lille.

«Sacrifié leur vie»

Cette douloureuse expérience de l’exil a été vécue par l’ensemble des membres de l’équipe. L’athlète Tachlowini Gabriyesos a fui l’insécurité en Erythrée à l’âge de 12 ans, en 2010, pour s’installer en Israël ; la nageuse syrienne Yusra Mardini a quitté Damas en août 2015 pour Berlin ; le champion de judo Popole Misenga a fui l’est de la RDC, dévasté par la guerre civile, avant de demander l’asile au Brésil, en 2013. Comme cinq autres athlètes, le Congolais faisait partie de la première équipe de réfugiés de l’histoire, lors des Jeux olympiques d’été à Rio, en 2016, alors que l’Europe faisait face à l’afflux de près d’un million de personnes fuyant les guerres, notamment au Moyen-Orient.

Une nouvelle fois, la composition de cette équipe a été basée sur deux critères principaux : la performance de l’athlète et son statut de réfugié confirmé par le HCR, soit une personne chassée de son pays par le conflit ou la persécution et qui nécessite une protection internationale. «Il faut se rappeler que tant de réfugiés ont sacrifié leur vie. Nous sommes le symbole d’une lutte», avait déclaré le coureur éthiopien Yonas Kinde à l’issue de la compétition, il y a cinq ans. Une lutte que compte poursuivre Masomah Ali Zada cette année : «Je ne pensais jamais pouvoir participer aux Jeux olympiques, mais j’ai continué à rêver, à faire du vélo et à travailler dur. Et maintenant, j’ai réussi.»

Sur l’île grecque de Kos, la détention des demandeurs d’asile est quasi systématique

Le Monde, le 24 juillet 2020, par Marina Rafenberg 

Depuis la fin 2019, presque tous les nouveaux arrivants sont mis en détention dans le seul centre de rétention de la mer Egée. Les ONG craignent que cette pratique ne soit étendue aux autres îles, où de nouveaux camps fermés sont en construction.

« C’était comme un cauchemar sans fin, je ne trouvais plus le sommeil. » Karim (les prénoms ont été modifiés par souci d’anonymat), 13 ans, a été enfermé pendant plus de cinq mois dans le centre de rétention del’île grecque de Kos, avec sa mère, sa sœur de 14 ans et son frère de 8 ans. Après le rejet de sa demande d’asile par les autorités, la famille syrienne a été déplacée dans une autre partie du camp, située sur les hauteurs d’une colline aux arbustes épineux, à 3 km du paisible village de Pyli.

Cloîtrés dans un conteneur blanc avec une minuscule fenêtre, ils ne pouvaient ni sortir, ni avoir de contacts avec le monde extérieur, suivre des cours, recevoir des ONG ou des avocats. « Quand la police nous a annoncé que nous pouvions rester encore un an dans cette prison, j’ai pleuré, je n’arrivais pas à m’arrêter… », raconte l’adolescent, encore traumatisé. Submergé par le stress et l’ennui, Karim ne peut même plus passer d’appel vidéo avec son père, qui se trouve en Allemagne. Les policiers détruisent toutes les caméras des téléphones portables des migrants. « Personne ne raconte ce qu’il se passe à l’intérieur. La nourriture distribuée est périmée. Un homme est mort lors de notre séjour. Mes enfants étaient terrifiés et me demandaient si, nous aussi, nous allions mourir ici… », relate, émue, la mère, Sarah.

 Macky Diabete, 44 ans, un ressortissant guinéen, est décédé à la suite d’une occlusion intestinale à quelques mètres d’eux. Une enquête sur les circonstances de sa mort a été ouverte. Selon Amin, détenu pendant dix-huit mois dans ce même centre et interrogé par l’ONG Refugee Support Aegean (RSA), « pendant trois jours, il suppliait pour qu’on l’emmène voir un docteur, les policiers lui répondaient qu’il n’y avait pas de voiture pour le transporter ni de médecin capable de se déplacer ». Quelques jours après, un Kurde de 24 ans s’est suicidé dans le camp de rétention de Corinthe, à 80 km d’Athènes.

La détention comme norme

Pendant sa détention, Karim « a déjà pensé au pire. Il a eu de nombreuses attaques de panique et il ne s’est pas alimenté pendant plusieurs jours », avoue Sarah. Aucune aide psychologique ne lui a été proposée. Seuls un médecin et une infirmière leur ont rendu quelques fois visite et leur ont recommandé de prendre des « somnifères ».

Le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) a pointé le manque d’aide légale gratuite. « Ces centres de rétention sont une zone grise, où les demandeurs d’asile ne savent pas combien de temps ils doivent rester, ni pourquoi ils s’y trouvent, puisqu’ils n’ont commis aucun crime », souligne l’association d’aide juridique Equal Rights Beyond Borders. « Nous devenons fous. Depuis dix-huit mois que je suis ici, j’ai déjà assisté à trois tentatives de suicide et c’est nous, les autres détenus, qui les avons empêchés d’aller jusqu’au bout, pas la police », rapporte Amin.

Depuis la fin de l’année 2019, quasiment tous les nouveaux arrivants sur l’île de Kos sont placés en détention, alors que celle-ci doit normalement être un dernier recours, d’autant plus pour les mineurs. Après la mise en place de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie en 2016, les demandes d’asile des Syriens sont rejetées non pas parce qu’ils ne sont pas éligibles à l’asile mais parce qu’ils doivent demander l’asile en Turquie, qui a été désignée comme un « pays tiers sûr ». Dans les quatre autres « hot spots » de la mer Egée, une mesure de restriction géographique interdit aux candidats déboutés de quitter les îles. Mais, à Kos, la détention est privilégiée.

Fin avril, toutefois, après neuf mois de pressions du HCR et des ONG, toutes les familles se trouvant dans le centre de rétention ont à nouveau rejoint le camp principal. Depuis le mois de mai, Karim a repris le chemin de l’école gérée par l’ONG Arsis, avec 55 autres camarades. Son temps de sommeil a été augmenté. Mais la famille n’a toujours droit qu’à cinq heures de promenade par semaine hors de l’enceinte.

« Ils sont exclus du système d’accueil »

Depuis mars 2020, il n’y a pas eu une seule réadmission en Turquie. Le service d’asile grec continue néanmoins de rejeter sommairement les demandes d’asile des Syriens. « Selon la loi grecque sur l’asile (4363/2019) et la directive européenne (2013-32/UE), si le pays tiers refuse de reprendre la personne, l’Etat accueillant la personne doit examiner sa demande d’asile sur le fond », explique pourtant Equal Rights Beyond Borders.

« Les Syriens arrivés dans les hot spots grecs se sont retrouvés soit arbitrairement détenus, soit dans une situation de vide juridique et de dénuement. Ils sont exclus du système d’accueil, n’ont droit ni à une aide financière, ni de travailler », poursuit l’ONG. L’organisation est également préoccupée par une nouvelle décision ministérielle prise il y a un peu plus d’un mois : désormais, la Turquie est désignée comme un pays tiers sûr non seulement pour les Syriens, mais aussi pour les Afghans, les Bangladais, les Pakistanais et les Somaliens. « Cela va affecter environ 70 % des demandeurs d’asile en Grèce. Le nombre de personnes laissées dans les limbes juridiques devrait prochainement se multiplier de façon exponentielle », notent les juristes.

Autre source d’inquiétude pour les défenseurs des droits de l’homme : les nouveaux camps en construction sur les îles de la mer Egée face à la Turquie, qui feront la part belle à la détention. A Kos, les ouvriers s’activent. Des barbelés, des miradors avec leurs caméras de surveillance et des drones ultramodernes sont graduellement disposés autour de la structure déjà existante. Ici, un nouveau centre plus grand comprenant un supermarché, une école et une infirmerie doit voir le jour dans quelques mois. Sarah est effrayée : « Plus aucune raison de sortir ne nous sera donnée. »

Les traversées de la Manche en « small boats » en nette augmentation

Par Juliette Bénézit, 26 juillet 2021

Cet été, les tentatives de traversées se multiplient malgré le danger. Lundi 19 juillet, au moins 430 personnes ont rejoint le Royaume-Uni par la mer. Un record.

C’est un phénomène en pleine expansion qui préoccupe les autorités françaises et britanniques. Selon la préfecture du Pas-de-Calais, depuis le début de l’année, plus de 8 000 personnes migrantes ont rejoint les côtes anglaises en traversant la Manche à bord d’embarcations de fortune  appelées « small boats ». Un chiffre quasi équivalent à celui de l’année 2020. Cet été, les tentatives de traversées se multiplient malgré le danger. Lundi 19 juillet, au moins 430 personnes ont rejoint le Royaume-Uni par la mer. Un record.

De part et d’autre de la Manche, cette situation a entraîné des réactions en urgence. Samedi 24 juillet, Gérald Darmanin s’est rendu à Calais dans le cadre d’un déplacement consacré à la « lutte contre l’immigration clandestine ». A cette occasion, il a annoncé avoir demandé à l’Agence européenne de surveillance des frontières, Frontex, de « s’occuper du nord de l’Europe » et « singulièrement du littoral Nord-Pas-de-Calais ».

Quelques jours plus tôt, mardi 20 juillet, le ministre de l’intérieur s’entretenait avec son homologue britannique, Priti Patel, lors d’une réunion en visioconférence. Dans une déclaration commune, la France et le Royaume-Uni ont annoncé avoir « renforcé leur action conjointe ». A savoir : un doublement des effectifs policiers pour couvrir une plus large partie du littoral et un renforcement des moyens de contrôle.

Départs simultanés le long de la côte

Le Royaume-Uni s’est par ailleurs engagé à investir 62,7 millions d’euros en 2021-2022 pour « appuyer la France dans son action d’équipement et de lutte contre l’immigration irrégulière ». Pour tenter d’enrayer la dynamique, la préfecture du Pas-de-Calais a publié, jeudi 22 juillet, un arrêté interdisant, dans six communautés de commune du département, la vente et l’achat de plus de 10 litres de carburant à emporter manuellement, sauf « usages professionnels » ou « nécessités dûment justifiées ». Une première.

C’est en 2018 que les premières embarcations ont commencé à débarquer en nombre jusqu’aux côtes du Kent, dans la région de Douvres. Cette année-là, d’après la préfecture du Pas-de-Calais, 276 personnes ont rejoint l’Angleterre. Puis les chiffres ont explosé : 1 905 arrivées ont été enregistrées en 2019, 8 483 en 2020.

Plusieurs éléments expliquent le phénomène. D’une part, la sécurisation continue du port de Calais et du site d’Eurotunnel a entravé les possibilités de passage en poids lourd. D’autre part, selon la préfecture du Pas-de-Calais, les réseaux de passeurs ont largement investi et développé ce « marché lucratif », facturant une traversée entre « 3 000 et 20 000 euros ». Actuellement, les passeurs organisent des départs simultanés tout le long des 110 kilomètres de côte, afin de déborder les services de secours en mer pour qu’un maximum d’embarcations parviennent jusqu’aux eaux britanniques.

Les négociations s’éternisent

Côté Royaume-Uni, la situation enflamme les brexiters les plus convainvcus, au premier rang desquels la ministre de l’intérieur, Priti Patel, qui n’a de cesse de répéter sa volonté de « reprendre le contrôle des frontières ». La semaine dernière, les députés britanniques ont examiné un projet de loi très controversé porté par Mme Patel et dénoncé comme attentatoire au droit d’asile. Le texte vise notamment à criminaliser les traversées en « small boats » en portant de six mois à quatre ans de prison les peines encourues en cas d’ « entrée illégale » dans le pays.

Londres presse aussi la France et l’Union européenne de trouver un accord sur le dossier sensible des renvois. Et pour cause : les questions migratoires n’ont pas été discutées dans le cadre du Brexit. En conséquence, le Royaume-Uni est sorti, au 1er janvier, du régime d’asile européen commun et ne peut plus bénéficier du règlement dit « Dublin III », un texte qui détermine l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile. Il s’agit, le plus souvent, du premier pays où les empreintes d’une personne ont été enregistrées et où elle peut, en principe, être renvoyée. Dans leur déclaration commune du 20 juillet, il est indiqué que « le Royaume-Uni et la France soutiennent l’idée d’un accord de réadmission entre le Royaume-Uni et l’Union européenne ». Les négociations s’éternisent.

Depuis la signature du traité du Touquet en 2003 qui acte le transfert de la frontière britannique sur le littoral français, Londres et Paris ne cessent de « renforcer » leur collaboration contre l’immigration clandestine, mettant en place une sécurisation toujours plus importante des lieux en échange de financements britanniques. « On assiste à une théâtralisation de la frontière, analyse Olivier Clochard, géographe et chargé de recherche au CNRS. C’est une mise en scène vis-à-vis de l’opinion publique pour dire que des décisions sont prises. Or, les gens continuent d’arriver. Aujourd’hui, il y a des traversées en bateau alors que c’était inimaginable auparavant. »

En 2020, dix personnes au moins ont péri ou disparu dans la Manche. Parmi elles, une famille kurde iranienne. Les deux parents et les trois enfants se sont noyés en octobre 2020. Le corps du petit dernier, Artin, 15 mois, a été repêché au large de la Norvège, plusieurs semaines après le drame. D’après des décomptes associatifs, au moins 302 personnes migrantes sont décédées à la frontière franco-britannique depuis la fin des années 1990.

 

 

A Calais, après vingt ans de crise migratoire, un épuisement généralisé

Par Juliette Bénézit, Le Monde du 26 juillet 2021

Bénévoles et habitants ne voient toujours pas d’issue dans cette ville qui attire encore des milliers d’exilés.

Zenawi se distingue par sa posture. On l’aperçoit au loin, planté au fond d’un campement où vivent une centaine d’exilés, à Calais (Pas-de-Calais). Il se tient à l’écart et ne bouge pas. Le jeune homme est un Erythréen de 24 ans au visage rond. Il porte une épaisse doudoune noire et une boucle d’oreille qui brille. Zenawi balaye l’endroit du regard, puis lance : « Ça fait peur. »

Quelques heures plus tôt, le jeune homme est arrivé à la gare ferroviaire de Calais-Fréthun, bagages en main. En ville, il a demandé quoi faire, où aller. On lui a indiqué ce camp situé près de la rocade portuaire, où vivotent principalement des Erythréens. Ici, les détritus jonchent le sol et certaines silhouettes sont amaigries. Après avoir passé six ans en Suisse, où sa demande d’asile a été rejetée plusieurs fois, le dernier espoir de Zenawi se situe désormais de l’autre côté de la Manche, en Angleterre. Il demande : « Combien ça coûte pour passer là-bas ? »

Abderrahmane, un Soudanais de 17 ans, est à Calais depuis un mois. Il flotte dans ses vêtements et marche en tongs. Le jeune homme est installé dans un autre camp de la ville, situé dans la zone de l’hôpital, où se concentrent environ 500 personnes. Là, en s’enfonçant, on aperçoit sous les feuillages des bâches trouées, des couvertures de survie, une paire de gants, des boîtes de conserve vides. A quelques mètres d’une décharge d’excréments, on tombe sur une poussette abandonnée. Tous les soirs, Abderrahmane dort sous un arbre avec son duvet. Il n’a pas de tente. Pour trouver le camion qui l’emmènera en Angleterre, il dit qu’il se débrouille tout seul : il n’a plus d’argent pour payer les passeurs.

Abderrahmane, 17 ans, a quitté sa ville natale de Wad Madani, au Soudan, il y a quatre mois. Il a traversé la Libye et l’Italie pour arriver à Calais il y a un mois. Tout comme ses amis avec qui il partage un arbre à l’intérieur de la jungle « Hospital », l’adolescent rêve d’Angleterre.  Du fait des passages et évacuations répétitives par les forces de l’ordre, les exilés de la jungle « Hospital » n’ont plus de tentes. Les personnes se retrouvent sans-abri et terminent souvent la nuit sur les parkings et les ronds-points aux abords de la « jungle », pour ne pas se faire réveiller par la police.

Après vingt ans de crise humanitaire, les destins des migrants de passage à Calais se brisent toujours au sein de cette ville qui les plonge dans un abîme de misère. D’après les chiffres des associations et de la préfecture du Pas-de-Calais, entre 900 et 2 000 exilés sont présents sur le littoral, principalement des Erythréens, des Soudanais, des Afghans, des Iraniens et des Syriens, parmi lesquels de plus en plus de femmes et d’enfants. Après vingt ans de crise humanitaire, cette détresse laisse place à un épuisement généralisé, des bénévoles aux habitants, qui ne voient toujours pas d’issue.

Des évacuations toutes les quarante-huit heures

Cet été, comme depuis deux décennies dans le Calaisis, il y a urgence. Urgence, selon le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, en déplacement à Calais samedi 24 juillet, à sécuriser davantage la frontière franco-britannique, à renforcer la présence policière et la lutte contre les passeurs. Depuis le début de l’année, plus de 8 000 exilés ont rejoint le Royaume-Uni à bord de « small boats » – des petites embarcations de fortunes –, presque autant que sur l’ensemble de l’année 2020.

Urgence également, pour les associations humanitaires, qui s’alarment : comment poursuivre leurs missions ? Comment distribuer de la nourriture alors qu’un arrêté préfectoral interdit cette activité dans une partie de la commune et que les autorités intensifient la pression sur la dizaine de campements situés en périphérie de la ville ? « En ce moment, les évacuations ont lieu tous les jours, à des rythmes différents. La police ne vient plus nécessairement le matin, mais parfois en plein après-midi », rapporte Pierre Roques, de l’association Utopia 56.

Le plus souvent, les exilés se déplacent de quelques mètres et reviennent aussitôt. Leurs effets personnels, comme leur tente ou leur téléphone portable, peuvent être saisis. Ils ont trois semaines pour les récupérer dans un local mais nombreux sont ceux qui racontent ne pas les retrouver. « A force, il y a une pénurie de tentes. On n’a plus de stock », déplore Pierre Roques.

Depuis le démantèlement de la « jungle » de Calais en 2016, où s’entassaient près de 10 000 personnes, les autorités veulent éviter les « points de fixation ». Jusqu’à récemment, les évacuations étaient organisées toutes les quarante-huit heures. « On voit, sous le mandat d’Emmanuel Macron, l’industrialisation de cette politique de dissuasion qui est mise en place depuis plusieurs années », analyse Pierre Bonnevalle, actuellement chargé, par la Plate-forme des soutiens aux migrants, de mener une étude sur les politiques publiques à l’œuvre dans le Calaisis depuis trente ans. « C’est la seule manière de ne pas laisser des choses inacceptables s’installer », a défendu Gérald Darmanin, samedi, dansune interview à La Voix du Nord

En janvier 2018, le président de la République, Emmanuel Macron, définissait les contours d’un « socle humanitaire » mis en place par l’Etat à Calais. A savoir, l’organisation de distributions de nourriture assurées par des associations mandatées, le rétablissement d’accès aux douches et à l’eau et la possibilité de mises à l’abri d’urgence.

Un dispositif jugé « insuffisant » par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, dans un avis rendu le 11 février. L’autorité administrative indépendante appelle à « mettre fin à la politique sécuritaire dite du “zéro point de fixation” » et recommande « la création de petites unités de vie, le long du littoral, permettant aux exilés de trouver un lieu sécurisé et un temps de répit propice à une réflexion sur leur projet migratoire ».

« On se sent souvent impuissants »

En attendant, les associations tentent de s’adapter. Utopia 56, par exemple, effectue des maraudes sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. L’association est arrivée dans le Calaisis en 2015. Leurs bénévoles sont jeunes. La plupart ne sont pas de la région. Portés par leur indignation, ils viennent prêter main-forte pour quelques mois ou quelques semaines.

En cette soirée du 13 juillet, Mathilde Le Viavant, 27 ans, et Lucille Echardour-Coural, 22 ans, assurent une maraude. Au volant d’un van bleu marine cabossé, elles sillonnent la ville et les campements dans le but de mettre en relation le Samusocial et les familles à la rue. « On se sent souvent impuissants. La semaine dernière, on a laissé 31 personnes dehors, avec des femmes et des enfants. Il n’y avait plus de place au 115, témoigne Lucille. Il faut aussi se ménager psychologiquement. On n’a pas forcément la maturité émotionnelle pour voir tout ça. »

Ce soir-là, une maman afghane leur a téléphoné depuis son campement. Elle est accompagnée de sa fille de 6 ans et porte son bébé d’un an dans ses bras. Toutes les trois viennent d’arriver de Belgique, où leur demande d’asile a été rejetée. La mère est anxieuse. Elle explique qu’elle ne sait pas vraiment si elle veut aller au Royaume-Uni. Elle montre ses chaussures pleines de boue et confie qu’elle n’en a pas d’autre. Elle raconte que sa petite fille lui demande tous les jours : « Maman ! Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? »

« [A la fin des années 1990], je trouvais que ce lieu était dur, raconte Martine Devries, une Calaisienne de 73 ans. Finalement, c’était le paradis comparé à la situation actuelle »

Certains bénévoles plus âgés, des militants de la première heure, ne parviennent plus toujours à faire face à ce désarroi, épuisés de « vider l’océan à la petite cuillère ». Martine Devries, une Calaisienne de 73 ans, s’était engagée pour les réfugiés à la fin des années 1990. A cette époque, des Kosovars fuyant la guerre s’étaient installés dans un parc du centre-ville, rendant pour la première fois visible la cause des migrants bloqués dans le Calaisis.

Cette ancienne médecin généraliste a ensuite assuré des consultations au centre humanitaire de Sangatte, où quelque 67 000 exilés ont transité entre 1999 et 2002. « A l’époque, je trouvais que ce lieu était dur, raconte-t-elle. Finalement, c’était le paradis comparé à la situation actuelle. »

Christian Salomé, 72 ans, a passé la main avant que la maladie ne le rattrape. Pendant plus de dix ans, cet ancien salarié d’Eurotunnel a dirigé L’Auberge des migrants, une association créée en 2008. Il y a consacré toute sa retraite. Il accueillait chez lui des exilés, les accompagnait dans leurs démarches. Sa conjointe, Marie, 70 ans, une enseignante à la retraite, confie : « On a parfois frôlé le burn-out et on a souvent pleuré. »

Riverains « exaspérés »

D’après la préfecture du Pas-de-Calais et la municipalité, la situation migratoire continue d’alimenter les tensions en ville. Toutes deux indiquent que le nombre de mains courantes enregistrées est en augmentation depuis un an et que la présence policière a dû être renforcée. Des problèmes liés à la consommation d’alcool et des nuisances sont rapportées par les Calaisiens qui habitent à proximité des campements. La maire de la ville, Natacha Bouchart (Les Républicains), évoque des riverains « exaspérés » et une « perte d’attractivité » pour la commune.

A Calais, on raconte l’histoire de deux mondes qui s’ignorent et ne se connaissent pas ou si mal. Les « migrants » ? Tout juste les croise-t-on dans la rue, à la gare, dans les bus, au supermarché ou dans les parcs. En mai, Amnesty International a publié les résultats d’une étude menée avec Harris Interactive pour comprendre ce que ressent la population face à cette crise humanitaire. Bilan : c’est d’abord la situation économique de la ville qui préoccupe, alors qu’un habitant sur trois vit sous le seuil de pauvreté.

Ensuite, les répondants estiment que la crise, perçue comme insoluble, a dégradé l’image de la ville. Ils disent se sentir non pas insensibles au sort des exilés mais impuissants, lassés, découragés. Claire Millot, 70 ans, secrétaire générale de l’association Salam-Nord-Pas-de-Calais, évoque l’histoire de ce monsieur qui lui disait à propos des migrants : « Je veux que ces gens disparaissent, ils me culpabilisent. »

La route de Gravelines est une rue pavillonnaire proprette où de belles maisons de ville sont situées de part et d’autre de la chaussée. Tout proche, il y a la zone industrielle des Dunes. Pendant plusieurs mois, des campements y étaient installés, à côté des habitations et des commerces, avant que les lieux ne soient évacués, murés et grillagés. Valérie (le prénom a été modifié), la patronne d’un café avoisinant, évoque les difficultés rencontrées pendant cette période, les tensions, les clients qui se faisaient plus rares. « On comprend qu’ils veuillent aller au Royaume-Uni, mais qu’est-ce qu’on peut faire ?  », constate-t-elle.

Bisrat, un Erythréen de 23 ans, est à Calais depuis six mois. Le soir où nous le rencontrons dans le campement où il vit, il est assis sur un bloc de béton, seul. Il est le premier de sa famille à être parti et se sent investi d’une grosse responsabilité. Il est passé par la Libye, il a traversé la Méditerranée. Ses empreintes sont enregistrées en Italie, pays responsable de sa demande d’asile. Bisrat n’a plus d’argent pour payer les passeurs. Tous les soirs, il essaie de monter dans un camion, en vain. Il demande : « Qu’est-ce que je devrais faire ? »

 

 

« Amal marche à la recherche de sa mère »

Propos Recueillis Par Brigitte Salino dans Le Monde du 24 juillet

Stephen Daldry et Amir Nizar Zuabi racontent la genèse de la marionnette de « The Walk »

ENTRETIEN
Mardi 27 juillet, Amal partira de la frontière syro-turque. C’est une petite fille de 9 ans, représentée par une marionnette de 3,50 mètres de haut, qui va parcourir 8 000 kilomètres à pied et traverser huit pays d’Europe, jusqu’à Manchester, où elle devrait arriver le 3 novembre. Dans son parcours, baptisé « The Walk », elle sera accueillie dans une centaine de villes et de villages, où seront organisés des événements artistiques et éducatifs, dont beaucoup imaginés par des artistes syriens. Amal marche pour les enfants isolés, jetés sur les routes de l’exil. Stephen Daldry, producteur du projet, et Amir Nizar Zuabi, son directeur artistique, reviennent sur sa genèse.

Où et comment l’idée de « The Walk » est-elle née ?

Stephen Daldry : Dans la « jungle » de Calais, où deux auteurs britanniques, Joe Murphy et Joe Robertson, ont créé un théâtre éphémère, le Good Chance Theatre, en 2015. Ce théâtre est vite devenu un centre civique et culturel dans le camp, ainsi qu’une voix dans le débat international sur la crise d’accueil des réfugiés et des migrants. Il y avait beaucoup de gens engagés, dans la « jungle » de Calais, dont des Américains. Ensemble, nous nous sommes demandé comment créer un mémorial pour les millions de réfugiés qui traversaient l’Europe. Puis nous avons choisi une voie différente : leur offrir un acte de bienvenue. Nous sommes partis d’un personnage de la pièce TheJungle, que nous avions créée à Calais et qui a été multiprimée dans le monde : une mineure isolée de 9 ans, Amal. Nous avons demandé au Handspring Puppet de Johannesburg (Afrique du Sud) de créer la marionnette de cette petite fille. Et Amir Nizar Zuabi est entré dans le projet, pour le coordonner.

Que signifie « The Walk » ?

Amir Nizar Zuabi :Quand David Lan, le producteur de Good Chance, et Stephen Daldry m’ont parlé du projet, j’ai été ému par son ambition et sa simplicité. Une petite fille marche à travers l’Europe. Elle est seule, effrayée et épuisée. Mais beaucoup de gens vont l’aider. Mon expérience de metteur en scène palestinien, avec tout ce que cela signifie, a compté dans la façon dont j’ai abordé The Walk. En tant que directeur artistique, je voulais que cette marche soit belle et honnête. Nous avons fait une proposition à de très nombreux partenaires en Europe : Amal arrive dans votre ville, comment allez-vous l’accueillir ? Que peut-elle vous apprendre ? Quel sera l’échange entre elle et vous ? Nous avons reçu de très nombreuses propositions, très créatives. A chaque étape, un événement se produira, et l’ensemble formera une sorte de tapisserie du voyage d’Amal. Les artistes locaux établiront une interaction avec cette petite fille, vulnérable parce qu’elle a 9 ans, et impressionnante parce qu’elle mesure 3,50 mètres.

Il y a beaucoup d’enfants seuls sur les routes d’Europe. Pourquoi une Syrienne ?

A. N. Z. : Il y avait des réfugiés avant les Syriens, j’en suis un, mais la violence du conflit en Syrie a été telle que les gens ont fui en masse : tout un peuple a traversé les frontières. Et ce conflit a changé l’Europe. Il a changé le Royaume-Uni : le Brexit est en partie dû à l’afflux de réfugiés sur son territoire. Amal marche à la recherche de sa mère disparue. Quand elle commence, à Gaziantep, à la frontière syro-turque, elle ne sait pas qu’elle va aller à Manchester. Elle marche jusqu’à Adana, puis jusqu’à la ville suivante. Et ainsi de suite. Elle s’arrête à Manchester, parce qu’elle sent qu’elle peut y rester : au cours de son voyage, elle a acquis de l’expérience et reconstruit sa confiance dans les êtres humains. Amal peut poser ses affaires et dire : « Je fais partie de la communauté. »

S. D. : Je veux simplement ajouter que Manchester a une très longue histoire d’accueil de réfugiés, qui s’y sont installés et ont contribué à façonner l’identité de la ville, comme celle du Royaume-Uni.

Comment cett marche est-elle financée ?

A. N. Z. : Surtout par des collectes de fonds venus de particuliers, de sociétés, de l’Arts Council England [un fonds d’aide à la culture]. Nous sommes une petite équipe, la marche est un énorme défi logistique, et notre budget est très serré pour créer plus de cent événements dans 65 villes. Mais cela est compensé par le fait que chacun de nos partenaires a mis toute son énergie pour créer dans sa ville une journée pour Amal. Des milliers de personnes en Europe travaillent au projet. Dans le Talmud, il est écrit : « Qui sauve une vie, sauve l’humanité. »On peut adapter cet apophtegme à The Walk : si, au cours des 8 000 kilomètres, ne serait-ce qu’une seule personne est touchée par l’histoire d’Amal, cela aura valu la peine.

En France du 21 au 30 septembre, puis du 10 au 17 octobre.